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Un Pacte citoyen pour le culte musulman

Voilà deux ans que des musulmans, à l’initiative du Ministère de l’intérieur, tentent de s’organiser. Difficile. Outre la diversité des tendances au sein de la communauté, il faut compter avec les tentatives d’influence d’Etats étrangers, les désirs du gouvernement français lui-même et, somme toute, les enjeux de pouvoir proprement dit. Deux ans de débats, parfois de tergiversations, voire d’insultes : au demeurant, deux ans de travail.

En 1999, je m’étais exprimé dans Le Monde en rappelant qu’il fallait prendre le gouvernement au mot et s’engager dans la consultation en respectant certaines conditions : du coté de l’Etat, il fallait s’en tenir à jouer le rôle de ’facilitateur’, penser une consultation large et décentralisée, refuser les interventions étrangères, renouer avec les citoyens français de confession musulmane, sortir de la gestion policière de l’islam et enfin ne pas soumettre la représentation à un enjeu électoraliste. Du côté des musulmans, il convenait de respecter la diversité des tendances, de développer le dialogue intra-communautaire, d’écouter les volontés de la base en organisant, sans précipitation, des élections.

Où en est-on désormais ? Force est de constater que les choses ont évolué et que de nombreux acquis existent. Grâce à la détermination des acteurs de cette consultation et malgré tant d’écueils, les travaux ont perduré et permis au moins trois acquis essentiels : l’acceptation d’un accord-cadre qui établit les principes de ’l’organisation future du culte musulman’, la représentation se fera sur la base d’élections démocratiques à partir des lieux de culte, la décentralisation est acquise puisque des assemblées régionales sont élues. Il faut saluer ces réalités qui, pour la première fois, offrent aux musulmans une représentation légitimée par la base.

Les acquis théoriques sont là, reste à évaluer leur mise en application concrète. Ce qui se passe aujourd’hui, sur le terrain, fait craindre le pire et, à terme, un possible échec ou une structure représentative très bancale. Il a été décidé que, pour cause d’élections présidentielles et législatives, tout devait être terminé en janvier 2002. En d’autres termes, on s’est donné moins de cinq mois pour organiser des élections qui concernent une communauté de près de cinq millions de membres avec plusieurs milliers de lieux de culte. Les textes sont produits et les informations sont collectées dans une sorte de course contre la montre. On répète à Paris que, après le 11 septembre, le caractère urgent de cette organisation ’est évident’. Voire.

Sur le terrain, la désorganisation est totale et personne n’est réellement informé. Des responsables de lieux de cultes sont censés participer à des élections dont ils ne connaissent encore ni le mode de scrutin, ni le règlement, ni les modalités pratiques. Certains, pas tous, ont reçu des appels téléphoniques émanant des Renseignements généraux leur demandant de calculer la superficie de leur mosquée (c’est à partir de ces calculs que le ministère détermine le nombre potentiel de fidèles d’une mosquée et donc le nombre de ses représentants à l’assemblée régionale). Etrange méthode d’étude du terrain et d’organisation d’élections ! Imaginez, après le 11 septembre justement, l’impression que peut produire un coup de fil des services de sécurité cherchant à s’informer sur les dimensions de la mosquée. D’aucuns, au courant de rien, ont pris peur et ont prudemment réduit la grandeur des lieux ; d’autres, mieux informés, ne se sont pas gênés pour agrandir leurs murs ; les derniers enfin n’ont pas reçu d’appels et n’existeront tout simplement pas à l’heure des votes.

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Les sous-préfets des régions ont été mobilisés pour accompagner le processus. Ils viennent d’être informés mais la plupart découvrent le dossier et ne connaissent pas bien la situation des musulmans dans leur région. Sommés d’aller vite, documentés par les Renseignements généraux, il y a peu de chance pour que d’ici à janvier on assiste à autre chose qu’à un bricolage électoral né de la précipitation, de la désorganisation et surtout de l’absence générale d’informations.

La représentation des musulmans de France est une affaire trop importante pour qu’on court le risque d’une déroute ou celui d’une représentation issue de procédés qui, dans le flou, prêtent le flanc aux commentaires les plus dubitatifs concernant ’la rétention volontaire d’informations’ par quelques notables, ’la magouille habituelle’ ou ’les manœuvres politiciennes et toujours sécuritaires’ quand il s’agit des musulmans. Que faire ? Les musulmans auront l’organisation qu’ils méritent : les membres actuels de la consultation, au premier chef, mais également les responsables des lieux de culte sont devant d’immenses responsabilités. L’organisation du culte musulman ne devrait pas être associée à l’agenda électoral et elle ne doit être soumise à aucune visée électoraliste. On ne peut décemment pas organiser des élections transparentes et pluralistes de cette envergure, et avec de tels enjeux, en quatre mois. Pourquoi ne pas réunir les responsables de tous les grands partis de France en leur proposant un accord de principe, un pacte citoyen, par lequel ils s’engageraient, quelles que soient le résultat des élections législatives et présidentielles, à permettre à la consultation d’être menée à terme selon les principes acceptés aujourd’hui. On pourrait ainsi bénéficier de quelques mois pour organiser les élections, mieux répertorier les lieux de cultes, y associer les femmes et informer les musulmans en organisant des rencontres, des tables rondes et des discussions sur l’ensemble du territoire. Cela serait de nature à clarifier les choses et à développer des rapports de confiance si nécessaire aujourd’hui. Des élections organisées à fin 2002 ou début 2003 seraient à même de garantir la transparence et le respect des électeurs.

Le ministère de l’Intérieur encadre une consultation religieuse qui, dans les faits, impose un rythme fou, s’appuie sur des services de surveillance et administre les élections avec le soutien des sous-préfets. Si l’on veut préserver l’autonomie du ’religieux’ garantie par la laïcité, organiser les musulmans de ce pays et tout simplement réussir l’opération, il faut réévaluer le processus. S’il est un enseignement à tirer, après le 11 septembre, c’est celui de la nécessité de prendre le temps de tisser des liens de partenariat et de confiance avec les administrations régionales. Les Renseignements généraux ne devraient plus être mêlés, ne serait-ce que pour la force du symbole, à l’organisation du culte. Ceux qui sont aujourd’hui consultés comme ceux qui le seront demain doivent refuser la précipitation et l’infantilisation en appelant leurs concitoyens, responsables politiques, à un acte de civisme collectif qui transcende les partis et leur permette de prendre eux-mêmes en main leur destinée, afin d’avoir le temps et les moyens nécessaires d’organiser l’information parmi les musulmans, de développer une dynamique endogène menant à un processus démocratique expliqué et transparent. C’est le respect minimum que l’on doit à la seconde religion de France, c’est aussi me semble-t-il la voie de la sagesse : des musulmans qui se respectent et prennent acte de leur diversité en organisant des élections ouvertes ; un gouvernement qui les respecte en leur offrant le temps et les moyens de leur autonomie. En ce sens, cette question concerne tous les citoyens français épris de liberté et d’équité.

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