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Spiritualité et changement de paradigme

La crise morale et financière que traverse l’Unesco est un symptôme éloquent de la crise globale du Sens qui affecte actuellement l’humanité. D’après les grandes traditions spirituelles, nous vivons la fin d’un cycle majeur de cette humanité, et ceci apparaît avec d’autant plus d’évidence que cette ‘‘descente’’ à la fin du cycle a pour corollaire une accélération des processus globaux à l’œuvre dans le monde.

Par exemple, notre vécu du temps et de l’espace n’a plus rien à voir avec celui de nos grands-parents, et la révolution informatique est assurément l’un des principaux bouleversements qu’a connus l’humanité. En fait, nous vivons en direct l’échec du type de ‘‘modernité’’ imposée dès le XVIe siècle par l’Europe au monde, et relayée au XXe siècle par les États-Unis. Cette modernité [- car les différentes civilisations humaines ont proposé par le passé d’autres types de modernité -] est en définitive schizophrène, puisqu’elle promettait un « progrès » matériel, techno-scientiste, sans se soucier aucunement de l’évolution spirituelle de l’humanité.

C’est ainsi que l’émir Abdelkader, fondateur au XIXe siècle de l’État algérien mais avant tout spirituel musulman ancré dans l’universel, a accompagné le progrès technique des Européens, tout en les avertissant que le « ciel » allait se refermer sur eux.

La conscience humaine actuelle, entraînée par ce modèle occidental tout en en constatant de plus en plus l’aberration, se révèle pour l’instant incapable de faire émerger une éthique globale, fondée sur ce que j’appelle « l’humanisme spirituel » : on le constate tous les jours dans le champ géopolitique.

Or, qu’on le veuille ou pas, qu’on en soit conscient ou non, nous sommes en train de changer de paradigme : après avoir expérimenté le mythos – l’ère du mythe- et le theos – l’ère du théologique-, l’humanité doit maintenant passer du logos au holos, ou ‘‘conscience universelle’’. Nous devons – car nous n’avons guère le choix – nous affranchir de la dictature non pas de la raison en tant que telle, mais d’une « raison » instrumentalisée, d’un logos asservi à l’utilitarisme et au profit partisan, unilatéral.

Nous devons nous dessaisir d’une vision borgne, car unidimensionnelle, du monde, pour recouvrir une vision ‘‘en relief’’, où se croisent verticalité et horizontalité, raison et intuition, conscience de l’universel et conscience du local, expérimentation dans le monde phénoménal et expérience intérieure, etc. Ceci est déjà en train de se faire, mais avec des tensions majeures du fait de l’importance des enjeux. La conscience holistique sait bien que nous sommes tous interdépendants, et que nuire à autrui c’est nuire à soi-même.

Le soufi Ibn ‘Arabî (m. 1240) nous dit que nous baignons dans l’illusion de vivre dans des corps ou des entités autonomes ; en réalité nous sommes tous reliés par la trame à la fois unique et complexe de la vie. Le fameux « effet papillon » a été exploré depuis longtemps par des spirituels de toutes les traditions.

Ainsi, nous n’avons d’autre choix que de délaisser le modèle pyramidal, établi sur le seul ‘‘avoir’’, sur l’injustice, la compétition, la dualité, l’hypertrophie du mental calculateur, pour nous inscrire dans le modèle du cercle qui donne la priorité à ‘‘l’être’’, à l’égalité (il n’y a ni premier ni dernier dans un cercle), au principe d’une Unicité généreuse qui englobe la multiplicité du vivant. C’est là un modèle qui donne son droit à chaque niveau de l’être. Dans l’histoire de l’humanité, la civilisation issue de la modernité occidentale est la seule à avoir nié l’existence des plans de l’être autres que le plan matériel.

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Il est vrai que les religions elles-mêmes ont parfois versé dans ce que le lama tibétain Trungpa appelait le « matérialisme religieux ». Elles imposent parfois une vision réductionniste, mutilante, de la réalité tout autant que le positivisme techno-scientiste. La spiritualité va-t-elle se distinguer des religions instituées, pour prendre des formes plus diffuses, plus laïques ?

C’est un mouvement qui semble à l’œuvre aujourd’hui. De la même façon, si certains auteurs tels que le métaphysicien français René Guénon (m. 1951) ont espéré que l’Orient féconde l’Occident afin que celui-ci retrouve une harmonie entre esprit et matière, force est de constater que la tentation consumériste touche actuellement toute société humaine, chacune selon son cycle d’évolution propre.

En vérité, ce qu’on appelle la postmodernité signe la fin des certitudes, et c’est là l’un des avantages de la révolution informatique : l’hypocrisie du système de gouvernance mondiale se révèle chaque jour davantage ; les faux-semblants tombent et, pour reprendre une expression soufie mais qui est aussi celle du physicien Bernard d’Espagnat, « le Réel voilé » se dévoile… L’on peut même mesurer précisément aujourd’hui l’angoisse générée chez l’homme par la globalisation sauvage et l’impérialisme du techno-capitalisme, ainsi que son impact sur la santé psychique et physique de l’homme, sans parler des autres règnes.

La spiritualité a pour vocation d’ouvrir le champ cognitif humain à l’universel, à la présence de l’autre, quel qu’il soit. Dans un contexte de désagrégation des
repères, et d’une multipolarité encore confuse sur le plan géopolitique, la spiritualité nous apprend à nous déconditionner de nos fausses identités, lesquelles sont secrétées par l’ego : je pense notamment, dans le contexte de l’Unesco, aux nationalismes étatiques, qui font tant de dégâts dans le monde actuel.

Elle nous apprend encore à nous départir de la logique binaire exclusiviste (oui ou non, toi ou moi), pour accéder à une supra-logique inclusiviste, appelée le « tiers inclus » par certains physiciens : oui et non, toi et moi, car en définitive c’est Lui – qu’on l’appelle le Principe, Dieu ou autre – qui nous régit.

Ceux qui se nourrissent du système de gouvernance politico-économique actuel savent très bien que, du fait de l’hégémonie de ce système, l’humanité va droit dans le mur. Ils en appellent même à une république mondiale, à un conseil universel des sages.

Certes, nous sommes tous pétris de contradictions – et pas seulement eux- mais un travail sur soi s’impose, dans l’urgence, afin de faciliter la transition entre ce monde finissant et celui qui doit naître. Le travail sur soi, on le sait, est un préalable de toute démarche spirituelle, et il concerne à la fois l’individu, l’Etat et l’humanité tout entière.

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