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Vdida : hommage à toutes les « Mamans » du monde

« Pourquoi donc cette crainte de disparaître à travers la mort ? Le prochain mois je mourrai et des ailes me grandiront ? Lorsque je planerai plus haut , je deviendrai comme les anges. Ce que tu ne peux pas t’imaginer. ça je le serai »

Djallal Eddine Erroumi (1)

30 aout 1979, le ciel nous tombe sur la tête. Vdida se meurt Vdida est morte. En ce triste jour nous voulons évoquer le cheminement exceptionnel de cette mère de cette maman comme celui de toutes les mamans du monde. Dix jours plus tôt, Vdida se plaignait de maux de ventre et tout en souffrant en silence, elle ne voulait pas nous effrayer, nous dûmes l’amener à l’hôpital. Le diagnostic fut sans appel ; Pancréatite : « Un coup d’éclair dans un ciel serein ». Opération immédiate en vain , transfert dans des conditions épiques à Paris (hôpital de la Pitié )

« Ya rabi ma tdjarahliche el kebda » que l’on peut rendre à peu près en français par la traduction suivante : « O ! mon Dieu faites que je n’apprenne pas de mauvaises nouvelles », Sa dernière inquiétude alors qu’elle était sur son lit trachéotomisée fut de s’adresser à nous , en nous interrogeant du regard si nous étions correctement hébergés. Je me souviens comme si c’était hier, ce fut pour elle la satisfaction suprême, elle ferma les yeux en signe de compréhension. Elle pouvait mourir en paix.

Elle mourut deux jours après à 2000 km de son pays qu’elle n’avait jamais quitté. Elle mourut dans l’indifférence froide d’un corps médical qui a perdu toute humanité et compassion. J’ai dû supplier une infirmière qui me disait « votre mère a des nuits agitées » en lui demandant de lire quelques phrases rassurantes que je le lui ai écrites dans notre langue : « Labesse, Outgoudhara, Yalla rabbi ». Il parait qu’elle eut pendant cette nuit là un sommeil apaisé avant le grand sommeil.

Qui est au juste Vdida ? de son prénom Khadidja en un mot comme en mille, c’est une maman avec tout ce que cela comporte comme affection. Il me souvient à ce propos d’une histoire parmi tant d’autres qu’elle nous racontait avec son savoir-faire et qui permet mieux que mille discours, de prendre la mesure de l’affection d’une mère. C’est une maman qui suit son fils qui l’amène au plus profond de la forêt et qui l’abandonne. Vinrent à passer des cavaliers qui trouvent la maman en pleurs. Qu’as-tu el hadja ? Ne pleures pas, nous allons te reconduire chez toi, n’ai pas peur ! D’une façon admirable la maman répond : « Je n’ai pas peur pour moi, mais j’ai peur pour mon fils, il fait nuit et les loups peuvent le manger ! »

Cette histoire parmi tant d’autres nous permet de mesurer mais le peut-on réellement ? l’amour d’une mère qui a suivi aveuglément son fils qui voulait s’en débarrasser et qui n’a pas pensé un seul instant à sa propre sécurité mais à celle de son fils.

Ma mère n’avait pas fait d’étude, mais elle était plus érudit que nous, son bon sens et son Islam tolérant était fait à la fois de traditions et de superstition. Il est vrai que l’Algérie ne s’est pas dissoute durant la longue nuit coloniale culturellement et cultuellement grâce à nos mères à qui on ne rendra jamais assez hommage. Leur relation simple à la vie dénuée de tout calcul mesquin était en définitive, un « art de vivre », qui leur permettait de rayonner et goûter en toute simplicité, toute humilité à la vie avec des repères identitaires et des approches sur le sens de la vie que ne renieraient pas les plus grands philosophes tant ils sont frappés au coin du bon sens. Une anecdote cependant, elle apprit, rien qu’en écoutant mon père apprendre à mon frère la table de multiplication. Elle la faisait répéter plusieurs fois à mon frère pour lui éviter d’encourir le courroux de mon père

Sans être une bigote, Vdida aimait la vie- une vie simple- qui ne fut pas facile, imaginez le pays kabyle au plus fort de seconde guerre mondiale avec le marché noir, la misère sans nom pour les indigènes et la chape de plomb d’une colonisation qui pensait duré mille ans après les massacres à grandes échelle de mai 1945. Elle garda vaillamment le cap avec mon père et nous fûmes élevés et instruits en profitant de tout les interstices de tolérance permis par le pouvoir colonial. Nous fûmes des « voleurs de feu » pour reprendre l’élégante expression de Jean El Mouhoub Amrouche

Ma mère était, à sa façon, une croyante tolérante qui ne voyait que le bien et pour ainsi dire jamais le mal. Une croyance simple consolidée par un Islam maghrébin de quatorze siècles « et non pas le m’as-tu -vu actuel » qui fait que la foi individuelle est plus perçu dans le regard des autres que vécue personnellement . La foi s’étant refroidie en rites, nous contemplons un pays qui a perdu se repères et qui adaptent ceux des autres. Il n’est que de voir cette errance identitaire vestimentaire et culturelle, accentuée par un discours religieux à mille lieux du vécu historique culturel de chacun au profit d’une métropole moyen-orientale.

Bien plus tard, j’ai découvert ainsi les personnages et non des moindres dont elle nous parlait. Le soir au coin du feu – à ce propos on ne mesurera jamais assez les dégâts de la télévision en ce sens qu’elle a contribué à disloquer le ciment familial- J’ai découvert Rabi’ate el ‘addaouya une mystique. J ’appris ainsi que bien avant Hallaj et les maîtres du soufisme, Rabi’a fut l’un des premiers mystiques de l’Islam à avoir dépassé la démarche ascétique pour appeler à l’union parfaite avec Dieu et la célébrer dans des poèmes d’une brûlante ferveur. Elle nous parlait aussi de l’imam el Medjdoub,. Je me souviens de quelques vers qu’elle nous récitait avec verve : « La Tkhamam La Tdabar—-La Tarfad Al-ham Dima , Al-Falk Ma ho Msamar—-Wa La Dania Mkima » « Ne pense pas trop et ne cherche pas trop. Ne prend pas la tristesse éternellement. Les planètes ne sont pas fixes -et la vie n’est pas éternelle ».

Nous étions en extase devant les récits des souhaba, ces compagnons du prophète qui ont fait la grandeur de l’Islam, pendant ce temps à l’école , on nous apprenait que nos ancêtres étaient gaulois … et gare à celui qui l’oubliait.

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Je me suis souvent interrogé comment ma mère, cette fille du plus profond du terroir était arrivée non seulement à connaître des maitres soufis. Malgré sa connaissance superficielle du Coran, elle avait cependant la foi du charbonnier. Elle nous disait souvent : « Mimouna ta’rafe Rabbi oua Rabbi ya’rafe Mimoua », Mimouna connaît bien et Dieu connaît Mimouna », nous devinons vaguement que Mimouna avait une fois chevillée au corps, mais qui ne s’embarrassait pas de rituel !!!

Chaque matin que Dieu fait, ma mère la première levée, faisait sa prière de l’aube, faisait le café tout en écoutant son émission préférée celle de Cheikh Kettou qui fut très proche d’elle en pensée et en « art de vivre ». Il est vrai que Cheikh Kettou fut peut-être l’un des derniers à s’adresser aux Algériens en leur parlant avec leur langue de l’Islam maghrébin vieux de 14 siècles. Un Islam authentiquement maghrébin fait de tolérance, qui respecte la culture, se l’approprie et en définitif a permis aux maghrébins de vivre leur foi sans en faire un fond de commerce ou sans importation de rites et d’habitudes, notamment vestimentaires aussi respectables soient- elles dans leur contexte, à des années lumières de notre civilisation.

Il arrivait à ma mère d’être si touchée par un verset, un hadith ou une explication du cheikh qu’elle se mettait à pleurer en silence : une pluie silencieuse qui laisse des larmes sur une vitre, comme je l’ai surprise plus d’une fois. A mon regard interrogateur, elle me disait « takhacha’ate », elle était touchée au plus profond d’elle et elle finissait toujours par : « Koullach fani », « Tout à une fin inéluctable ».

Cela ne l’empêchait pas d’être coquette avec son souek (que je lui achetais au marché) et son khol qu’elle avait des difficultés à broyer et son hénné (Hannate el Hadjla constituant à l’époque le nec plus ultra de la mode). Elle faisait des miracles, elle devenait encore plus lumineuse. Je suis sûr de rencontrer le sentiment de beaucoup d’entre nous en parlant de cela : époque bénie . Elle aimait la vie pour elle et pour les autres, en essayant avec ses moyens de soulager les douleurs les tristesses, ne serait-ce qu’en leur racontant une histoire drôle d’une façon théâtrale . A juste titre, beaucoup la pleurèrent sincèrement

Sa dernière prémonition. Imaginez une petite bâtisse finalement terminée. Vdida fait sa prière dans la cour et prévoyait d’y revenir après le ramadan pour s’y installer définitivement. Après sa prière, elle eut cette réflexion en citant un poème : « Ya bani dar el ghrour, ya matoual’e bi’ha laoue tabni fi’ha el ksour tarhale oua tkhali’a ». « O celui qui construit une demeure tentatrice, même si c’était un palais, tu va disparaître et le laissera ». Elle mourut dix jours après.

On ne guérit pas de l’absence de sa mère. Mieux quoi qu’en dise, on ne s’en remet pas. Trente ans après notre mère nous manque cruellement. C’est comme une amputation, c’est comme une douleur lancinante qui se réveille à l’occasion de n’importe quel évènement aussi anodin soit-il. Ma mère disait cela , faisait cela, traitait les choses comme cela. Plus d’une fois, les leçons de bon sens inculquées avec amour par nos mères nous servent de repères même dans des situations inextricables. Elle disait souvent : «  Khaliha li Rabbi », « Moul nya yaddi », » Celui qui est de bonne foi est le gagnant, « Ya sa’dak ya fa’al el khir », « Heureux celui qui fera des bonnes actions » Il serait vain de rapporter toutes les maximes de bon sens pétris d’humanisme et d’amour du prochain. Ce bréviaire d’une vie simple, elle nous l’avais inculqué.

Je m’adresse en définitive à toutes et tous qui n’ont jamais grandi, quand il s’agit de parler de leur mère, ils sont toujours des enfants . Puissent-ils ne jamais oublier l’amour d’une mère dans leur actes quotidiens et avoir de la compassion pour les mères toutes les mères. l’Algérie se grandirait en misant sur la formation des jeunes filles, futures épouses et mères. Il est de la plus haute importance pour ce pays que sa culture survive, se consolide et que ses traditions se perpétuent.

La mondialisation et la « modernité débridée par la parabole interposée ont fait plus de dégât dans l’imaginaire de nos jeunes que la colonisation française en 132 ans. Ce véritable prozac a totalement rendu erratique le comportement de nos jeunes sans repères ,et il faut bien en convenir la morale à l’ancienne ne paie plus,.Les solidarités intergénérationnelles ont disparu . Si c’est cela la modernité, on peut s’interroger réellement sur son apport. Quand on voit nos pères et nos mères dans des « Dar el ‘adjaza » de véritables mouroirs, un concept que nous ne connaissions pas, car il était étranger à nos valeurs, nous sommes scandalisés par leur sort.

Sans aller jusqu’à interdire les paraboles, le pays et partant la société algérienne doit trouver les moyens de se protéger culturellement et même cultuellement en promouvant un contre discours basé sur le savoir, l’histoire, le décryptage des grands enjeux du monde , au lieu de faire uniquement dans l’éphémère des émissions dites de variétés et naturellement le soporifique du football. Le cerveau du jeune algérien n’est pas sollicité, il roule sur deux neurones. Il y a matière à se réapproprier nos repères identitaires mis à mal par une mondialisation ou plus exactement une mondialatinisation qui ne fait pas de place aux autres cultures.

Note :

(1) : Savant et poète mystique musulman qui a vécu entre l’Orient persan et l’Orient arabe de 1207 à 1273.

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