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Voyages aux sources du Saint Coran (partie 1/4)

En vérité c’est Nous qui avons fait descendre le Coran, et c’est Nous qui en sommes gardien. (S.15, V10)

Tout a commencé par la publication, le 20 décembre 2000 sur Oumma.com, de la version française d’un article publié au préalable dans le quotidien britannique « The Gardian ». L’article était intitulé « Le Coran revisité par la philologie : des manuscrits ’Satanique’ ? (Traduction : Courrier International) par Abul Taher du Quotidien Anglais “The Guardian”  » (http://oumma.com/article.php3 ?id_article=501)

Cet article comportait des affirmations graves concernant les sources du Coran, relayées par un scientifique allemand nommé Gerd Rudiger Puin, qui visaient à remettre en question la croyance des musulmans de posséder le texte original du Saint Coran en arabe.

Piqué au vif, j’avais publié sur le site une première réaction. Puis je m’étais attaché à tester la valeur scientifique des affirmations du professeur Puin pour découvrir une authentique supercherie, un travail de désinformation visant à faire douter les croyants de la véracité du dogme musulman.

J’achevais mes recherches sur le professeur Puin par la publication d’un article intitulé : « “Le Coran revisité par la philologie : des manuscrits ’Sataniques’ ?” Histoire d’une imposture. » (http://oumma.com/article.php3 ?id_article=163)

Au-delà des manipulations sordides auxquelles s’était prêté les auteurs du premier article, il restait une question importante pour moi : en l’état actuel des connaissances humaines, quelles sont les chances scientifiques de l’authenticité du texte coranique que les musulmans récitent dans chacune de leurs prières ?

Je tiens à préciser que je ne me considère pas comme un spécialiste, ni du Saint Coran, ni de l’islam, encore moins des langues sémitiques, de la paléographie ou de la codicologie ! Je ne suis qu’un simple musulman, chercheur amateur, disposant d’un petit bagage scientifique que m’ont conféré mes études de médecine.

Cette modeste publication n’a donc certainement pas la prétention d’être un article scientifique. Il ne s’agit que d’un simple texte de vulgarisation qui n’a rien d’exhaustif, rendant compte de mes doutes et de mes découvertes à l’occasion d’une formidable aventure que j’ai vécue ces dernières années.

Je tiens également à souligner que les croyances religieuses, notamment des religions monothéistes et les connaissances scientifiques font rarement bon ménage : d’un côté la croyance est basée sur une conviction intime de l’existence de Dieu, Créateur de l’univers, Maître du Jour du Jugement Dernier, de l’autre les connaissances scientifiques sont, ou devraient être basées sur des constatations physiques soumises à des hypothèses réfutables confirmées par leur confrontation constante à la réalité.

C’est ainsi que les connaissances scientifiques évoluent au cours du temps et des outils que se forgent les chercheurs, alors que le dogme fondamental de la croyance, et en particulier la croyance monothéiste, n’évolue pas dans son essence en fonction du temps.

Le risque de confrontation entre « la science » et « la croyance » est encore accru en ce qui concerne l’islam dans la mesure où la plupart des scientifiques chargés d’étudier cette religion sont des non-musulmans, que leurs commanditaires n’ont pas que des visées purement philosophiques et que le monde musulman subit à l’heure actuelle la domination politique, technologique et médiatique du monde occidental.

Aperçu de la compilation du Coran selon la tradition musulmane

Du côté des musulmans, il existe une très longue tradition d’études approfondies sur les sources du Saint Coran, la manière dont il a été révélé puis compilé, la manière dont il est ensuite parvenu jusqu’à nous. Les sanctuaires de la tradition musulmane se trouvent actuellement pour les sunnites, au Caire, à Fez, à Damas, à Riad, à Istanbul, pour les chiites à Qom, à Machhad, à Nadjaf et à Karbala. Les amateurs de références modernes pourront utilement se reporter à l’article d’Abdelhamid BELHADJ HACEN, Docteur en linguistique (université Lille 3) « Le Coran, entre histoire et écriture » (oumma.com/article.php3 ?id_article=95).

Pour résumer, la tradition musulmane nous rapporte qu’avant l’arrivée du dernier des Prophètes (S.W.S.), la péninsule Arabique parlait différents dialectes arabes, proches les uns des autres. L’écriture était connue et pratiquée par une minorité de lettrés riches, que ce soit chez les Juifs, qui possédaient des rouleaux de la Thora, les Chrétiens qui possédaient des Évangiles écrits ou les païens qui notaient par écrit les poèmes les plus fameux. Mais, probablement du fait du prix prohibitif des supports (parchemins ou papyrus), le mode principal de transmission des savoirs de cette époque n’était pas l’écriture.

Les sociétés arabes du septième siècle de l’ère chrétienne étaient de tradition orale. Cette tradition prenait une importance considérable, elle vivait au travers d’immenses poèmes de plusieurs milliers de vers chacun, chansons de geste relatant les mythes fondateurs, les batailles, les héros, les mariages, les joies et les peines de chacune des tribus de la péninsule arabique.

Ces poèmes transmis de génération en génération tenaient la place que prennent notre radio, notre télévision et notre presse actuelle. On peut également imaginer que les poètes tenaient le rôle social de nos grands intellectuels ou de nos grands journalistes contemporains.

Toujours est-il qu’avant même le début de la mission prophétique de Mohammed Ibn Abdallah (S.W.S.), les traditions tribales étaient favorables à la transmission orale d’un ouvrage comme le Saint Coran. C’est ainsi que les premiers croyants n’eurent aucun mal à mémoriser par cœur les milliers de versets au fur et à mesure de la révélation.

Cependant, de nombreux hadiths (traditions prophétiques) sahihs (sûrs) nous relatent le fait que le Prophète de l’islam (S.W.S.), lui même illettré, insista dès le début de la révélation pour que les versets révélés, la parole de Dieu, soient immédiatement transcrits par les témoins de la révélation, par écrit sur un support quelconque. À l’inverse, le Prophète (S.W.S.) interdisait à ses compagnons de prendre note par écrit de ses propres paroles de manière à ne pas les confondre avec la révélation divine.

Cette retranscription contemporaine par écrit est suggérée par le Coran qui parle, à propos de lui-même « du Livre » (Al Kitab), de « feuilles purifiées » (Souhoufoun Mutahara). La tradition musulmane rapporte plusieurs références à cette transcription écrite contemporaine de la révélation : c’est par exemple l’histoire de la conversion de Saïdna Omar qui, furieux que son beau-frère cherche à protéger de lui des pages sur lesquelles étaient des versets, tombe émerveillé par la beauté du texte.

On rapporte également l’existence, à la fin de la révélation, de plusieurs compilations privées complètes dont une, annotée de commentaires, détenue par Setna Aïcha, la mère des croyants. Mais en marge de ces transcriptions « privées », le Prophète (S.W.S.) pris soin de s’entourer dès les premiers temps de la révélation de scribes chargés de la transcription du précieux message coranique.

Le phénomène de la révélation étant épisodique et imprévisible, les scribes se relayaient auprès du Prophète (S.W.S.). La compilation de l’ouvrage ne suivant pas un ordre chronologique, le Prophète indiquait au fur et à mesure aux scribes la place des versets nouvellement révélés. L’ensemble du Coran déjà révélé était récité en entier par le Prophète (S.W.S.) à l’occasion des prières du mois de Ramadan. Lors de son dernier mois de Ramadan, le Prophète (S.W.S.) le récita deux fois en entier, certains compagnons en déduirent l’annonce de sa disparition prochaine.

C’est ainsi que l’ouvrage en cours de révélation pouvait être vérifié par l’ensemble des croyants qui assistaient à ces prières particulières au premier rang desquels les scribes officiels. Le travail des scribes allait aboutir à la compilation « institutionnelle » du Coran sous la houlette du chef des scribes du Prophète (S.W.S.), Zaïd Ibn Thabit.

ZAÏD IBN THABIT, LE CHEF DES SCRIBES

Zaïd Ibn Thabit avait aux alentours de seize ans lorsqu’il fut recommandé au Prophète (S.W.S.) pour entrer à son service. Trois ans auparavant, il avait vainement essayé de s’enrôler dans le premier corps expéditionnaire musulman qui se préparait pour la bataille de Badr. Il en avait été empêché par le Prophète (S.W.S.) qui le considérait comme trop jeune. Sa deuxième tentative, l’année suivante pour la bataille de Uhud s’était également soldée par un échec pour le même motif.

Il avait alors décidé de mettre ses compétences intellectuelles au service de la mission prophétique en apprenant par cœur dix-sept sourates déjà révélées du Saint Coran, avec leurs différents types de prononciations. C’est en entendant sa manière de réciter le Coran que le Prophète (S.W.S.) avait décidé de le prendre à son service. Il lui avait alors assigné une mission : apprendre à lire à écrire et à parler l’hébreu, la langue des israélites, de manière à pouvoir communiquer, notamment par écrit avec eux. Il devint ainsi le traducteur officiel du Prophète lors de ses relations avec les différentes tribus juives. De même, il apprit le Syriaque.

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Sa fonction de lettré lui permit d’être un des quarante-huit compagnons du Prophète (S.W.S.) qui retranscrivaient la révélation à la demande de l’envoyé de Dieu tout en continuant à l’apprendre par cœur. Ce n’est qu’après avoir constaté son sérieux, sa précision et la rigueur qu’il mettait à transcrire la révélation divine que le Prophète (S.W.S.) lui confia la charge de chef des scribes.

C’est du vivant même du Prophète (S.W.S.) qu’il commença à réunir les fragments de notes prises par d’autres à l’occasion de la révélation des versets coraniques. Il soumettait ainsi directement au Prophète le fruit de ses travaux et de ses réflexions. À la mort de ce dernier, la révélation était, logiquement pour l’époque, conservée dans le cœur de très nombreux croyants ou sur des supports épars, mais n’était pas totalement compilée dans un ouvrage unique officiel.

Abou Bakr, le premier calife de l’islam, qui succéda au Prophète (S.W.S.) en H 11, eut rapidement à faire face à l’apostasie de nombreuses tribus de la péninsule Arabique. Il s’en suivit de très nombreuses guerres d’apostasie et de nombreuses batailles. Au cours de l’une d’elles, la bataille de Yemâma, un grand nombre de compagnons du Prophète (S.W.S.), qui participaient au corps expéditionnaire furent tués. Parmi eux il y avait de nombreux “Hafiz El Coran”, ceux qui avaient appris l’intégralité du Coran par cœur.

Voyant le capital de ceux qui avaient appris le Coran par cœur du temps du Prophète (S.W.S.) diminuer, Omar conseilla au calife Abou Bakr de charger quelqu’un de compiler le livre saint par écrit. Celui-ci, après une phase d’hésitation à parachever la compilation laissée incomplète par le Prophète (S.W.S.) se tourna naturellement vers Zaïd Ibn Thabit et lui dit : « Etant donné que tu es un jeune homme intelligent, que personne ne doute de ta sincérité ni de ta mémoire, puisque tu avais l’habitude d’écrire la révélation pour l’envoyé de Dieu, je te charge de collecter tous les témoignages du Coran qui existent puis de les rassembler dans un ouvrage unique. »

Zaïd commenta cet ordre de la manière suivante : « Par Dieu, si Abou Bakr m’avait demandé de déplacer une montagne, ça m’aurait été moins difficile que d’exécuter son ordre concernant la collection du Coran.  »

Il s’attela à sa tâche et regroupa tous les témoignages de la révélation : notes prises sur des parchemins, des omoplates de chameaux ou de moutons, des feuilles de palmiers, des papyrus, témoignages de ceux qui avaient appris le Coran par cœur. Il était extrêmement méticuleux et faisait très attention qu’aucune erreur, même non-intentionnelle, ne s’insinue dans le texte sacré.

La difficulté principale venait du fait qu’en prenant note de la révélation, de nombreux témoins avaient mélangé le texte de la révélation avec du commentaire de cette dernière. Zaïd rendit une première compilation au calife Abou Bakr. À la mort de ce dernier, l’ouvrage échut à son successeur, Omar, puis Hafsa, fille de Omar, mère des croyants (épouse du Prophète S.W.S.) et connaissant le Coran par cœur, en hérita.

Du temps du troisième calife Othmann , (H 23 à H 35) des différences significatives dans la prononciation lors de la récitation du texte sacré apparurent. Un groupe de compagnons du Prophète, dirigé par Hudhayfah ibn al-Yaman revenant de l’Irak s’en ouvrir au calife en le pressant de « sauver la communauté des croyants avant qu’elle en diverge sur le Saint Coran  ».

Othmann récupéra alors le manuscrit du Coran de Hafsa et le confia à nouveau à Zaïd Ibn Thabit en le chargeant de présider une commission de copistes composée de : Abd-Allâh ibn Az-Zoubayr, Sa`îd ibn Al-`Âs et `Abd Ar-Rahmân ibn Al-Hârith ibn Hichâm.

Les copies furent remise au calife qui renvoya l’original à Hafsa, en garda une, que l’on appelle “Le Coran d’Othmann” et envoya les autres dans différentes provinces de l’empire musulman naissant avec ordre de détruire les autres traces écrites qui auraient pu subsister de manière à ce qu’il n’existe qu’une version du texte sacré. La tradition rapporte que le Calife Othmann fut assassiné alors qu’il lisait son propre Coran et que ce Coran serait taché de son propre sang…

Il semblerait également qu’il s’agissait de mettre le texte sacré en sécurité dans différentes métropoles de l’empire pour le préserver en cas de conquête de l’une d’elles par les ennemis de l’islam.

Les réformes orthographiques et grammaticales et les débuts de la calligraphie

Le texte était en “Rasm” pur, c’est-à-dire sans la plupart des lettres “alif”, des voyelles brèves ou les points diacritiques. La calligraphie des premiers corans était très sommaire, appelé le style Higazi. Il est vraisemblable que le texte écrit n’ait, à ce stade de l’écriture, servi que de support de mémoire pour des croyants qui connaissaient déjà le Coran par cœur et qui avaient juste besoin d’un « pense-bête ». La transmission du Coran se faisait essentiellement de manière orale.

L’écriture a un tout autre rôle lorsqu’il s’agit de communiquer entre deux personnes qui ne sont pas physiquement en contact et qui ne connaissent pas a priori le contenu du message qu’ils s’échangent.

Les choses se sont encore compliquées, dans les premières années du Califat, par l’arrivée dans l’islam de très nombreux peuple qui n’étaient pas arabophones. C’est ainsi que le texte coranique qui paraissait évident à des arabes devint difficile à mémoriser pour de nombreux musulmans fraîchement convertis.

On rapporte qu’à Bassora, quelqu’un lu de manière erronée le verset 9 :3 (Allah désavoue les polythéistes. Son messager aussi) en lisant : « Allah désavoue les polythéistes et Son messager…  » Ce qui montra à tous l’urgente nécessité de réformes de l’écriture arabe.

On attribue généralement à Abou al-Aswad al-Douali (père de la grammaire arabe, mort en H 69) l’invention de traits colorés pour le signalement de voyelles brèves (chakl) et l’introduction dans le texte coranique des traits diacritiques pour distinguer les consonnes (I’jam). Ce travail fut complété et affiné par le gouverneur de l’Irak Al Hajjaj Ibn Youssuf al Taquafi (mort en H 95) qui remplaça les traits diacritiques par des points groupés par un, deux ou trois au dessus ou en dessous des consonnes, permettant ainsi de les distinguer. Il rajouta également au texte coranique des voyelles longues de manière à ne plus pouvoir confondre les mots alors qu’on lisait le Coran sans en avoir appris le texte au préalable.

Les voyelles courtes colorés furent finalement remplacées par huit nouveaux signes de vocalisation (les voyelles brèves telles qu’on les connaît actuellement) par al Khalil ibn Ahmad al Farahidi grammairien et philologue arabe (mort en H 169), permettant ainsi d’écrire de manière complète en n’utilisant qu’une couleur d’encre.

La calligraphie arabe ne commença à être codifiée qu’à partir de la création de la ville de Koufa en Irak dont la construction commença en H 17 et s’acheva en H 63. Son développement en tant que foyer d’érudition suscita la création d’un nouveau style d’écriture : l’écriture coufique qui donna lieu à de très nombreuses sous classes.

C’est Abou Ali Ibn Moqlah (mort en H 328) qui paracheva les règles de la calligraphie arabe en se fixant comme tâche de dessiner une écriture cursive qui soit à la fois belle et parfaitement proportionnée. Il aboutit à une méthode d’écriture, baptisée al-Khatt al-Mansob qui est à la base d’une grande partie des écritures arabes modernes.

Ainsi, c’est que par la simple connaissance des dates des réformes orthographiques et grammaticales et en analysant les styles d’écriture, on peut dater, avec de bonnes chances de succès, les manuscrits anciens et en particulier les manuscrits coraniques : si le manuscrit inclus la réforme de l’écriture datée, on peut être certain qu’il est postérieur à l’adoption de cette réforme !

A suivre…

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