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Une histoire déformée de la Raison en Islam

Anthropologue d’origine algérienne vivant en France depuis de nombreuses années, Malek Chebel a publié un certain nombre d’ouvrages sur des thèmes « porteurs  », comme le « Dictionnaire amoureux de l’Islam », l’ « Histoire de la circoncision des origines à nos jours », ou son « Anthologie du vin et de l’ivresse en Islam ». Très en vogue dans les milieux intellectuels et médiatiques français, Malek Chebel est souvent cité comme une référence pour tout ce qui se rapporte à l’Islam. Le site culturel de Radios Francophones le présente ainsi : « Malek Chebel est islamologue, anthropologue et psychanalyste, spécialiste de l’histoire des religions et de la civilisation arabe et musulmane. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la société musulmane qui sont aujourd’hui des références… »[1] .

Son dernier livre, que nous avons choisi d’analyser, est présenté par Malek Chebel lui-même en ces termes : « La présente étude sur ‘la Raison en Islam’ clôt ‘L’Anthropologie générale du monde arabe et de l’Islam’ que j’ai commencé il y a plus de vingt ans ». Nous sommes donc en droit d’attendre de sa part une synthèse érudite sur la pensée rationaliste en Islam. Une question particulièrement fondamentale, et le « combat des idées » ( sous-titre du livre Malek Chebel ), s’il n’est pas encore engagé, est en tout cas attendu par tout le monde musulman.

Convaincus également que la raison a largement reculé dans le monde musulman, même au niveau de ce que l’on désigne aujourd’hui comme « pensée islamique  », nous espérions beaucoup lire ici une analyse historique, sociologique, voire théologique édifiante, qui contribuerait à comprendre la maladie en élaborant au moins un début de traitement. Malheureusement, à la place d’une telle étude, nous n’obtenons qu’un long commentaire autour d’une histoire superficielle et subjective de la pensée musulmane. Malek Chebel se fixe par ailleurs un objectif qu’il tentera vainement d’atteindre, à savoir comprendre quand et comment la pensée islamique a pris une direction perpendiculaire à la raison, et tenter d’en faire ressortir les éléments pour une réforme et une renaissance de la civilisation musulmane.

La première question que l’on doit se poser est à quel public ce livre est destiné ? L’auteur ne nous dit rien de ses visées, mais à juger du vocabulaire plutôt sophistiqué qu’il utilise (« syncrétisme schismatique », « panégyriste », « toponymie », etc.) ainsi que les références récurrentes à la terminologie islamique en langue arabe (« ta’wil », « zandaqa », « mutakallimun », « ’irfan », et tant autres encore), on peut en conclure que cet ouvrage s’adresse à une certaine élite intellectuelle.

Malheureusement, il s’avère très vite que Chebel n’a pas d’une part la maîtrise de la culture arabe et islamique qu’exige un tel numéro de haute voltige, et ne se plie pas d’autre part à la rigueur intellectuelle requise pour une telle étude, où les inclinaisons personnelles doivent impérativement être écartées. On assiste tout au contraire à une succession de diatribes à l’encontre des traditionalistes, ainsi qu’à un insipide refrain sur le mode occidentaliste.

L’ouvrage est divisé en deux grandes parties : le corps même du livre est composé de neuf chapitres (+ l’introduction et la conclusion), au cours desquels l’auteur passe en revue certaines périodes clé de l’histoire intellectuelle de l’Islam (Mu’tazilites, Mutakallimun, Cordoue, Soufisme, etc.), couvrant 150 pages, puis un appendice de 65 pages intitulé « Les acteurs de la controverse » qui consiste en une liste biographique des principales figures de la pensée islamique, un appendice sur lequel nous reviendrons plus loin de manière critique. Enfin, un glossaire, une chronologie et une bibliographie « raisonnée » (selon le terme de l’auteur), aussi brèves que subjectives, viennent clôturer l’oeuvre, mais point d’index à la fin.

Le ton, la conception du problème et l’agenda de notre auteur se manifestent très rapidement. Dès la deuxième page de sa courte introduction, Chebel nous présente la foi et la raison comme deux pôles opposés entre lesquels la pensée islamique est décrite comme un fil de grande tension : « La liberté de pensée est particulièrement mal vue en islam, une tension insoutenable… »

Le premier chapitre, intitulé « La mort du Prophète : la guerre de succession », semble à priori mal placé, puisqu’on ne pense pas généralement remonter aussi loin dans l’histoire islamique quand on souhaite retracer les développements de la pensée et de la philosophie en Islam. Mais d’emblée, l’auteur nous fait comprendre le pourquoi de son entreprise : la lutte pour le devenir de l’Islam (pouvoir, théologie, lois, etc.) qui se serait produite avant et après la mort du Prophète. Une lutte dépeinte comme « rude » mais dont l’auteur reconnaît qu’on ne la retrouvera pas dans le patrimoine historique de l’Islam : « La « doxa lisse et a-conflictuelle » n’en aurait rien laissé filtrer… Cette « lutte » se serait soldée par une victoire de « l’islam doctrinaire » sur « l’islam spontané », si bien que « plus jamais un musulman ne se sentira libre d’adhérer selon sa conscience à quelque croyance que ce soit ».

Soulignons qu’il n’y a dans cette conclusion hâtive pas la moindre tentative de lien entre la « lutte de succession » politique et l’évolution de la pensée religieuse, ni même aucune explication de ce qui aurait constitué au cours de cette période un « islam doctrinaire » et un « islam spontané ». Voilà donc le sort de la raison en Islam déjà décidé par l’auteur pour le restant de son histoire. Chebel conclue immédiatement que toute tentative de recentrement de la raison (aujourd’hui ou demain) devra impérativement passer par une remise en cause de la « mentalité rigoriste fondée sur l’interdit » qui « détermine le rapport des hommes à la foi ». Notons que nous n’en sommes qu’à la page 17 (la cinquième page du premier chapitre) ! Rien de surprenant donc à ce que le reste du livre soit une longue diatribe contre la « doxa »…

En effet, notre auteur abonde en exemples les plus dérisoires visant à ridiculiser la doxa islamique. Citons seulement les suivants : « Faut-il ou non enterrer un pauvre quidam dans un cimetière musulman uniquement parce qu’il avait trop bu de vin à la suite d’un divorce et qu’il en est mort ? Que fait le bon musulman lorsqu’il rencontre sur le chemin de la mosquée et de manière inopinée un animal de mauvais augure ?… Une femme a-t-elle le droit de toucher au pain du mari lorsqu’elle a ses règles ? Lorsqu’on est en voyage et que l’on ne dispose que de peu d’eau, faut-il la garder pour procéder à ses ablutions au moment de la prière ou faut-il la boire en cas de forte soif ? » Ou encore : « On spéculait sur tout, allant jusqu’à punir la femme qui revendique sa jouissance » (des questions auxquelles un enfant musulman pourrait non seulement répondre facilement mais reconnaîtrait comme ridicules …)

Cette volonté de bafouer la doxa islamique s’accompagne d’attaques systématiques envers les théologiens, juristes et penseurs traditionalistes : « Parmi les nombreux théologiens qui incarnèrent la réaction, figure Ibn Taymiyya, ancêtre malgré lui de toute la pensée fondamentaliste actuelle », « Ibn Taymiyya a marqué l’islam par son zèle à vouloir coller au plus près de la source coranique, sans la faire évoluer d’un iota. Précurseur de tous les mouvements fondamentalistes actuels, il est notamment en honneur chez les jeunes salafistes… », « [les débats] d’aujourd’hui ont pour objet la longueur, la largeur et la couleur du voile de la musulmane », « Il y a dix siècles, Dieu présidait aux grands débats philosophiques entre musulmans, aujourd’hui beaucoup d’ignorants en ont fait un simple tailleur. »

Pour comparer, citons Karen Armstrong dans « A History of God »  : « Ibn Taymiyah, qui était très aimé par son peuple, voulait élargir la Sharia pour lui permettre d’être applicable à toutes les circonstances que pouvaient rencontrer les musulmans. Son intention n’était pas de produire une discipline répressive ; il voulait simplement se débarrasser des règles obsolètes afin de faire de la Sharia un système pertinent et d’apaiser l’angoisse des musulmans en ces temps difficiles. […] Mais dans son zèle pour la Sharia, Ibn Taymiyah attaqua le Kalam et la Philosophie, même l’Asharisme. Comme tout réformiste, il voulait revenir aux sources : le Coran et le Hadith (sur lesquels la Sharia était basée) et de se débarrasser des incréments. […] Son disciple Al-Jawziyah ajouta le Soufisme à la liste des innovations, préconisant une interprétation littéraliste des textes sacrés… »[2]. Lorsqu’un lecteur rationaliste comme moi se retrouve à défendre, ou du moins tenter de rendre justice à un théologien traditionaliste comme Ibn Taymiyyah, cela en dit long sur les « procédés d’analyses » et l’objectivité de Chebel…

Par ailleurs, ainsi que nous l’avons mentionné précédemment, une des failles majeures de ce livre réside dans les différentes tentatives (souvent simplistes et tirées par les cheveux) de faire le lien entre l’histoire politique, théologique et juridique de l’Islam, avec une vision du passé déformée par le prisme d’un présent présenté comme une révolte contre les sources de l’arriération. Chebel nous fait clairement part de cette philosophie dans son premier chapitre : « Pour comprendre les blocages d’aujourd’hui, notamment en ce qui concerne l’émergence de la démocratie dans l’espace arabe… ses diverses ‘maladies d’enfance’ et sa déficience à tout ce qui touche au libre choix (ikhtiyar), il faut d’abord revenir à cette histoire-là, une histoire cachée, invisible, en partie inavouable, mais déterminante… » . Ainsi donc l’auteur se lancera dans de nombreuses tentatives d’établir de tels liens, citons pour l’exemple : « La femme d’Ali, Fatima, est encore vénérée comme une sainte à Qom, à Téhéran, à Kerbala, à Nadjaf et même par les membres du Hezbollah libanais », et ailleurs : « comme si la mouvance ash’arite ancienne – opposée aux mu’tazilites – réapparaissait sous les traits des salafistes ou des wahhabites ».

La deuxième grande faille de ce travail réside dans l’aspect subjectif, superficiel et parfois contradictoire de l’histoire de la raison (et sa relation à la foi) en Islam telle qu’elle est présentée par Chebel. Ainsi que nous l’avons signalé plus haut, l’introduction fausse d’emblée le débat en posant comme axiome une relation antagoniste entre la raison et la foi en Islam. De plus, le premier chapitre « calamiteux » (l’auteur qualifie la succession au Prophète de « calamiteuse ») impose des conclusions que le reste du livre tentera vainement de justifier.

Nous ne sommes donc pas étonnés de voir l’âge d’or de la civilisation islamique (du 9ème au 13ème surtout, et même après) traité de manière aussi confuse et contradictoire. Ainsi le 10ème siècle, durant lequel « l’Oumma n’était plus désormais que principautés lilliputiennes » est décrit comme « valétudinaire », alors qu’il recelait de nombreux savants et penseurs (Al-Ash’ari, As-Sufi, Al-Maari, Al-Isfahani, Al-Baqillani, Al-Farabi, Al-Mutanabbi, At-Tawhidi…) dont plusieurs sont chaleureusement salués par l’auteur (ceux qu’il considère comme « libres-penseurs »)… Voici ce que dit Armstrong de cette époque « valétudinaire » : « Durant les 9ème et 10ème siècles, l’état abbasside a produit plus de découvertes que toute la période de l’histoire humaine qui les a précédé »[3]

Plus déroutant encore est le traitement réservé aux philosophes qui auraient dû constituer le coeur du livre, à travers la thèse d’un équilibre fécond entre la foi islamique et la philosophie rationaliste, à l’instar d’Al-Kindi, Ibn Sina, Ibn Tofail, Ibn Rushd et même Al-Ghazzali qui, malgré ses attaques envers l’aristotélisme exagéré de certains philosophes musulmans, a été le plus équilibré et le plus complet des penseurs musulmans et n’a jamais rejeté la raison comme instrument de recherche de la vérité. On aurait pu s’attendre à un traitement édifiant de l’approche des philosophes, surtout Ibn Tofail et Ibn Rushd qui démontrèrent que la raison et la foi sont non seulement compatibles, mais toutes deux naturelles, et que le raisonnement doit même être considéré comme religieusement obligatoire, pour ceux qui sont dotés de tels talents.

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Au lieu d’une telle perspective, on trouve Ibn Sina réduit au « médecin musulman le plus célèbre dans le monde… [qui] ayant eu entre les mains la Métaphysique d’Aristote aurait lu le livre quarante fois de suite sans rien y comprendre » mais aurait « pu en un instant tout comprendre » dès qu’il prit connaissance d’un Traité d’Al-Farabi. Pis encore, Chebel semble penser que le monumental « Kitab As-Shifa » est un livre de médecine… Ibn Hazm est réduit à son « Collier de la Colombe »… Ibn Rushd est décrit en quelques pages comme s’intéressant plus à sa tenue vestimentaire (« une robe en blanc irisé (‘abaya), l’emblème des familles nobles de la ville, et des sandales en cuir extrêmement travaillées ») et à sa villa (« le belvédère de sa belle demeure au coeur de la médina à Séville »).

Quant à ses travaux, des thèses pionnières dans la pensée islamique, ils sont résumés en quelques lignes où le « Fasl al-Maqal » semble être confondu avec le « Tahafut at-Tahafut » (Chebel affirme que le « Fasl al-Maqal » est « parfaitement incompréhensible à celui qui n’a pas lu le livre d’Al-Ghazzali »), le « Kashf `an Manahij al-Adilla » n’est jamais mentionné, alors qu’il est au moins aussi important, sinon plus, que le « Fasl al-Maqal ». Enfin dans l’appendice du livre, l’auteur nous informe qu’Ibn Rushd « a laissé une oeuvre impressionnante où des réflexions modernes sont traitées avec rigueur et sérieux : Dieu est-il éternel ? » A ce stade là, on aura finit par cesser de nous demander d’où Chebel a-t-il pu sortir de telles énormités.

L’auteur fait également preuve d’un manque surprenant de maîtrise aussi bien au niveau de la langue arabe que de la connaissance de l’Islam comme religion et patrimoine. Voici quelques exemples révélateurs : il présente les « kaba’ir » (les interdits majeurs) comme une « liste interminable de faits, de gestes et de pensées sévèrement condamnés par la doxa » (notre italique) ; les écoles célèbres de fiqh sont tour à tour présentées comme écoles « juridiques », « théologiques », voire « dogmatiques » ; il est dit que le livre de l’Imam Malek « Al-Muwatta » est « réédité et distribué dans les mosquées au même titre que le Coran » !. La « fermeture de l’ijtihad » est rendue en arabe par « ghuliqat abwab al-ijtihad » ; la branche sunnite de l’Islam est décrite en terminologie arabe/islamique comme « ahl sunna wal-ijma » ; le concept de « usul al-fiqh » est selon notre auteur censé référer aux « sources de la Tradition » ; dans le premier chapitre, il est affirmé qu’Allah est mentionné 570 fois dans le Coran (on nous ajoute que « le Coran est d’abord et avant tout un livre qui relate les attributs de Dieu »), alors qu’au 7ème chapitre on trouve qu’« Allah est cité plus de 2700 fois dans le Coran ».

Enfin, le chapitre traitant de la « nahda », cette tentative de reforme menée par des penseurs éclairés entre le milieu du 19eme siècle et le début du 20eme, opère un grand amalgame entre les mouvements nationaux et les réformismes religieux, incluant des militants politiques (comme Michel Aflaq, Sati al-Husri, Kamel Atatürk), dont certains n’étaient même pas musulmans, avec les grands véritables réformateurs qu’étaient Al-Kawakibi et Mohammed Abduh, ou des révolutionnaires comme Sayyid Qotb avec des écrivains et critiques comme Taha Hussein, qui – selon Chebel – « osait douter de la Vérité du Texte Sacré ».

Au terme de cette lecture, il devient clair que le livre de Chebel n’est que le produit d’idées et de conclusions préconçues. Un des leitmotiv du texte est cette adoration inconditionnelle de l’Occident et de ses méthodes, dont Chebel considère comme condition sine qua non pour tout réveil de la civilisation islamique : « L’Islam doit se réformer – tout le monde en convient – mais ne peut le faire sans l’aide et la solidarité de l’Occident », « Pourtant il suffirait de peu : que les imams en appellent à la primauté de la politique sur la religion et les politiques retrouveraient la souveraineté d’une parole humaine et positive, pour ne pas dire ‘rationnelle’ » ; « Mais ces réformes politiques supposent a priori le principe de séparation entre le religieux et le politique »  ; enfin cette citation enthousiasmée de Sjahrir, l’ancien premier ministre indonésien  : « L’Occident signifie pour moi le grondement, la poussée de la vie, la force dynamique… Je suis convaincu que seul l’Occident pourrait libérer l’Orient de son esclavage »…

Chebel ignore – délibérément ou de fait – que des tentatives intéressantes d’harmonisation entre le religieux, le philosophique, le sociologique, le politique et les autres sphères de la vie de la Oumma ont été présentées tout au long son histoire, avec des succès variés. Il suffit de mentionner Al-Kindi, le premier et très pondéré philosophe de l’Islam, mais aussi Ibn Sina qui selon Karen Armstrong représenta « L’apogée de la philosophie islamique », le grand Al-Ghazzali qui synthétisa à sa manière les sciences religieuse tout en opposant fermement Ibn Sina et Al-Farabi sur un nombre de points importants, Ibn Rushd le grand « harmonisateur » de théologie, philosophie, jurisprudence et sciences du monde, Mulla Sadra qui réussit une fusion profonde de la spiritualité et de la métaphysique ; enfin plus près de nous, Mohammed Abduh qui insista sur l’harmonie possible et nécessaire de l’Islam avec la modernité…

Un mot enfin concernant la deuxième partie du livre, où de grands noms semblent manquer à ce lexique biographique dans lequel on trouve des « acteurs de la controverse » qui rassemble près de 150 noms dont l’importance varie énormément d’un cas à un autre. Abderrahman Badawi (le grand penseur qui s’est éteint récemment), Mohammed Al-Ghazali (l’héritier des réformateurs de la nahda) et Ahmed Amin, le grand historien de l’Islam étant tous décédés, la justification de l’auteur de ne pas faire figurer les penseurs vivants ne peut s’appliquer et leur absence demeure un mystère. Paradoxalement, Hussein Ahmed Amin, un penseur égyptien bien vivant, est inclus dans le lexique, il semblerait que Chebel ait cru lire dans le ‘Dalil al-muslim al-hazin’ de l’auteur égyptien « un lien direct entre les blocages que connaît la société arabe aujourd’hui et la nature même de l’islam »  ; j’ai lu le livre de Hussein Amin il y a dix ans, sans pourtant aboutir à une telle conclusion…

Toujours concernant cette liste hétéroclite de l’appendice de savants et penseurs, nous sommes étonnés de trouver des noms qui, bien qu’illustres, ne méritaient pas à notre avis de faire partie de cette liste « raisonnée » : Battani, Biruni, Ibn Ishaq, Ibn Hayyan, Khayyam, Khawarizmi (pourquoi avoir alors laissé de côté le grand Ibn Haytham et l’important Tusi ?) ; Khayreddine (pour avoir été un administrateur visionnaire ?), Atatürk et Sjahrir (pour leur philosophie politique résolument laïciste). On est en droit de se demander quelle contribution à la Raison ces personnages ont bien pu apporter…

Ce livre est particulièrement décevant par son manque d’objectivité, son agenda à la fois aveuglement occidentaliste et méprisant envers tout ce qui est traditionaliste en Islam, et surtout par son manque d’érudition sur de très nombreux sujets ; il est indigne d’un « islamologue » qui a publié au moins 11 livres comprenant le mot ‘Islam’ dans le titre. Il ne s’agit pas, à notre sens, d’opposer Islam et Occident ; les observateurs rationnels que nous sommes, ne peuvent nier la crise que traverse l’Islam aujourd’hui, mais les potentiels existent au sein de certaines composantes des civilisations occidentales et islamiques. Une attitude plus équilibrée envers les richesses aussi bien de l’Occident que de l’Islam aurait été bien plus constructive.

En ces temps de « choc de civilisations » et de volontés multiples de « réformer l’Islam », il incombe aux intellectuels de ne pas adopter des rhétoriques antagonistes, surtout envers le public musulman, car les risques de fractures sont énormes. D’autres penseurs et écrivains occidentaux ont su allier une profonde érudition et une objectivité avec une modération dans leurs propos. Nous avons déjà mentionné Karen Armstrong (avec son monumental « A History of God » ainsi que ses remarquables « A Short History of Islam » et « Muhammad »). Citons en France les excellentes travaux de Marc Geoffroy et d’Alain de Libera (« Averroès – Discours Décisif » et « Averroès : L’Islam et la Raison ») dont nous invitons les lecteurs à consulter.

 


[1] http://culture.radiosfrancophones.org/flash-sur/chebel.shtml

[2] Karen Armstrong, “A History of God”, Ballantine Books, New York, 1993, p. 258-259 (citation traduite par nous-même).

[3] Karen Armstrong, op. cit., p. 171 (citation traduite par nous-même).

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