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Vers la Quatrième guerre mondiale ?

Grand spécialiste des relations internationales, Pascal Boniface s’exprime sur Oumma.com, à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage, “Vers la Quatrième guerre mondiale ?” aux éditions Armand Colin.

Dans votre livre, vous affirmez que certains responsables politiques voient dans le monde musulman, une menace stratégique qui aurait remplacé la menace soviétique. Selon eux, l’Islam est une religion pathologiquement belligène.

J’essaye effectivement d’analyser les racines du discours sur la guerre contre la terreur. Il est faux de dire que la thématique de la menace venue de l’Islam serait postérieure au 11 septembre 2001, elle est bien plus ancienne et tout au long des années 90, nous avons de nombreuses déclarations de responsables occidentaux qui présentent d’une façon presque essentialiste, l’Islam comme étant la menace suprême.

Tout ceci remonte en fait à la disparition de l’Union soviétique. Certains responsables occidentaux ont voulu trouver un substitut à cette menace défunte et ont très rapidement proposé de remplacer la menace Sud comme facteur fédérateur des Occidentaux évidemment sous la houlette américaine. Je fais dans le livre l’historique de ces analyses, des tentatives, de ne pas changer le cadre des schémas de pensées et de la réorienter simplement géographiquement en faisant pointer les chars non plus sur l’Est mais sur le Sud.

Par la suite le discours sur le choc des civilisations est venu ce greffer sur cette thématique de la menace Sud. Elle avait pour avantage de donner une grille de lecture plus intellectuelle apparemment moins ouvertement raciste et plus sophistiquée. Huntington explique dans son livre sur le choc des civilisations que l’Islam a des frontières sanglantes qu’il a fait plus de guerres que les autres civilisations et que les guerres qu’il a mené ont été plus sanglantes. Il n’est pourtant pas besoin d’avoir des connaissances encyclopédiques pour souligner le fait qu’aucune des deux Guerres Mondiales n’a été déclenchée par l’Islam, pas plus que les goulags soviétiques ou chinois, le génocide au Rwanda, pour ne pas parler des méfaits de la colonisation.

En quoi selon vous, le conflit israélo-palestinien est devenu la matrice d’un éventuel choc des civilisations ?

Il y a un paradoxe à dire que le conflit israélo-palestinien serait la matrice d’un éventuel choc des civilisations. Tout d’abord parce que Huntington n’en parle presque pas dans son livre, il consacre quelques lignes pour dire que les Juifs ne sont pas une civilisation et pour les assimiler à la civilisation occidentale.

Certes, ce conflit est relativement mineur géographiquement et y compris en terme de destruction physique et de mort humaine, si on le compare à d’autres conflits contemporains, comme ceux qui se déroulent en Afrique ou en Tchétchénie. La grande différence c’est que dans le cas du conflit israélo-palestinien, ce que l’on reproche au monde occidental en général et aux États-unis en particulier, ce n’est pas une indifférence mais une complicité active avec Israël. Sans la solidarité indéfectible des Américains à l’égard d’Israël, il ne serait pas possible pour ce pays de maintenir l’occupation militaire des territoires palestiniens malgré une quantité impressionnante de résolutions de l’ONU demandant son retrait. Cela est donc vu comme la preuve du double standard. L’éruption des chaînes satellitaires et la prise de conscience d’une opinion publique arabe et plus largement musulmane ont fait le reste. Ce conflit est devenu un symbole qui dépasse très largement son cadre géographique et l’attitude des protagonistes.

En évoquant dans votre livre l’alliance entre les États-unis et Israël, vous notez que le protecteur (Les États-unis) semble suivre la politique définie par son protégé (Israël)

C’est effectivement un paradoxe, il y a des désaccords entre Israël et les États-unis mais lorsqu’ils existent, Washington se contente de protester et ne prend jamais de mesure allant au delà. C’est très net avec l’actuel Président américain. Ces prédécesseurs s’étaient parfois mis sur la route d’Israël et s’étaient opposés au gouvernement israélien y compris d’ailleurs son père. George W. Bush généralement approuve au nom de la lutte contre le terrorisme l’ensemble de l’action du gouvernement israélien et lorsqu’il émet des désaccords, il n’en tire aucune conclusion pratique, en terme par exemple de sanction ou tout simplement de diminution de l’aide. Si une fois encore on utilise des comparaisons historiques dans le passé, les pays qui étaient protégés par un pays plus puissant ne pouvaient pas très longtemps braver la volonté de leur protecteur. Objectivement la poursuite du conflit israélo-palestinien est contraire non seulement à la stabilité stratégique de la région et du monde mais également à l’intérêt national américain parce qu’il met à mal ses relations avec les pays arabes. Mais Sharon a pu dire en se rendant aux États-unis qu’il allait dans un pays où le mot pression n’existait pas.

Pourquoi l’Union européenne n’ose pas encore vraiment s’affirmer comme un acteur majeur sur la scène proche orientale, alors qu’ elle dispose des moyens de pressions économiques et commerciaux sur Israël ?

C’est un autre paradoxe de la situation. L’Union européenne est le premier fournisseur d’aide pour les Palestiniens et le premier partenaire commercial des Israéliens. Comment expliquer qu’elle n’ait pas transformé ce poids économique en influence politique dans la région et que finalement elle soit toujours -ou trop souvent- récusée par Israël ? La première explication réside dans la difficulté que l’Europe a eu de tenir une position commune sur le sujet. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et les Britanniques et les Français s’ils ont été divisés sur l’Irak ne le sont plus pour mettre le règlement du conflit israélo-palestinien comme priorité stratégique. Les Allemands, pour des raisons historiques bien connues, s’interdisent d’être trop actifs dans la région. Il faut que l’Europe affirme plus sa détermination et sa politique, elle en a les moyens, c’est une question de volonté politique.

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Dans le chapitre consacré à la guerre contre le terrorisme, vous estimez que la politique du tout répressif mène à une triple impasse politique, militaire et économique

Effectivement il y a une triple impasse dans la façon dont est menée la lutte contre le terrorisme. On traite les effets mais on ne s’attaque pas aux causes, à la racine du problème. Je ne dis pas qu’il n’est pas besoin d’avoir un volet militaire dans la lutte contre le terrorisme, ainsi qu’un volet policier ou judiciaire. Mais même si aujourd’hui on mettait hors d’État de nuire Ben Laden, on en aurait pas fini avec le terrorisme. Ce qu’il faut, c’est s’attaquer aux conditions politiques qui peuvent permettrent aux terroristes d’avoir un écho dans une fraction de la population. Ce n’est pas approuver le terrorisme que de réfléchir à ces causes. Si au contraire on veut le combattre de façon efficace, il faut en comprendre les raisons et les motivations. Dans le cas israélien, il paraît évident que ce n’est pas le terrorisme qui crée l’occupation, mais bel et bien l’inverse et que le terrorisme palestinien a été le plus efficacement combattu quand il y avait de réelles perspectives de paix dans la région et une collaboration entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat. Par ailleurs, contrairement à la guerre froide où l’Union soviétique s’est effondrée faute d’avoir pu suivre économiquement et technologiquement la compétition avec le monde occidental, rien de tel dans la guerre contre le terrorisme. Une protection totale est impossible, on peut protéger les lieux officiels, il y a toujours, des écoles, des hôpitaux, des théâtres, qui seront des cibles possibles. On ne peut pas surveiller tous les avions, tous les trains, tous les métros. Les attentats du 11 septembre ont coûté 100 000 dollars à ses organisateurs et ont eu pour réponse une augmentation de 150 milliards de dollars de dépenses militaires américaines.

Quels sont les principaux obstacles auxquels sont confrontés les Américains dans leur projet de redéfinir un nouvel ordre stratégique au Proche-Orient ?

Le principal obstacle des Américains est la façon dont ils sont vus par les populations du Proche-Orient. Ils donnent le sentiment de vouloir imposer sans aucune concertation leur volonté et leur politique et ont voulu imposer la démocratie par la force, ce qui est presque une idée antinomique. De nombreux Américains sont les premiers à dire que l’attitude biaisée des États-unis en faveur d’Israël est le principal motif d’impopularité des Américains dans la région et qu’un rééquilibrage des positions américaines serait indispensable. Des gens aussi divers que Richard Clarke, l’ancien responsable de la lutte anti-terroriste, le financier George Soros ou Zbieniew Brzezinski, le géopoliticien généralement adepte de positions fortes vont dans le même sens au nom de l’intérêt national des États-unis.

Dans votre conclusion, vous évoquez plusieurs scénarios dont celui d’une Quatrième guerre mondiale. Comment pourrait-on aboutir à un scénario aussi catastrophique ?

L’idée d’une Quatrième Guerre Mondiale est développée par les néo-conservateurs américains qui estiment que la Guerre froide a été la Troisième Guerre Mondiale et que la guerre soit contre l’Islam, soit contre le terrorisme, -ils emploient les deux mots souvent de façon indifférente -serait la Quatrième. On voit bien les effets de cette théorie, il faut comme au cours des trois Guerres Mondiales précédentes se coaliser derrière les États-unis et se préparer à une guerre de longue haleine. Le problème est que les néo-conservateurs fournissent non seulement la grille de lecture mais également la politique pour parvenir à ce qu’ils dénoncent eux-mêmes. Leur politique est basée sur la confrontation, ils croient que les problèmes politiques peuvent se résoudre grâce au seul usage de la force, que la force militaire constitue une réponse universelle, cela revient non pas à combattre le terrorisme mais à le renforcer. Le problème est que l’actuelle politique américaine tout en disant réfuter la thèse du choc des civilisations en crée tout simplement les conditions.

Propos recueillis par la rédaction

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Pascal Boniface est directeur de l’ Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS). Auteur d’une quarantaine d’ouvrages sur les questions géopolitiques, il enseigne à l’Institut d’Études Européennes de l’Université Paris VIII. Il est membre du Comité Consultatif sur le désarmement auprès du Secrétaire général de l’ONU.

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