in

Tariq Ramadan, le juste !

En lisant attentivement l’article de Tariq Ramadan sur « les nouveaux intellectuels communautaires », on en vient à se demander si le tollé soulevé par ses détracteurs n’était pas, en réalité, motivé par d’autres raisons que celles qu’ils ont bien voulues nous expliquer. Partisan, sur la scène internationale, d’une vison universaliste qui place la défense de l’homme et de ses inaliénable droits au centre de ses préoccupations, militant infatigable, depuis toujours, d’une coexistence pacifique entre les croyants des religions monothéistes, Tariq Ramadan s’est aussi distingué, au sein des communautés musulmanes vivant en Europe et en Amérique du nord, pour ne parler que de celles-ci, par des positions sages et modérées qui tranche singulièrement avec l’étiquette d’extrémisme ou d’antisémite que ses procureurs essayent, en vain, de lui accoler.

En condamnant avec force les lâches attentats de New York et leurs auteurs, sans jamais succomber à la tentation, comme l’ont fait d’autres, d’établir un quelconque lien, de cause à effet, entre ces mêmes attentats et les dérives, par ailleurs réelles et révoltantes, de la politique « impériale » des États-Unis dans le monde arabo-musulman, en défendant, sans complaisance ni concession, s’agissant du conflit israélo-palestinien, le droit imprescriptible des Palestiniens à disposer d’un État fiable et en même temps celui des Israéliens à jouir, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, de la paix et de la sécurité à l’intérieur du leur, Tariq Ramadan assume dans la clarté des principes énoncés et assumés sa responsabilité d’intellectuel et de penseur musulman engagé. En fustigeant fermement le statut de mineur dans lequel certains Musulmans persistent à confiner les femmes musulmanes, en condamnant, systématiquement, les violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales dont se rendent, régulièrement, responsables des régimes arabes et musulmans, en plaidant pour l’instauration, dans le monde musulman, d’une démocratie qu’il juge, par ailleurs, parfaitement compatible avec l’islam, en prenant systématiquement le parti des sans voix (marginaux, pauvres, et opprimés) dont il essaie, par d’au-delà les frontières nationales, politiques ou religieuses de fédérer l’action et l’engagement, Tariq Ramadan doit, sans nul doute, savoir qu’il dérange et qu’il se fait ainsi beaucoup d’ennemis. Mais il ne s’attendrait certainement pas à compter, un jour, parmi ses ennemis de respectables intellectuels Juifs, avec lesquelles il croyait partager les mêmes valeurs universelles et les mêmes idéaux de justice et de liberté. Il ne devrait, sans aucun doute, pas s’attendre, pour avoir reproché à certains d’entre eux, à juste titre, de faire -par réflexe de solidarité communautaire avec Israël- une lecture biaisée du monde et des relations internationales, d’être, arbitrairement, montré du doigt par ces mêmes intellectuels qu’il respectait tant, comme un vulgaire antisémite1. Tariq Ramadan devrait être légitimement déçu par « ses » collègues et surtout profondément blessé par les procédés peu honnêtes et peu décents, il est vrai, dont ils ont usé à son égard pour le salir et ternir sa réputation2. Et on le comprend. Car rien dans sa pensée ni dans son éducation ne laisse supposer une quelconque animosité ou haine à l’égard des Juifs ni d’ailleurs à l’égard d’une autre race, confession, ou religion. Après tout rien n’est plus insupportable pour Tariq Ramadan, qui a consacré, faut-il le préciser, son énergie et son temps à défendre le principe de la coexistence pacifique entre les croyants des trois religions monothéistes et qui n’a cessé de combattre, avec l’énergie du désespoir, toutes les formes de dérives et d’extrémisme au sein de sa propre communauté musulmane, que la haine, qu’elle soit raciale ou religieuse3. Tous ceux et celles qui l’ont côtoyé de plus près ou qui sont familiers avec ses œuvres vous le diront. Car quel que soit le sentiment que l’on éprouve à l’égard du philosophe et du penseur, l’on ne peut pas ne pas reconnaître que la pensée du juste milieu4 qui inspire et motive ses attitudes et ses prises de position le met à l’abri de tout excès ou dérive de quelque nature que ce soit. Ce que même ses implacables « procureurs » ne peuvent pas ne pas prendre en compte, eux, qui, tantôt, pour le salir et ternir sa réputation, recourent à l’invective5, tantôt, concentrant leur énergie et leur attention sur l’analyse de ses racines biologiques, l’orientation philosophique de ses aïeuls, son pays d’origine, pour accréditer leurs thèses farfelues et ridicules de son antisémitisme « héréditaire » et de son extrémisme « génétique » incurable6 !!

Non, Tariq Ramadan n’est pas antisémite7 ! Mais il n’est pas non plus le penseur arabe ou musulman de service, qui, pour des raisons de carrière ou d’ambitions personnelles, serait prêt à ravaler sa fierté, sacrifier ses principes et ses valeurs pour approuver les attitudes et la philosophie des « vainqueurs » ou des puissants du moment ! Car, ne nous trompons-nous pas, c’est, bel et bien, de cela qu’il s’agit à travers la tempête médiatique suscitée ces derniers temps autour de son article sur les intellectuels communautaires.

Vouloir mettre à l’index Tariq Ramadan parce qu’il a eu le courage d’affirmer que le soutien apporté par certains journalistes et philosophes juifs à la politique criminelle mise en œuvre par Ariel Sharon8 relève d’un réflexe communautaire est plus qu’une attitude mesquine, sournoise et perverse, une machination révoltante destinée, au-delà de la volonté de châtier de façon exemplaire le penseur musulman, d’imposer le silence à tous ceux et celles qui seraient tentés, à l’avenir, de contrarier les desseins hégémoniques de l’État d’Israël.

Au nom de quoi voulait-t-on que le simple fait d’être Juif soit, en soi, une garantie ou une immunisation contre l’erreur et la bêtise ? Au nom de quelle morale ou éthique voulait-on que les assassinats et les massacres des Palestiniens par le gouvernement Sharon soient considérées comme de simples « mesures de sécurité » légitimes alors que les actes de résistance que ces mêmes assassinats sauvages et aveugles suscitent, légitimement, au sein de la population palestinienne soient mises sur le compte du terrorisme ou du fanatisme religieux ? En voulant mettre l’assassin Sharon et ses lieutenants, au dessus de tout soupçon parce qu’ils sont des Juifs, ne courrait-on pas le risque de consacrer- au nom de quel droit et de quel principe ?- la supériorité d’une race, d’une confession sur toutes les autres ? Pourquoi persiste-t-on, d’une part, dans certaine presse française, à traîner, avec une belle conscience, les Arabes et/ou les Musulmans, pris individuellement et collectivement sinon pour de sanguinaires terroristes du moins pour de méchants intégristes fanatiques, dans la boue, et se mettre, sans jugement ni discernement, à lyncher quiconque osant suggérer, arguments à l’appui, comme l’a fait Tariq Ramadan, que tels journalistes, tels philosophes, de confession juive, ne rendent service ni à leur communauté propre, ni à l’humanité, dans son ensemble, en faisant leurs, par réflexe communautaire, une vision erronée du monde qui ne tient compte que des intérêts spécifiques et exclusifs de l’État d’Israël ?

Il est temps de revoir ces paramètres et ces critères de jugement. Il est aussi temps de dénoncer, avec vigueur et fermeté – ce que Tariq Ramadan n’a pas manqué, en la circonstance de faire- le raisonnement absurde et injuste voulant que l’Arabe et/ou le Musulman, quoi qu’ils fassent, soient toujours dans le tort et que les hommes et les femmes, de confession juive, quoi qu’ils disent ou fassent, aient toujours raison !! Il est temps de refuser le chantage permanent à l’antisémitisme voulant que quiconque critique soupçonne des Juifs soit tenu pour un Nazi ou un Fasciste. Il est, enfin, temps d’admettre non seulement que des Musulmans, des Chrétiens, et des Arabes peuvent, bel et bien, se tromper, mais il faut reconnaître aussi et accepter que des hommes et des femmes de confession juive peuvent également se tromper et, parfois, même se montrer injustes !

Pour pouvoir en juger, la meilleure façon est de privilégier, au lieu des réflexes communautaires, les valeurs universelles de justice et d’équité et les prendre pour les seules mesures qui devraient nous permettre de dire, en tout temps et en tout lieu, le droit et ainsi pouvoir nourrir l’ambition et l’espoir de mettre fin, en tout temps et en tout lieu, à l’impunité et au crime, et ce, quelles en soient, par ailleurs, les origines des auteurs, leurs races ou leurs confessions !

Notes :

1 Dans une interview parue dans le Figaro du 31/10/03, d’Alain Finkielkraut n’hésite pas par un amalgame des genres déroutant à comparer Tariq Ramadan à Le Pen, le leader de l’extrême droite française.

Publicité
Publicité
Publicité

2 Dans un article paru dans le Monde du 11/06/2003, Bernard-Henri Lévy n’hésite, par le moyen d’un truquage et de collages de citations, sorties, de leur contexte, procédé peu digne d’un intellectuel de son envergure, de faire dire à Ramadan, sur des sujets sensibles, le contraire de ce qu’il pensait.

3 L’islam en question, avec Alain Gresh, Sindbad-Actes Sud, octobre 200.

4 Voir, entre autres, ses ouvrages, Le face-à-face des civilisations. Quel projet pour la modernité ? Tawhid, 2001, Les Musulmans d’Occident et l’avenir de l’islam, Actes Sud, 2003

5 Voir la déclaration de Bernard Kouchner, dans le Nouvel Observateur du 11/11/2003, traitant Tariq Ramadan de « crapule intellectuelle. »

6 Voir, « Épître à Tarik Ramadan » in le Figaro du 16/10/2003

7 Pour s’en convaincre, voir son article dans le Monde du 24/11/2001

8 Sur la complaisance de certains milieux occidentaux à l’égard de la politique d’Ariel Sharon, voir l’édifiant éditorial de Béchir Ben Yahmed, “Match truqué”in Jeune Afrique l’Intelligent, du 25 au 30 mars 2001.

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

La fonction de la poésie comme lieu de manifestation des réalités supérieures chez Ibn Arabî (partie 2 et fin)

L’Axe du Mensonge et Le Conseil d’Insécurité (partie 2 et fin)