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« Une ferveur religieuse s’est emparée du Maroc »

40% des Marocains vivent avec moins de 2 dollars par jour. Il y a également dans ce pays un taux d’analphabétisme de plus de 51% pour les adultes de plus de 15 ans. Au vu de ces chiffres, le Roi Mohammed VI est loin d’incarner la rupture avec la politique de son père Hassan II ?

Je pense qu’en matière sociale et économique Mohammed VI est différent de son père Hassan II. En matière de communication et de marketing politique, Mohammed VI a d’ailleurs pris soin de se positionner immédiatement comme « le roi des pauvres », ce que c’était bien gardé de faire son père. Après quelques flottements au début de son règne, il a fini par lancer de nombreux chantiers pour développer le pays et désenclaver les régions les plus pauvres et injecte des milliards de dirhams dans l’économie marocaine. Ces efforts porteront-ils leurs fruits ? On le saura dans les années à venir.

Mais si on revient à la comparaison entre Hassan II et Mohammed VI, on peut dire qu’en interne, la préoccupation n°1 de Hassan II était de consolider politiquement le trône encore et toujours en écrasant toute opposition. Mohammed VI et ses conseillers semblent surtout préoccupés par renforcer le pouvoir économique de la monarchie, notamment au travers de l’ONA, la holding royale.

L’emblème de cette mainmise sur l’économie marocaine reste incontestablement le passage du groupe bancaire Wafa sous la coupe de la BCM, l’aile bancaire de l’ONA en novembre 2003. Pour résumer ce phénomène inédit au Maroc, le Journal Hebdomadaire, l’une des rares publications indépendantes au Maroc, a parlé à juste titre d’« alaouisation de l’économie ».

Vous évoquez dans votre rapport une étude du célèbre cabinet américain McKinsey particulièrement alarmiste sur la politique industrielle du Maroc. Pouvez-nous en dire davantage ?

En mars 2004, les autorités marocaines ont mandaté le cabinet américain McKinsey pour réaliser une étude stratégique de la politique industrielle marocaine. Le rapport de cette étude a été rendu en mars 2005 et est particulièrement alarmant puisqu’il conclut que dans une économie mondialisée le Maroc en l’état n’a plus le moindre avantage comparatif dans l’ensemble de ses secteurs industriels.

Mc Kinsey dresse même une liste exhaustive des causes de cette perte de compétitivité : approvisionnement irrégulier et insuffisant en matières premières compétitives, tissu d’acteurs très fragmenté et composé d’entreprises de petites tailles, déficiences au niveau des infrastructures, innovation et développement de nouveaux produits quasiment inexistants, investissements limités au niveau des équipements, efforts et moyens de commercialisation des produits limités, déficit de compétitivité au niveau des infrastructures, lutte contre l’informel non optimale…

Comme solution pour redresser la situation, McKinsey a préconisé la création d’îlots de développement qui prendraient la forme de vastes zones franches consacrées à la sous-traitance de l’économie européenne pratiquée sur une grande échelle. Toujours selon McKinsey l’un des seuls avantages industriels du Maroc est d’être situé à 14 kms de l’Union Européenne.

Ces recommandations ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd puisque peu après une délégation d’officiels et de chefs d’entreprises marocains se sont rendus au Mexique visiter les maquiladoras, ces usines crées à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Hélas, depuis, plus rien. C’est un peu cela le drame de la politique économique au Maroc : justement pas de politique, pas de stratégie, pas de vision ni de direction qui soit suivie sur du long terme.

La société marocaine est gangrenée par la corruption. A qui profite essentiellement ces réseaux de corruption ?

La corruption est malheureusement un mal omniprésent au Maroc et la situation ne vas pas en s’améliorant. En 2006, l’ONG Transparency International (qui publie chaque année un indice de perception de la corruption dans le monde) classait le Maroc en 79è position sur 163 pays. Si on étudie les indices des années précédentes, le Maroc régresse dans ce classement depuis 2000 : il était 37è en 2000, 52è en 2002, 70è en 2003, 77è en 2004 et 78è en 2005.

Plutôt que de réseaux de corruption, je pense qu’il est plus adapté de parler d’une corruption généralisée, diffuse qui revêt de multiples facettes et qui concerne hélas de nombreuses composantes de la société marocaine : débourser pour se faire soigner dans un hôpital ou pour obtenir une ordonnance, débourser pour influer le cours de la justice, débourser pour ne pas payer une amende ou des impôts, débourser pour faciliter et accélérer le travail des douanes et bien sûr débourser pour obtenir un marché dans le cas des entreprises…

Les causes de l’étendue de cette gangrène sont nombreuses mais si l’on devait en retenir deux, je dirais les bas salaires qui prévalent, notamment dans l’administration, ainsi que l’impunité dans les affaires de corruption. Les pouvoirs publics servent un joli discours plein de bonnes intentions mais sans suites et totalement innéficace. On peut donc légitimement penser que les autorités marocaines n’ont, aujourd’hui, pas la volonté d’enrayer le phénomène de la corruption. De toutes les façons, les pouvoirs publics sont les premiers à en bénéficier. Cela est notamment valable pour les impôts, la justice et la police, même si, bien sûr, des fonctionnaires font honnêtement leur travail.

Il faut enfin noter que le Maroc est loin d’être le seul pays arabe à souffrir de ce mal : selon Transparency International, l’Algérie ne fait guère mieux, tout comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou le Liban.

Le Maroc a connu plusieurs attentats–suicides en 2003. Où en est la situation sécuritaire dans ce pays ?

Elle n’est pas bonne. Les autorités marocaines ne s’en cachent d’ailleurs pas puisque contrairement aux pratiques sous le règne de Hassan II, elles communiquent de façon plus transparente sur le démantèlement de cellules présumées terroristes ou de recrutement de combattants pour l’Irak. Et force est de constater que les communiqués émanant du ministère de l’Intérieur marocain et allant dans ce sens tombent à intervalle régulier.

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Le 4 janvier 2007), on apprenait de sources policières qu’une structure de 26 personnes de nationalités marocaines spécialisée dans le recrutement et l’acheminement de volontaires pour l’Irak a été démantelée.

Lors de la préparation de notre livre Quand le Maroc sera islamiste, l’un des auteurs a rencontré un des patrons de l’antiterrorisme en France au dernier trimestre 2006 qui a été très clair en ce qui concerne la situation sécuritaire dans le royaume : « En matière d’intégrisme, la Tunisie a tout verrouillé et nous ne craignons rien. L’Algérie a réussi à crever l’abcès au prix d’énormes souffrances et de 150 000 morts. Le problème est derrière. En revanche, le Maroc est la région qui est, de loin, la plus inquiétante. Je ne comprends pas tous ces Français qui vont acheter un riad à Marrakech, moi, je ne le ferais pas. (…) La situation est dangereuse. »

En rencontrant des militants du mouvement d’Abdessalam Yassine, Al Adl Wal Ihssane, je me souviens que plusieurs d’entre eux m’ont confié s’inquiéter de voir des jeunes des quartiers de la classe moyenne ou des quartiers populaires de villes dans la périphérie de Casablanca qui veulent entrer dans un mouvement dit “islamiste” mais s’orienter vers des groupes dits “radicaux”. « Une fois que cette étape est franchie, c’est très difficile de les récupérer et de trouver les bons arguments pour les convaincre » m’a dit un militant.

Le Maroc est confronté à la montée de l’islamisme. Deux mouvements émergé : le PJD et Al Adl Wal Ihssane. Qu’est ce qui les distingue ? Comment la monarchie marocaine réagit face à ces derniers ?

Le PJD est un parti politique en bonne et due forme qui participe aux élections, qui est à la tête de cinq municipalités et qui occupe 42 sièges de députés au Parlement. Al Adl Wal Ihsane n’est pas un parti mais une association. C’est aujourd’hui le mouvement islamiste le plus puissant du Maroc mais il ne participe pas directement au jeu électoral. Contrairement au PJD, Al Adl Wal Ihssane ne reconnaît par la Commanderie des croyants, si chère à la monarchie marocaine.

Contrairement au PJD, Al Adl Wal Ihssane a, jusqu’ici, refusé de céder au moindre compromis avec le Palais. Tous deux sont donc dans une stratégie de conquête du pouvoir très différente. C’est important de dire qu’ils ont aussi tous deux renoncé à la violence.

Le Palais royal les gère de manière très différente. Après maintes péripéties, il a autorisé le PJD à devenir un parti politique espérant ainsi créer un vote “islamiste” en faveur d’une formation politique contrôlable et ainsi isoler Al Adl Wal Ihssane.

Cela s’est révélé être un bien mauvais calcul puisqu’aujourd’hui (et depuis les attentats de Casablanca de 2003) le Palais, le ministère de l’Intérieur et celui des Habous sont à la manœuvre pour créer un nouveau front religieux anti-salafistes “radicaux” et ont besoin des soufis, donc d’Al Adl Wal Ihssane qui est le seul mouvement à avoir déclaré ouvertement la guerre aux salafistes tant sur le terrain que d’un point de vue idéologique.

Un Maroc islamiste est selon vous irréversible ?

Sans parler d’islamisme, force est de constater qu’une ferveur religieuse s’est emparée du Maroc. Deux indices très simples que n’importe qui peut constater en se rendant sur place. Lors du dernier Ramadan, la mosquée Hassan II de Casablanca, que les Casablancais ne portent pas dans leur cœur puisqu’ils ont dû en partie la financer de leur poche, était pleine à craquer tous les soirs, ce qui est nouveau. Dans les principales villes du pays, le vendredi à l’heure de la prière, les rues se vident. Ce n’était pas le cas il y a deux ans.

Parlant d’islamisme et de vote islamiste, je pense qu’il ne faut pas se voiler la face : si le PJD s’était présenté dans toutes les circonscriptions aux législatives de 2002, il aurait fait un tabac. S’il y va franchement en 2007, il a toutes les chances d’obtenir un raz-de-marée. Le pouvoir le sait très bien et devient de plus en plus fébrile à l’approche de la prochaine échéance électorale. Courant 2006, il y a eu deux sondages réalisés par un institut américain qui donnaient à six mois d’intervalle le PJD en tête et loin devant les autres partis politiques.

Je pense que la question n’est plus de savoir si le Maroc est islamiste ou non mais de savoir quand est-ce que le pouvoir et la classe dirigeante marocaine, largement occidentalisée, accepteront que le Parlement représente les vraies opinions politiques des Marocains. Bien entendu, rien n’interdit de penser que celles-ci soient d’abord une réaction à l’incurie des pouvoirs publics sur le terrain social, à un quotidien des citoyens qui tardent à s’améliorer, à une crise identitaire…

Concernant les relations franco-marocaines, vous parlez d’une atmosphère de fin de règne ?

A partir de 2002, le régime marocain s’est beaucoup rapproché des Etats-Unis. Cela s’est traduit entre autres par une collaboration plus qu’étroite entre Rabat et Washington dans la « guerre contre le terrorisme » décrétée par l’administration Bush et par la signature en 2004 d’un traité de libre-échange avec les Etats-Unis qui a consterné les Européens et notamment les Français. A cela s’ajoute l’élection présidentielle en France en 2007.

Jacques Chirac qui a été l’un des plus fervents défenseurs du Maroc, notamment dans le dossier du Sahara occidental, devrait céder sa place à un autre président ou présidente. Quel que soit l’élu(e), il est peu probable qu’il/elle entretienne des relations aussi étroite avec le Maroc et ne soit tenté à un moment de rééquilibrer les relations de la France avec l’Algérie.

Propos recueillis par la rédaction

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