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11 septembre 10 ans plus tard :La réponse des européens de confession musulmane à l’extrémisme ?

Le mardi 11 septembre 2001, les Etats-Unis d’Amérique subirent une série d’attaques terroristes. Les faits rapportés par les politiques et les différents médias parlent d’un groupe largement suspecté d’appartenir au réseau d’Al-Qaida dirigé par un certain Osama Ben Laden, qui prit les commandes de trois avions commerciaux pour les faire s’écraser sur les tours jumelles du World Trade Center et du Pentagone. En seulement l’espace de quelques heures, les deux tours se sont effondrées et avec elles la vie de milliers d’Américains, de non-Américains, de musulmans et de non-musulmans à travers le monde.

La théorie du choc des civilisations

Ces catastrophes ont ainsi mené à une lourde perte en vie humaine et à un profond traumatisme à travers le monde. L’un des effets immédiats de ces terribles événements fut de venir creuser encore un peu plus profondément l’idée d’une irrépressible division du monde entre ‘islam’ et ‘Occident’. C’est en 1993 dans son article Le Choc des civilisations, que Samuel P. Huntington introduisit pour la première fois sa thèse au sein de la littérature sociologique et politique, en y déclarant sa désormais célèbre sentence : […] dans ce monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l’humanité et la source principale de conflit seront culturelles. Les États-nations resteront les acteurs les plus puissants sur la scène internationale, mais les conflits centraux de la politique globale opposeront des nations et des groupes relevant de civilisations différentes. Le choc des civilisations dominera la politique à l’échelle planétaire. Les lignes de fracture entre civilisations seront les lignes de front des batailles du futur » (1)

La nouvelle conception de l’ordre mondial qu’il propose semblerait définir le monde comme un champ de bataille opposant entre autres les ‘Occidentaux’ d’un coté, aux ‘musulmans’ de l’autre. Ainsi dans son ouvrage Le choc des civilisations dans lequel il développera par la suite sa thèse, il souligne qu’« avec ses civilisations rivales, l’islam et la Chine, l’Occident risque d’entretenir des rapports très tendus et même souvent très conflictuels. » (2) Il précise également dans la suite de son ouvrage qu’une éventuelle guerre mondiale « […] pourrait résulter de l’intensification d’un conflit civilisationnel entre des groupes appartenant à des civilisations différentes, vraisemblablement des musulmans d’un côté et des non-musulmans de l’autre. » (3)

Les tragédies du 11 septembre ayant plongé le monde dans l’obscurité, Samuel Huntington pu ainsi saisir l’occasion de venir de nouveau exposer son idée d’une division et d’une incompatibilité conflictuelle qui existerait de fait entre la “civilisation occidental” et la “civilisation musulman”. Dans une interview accordée au tabloïde britannique The Guardian au lendemain des évènements du 11 septembre, lorsqu’on lui demanda s’il s’agissait là du choc des civilisations contre lequel il nous avait mis en garde une décennie auparavant, il réaffirma sa thèse en répondant : « Il est clair, Osama Ben Laden veut qu’il y ait un choc des civilisations entre l’Islam et l’Occident. La première priorité de notre gouvernement est de tenter d’empêcher qu’on y advienne. Mais il y a un danger que les choses aillent en ce sens. » (4) Ce sont de telles déclarations qui vinrent alimenter le climat social qui suivit directement les catastrophes du 11 septembre 2001, en tensions et en suspicions à l’égard de ‘l’autre’ incarné en la personne du musulman.

Samuel P. Huntington dans sa théorie du choc des civilisations présente une conception dangereusement simpliste du monde fondée sur l’« islam » versus l’« Occident ». Lorsqu’un Européen de confession musulmane suit ce raisonnement, il en vient à se demander : ‘Si une telle guerre venait à éclater, quel ‘camp’ choisirait-il ? Celui des Musulmans ? Celui des Occidentaux ? Son hésitation à répondre le mène à remettre en question son ‘loyalisme’ envers l’un comme l’autre de ces prétendus ‘camps’. En réalité cette hésitation ne fait que traduire sa confusion devant un raisonnement bien construit mais erroné émis par Samuel P. Huntington qui amène le lecteur à concentrer sa réflexion sur ce qui est en réalité une fausse question. La véritable question étant : « Quel camp choisirait-on : celui des agresseurs ou celui des opprimés ?’. Cette question mènerait le lecteur qu’il soit musulman ou non musulman à venir s’interroger sur le sens profond de valeurs universelles telle que celle de la justice.

De plus, dans le contexte de la mondialisation et de la construction de l’Europe, il est légitime de se demander où dans le monde huntingtonien serait la place des non-musulmans nés et vivants dans les pays dit ‘musulmans’, ou celle des européens de confession musulmane, ou encore de toutes personnes avec ou sans confession qui ne ressentant en aucune façon le caractère inéluctable d’un tel conflit ne sauraient se positionner dans l’un ou l’autre de ces prétendus ‘blocs’ antagonistes ?

Malgré une décennie de surmédiatisation et de surexploitation des terribles événements du 11 septembre par les politiques, et la mort d’Osama Ben Laden relayée par les médias, personne ne semblerait avoir de réelles idées claires quant à pourquoi et à comment ces catastrophes se sont produites. Toutefois, il semblerait y avoir une prise de conscience grandissante quant au fait que le 11 septembre ait marqué le début d’une certaine ‘paranoïa’ dans le monde, et d’une désillusion à l’égard de la politique en raison de l’utilisation abusive que certains gouvernements ont fait de ces événements. Ceci dans le sens où demeure chez certains le sentiment que les victimes du 11 septembre ne servirent qu’à justifier l’entrée en guerre de certains pays tels que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Une guerre contre le terrorisme dans laquelle le musulman fut sommairement assimilé au terroriste, et les Droits de l’Homme mis de côté. (5)

Les terribles événements d’Oslo en juillet dernier sont une nouvelle fois venu tirer la sonnette d’alarme quant à la diffusion d’une telle théorie du choc des civilisations. En effet la logique de cette dernière conduirait à la confusion la plus extrême certaines personnes figées sur un mode de vie unique dans un monde qui à l’heure de la globalisation fait apparaitre notamment au sein de l’espace public une pluralité et une interaction grandissante entre les individus. Le monde ne peut être considéré comme étant composé de blocs uniformes définis de manière définitive, et il ne peut faire l’objet de divisions culturelles et religieuses antagonistes et polarisées. Le monde est par définition cosmopolite, il est composé de personnes différentes qui sont eux-mêmes le fruit du mélange des cultures, des religions, des compréhensions, des philosophies et des expériences de vie. C’est précisément là où la théorie du choc des civilisations vient se heurter à toute la complexité de la réalité.

La réponse des Européens de confession musulmane

C’est dans ce contexte d’une Europe et d’un monde en perpétuelle redéfinition, et de prise de conscience d’une interconnexion de plus en plus importante entre les individus au niveau global, que doivent aujourd’hui être entendu les mots de l’artiste Médine : « I’m Muslim don’t panik ! » (« Je suis musulman, ne paniques pas ! »). Ces mots qui furent dans un premier temps formulés à l’intention des non-musulmans, en réaction au contexte postérieur au 11 septembre particulièrement hostile aux musulmans, sembleraient près de dix ans après venir raisonner comme un appel à une action proprement dite, à la mixité sociale et au vivre ensemble.(6) Ce message qui s’adresse aujourd’hui aussi bien aux musulmans qu’aux non-musulmans, semblerait d’un côté comme de l’autre venir prendre à contre-pied les partisans d’un monde à mode de vie unique.

L’artiste se trouvait également parmi les membres du jury de la première Conférence de la Jeunesse Musulmane Européenne (EMYC) organisée par le Forum de la Jeunesse Musulmane Européenne et des Organisations Etudiantes (FEMYSO) qui s’est tenue à Bruxelles en juillet dernier sur le thème de ‘Wise up, Rise up : Get active !’ (Apprends, Lève- toi et Sois Actif !). La conférence insista à la fois sur : « […] l’importance de l’éducation et de l’action afin de surmonter les défis communs, et le besoin d’une forte participation civique. » (7)

L’organisation de cette conférence s’est basée sur le fait que « la communauté Musulmane européenne, particulièrement la jeunesse, fait aujourd’hui partie intégrante et active de l’Europe ». Les panels de discussions se sont ainsi concentrés sur : « [….] 4 thèmes majeurs : la citoyenneté et l’identité, la participation des jeunes et le leadership, la cohésion sociale et la diversité (le dialogue interculturel et interreligieux), les Droits de l’Homme et l’islamophobie. » (8) Notons que si le EYMC fut une première en juillet dernier à Bruxelles, le FEMYSO quant à lui existait déjà depuis 1996. Ainsi, alors que Samuel P. Huntington lançait sa thèse d’un prétendu choc des civilisations, les Européens de confession musulmane posaient les prémices d’une participation au sein de l’espace public européen. En quinze ans, cette structure non gouvernementale a œuvré à développer des liens avec entre autres le Parlement européen, la Commission Européenne, le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), et les Nations Unies. (9)

Par le biais de ce type d’action, les européens de confession musulmane sembleraient ainsi venir donner une nouvelle dimension à la question du vivre ensemble avec cet éternel ‘autre’ à la fois miroir et partie intégrante dans la construction de l’identité et l’existence de chacun. Cet autre parfois fait de chair et de sang mais qui souvent ne prend forme et ne vit que de manière exclusive dans notre imaginaire. Cet autre si complexe qui dans le même temps semble nous renvoyer notre propre reflet et nous mettre face à nos différences. Cet autre, encore, qui nous amène à nous interroger sur la place de chacun au sein même de notre société et du monde.

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Dix ans après, à travers notamment l’expression de la pluralité de leur identité au sein de l’espace public, la réponse des européens de confession musulmane à l’instrumentalisation des événements du 11 septembre semblerait donc venir prendre la forme d’une action commune contre toutes les formes d’extrémisme, qu’il soit d’ordre intellectuel, religieux ou politique. Au regard d’initiatives lancées par certains artistes et membres associatifs européens de confession musulmane, l’on peut voir comment depuis les catastrophes du 11 septembre, certains sont passés d’une position de réaction à celle d’action proprement dite ; et d’autres de celle d’action spontanée à celle d’action davantage structurée.

Ainsi, pendant que d’autres continuent de spéculer sur l’hypothèse d’un choc des civilisations, il apparaît que les Européens de confession musulmane, en phase avec leur identités multiples mais conscients des défis qui restent à surmonter dans nos sociétés d’aujourd’hui, participent à poser les bases d’une union, d’une identité et d’un dynamisme européens dans un contexte de globalisation.

Notes :

(1) Samuel P. Huntington, “The Clash of Civilizations”,

(2)http://www.foreignaffairs.com/articles/48950/samuel-p-huntington/the-clash-of-civilizations.

(3) Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Paris, éditions Odile Jacob, 1997, p. 201 Ibid,p. 346

(4)Michael Steinberg, “So, are civilisations at war ?”, The Guardian, 21 October 2001. http://observer.guardian.co.uk/islam/story/0,1442,577982,00.html

(5) ‘The UK Anti-Terrorism Crime & Security Act 2001 : Too Much…Too Soon.’ Colin NICHOLLS. February 2002. The Coalition for the Human Rights of Immigrants (CHRI) News http://www.humanrightsinitiative.org/publications/nl/articles/uk/uk_anti_terrorism_crime_security_act_2001.pdf

(6)Entretien effectué avec l’artiste Médine sur le thème du vote et de la participation politique des Français de confession musulmane, à Bruxelles en juillet 2011.

(7) Communiqué interne au groupe facebook du FEMYSO : “FEMYSO celebrates the European Muslim Youth conference and its 15 years”, 6juillet 2011. https://www.facebook.com/# !/groups/femyso/doc/10150254642823785/

(8)Site web du FEMYSO : “European Muslim Youth Conference, 15 years of FEMYSO”, 15 juin 2011, http://www.femyso.org/media/press-releases

(9) Site web du FEMYSO http://www.femyso.org/about/history

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