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Un miracle historique : la conversion des Mongols à l’Islam

Au 13ème siècle, le monde a traversé une période de cataclysmes et de dévastations sans aucun précédent, en raison des invasions mongoles. De vastes territoires ont été pillés, conquis, assujettis et des populations entières massacrées. Le monde de l’Islam n’a pas été épargné. 

Certains historiens sont à ce point impressionnés par l’ampleur de ces invasions sanguinaires, qu’ils considèrent la destruction de Bagdad par les Mongols, en 1258, comme la cause de la décadence de la civilisation islamique. La terreur éprouvée par les habitants des villes musulmanes, tombées aux mains des Mongols, a été rapportée par de nombreux historiens arabes.

De vastes aires géographiques subirent les incursions ravageuses de ces cavaliers nomades (Chine, Russie, Balkans, Péninsule coréenne, Moyen-Orient). Concernant le monde arabo-musulman, il semble qu’elles aient engendré de tels bouleversements que l’espoir de voir l’Islam y survivre, en tant que civilisation et populations, en fut presque annihilé.

Au regard de cette page sombre de l’Histoire, on mesure mieux l’importance cruciale qu’a revêtue la miraculeuse et salvatrice conversion des Mongols à l’Islam. C’est ce que la thèse, développée dans cet article, va s’attacher à mettre en évidence. 

En effet, elle a non seulement sauvé les pays musulmans d’une totale destruction, mais également le monde entier, car la religion islamique a fait sortir ce peuple des steppes de ses ténèbres, de sa barbarie, en lui inculquant le respect de la vie humaine et en lui insufflant un esprit de solidarité avec les autres peuples musulmans. 

On va d’abord évoquer les débuts des invasions mongoles et combien ils furent destructeurs et inhumains. Des invasions durant lesquelles ni les hommes, ni les femmes, ni les enfants, ni même les animaux n’étaient épargnés, tellement le ressentiment des nomades envers les sédentaires était grand et leur caractère impitoyable puissant. Ensuite, on abordera la manière dont les pays musulmans furent attaqués et dévastés par ces hordes mongoles, jusqu’à ce que se produise un incroyable miracle historique : la conversion à l’Islam de la Horde d’Or, la branche militaro-tribale la plus influente des tribus mongoles, qui sauvera de l’anéantissement le monde musulman. 

Ce processus salutaire a été parachevé par l’islamisation de tous les Mongols d’Orient. Ainsi, ces derniers sont devenus une civilisation islamique sédentaire, ont construit des villes importantes et instauré l’ordre sur de vastes territoires en Eurasie.

L’idée principale à retenir est que l’extraordinaire conversion des Mongols à l’Islam a donné un nouveau souffle à l’humanité, en la protégeant de l’effondrement et de malheurs incommensurables, grâce à la sédentarisation de ce peuple féroce, à son absorption par la civilisation islamo-persane et à l’acquisition de valeurs nouvelles, dont celle qui fut essentielle : l’esprit de solidarité avec les peuples musulmans, ces peuples frères, au nom de la religion. 

Les débuts terribles

Avant que Gengis-Khan ne réussisse à unifier les tribus mongoles, les nomades qui habitaient les steppes de Mongolie appartenaient à la catégorie des peuples turco-mongols de la famille altaïque, auxquels sont associés les Toungouses, un peuple hautement civilisé. Ainsi, les choses ne sont pas aussi faciles lorsqu’on veut trop simplifier le déroulement des évènements. 

Temudjin fut proclamé Khan en 1201, ou roi universel, par une assemblée de chefs mongols, après une enfance difficile et des aventures de toutes sortes. Il commença, dès lors, à unifier les quelques tribus mongoles grâce aux Kereyit, ses alliés au début de son règne sans partage. En 1202, les Tatars furent écrasés et, en 1205, Gengis-Khan triompha de son rival Djamoukha. En 1209, le royaume tibéto-briman de Xixia fut annexé par les armées mongoles. Puis, en 1218, les Kara-Khitay, un peuple puissant, fut dominé entièrement. 

Le premier choc entre les Mongols et les musulmans survint durant cette période : c’est-à-dire l’invasion de l’Empire du Khârezm. Les historiens occidentaux ne font pas de liens entre cet épisode et les grandes conquêtes qui auront lieu bien plus tard, après la mort du conquérant Gengis-Khan. En fait, ce grand Empire musulman, qui s’étendait de l’Ouzbékistan à la Perse (Iran), paya le plus lourd tribut à la domination de l’Empire mongol. Véritable casus belli, ce serait l’extrême maladresse du sultan du Khârezm qui serait à l’origine du déclenchement des hostilités, ce dernier ayant refusé d’indemniser Gengis-Khan pour le pillage d’une caravane mongole qui traversa le territoire du Khârezm, en 1219. 

Peu importe si cette histoire est vraie ou non. Il n’en demeure pas moins que les récits des historiens, mêmes musulmans, qui affirment que les Mongols ne souhaitaient pas conquérir l’Empire du Khârezm, sont peu crédibles. Par exemple, on raconte qu’avant la conquête de cet Empire musulman, Gengis-Khan aurait adressé une lettre à Ala’ad-Din Muhammad, le sultan khawarezmien, dans laquelle le khan mongol aurait laissé entendre qu’il voulait établir des relations commerciales avec son voisin. 

L’historien persan Juzani nous révèle même le contenu de cette lettre. Le Khan aurait déclaré : « Je suis le Khan des terres du soleil levant, tandis que vous êtes le Sultan de celles du soleil couchant : concluons un solide accord d’amitié et de paix » (1). 

Or, ce récit est peu crédible pour une raison simple : le Khan ne pouvait décemment ignorer à quel point les tribus mongoles nomades, plutôt pauvres comparées aux sédentaires des vieilles civilisations de l’Orient, haïssaient les Empires sédentaires qui entouraient le nouvel Empire mongol et cherchaient à les piller. 

Si Gengis-Khan avait réellement voulu nouer des relations commerciales avec le Khârezm, alors pour quelles raisons les armées mongoles rasèrent les principales villes de cet Empire, qui étaient les poumons du commerce dans la région ? Les commerçants et les habitants furent presque tous massacrés.

La cruauté de Gengis-Khan et sa détermination à détruire les villes du Khârezm ont même choqué son fils Jöchi, lequel s’efforça de préserver la ville d’Ourguentch, ce qui provoqua le courroux du Khan mongol. Furieux, celui-ci confia, alors, à un autre général le commandement des forces armées qui assiégèrent la ville. Une fois celle-ci prise, 50 000 soldats mongols reçurent l’ordre de mettre à mort 24 habitants d’Ourguentch. Selon l’estimation de l’historien musulman Juzani, le nombre de personnes tuées s’éleva à 1,2 million. Cet évènement sanglant fut à l’origine du conflit entre Djötchi et son père. 

Bien avant la chute en martyr de cette grande ville musulmane, une autre ville importante de l’Empire du Khârezm, Samarkand, fut conquise par les armées mongoles. Ce fut en 1220. Gengis Khan a non seulement fait abattre tous les membres de la garnison qui défendirent vaillamment leur cité, mais il a en plus contraint les habitants à se rassembler dans une plaine pour être décapités, sans la moindre pitié. Comble de l’horreur, des pyramides de têtes coupées furent érigées.

A travers ces atrocités, le caractère inhumain des Mongols ressort d’une manière effroyablement édifiante. Aussi ne peut-on qu’être convaincus du changement majeur qui s’est opéré après leur conversion à l’Islam, à la fois dans leur comportement, leur stratégie et leur vision politique et militaire.

Nul ne doute qu’à ce moment-là, les Mongols avaient décidé de conquérir le monde connu, puisque la destruction de cet Empire musulman leur ouvrait la route vers la Russie et le Moyen-Orient (Iran et Irak). L’Empire du Khârezm, fondé au IXe siècle, était la barrière qui empêchait les nomades de pénétrer dans le monde sédentaire de Ruthénie (Russie actuelle) et de Perse. Résultat : les principales villes du Khârezm furent détruites et presque toute la population de cet Empire fut décimée.

Deux conclusions s’imposent dans le sillage de l’examen de cette guerre d’extermination des Empires musulmans. On raconte que le calife abbasside, à cette époque, voyait d’un bon œil l’élimination de l’Empire du Kharêzm, en raison du refus du Shah qui le régentait de le reconnaître comme autorité suprême. Ceci montre qu’il y avait là des signes avant-coureurs du déclin politique du califat abbasside. 

Il fallait être aveugle pour ne pas voir la menace à grande échelle que représentait l’émergence de cette grande puissance militaire, à l’est du monde islamique. Une menace devant laquelle les musulmans devaient serrer les rangs, s’unir pour mieux y faire face. D’ailleurs, si ce n’est le déclin politique et la fragmentation du califat abbasside en ce 13ème siècle mortifère, les musulmans auraient pu endiguer et défaire le déferlement des hordes Mongoles et leur barbarie. Malheureusement, ils manquèrent cruellement de rationalité durant ces évènements tragiques,  aveuglés qu’ils étaient par leurs propres rivalités de peu d’intérêt, alors même que planait sur eux une terrible menace existentielle. 

La seconde conclusion découle de la première : la conquête et la destruction de l’Empire du Kharêzm ont offert aux Mongols une base de départ pour de futures conquêtes vers l’Irak, la Syrie et plus au Nord, vers la Russie. La destruction de ce grand Empire musulman a ouvert les mannes à un déchaînement de violence sans précédent, à des actes d’une barbarie inouïe des nomades de l’extrême-Asie à l’encontre du monde sédentaire et civilisé de l’époque.                               

L’invasion de la Russie 

A la mort de Gengis-khan, en août 1227, et lors de sa succession par Ögödeï, son troisième fils, l’Empire mongol ne pouvait que s’étendre davantage, en raison d’une certaine force d’entraînement de la conquête mongole et de l’invincibilité des armées mongoles. Des armées redoutables et redoutées, dont les soldats avaient appris dès l’enfance à combattre, à lancer des flèches et à utiliser la tactique de la fuite meurtrière, qui consiste à simuler un retrait subit, puis à isoler l’adversaire qui tend instinctivement à la poursuite, avant de l’abattre par une nuée de flèches.

En 1230, le grand khan mongol entreprit une nouvelle avancée de grande envergure vers le nord-ouest européen (2). En 1236, une armée de 150 000 hommes franchit l’Oural et la Volga, sous le commandement de Batu, un fils de Djötchï, appuyé par un grand stratège, Sübötaï. Riazan tomba en 1237 et tous les habitants furent mis à mort. Une année plus tard, Souzdal et Vladimir, des villes russes importantes, furent prises et détruites. Puis, des villes d’Ukraine furent mises à sac (3). En 1241, la Hongrie, une puissance à l’époque non négligeable à l’Est de l’Europe, succomba à son tour à l’assaut mongol, après une spectaculaire bataille à Muhi où les Hongrois furent écrasés. En 1242, l’armée mongole se retira en bon ordre pour des raisons difficiles à identifier (mort du khan Möngkë ou épuisement des soldats mongols), ce qui sauva l’Europe. 

Ce qui nous intéresse dans cet épisode, c’est la cruauté particulière avec laquelle les Mongols  traitèrent leurs victimes. Des villes entières ont été détruites. Des traces de destruction ont été trouvées, de nos jours, à Riazan et à Kiev, où des charniers contenant des milliers d’ossements humains ont été exhumés au grand jour. Deux villes dont les populations, jadis si nombreuses, ont été considérablement réduites (4). Les pertes humaines furent si importantes qu’on raconte qu’à Riazan, il n’y avait plus aucune mère pour pleurer ses enfants et que des trésors ont été retrouvés dans certains endroits de Russie, leurs propriétaires n’étant jamais revenus pour les récupérer. Ils avaient été tués (5). 

On peut facilement observer, à travers cet épisode particulièrement meurtrier des conquêtes mongoles, que le comportement de ces conquérants n’avait pas substantiellement changé depuis les débuts de leur épopée sans merci. Ce peuple des steppes éprouvait une haine viscérale pour les sédentaires et était complètement dominé par son environnement violent et fruste.                 

L’invasion du califat abbasside 

Malheureusement, la culture militaro-sociale des Mongols fut d’une rare inhumanité lors de la grande invasion du califat abbasside. 

En 1258, la puissante armée mongole, placée sous le commandement de Hülagü, atteignit le Tigre et entreprit le siège de Bagdad, ville historique et dynastique des musulmans. En un mois, les troupes mongoles pénétrèrent dans la ville et détruisirent la quasi-totalité des édifices, tout en massacrant une bonne partie des habitants. Le calife, lui-même, a été piétiné par les chevaux mongols, ce qui mit un terme à la grande dynastie abbasside qui fut la fondatrice de l’âge d’or de l’Islam durant le Moyen-Âge.

La catastrophe fut sans égale. Toutefois, il ne faudrait pas attribuer à ce massacre des effets qu’il ne pouvait pas produire. Le déclin de la civilisation islamique avait, hélas, commencé bien avant.

A ce moment-là, le sort du monde musulman sembla scellé, du moins sur le plan politique et matériel. Mais un prodigieux miracle allait se produire. Les chroniqueurs musulmans parlent de la vaillance et du courage des Mamelouks, qui vainquirent l’armée mongole stationnée en Syrie, à Ain Djallout, en 1260. En réalité, Houalgü se retira en Mongolie en ramenant la plupart des soldats mongols. Les généraux en chef des armées revinrent avec la plupart de leurs soldats, parce que ces derniers devaient rejoindre leurs familles, selon la version officielle. Mais la vraie raison de leur retrait était tout autre. 

Qu’est-ce-qui explique que Hülagü n’était plus en mesure de revenir en Syrie et de venger la destruction de son avant-garde par les Mameluks, laissée toute seule dans ce pays très éloigné de la Mongolie ? La véritable raison de la fin de l’invasion mongole au Moyen-Orient est un véritable miracle historique.       

La conversion de Berké et de l’ensemble de la puissante Horde d’Or à l’Islam

Les historiens russes et européens évoquent les épisodes importants qui ont suivi la conquête mongole de la Russie et de l’Ukraine. Batu a joué un grand rôle dans l’émancipation de son khanat en Russie, en raison d’une légitimité et d’un apanage déjà accordé à son père Djötchï par son propre père, Gengis-Khan lui-même, et de ses victoires éclatantes remportées contre les Russes et les Hongrois.

Mais la séparation du Khanat de Russie n’a été complètement réalisée que grâce à sa conversion à l’Islam. A partir de 1266, les Mongols de Russie ont fait preuve de solidarité avec les autres musulmans. Ils ont, alors, complètement renoncé à la haine des sédentaires, préférant fonder des villes, s’établir sur les territoires et frapper leur propre monnaie. 

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Force est de constater que ce facteur, tellement décisif et important, n’a pas été estimé à sa juste valeur par les historiens. 

Par exemple, Lebedynsky affirme « L’éclatement de (l’empire mongol), qui s’étendait au milieu du XIIIe siècle de l’Ukraine à la Chine, fut causé par son immensité même, la diversité des traditions locales qui influencèrent vite les conquérants peu nombreux, mais aussi par les mésententes entre les descendants de Gengis-Khan et la formation de dynasties locales rivales » (6). 

Aussi importants soient-ils, ces facteurs ne pouvaient pas, à eux seuls, expliquer la séparation du Khanat de Russie. Le territoire mongol, à la mort de Gengis-Khan, était déjà très vaste et l’Empire de Kubilaï-Khan, en Chine, était colossal, s’étendant du Nord au Sud. Les traditions locales n’étaient pas également suffisantes pour adoucir subitement les Mongols et les transformer en gentils sédentaires.

Quant à la formation de dynasties rivales, elle ne pouvait jouer un grand rôle dès lors que la notoriété du grand Gengis était dans toutes les mémoires. Même des conquérants qui marquèrent de leur empreinte des époques plus tardives, comme le guerrier turco-mongol Tamerlan, au 14ème siècle, se réclamaient de lui, tellement l’aura de ce conquérant unificateur des Mongols était forte.

Avant la conversion à l’Islam des Mongols de Russie, Batu a joué un rôle majeur dans la direction des destinées de l’Empire, en plaçant sur le trône Möngkë, fils de Toulouï, en 1251. Il prépara ainsi le terrain à une autonomie, politique et stratégique, sur ses territoires de l’Ouest qui devait durer. L’ironie du sort a voulu qu’à la mort de Batu en 1255, son frère Sartakh lui succéda et on raconte qu’il était de confession chrétienne. Cependant, son règne ne dura que quelques mois. Il mourut vraisemblablement d’une maladie. Le fils de ce dernier fut placé sur le trône, mais lui aussi décèdera peu après.

Le sort en était jeté. C’est le second frère de Batu, Berké, qui fut intronisé Khan en 1257. Le sort du monde, et en particulier du monde musulman, était suspendu à un fil puisque, une année plus tard, Hulagü a assiégé Bagdad, et la ville fut aussitôt entièrement détruite par l’une des armées mongoles les plus puissantes.

Par un miracle historique, Berké se convertit à la religion islamique. Lebedynsky nous cite un récit d’al-Mufaddal décrivant notre illustre personnage « En ce temps-là, le roi Berké avait 56 ans. Il avait une longue figure jaune ; sa barbe était rare, ses cheveux ramenés derrière les oreilles. A une oreille pendait un anneau d’or avec une pierre précieuse à huit facettes. Il était coiffé d’un bonnet ; il portait un cafetan de soie serré par une ceinture de cuire vert de Bolghar orné d’or et garni de gemmes. Il était chaussé de babouches en chagrin rouge. Il n’avait pas d’épée, mais des poignards à manches courbes dorés et niellés étaient passés dans sa ceinture. » (7)

Lorsque Bagdad a été détruite par Hulagü et le calife mis à mort, le Khan Berké aurait dit : « il a saccagé toutes les villes des musulmans. Il a, sans consulter aucun de ses parents, fait périr le calife. Si Allah me seconde, je lui demanderai compte de tant de sang innocent » (8). 

Il est entré en contact avec les Mamelouks d’Egypte, après leur victoire sur le corps expéditionnaire mongol laissé par Hulagü, en 1261. Mais la menace mongole était toujours présente dans la région, puisque ce dernier créa le Khanat des Ilkhan en Perse. C’est alors que Berké signa un traité avec les Mamelouks en 1266 et entra en guerre contre Hulagü, en mettant à exécution un plan longuement préparé. En 1262, les troupes de Hulagü furent vaincues au bord du fleuve Terek, dans le Caucase. 

Cette défaite cuisante a complètement découragé le conquérant mongol de la Perse, le dissuadant de poursuivre la conquête des terres musulmanes. Berké a également menacé l’Empire byzantin et contraint Novgorod la Grande à recevoir les collecteurs d’imports mongols. Il a même adopté la notion de « guerre sainte » contre les Mongols de Perse. 

En fin de compte, la conversion à l’Islam du frère de Batu, le conquérant de la Russie, a soulagé les musulmans d’Egypte de la pression mongole, en mettant fin à l’expédition destructrice de Hulagü qui haïssait les musulmans en Orient. La raison de cette haine provient peut-être de l’influence de sa femme qui était nestorienne, alors que Berké était un musulman régnant sur les chrétiens de Russie. Il mourut en dirigeant une expédition contre le fils de Hülagü, Abakha. 

Il est clair qu’à ce moment-là, les Mongols de Russie avaient perdu leur esprit farouche, fruste et hostile envers les civilisations sédentaires, à l’image de Berké qui tissa des liens avec les Mamelouks d’Egypte et fonda sa propre capitale Saraï. Ce qui favorisa une sédentarisation rapide. En 1266, le khan Berké quitta ce monde en laissant un héritage solide : un Empire musulman qui a duré des siècles, régnant sur des territoires peuplés à majorité de chrétiens.

Son fils Mengü Temür consolida l’Empire et frappa sa monnaie, ce qui confirme son autonomie et sa souveraineté. Le revers d’un dirham d’argent, retrouvé dans le territoire occupé par ce khanat, datant de cette époque, portait la profession de foi musulmane  : « Il n’y a de Dieu qu’Allah et il n’y a pas son semblable ». (9)

En 1313, Özbek monta sur le trône. Il paracheva l’œuvre d’islamisation de l’Empire, supprima la plupart des vestiges du paganisme chamaniste et renforça les relations avec les autres Etats musulmans.  Ce qui est intéressant à savoir, c’est que les souverains mongols du Khanat musulman de la Horde d’Or ont été relativement tolérants envers les chrétiens et ont même autorisé le clergé orthodoxe à devenir autonome. 

La tolérance de ces souverains a été telle que la principauté moscovite a vu le jour, gagnant petit à petit une autonomie, jusqu’à son affranchissement de la tutelle de la Horde d’Or. On peut alors dire que la Russie moderne est le résultat de la tolérance des souverains mongols musulmans, successeurs de Berké.

Il faudrait ajouter à cette conclusion, le fait que l’histoire russe retient la mémoire d’Alexandre Nevski, prince de Vladimir, comme un héros fondateur de la Russie. Le film de Sergueï Eisenstein de 1938 en témoigne. Or, Alexandre Nevski n’a été qu’un collaborateur fidèle de la Horde d’Or, et c’est cette force dominante qui l’a autorisé à combattre les Suédois en remportant contre eux la victoire de la Neva, en 1240, puis contre les chevaliers de l’ordre teutonique qu’il écrasa près du lac Peïpous, en 1242. Ces victoires n’ont été rendues possibles que grâce à la bienveillance de l’Empire musulman, fondé par le grand Berké.

Ainsi la conversion des Mongols à l’Islam a été un évènement spectaculaire, peut-être même le plus important du Moyen Âge, car ses conséquences sont multiples et d’une grande portée : fin des carnages à grande échelle des populations et des destructions massives des cités ; survie de l’Islam comme existence matérielle et politique au Proche-Orient et en Afrique du Nord ; sédentarisation des Mongoles de Russie, la genèse de la Russie moderne, etc. 

Pourquoi cette grande histoire a été oubliée                     

Malgré son importance historique et politique, l’histoire de la conversion de la Horde d’Or à l’Islam et son rôle dans la défense des musulmans, au sein d’un vaste espace eurasien et moyen-oriental, n’est pas mentionnée dans les livres d’histoire dans les pays arabo-musulmans et semble être un sujet totalement méconnu chez les historiens de ces pays. On peut esquisser une explication qui s’articule autour des points suivants :  

  • L’Empire musulman fondé par Berké, sur la base du Khanat mongol de Batu, a été appelé dans l’histoire « la Horde d’Or », ce qui est une appellation impropre à un Empire de premier plan dans une vaste région s’étendant de l’Europe orientale à l’Asie centrale. Le dessein non révélé de cette appellation est de diaboliser les Mongols musulmans, de les montrer sous les apparences d’une horde, un groupe de nomades sanguinaires et non sédentaires. Lorsqu’on compare la description qui fut faite de l’Empire de Khoubilaï en Chine ou celui de Gengis-Khan en Mongolie – pour lesquels les historiens utilisent tout le vocabulaire impérial habituel – sans oublier celle de Khanat de Berké, on ne peut que conclure à une certaine islamophobie historique de la part des historiens occidentaux, qui ont repris à leur compte la description des historiens russes.  
  • Les historiens russes confondent souvent les Mongols du Khanat de Berké et les Tatars? qui sont une peuplade différente et nomade. 

Par ailleurs, ces derniers dissimulent des faits importants, comme la collaboration d’Alexandre Nevski avec le Khanat, alors qu’il apparaît, dans le film d’Eisenstein, sous les traits d’un prince totalement indépendant et affranchi de la tutelle mongole, ce qui n’est pas vrai.

Par exemple, en 1327, le khan Ozbëk chargea Moscou de réprimer la révolte de Tver (10), ce qui est la véritable date de naissance de cette principauté qui devait jouer plus tard un grand rôle. Ainsi, la naissance de la nation russe est étroitement liée au destin de ce khanat musulman en Europe orientale. 

Il est vrai aussi que ce dernier déclina pour plusieurs raisons, dont la plus importante n’est autre que la politique imprudente du Khan Tokhtamich, qui se laissa entraîner dans un conflit meurtrier avec Tamerlan, lequel avait envahi cet Empire en l’affaiblissant considérablement. 

L’histoire de l’Empire de Bérké devait naturellement être complètement occultée dans un contexte marqué, au 18ème siècle, par la colonisation russe en Asie centrale et par l’émergence de l’Empire ottoman qui vassalisa l’un des derniers vestiges de ce grand Empire, le Khanat de Crimée après la destruction des khanats d’Astrakhan et de Kazan, en1556, et en 1552 par la Moscovie. 

La période soviétique a été marquée par un véritable déni de l’histoire de ce khanat, sous la bannière d’une idéologie qui se voulait universelle, mais qui échoua lamentablement à l’époque moderne. 

Néanmoins, les Turco-mongols musulmans ont gardé un héritage remarquable sur le plan culturel et artistique, un héritage certes influencé par les cultures islamiques du Moyen-Orient, mais aussi par l’Europe orientale. Leur conversion à l’Islam allait constituer un rempart solide face aux invasions destructrices des autres khanats mongols chamanistes, et accéléra la conversion de presque la quasi-totalité des Mongols à l’Islam. On peut dire que, sur le plan historique, l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan, sans compter les Tchétchènes du Caucase, sont les dignes successeurs de cet Empire musulman qui a marqué l’histoire de l’Europe orientale et de l’Asie centrale. 

Conclusion          

Il est temps de réécrire une nouvelle histoire de l’Islam qui puisse décrire l’héritage précieux laissé par ces peuples musulmans non arabophones, au-delà bien entendu des Ottomans, et leur rendre justice. Car ces peuples ont joué un grand rôle dans son histoire et sa défense contre toutes sortes de destructions apocalyptiques, au nom d’une solidarité islamique globale et universelle. 

Le point de départ de cette histoire n’est pas la conversion de Berké à l’Islam, mais plutôt celle des Turcs, à la fin du neuvième siècle, lorsque le califat abbasside cessa de s’étendre en Asie. La fin de cette politique expansionniste s’explique tout simplement : les musulmans, en règle général et contrairement aux chrétiens, ne pratiquent pas l’esclavage sur d’autres musulmans, ce qui provoqua l’évènement le plus important de l’histoire : la conversion à l’islam des Turcs et des Mongols. 

Les conséquences de cette conversion sont incommensurables : l’entrée de l’Islam en Inde et en Asie centrale au neuvième siècle, la conversion des Mongols à l’Islam au treizième siècle et la fondation de l’Empire ottoman à partir du quatorzième siècle, mais aussi la naissance des Mamelouks d’Egypte, venus du Caucase. 

Ce qui compte finalement dans l’étude de l’Histoire, ce n’est pas le nationalisme mais l’universalisme, dont la religion a été, qu’on le veuille ou non, un grand ferment et un socle indestructible.  

A lire sur Oumma :

«L’islamophobie intellectuelle : une critique». La saine critique de Rafik Hiahemzizou dans un essai éclairant

 

(1) Ratechnevsky, Paul. Genghis Khan : Hus Life and Legacy. P.120.
(2) Iaroslav Lebendysky La Horde d’Or, conquête mongole et joug tatar en Europe 1236-1502, Editions Errance, Arles, Paris, 2013, Acte Sud, p. 26.
(3) Ibid.
(4) Ibid., p. 31.
(5) Ibid.
(6) Ibid., p. 32.
(7) Ibid., p. 35-36.
(8 )Citation de Rachid-ad-Dîn rapportée par Lebedynsky, ibid., p. 37.
(9) Ibid., p.40.
(10) Ibid., p. 44.

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