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Faculté de théologie musulmane : un projet toujours en suspens.

La France compte à ce jour quelques 4 millions de musulmans. S’affichant presque quotidiennement à la une des journaux depuis quelques années, notamment avec l’affaire du « voile islamique », l’Islam s’affirme de plus en plus comme une force avec laquelle il faut désormais compter. Nés sur le territoire, les musulmans des nouvelles générations (comme on se plaît à les appeler) remplissent les universités, les entreprises et les services publics du pays. Ils participent à l’économie, à l’enseignement, au droit, ce qui fait d’eux non pas, comme on le pense, des aspirants à l’intégration mais des Français qu’il ne doit pas même être utile de reconnaître en tant que tel.

Ces musulmans, jetés sous les lumières de la scène politique et de l’actualité internationale, ne disposent toujours pas, dans cette France à laquelle ils appartiennent, d’une faculté de théologie musulmane comme c’est le cas en Angleterre ou aux Etats-Unis. Deuxième religion de France, l’Islam n’est pas encore considéré par la Chose Publique comme méritant d’être enseigné officiellement dans l’Hexagone. La simple revendication d’une institution théologique amène les plus niais à relancer l’argument de la menace terroriste ou encore celui de l’invasion des sarrasins, voire de la destruction à terme du patrimoine national.

La demande avait déjà été lancée lorsque Lionel Jospin était 1er ministre, notamment par Mohamed Arkoun, mais elle fut refusée. Présentée à nouveau à Alain Juppé, le scénario se répéta. Le rapport Trocmé, appuyé par le GERI (Groupe d’études et de recherches islamologiques), établissant la nécessité d’ouvrir une école de théologie à Strasbourg, dans le cadre de l’Université Marc Bloch, n’a pas convaincu les différents ministres de l’Education. A croire que l’enseignement religieux ne dépend sous aucun prétexte de la République. Mentionnons pourtant l’existence à Strasbourg de deux écoles de théologie, l’une protestante et l’autre catholique, (dont l’enseignement est en vigueur depuis 1538 !). Elles dépendent directement du Ministère de l’Education Nationale. Forte d’une histoire imprégnée de tolérance religieuse, l’Alsace serait-elle l’exception à la règle selon laquelle la République « ne s’occupe pas de l’enseignement religieux » ?

Evidemment, dans le contexte actuel, l’on peut être amené à se demander à quoi renvoie la création de cette institution. C’est que dans le remous politique où baignent les musulmans, il n’est jamais véritablement question de leur éthique. On peut bien trouver quelque M.Sarkozy pour s’essayer à l’interprétation de versets coraniques mais d’aucun ne voudrait faire appel à un spécialiste du Coran qui soit en marge de la scène politique française et internationale pour nous éclairer sur le texte même.

Le fait est malheureux : les politiciens et autres hommes du master-show ont refoulé la théologie dans un placard, considérant qu’elle n’était pas utile à la compréhension des événements, qu’elle ne pouvait servir la cause qu’ils prétendent se donner et qui consiste à attribuer à l’Islam et à la République leur place respective. Cause tellement mal défendue qu’elle n’est pas guidée par ce qui devrait être son moteur et qui se résume à cette sentence : « l’Islam est dans la République ». Ne pas institutionnaliser son enseignement, le laisser à la merci des écoles privées qui poussent comme des champignons autour des grandes villes, c’est l’exclure de la République, c’est priver des milliers de musulmans d’une manière de penser qui mettrait en corrélation deux cultures mais surtout deux méthodes.

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Evoluant en autodidacte, comment le musulman peut-il être en phase avec des idéaux de pluralisme et de tolérance ? Comment attendre de lui qu’il ne se pose pas en contradicteur quand on ne fait rien pour l’introduire dans un débat de fond où il est pourtant le principal protagoniste ? Surtout, comment l’inviter à se débarrasser du caractère éminemment jurisprudentiel qu’a pris l’Islam, de l’orthopraxie dans lequel il se confine, si on ne met pas à sa disposition des éléments de réflexion proprement spirituels ?

La création d’une école de théologie musulmane dépendant directement du Ministère de l’Education Nationale est la première défense contre les intrusions d’idéologies plus politiques que religieuses correspondant à des cultures locales particulières, notamment orientales. Il ne s’agit pas tant de former des imams mais bien plutôt des théologiens, des chercheurs capables de redynamiser la réflexion autour de la religion avec des instruments intellectuels adaptés au cadre de vie dans lequel évoluent les musulmans en France. Il n’est qu’à voir le programme d’études proposé par le rapport Trocmer pour réaliser combien l’enseignement théologique officiel serait un bienfait pour la République mais surtout pour les musulmans : Etude de l’Arabe et d’autres langues comme l’Anglais ou l’Allemand, étude des sources canoniques (Coran, Sunna…), des différents courants d’études islamiques, des autres religions, des problèmes contemporains, des sciences humaines (Histoire, Philosophie, sociologie religieuse…)… tout cela dans le respect de la foi musulmane et des apports de l’islamologie. Il n’est pas question de faire l’apologie d’un courant idéologique aux dépens d’un autre. L’étiquette du Ministère de l’Education Nationale doit justement permettre d’éviter les dérives sectaires, elle favoriserait l’enseignement laïc (en son sens propre et non politisé).

S’il n’y a pas d’élites pour penser et guider sans contraindre, il ne peut donc pas y avoir d’avancée sur le plan politique. Le théologien musulman ne se contente pas de discutailler sur les vérités premières, les anges ou les démons, il a pour principale mission d’offrir aux adeptes de sa religion les clés d’une compréhension plus approfondie du dogme et de l’orthodoxie. Il leur offre une définition de la foi et un moyen de vivre bien là où ils sont installés. Combien de temps va-t-on donc obliger les musulmans à payer l’entrée des conférences ou des écoles privées pour entendre parler des sciences islamiques et connaître les bases de leur culture ? D’autant plus que dans ces différents cadres de formation, il n’est jamais fait état que de bribes de la riche pensée musulmane et que ces bribes mêmes ne sont pas sont pas présentés avec une véritable méthodologie telle que mise en place dans le système universitaire.

C’est justement parce qu’il s’agit d’un enseignement offert dans le cadre de l’Université que l’ouverture de cette école ne concerne pas seulement les musulmans. Au-delà de la formation des théologiens, cette faculté permettrait à d’autres de découvrir une culture et une façon de penser différente. Nous pourrions voir (ré)-apparaître de brillantissimes islamologues tels Louis Gardet ou Roger Arnaldez dont les ouvrages ne manquent pas de présenter une religion sans la juger en bien ni en mal. C’est au fond donner à des milliers de personnes la possibilité de comprendre que l’on peut étudier tous les aspects d’une religion sans devenir à son tour religieux.

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