in ,

Violences et religions, l’Islam et le Coran

La violence aveugle lorsqu’elle s’abat, meurtrit les êtres et les cœurs, frappe l’imaginaire et sidère les consciences. Pour autant, il est légitime tout comme urgent de s’interroger sur ses causes. Les formes en sont multiples, violence politique, économique, écologique, sociale, morale et, de manière aiguë, la violence religieuse, plus exactement celle qui se justifie au nom de la religion. Que l’on soit croyant ou non, quelle que soit sa religion ou ses convictions, nous sommes tous au pied du même mur de terreur, réagir est nécessaire, comprendre plus encore. Quand bien même il y aurait fort à dire sur les diverses causes de l’actuelle violence, je ne suis guère qu’un exégète et un théologien. Et si des théologiens ont fourni et fournissent aux feux de la guerre qui le bois, qui l’huile, d’autres veulent éteindre l’incendie dont la lueur des flammes est prise pour la Lumière de Dieu.

De manière générale, l’on a coutume de dire que le monothéisme est un concept porteur en lui-même de violence puisque, n’admettant plus la présence des dieux de l’autre, il refuse ainsi l’altérité religieuse. Cette posture dogmatique contiendrait potentiellement le germe de toute forme de violence à l’encontre de celui que l’on considère alors impie, au pire impur, au mieux égaré. Ce raisonnement est juste, sauf que l’on ne peut l’imputer au concept de monothéisme, mais bien à la constitution des religions monothéistes.i Ici, le pluriel s’impose, et les trois sœurs ennemies : le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam partagent en la matière les mêmes croyances. Non point quant au même Dieu auquel ils croient, mais s’agissant du Peuple élu, de la Nation élue ou de la Communauté élue, juifs, chrétiens et musulmans ont tous fondé leur religion de par la Sainte-Alliance entre Théologie et Pouvoir sur la suprématie de leur confession respective.

Nous voici au cœur du problème, le fondement des luttes des uns et des autres et la cohorte des violences et oppressions faites à l’autre, ce que l’on nomma les guerres de religion. Ce lourd bagage commun repose sur trois postulats intrinsèques à ces trois religions, à savoir : le refus de l’universalité de la foila prétention à l’exclusive du Salutla non-reconnaissance de la pluralité des religions et des croyances. Nous ne cherchons pas à faire le procès des religions, mais parce que nous sommes musulmans, nous traiterons de l’Islam. L’Islam, cet objet toujours étranger à nos yeux d’Occidentaux, mais qui ces dernières décennies et plus encore depuis les évènements récents a été projeté sur le devant de la scène, là où maintenant l’horreur le dispute à l’incompréhension. Or, la peur et l’incompréhension ne peuvent qu’enfanter la haine.

QUE DIT L’ISLAM

Pour l’Islam, le premier des trois ingrédients toxiques que nous avons identifiés : le refus de l’universalité de la foi est une croyance bien ancrée. Une certitude qui porte à bout de bras la foi des musulmans. Mais croire que sa propre foi est seule à être vraie a pour corollaire que la foi de l’autre ne peut l’être ; ce dont l’Islam ne doute point, à l’instar du judaïsme et du christianisme. Par voie de conséquence, la prétention à l’exclusive du Salut devient un dogme aussi cohérent que nécessaire : en dehors de moi, point de Salut. Si seules ma foi et ma religion sont justes, Dieu ne peut accorder son Salut en l’Au-delà qu’à ceux qui les partagent. Tout aussi logiquement, la non-reconnaissance de la pluralité des religions et des croyances est alors une évidence. Ma foi étant celle de l’Islam, et l’Islam étant la religion qui l’exprime, les autres religions ou croyances ne peuvent que reposer sur une foi égarée et sont donc vérités nulles et non avenues. Comment donc briser ce cercle herméneutique mortifère et mortifiant ?

QUE DIT LE CORAN

En la matière, le propos du Coran n’est pas celui de l’Islam. Pour preuve, nous examinerons quelques énoncés coraniques en lien avec les trois constituants que nous avons mis en cause.

– S’agissant de l’universalité de la foi, le Coran dit : « Bien au contraire ! Quiconque remet ii son être à Dieu, tout en étant bienfaisant, aura sa récompense auprès de son Seigneur… et nulle crainte pour eux, ils ne seront point affligés. », S2.V112. Le message est explicite, la foi est universelle : « quiconque », c.-à-d. tous les croyants, elle concerne l’Homme et n’a d’autre finalité que la réalisation en Dieu pour qui « remet son être à Dieu ».

– S’agissant de la pluralité religieuse, le concept coranique de Foi universelle implique corollairement que les religions ne soient que des expressions diverses de ladite foi « … à chacun d’entre vous, Nous avons indiqué une voie générale et une voie spécifique », S5.V48. Ceci suppose obligatoirement que toutes les religions monothéistes trouvent grâce aux yeux de Dieu et le même verset le précise : « … Et si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté religieuse, mais il en est ainsi afin qu’Il vous examine au moyen de ce qu’Il vous a donné. Rivalisez donc en bonnes œuvres, c’est vers Dieu que vous retournerez tous ensemble, et Il vous informera sur ce en quoi vous divergiez. » Notons que la finalité spirituelle de cette pluralité est « rivalisez donc en bonnes œuvres, c’est vers Dieu que vous retournerez tous… »iii

– S’agissant du Salut universel, les concepts coraniques d’universalité de la foi et d’égalité des religions monothéistes en sont la base théologique. Aussi, est-ce de manière cohérente que nous lisons : « En vérité, ceux qui croient : les judaïsés, les chrétiens et les sabéens, quiconque croit en Dieu et au Jour dernier et œuvre en bien… ceux-là auront leur récompense auprès de leur Seigneur ; nulle crainte pour eux, ils ne seront point affligés. », S2.V62. En ce verset, le Salut divin n’est pas l’apanage de certains au détriment des autres, les seuls critères pour l’obtenir sont : croire en Dieu et agir en bien.

– Le Message du Coran concernant les trois prétentions exclusivistes que nous avons identifiées et que malheureusement les religions partagent n’a donc rien de commun avec ce que l’Islam soutient et, par anticipation, le Coran le mentionne sans appel : « Il n’en est point selon vos désirs ni selon les désirs des Gens du Livre, mais qui commettra un mal en sera payé, et il ne trouvera contre Dieu ni allié ni secoureur. Mais qui aura agi en bien, homme ou femme, en tant que croyant, ceux-là entreront au Paradis, et ils ne seront point lésés d’un iota. »,iv S4.V123-124. Il semble que les hommes de religion ne tendent pas l’oreille à la Parole de Celui en qui ils croient ; or c’est à Son écoute que l’on devient homme de Dieu.

– Par ailleurs, nous avons mentionné en introduction la notion de Communauté élue, celle que les musulmans qualifient au nom du Coran « meilleure communauté suscitée parmi les hommes ». Si cette affirmation s’avérait coranique, cela serait effectivement en contradiction avec l’ensemble des postulats coraniques que nous venons succinctement d’évoquer. De manière caractéristique, nous avons là le parfait exemple d’une manipulation exégétique du Coran, car le verset ainsi mis au service du point de vue de l’Islam dit en réalité : « [Ô Gens du Livre !] Vous avez été une excellente communauté suscitée pour les Hommes. Vous incitiez au convenable, condamniez le blâmable et vous croyiez en Dieu. Si les Gens du Livre s’étaient montrés fidèles, cela aurait été meilleur pour eux ; parmi eux il y a des croyants, mais la plupart sont des déviants »,v S3.V110. Or, à l’évidence, ce verset parle des juifs et des chrétiens, les « Gens du Livre », et les appelle à revenir à la voie droite qui avait fait d’eux la meilleure communauté de croyants et, peu avant dans cette sourate, cet appel est du reste aussi adressé aux musulmans : « Qu’il soit donc parmi vous une communauté qui appelle au bien, incite au convenable et condamne le blâmable ; ceux-là auront réussi », v104. Selon le Coran, ce sont donc les croyants de ces trois religions qui sont invités à agir vertueusement au nom de leur foi en Dieu, telle est leur égalité et aucun ne forme une quelconque communauté élue. Au final, le message du Coran invite tous les croyants à revenir à la notion d’un Dieu Unique et à abandonner l’erreur de toutes les religions pour lesquelles Il est seulement et uniquement leur Dieu.

CONCLUSION

Nous l’aurons constaté, sur des points aussi essentiels que La Foi et le Salut universel ainsi que la pluralité religieuse, le Coran n’est pas l’Islam, la confusion herméneutique règne et il y a loin de la coupe aux lèvres. L’Islam n’est pas le contenu plus ou moins développé du Coran, mais une suite d’interprétations et de surinterprétations du texte coranique et de lui-même que les aléas de l’Histoire ont promues au rang de religions orthodoxes ou hétérodoxes selon le point de vue de chacun, car il existe de nombreux islams. L’on peut effectivement faire un choix interprétatif personnel en la nébuleuse des propos de l’Islam. C’est une première solution, il y a un islam de tempérance, de miséricorde, de tolérance, un islam spirituel, un islam rituel, un islam des lumières, un islam de guerre, un islam de patience et un islam de violence. Mais face aux barbares nihilistes qui massacrent et nous massacrent au nom de l’Islam, il ne peut que demeurer un espace de doute. Une zone d’ombre qui taraude la conscience des musulmans refusant cette horreur sans pour autant pouvoir se prouver et prouver que leur religion en quelques de ses méandres textuels ne fournissent effectivement pas d’arguments à ces légions de criminels en bout de course. Afin de crever l’abcès qui les gangrène, les musulmans doivent parcourir le chemin qui les amènera à une relation au monde, aux autres. Ils doivent se purger du doux poison de l’exclusivisme qui, bu jusqu’à la lie, provoquera dans d’effroyables affres la mort de leur religion comme celle des autres. Et, pour ce faire, l’ultime recours est donc bien pour eux le Coran qui sur ces points diffère radicalement de l’Islam. Rappelons-le, pour le Coran il n’y a pas d’élection divine,vi pas d’exclusive du Salut,vii et la pluralité des religionsviii et des croyances n’a pour d’autres finalités que d’encourager toutes les sensibilités humaines à adorer Dieu et à agir en bien.

Publicité
Publicité
Publicité

Dr al Ajamî

Cet article est tiré d’un chapitre de notre ouvrage à paraître prochainement : Que dit vraiment le Coran – Nouvelle édition réactualisée.

Dr al Ajamî : Docteur en médecine, Docteur en Littérature et langue arabes, Islamologue coranologue, Théologien et spécialiste de l’exégèse du Coran. L’ensemble de ses recherches sur le Coran est publié sur le site Que dit vraiment le Coran ; Penser et vivre son islamité à la Lumière du Coran : https://www.alajami.fr/

i Pour être tout à fait équitable, et contrairement à ce que l’on suppose autant à la légère que de principe, il en est de même des religions polythéistes. Il suffira de se rappeler les 70.0000 morts sri-lankais et le rôle de l’hindouisme, la violence actuelle de l’Inde polythéiste contre les musulmans indiens, le massacre de la minorité musulmane de Birmanie organisé par le bouddhisme.

ii Ce verset fait suite à la prétention énoncée au verset précédent : « Nul n’entrera au Paradis à moins qu’il ne soit de religion juive ou chrétienne », v111. En réponse, le Coran ne polémique pas et ne remet pas en cause la sincérité des croyants de toute obédience même si par « Bien au contraire ! » il soutient que leurs affirmations sont erronées. L’objectif du Coran est donc de rappeler une vérité essentielle : le Salut n’est le privilège d’aucune religion et il est exclusivement lié à deux conditions : croire et agir en bien : « être bienfaisant ».

iii Nous avons analysé ce verset clef en l’article suivant : La Pluralité religieuse selon le Coran et en Islam : https://www.alajami.fr/index.php/2016/10/02/la-pluralite-religieuse-selon-le-coran-et-en-islam/

iv Nous avons analysé ces versets clefs en l’article intitulé Le Salut universel selon le Coran et en Islam :

https://www.alajami.fr/index.php/2018/01/23/le-salut-universel-selon-le-coran-et-en-islam/

v Nous avons analysé ces versets clefs en l’article intitulé La Oumma, la meilleure communauté selon le Coran et en Islam : https://www.alajami.fr/index.php/2018/01/27/la-oumma-la-meilleure-communaute-selon-le-coran-et-en-islam/

vi Cf. La Oumma, la meilleure communauté selon le Coran et en Islam : https://www.alajami.fr/index.php/2018/01/27/la-oumma-la-meilleure-communaute-selon-le-coran-et-en-islam/

Publicité
Publicité
Publicité

Un commentaire

Laissez un commentaire
  1. Merci pour ce bel article fraternel !
    Ces dernières semaines, j’ai lu à plusieurs reprise la Sourate 5, La table servie (j’espère l’avoir bien nommée et ne froisser personne. Si c’est le cas, je vous prie de m’en excuser).

    Certains membres de nos communautés respectives ont fait des horreurs par le passé, souvent en utilisant le nom de Dieu pour obtenir du pouvoir et/ou de l’argent, c’est vrai et c’est abominable, mais je pense que notre Histoire nous fait grandir…
    N’est-il pas grand temps de nous unir plutôt que de nous haïr ?
    Nos chemins et nos Histoires sont différents, mais nos peurs, nos envies sont les mêmes. Il n’y a qu’à lire les commentaires ça et là pour le constater.

    Nous sentons tous le vent tourner et nous sommes de plus en plus nombreux à sentir l’ambiance malsaine qui règne et se répand… Parfois la peur nous envahie… Parfois la colère…
    Je n’ai de leçon à donner à personne et chacun est libre de penser comme il le veut, mais je vous en prie, unissons-nous et ne tombons pas dans le piège qui se tend pour diviser les hommes qui sont tournés vers le Bien. Notre ennemi est le même, et c’est tous ensemble que nous serons plus forts. Ne choisissons pas le chaos dans lequel il veut nous jeter… Nos communautés doivent se soutenir, plus que jamais.

    Une chrétienne de France

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères lance un “message de paix au monde musulman” (www.lemonde.fr)

En France, une nouvelle génération d’imams pour lutter contre l’extrémisme