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La souveraineté, fantôme de l’élection présidentielle ?

Visuel mire commission - Le peristyle, la colonnade et le fronton du Palais Bourbon avec drapeaux - photo retouchée

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la campagne électorale relègue à l’arrière-boutique les questions essentielles. Quel rôle jouera la France dans le monde de demain ? Va-t-elle rendre le pouvoir au peuple, ou le laisser entre les mains de l’oligarchie ? Va-t-elle restaurer sa souveraineté, ou se résigner à sa disparition ? Que ces questions soient quasiment absentes du débat est révélateur. A leur place, des politiciens drogués à la “com” et des médias serviles nous servent une soupe insipide où surnagent quelques grumeaux faits d’histoires de pognon, de mises en examen, de costumes à 3 000 euros, sans oublier les postures ridicules et les tirades alambiquées du candidat dont il faudrait être frappé d’une profonde cécité pour ne pas voir qu’il a été adoubé par la caste dominante.

La souveraineté est une question que la plupart des candidats, manifestement, mettent un soin particulier à éluder. En dépit de leurs différences, Emmanuel Macron, François Fillon et Benoît Hamon, pour ne citer qu’eux, s’accommodent fort bien de cette chape de plomb qui étouffe la délibération démocratique et tétanise l’action publique dans notre pays. Il n’y a qu’à les écouter ! Que ce soit au plan économique, diplomatique ou stratégique, ce vieux pays qu’est la France serait condamné à suivre les vents dominants. Il n’aurait qu’à descendre la pente de cette merveilleuse mondialisation qui rapproche les peuples et répand ses bienfaits, notre nation se laissant glisser dans l’indifférenciation à laquelle la convie le modèle européen, comme si cette libéralisation à marche forcée était une nécessité historique.

Pour la caste nourrie au lait maastrichtien, l’appartenance à l’Union européenne est à la fois providentielle et irréversible. M. Hamon est sans doute plus fédéraliste que M. Fillon, et M. Macron davantage encore, mais cette différence est négligeable. Dans une belle unanimité, les trois larrons de l’eurobéatitude chantent les louanges de la supranationalité et communient dans le dogme de la libre concurrence. L’euro est responsable du déclin industriel français, mais peu importe. Ils s’obstinent à y voir un atout dans la compétition économique mondiale. Jamais à court d’une idée saugrenue, M. Hamon croit tellement à ses vertus qu’il veut doter l’Europe d’un nouveau machin qu’il a baptisé “parlement de la zone euro”. Comme la supranationalité est un fiasco, on vous la ressert au carré en guise de remède ! Une chose est sûre : pièce maîtresse de la mondialisation capitaliste, “l’union économique et monétaire” instituée par le funeste traité de Maastricht continuera de sévir si l’un de ces trois candidats l’emporte le 7 mai.

Rien d’étonnant, donc, si pour nos pieds nickelés l’appartenance de la France à l’OTAN est aussi un article de foi qu’ils ne songent même pas à interroger. Le dogme atlantiste est si profondément enraciné, du PS aux « Républicains », que la pérennité de cette alliance militaire va de soi, comme s’il était vital pour la France de servir les ambitions de Washington. Les velléités d’indépendance de M. Fillon, sur ce plan, furent de courte durée. D’abord favorable au dialogue avec Moscou, il a mis de l’eau dans son vin au moment où l’administration Trump a viré de bord dans la foulée de la démission de Michael Flynn, conseiller à la sécurité nationale contraint de quitter ses fonctions en raison de ses accointances moscovites. On croyait que pour M. Fillon, il fallait dialoguer avec la Russie pour rééquilibrer notre diplomatie, mais il vient de déclarer que la Russie est un “pays dangereux”. Même revirement sur la Syrie. Après avoir condamné le soutien apporté par la France aux islamistes armés, il dénonce en Bachar Al-Assad un menteur invétéré et un dictateur abominable. Comprenne qui pourra. Plus atlantiste que l’alliance atlantique elle-même, M. Macron, lui, n’a pas cette subtilité. Adorateur d’une Amérique imaginaire, il s’est payé le luxe de faire la leçon au nouveau président américain, lui reprochant de brader les valeurs libérales (entendez, le libre-échangisme cher à l’oligarchie) qui constitueraient le patrimoine commun de la France et des Etats-Unis depuis La Fayette.

Ce sera donc du côté des autres candidats, et non de cette troïka, que l’on pourra entendre un discours sur la souveraineté qui ne se résume pas à son abandon en rase campagne. C’est notamment le cas avec Marine Le Pen, dont la présence au second tour est prophétisée par des instituts de sondage dont nous ne doutons pas qu’ils sauront capter avec finesse le moindre frémissement de l’opinion avec leur efficacité coutumière. Si jamais elle est élue, Mme Le Pen entend renégocier les traités européens. En cas d’échec de ces négociations (ce qui est plus que probable), la nouvelle présidente organisera dans les six mois un référendum sur la sortie de l’UE. De même, en politique étrangère, la candidate du FN a toujours dénoncé l’alignement de Paris sur l’agenda américain, que ce soit en Syrie ou en Ukraine, et elle plaide avec ferveur, à juste titre, pour une reprise du dialogue avec Moscou.

La classe politique euro-boboïsée ayant laissé au FN le monopole du discours sur la souveraineté, il n’est pas surprenant que ce parti ait occupé l’espace qu’on lui abandonnait si généreusement. Mais de quelle souveraineté s’agit-il ? Contrairement à ce que croient certains, Marine Le Pen ne veut pas rompre avec l’alliance atlantique. A la différence de MM. Mélenchon et Asselineau, elle prévoit le retrait de la France du commandement intégré, et non la sortie pure et simple de l’OTAN. A ses yeux, la France fait partie d’un monde occidental dont il faut préserver à tout prix l’identité menacée. Peut-être l’élection de Donald Trump a-t-elle convaincu Mme Le Pen, en outre, que la France devait rester l’alliée des Etats-Unis. Renouant avec la tradition atlantiste de l’extrême-droite européenne, le FN demeure prisonnier de son occidentalisme.

Son attitude pro-israélienne en fournit aussi l’illustration. Lorsque la résistance palestinienne réplique à l’envahisseur sioniste, le FN ne se prive jamais de dénoncer le “terrorisme”. Dans une interview accordée à “Haaretz” en avril 2002, Jean-Marie Le Pen avait exprimé son admiration pour Ariel Sharon, louant son efficacité dans la lutte contre les organisations palestiniennes. Répondant en expert israélien à cet expert français des guerres coloniales, Ariel Sharon avait déclaré à son tour que si on lui avait confié, à lui, la direction de l’armée française, il aurait “gagné la guerre d’Algérie”. Bref, si le FN était sincèrement attaché à l’auto-détermination des nations, il soutiendrait le peuple palestinien. Manifestement, ce n’est pas le cas.

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De même, son islamophobie (qui n’a rien à voir avec la lutte, parfaitement légitime, contre l’islamisme radical) vise à désigner un bouc-émissaire. Mais elle sert aussi la thèse du “choc des civilisations”. Elle érige la différence culturelle en frontière infranchissable, comme si la souveraineté était celle d’un peuple français dont le FN détiendrait le code génétique. C’est la limite du discours identitaire, qui suppose la définition a priori d’une identité nationale dont on a envie de demander : qui a déposé le brevet ? C’est pourquoi le nationalisme identitaire divise au lieu de rassembler. La souveraineté n’appartient à personne, elle est construite et non reçue. “Est Français celui qui le veut”, disait de Gaulle. Le malheur de l’extrême-droite, c’est qu’elle a une longue histoire et que tout le monde n’est pas amnésique. Ce parti fut le seul à défendre obstinément le régime d’apartheid sud-africain, ne l’oublions pas. Il a peut-être changé, mais son héritage colonialiste lui colle aux semelles.

Loin de ces confusions délétères, le programme de la “France insoumise” se réclame, lui, d’un “indépendantisme français” qui renoue avec les meilleures traditions de la gauche populaire, celle de 93, de la Commune et de la Résistance. “L’Europe, on la change ou on la quitte”, a déclaré M. Mélenchon. Il veut renégocier les traités européens (plan A). En cas d’échec, la France “désobéira aux traités” et refondera l’Europe avec les pays qui partagent ses priorités (plan B). Ce scénario alternatif présente un avantage et un inconvénient. L’avantage, c’est qu’il signifie clairement le refus de l’Europe des banquiers. L’inconvénient, c’est qu’il élude la question de la sortie de l’UE. Ce n’est pas pour rien que les dogmes libéraux sont inscrits dans le marbre des traités européens. Ils sont la raison d’être de l’Union, et pour les jeter aux orties, il faudra sortir de l’UE. On ne peut restaurer la souveraineté qu’en rompant avec une institution dont la fonction est de soustraire l’économie à la délibération démocratique. Si M. Mélenchon est élu, de toutes façons, la “force des choses”, comme disait Saint-Just, imposera cette rupture malgré la frilosité de ses amis.

Pour restaurer la souveraineté nationale, le candidat propose aussi aux Français de dire adieu à l’OTAN, cette machine de guerre mise au service d’une Amérique d’autant plus agressive que plane sur sa tête l’ombre menaçante de son déclin. Pour la “France insoumise”, le choix est clair. Quitter l’OTAN, ce n’est pas seulement quitter le commandement intégré, mais l’alliance atlantique elle-même. Consommer cette rupture, c’est mettre fin à l’alignement de la France, se donner les moyens d’une diplomatie planétaire, faire entendre une voix indépendante sur la scène mondiale. Le dialogue avec la Russie, la refonte de nos relations avec l’Afrique, la reconnaissance de la Palestine, la révision de notre politique en Syrie, enfin, seront à l’ordre du jour. Aucune force politique n’est exempte d’insuffisances, mais l’ambition dont témoigne “l’indépendantisme français” est de bon augure.

La question de la souveraineté n’est pas une question accessoire. C’est la question essentielle. Lorsqu’une nation n’est pas souveraine, le peuple qui l’incarne ne l’est pas, et un peuple qui n’est pas souverain est à la merci des puissants. Restaurer cette souveraineté et rendre la parole au peuple, c’est la même chose. Il reste vingt jours, désormais, pour remettre cette question au centre des débats, vingt jours pour faire de la souveraineté autre chose qu’un fantôme, vingt jours pour mettre en lumière la différence entre ceux qui s’accommodent de la dépossession du peuple français, ceux qui se croient patriotes parce qu’ils désignent des bouc-émissaires, et ceux qui veulent faire de la souveraineté restaurée la cinglante défaite de l’oligarchie.

(Ce texte est la version modifiée d’une chronique parue dans le numéro d’avril 2017 d’”Afrique-Asie”)

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9 commentaires

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  1. Bonjour mr Guigue,
    C’est un excellent article qui dresse bien le portrait des candidats cités.
    Mais je suis très étonné que vous n’ayez rien dit sur François Asselineau !!
    Et pourtant il est le seul ayant créé son parti UPR il y a 10 ans ,10 ans de cela pour faire sortir la France de l’union Européenne, de l’Euro et de l’OTAN. Et c’est d’ailleurs inscrit dans la charte fondatrice de UPR. Donc pour rétablir la Démocratie.
    Comment pourriez-vous mr Guigue ignorer un tel candidat qui est le seul à proposer le FREXIT car il a su le premier établir le bon constat et ses analyses ont été confirmées au fur et à mesure par les événements.
    En conclusion je trouve que c’est extrêmement injuste d’occulter M. Asselineau car aujourd’hui ce sont ses idées qui sont reprises par melenchon et le pen faute de n’avoir pu accéder aux médias que récemment du fait de la censure qu’il a subi malheureusement.

  2. C’est bien d’essayer de parier sur son cheval, la réalité de la démocratie française est autrement plus troublante. On sait déjà que la candidate d’extrême droite sera présente au second tour: y-a-t-il un pilote dans l’avion? C’est une chose que de se lancer dans un vote ras-le-bol, c’en est une autre de risquer d’envoyer à l’Élysée un individu qui n’a toujours pas compris que la guerre d’Algérie est terminée, qui croit que le retour au franc va sauver l’économie, ou que le retrait de l’Union Européenne va permettre à la France de tenir tête à la Chine ou aux États-Unis. A ce jour toutes les municipalités dirigées par le FN ont fini dans une crise ou un désastre, que pensez-vous qu’il va se produire à l’échelle nationale?
    Puis il y a ce pauvre Fillon, M. Propre pourri jusqu’à la moelle. Hamon, dans un Parti Socialiste qui est passé en mode auto-destruction. Macron, l’automate aux mains de la grande finance, expert en retournements de veste. Mélanchon qui parle comme Zola, qui n’a toujours pas compris qu’on est au XXIème siècle, pas en train de rejouer la Commune.
    La France doit se sevrer des politiciens professionnels, qui croient que “leur tour est venu” parce qu’un jour ils ont été ministres. Au contraire, toute participation dans un gouvernement qui a échoué , qui n’a pas tenu ses promesses, devrait être la preuve que tel ou tel ne saura jamais être un bon président. Il faut quelqu’un de la société civile, dont la priorité serait la remise à plat de la notion de travail, de l’inclusion absolue de l’écologie dans l’économie, de la fin de l’assistanat d’État (une forme d’indignité), et d’un arrêt du complexe militaire et du business de la guerre.

  3. Cet article, très brillant, et bien informé va comme toujours au fond des choses. Mais il débouche sur un constat quelque peu déprimant : dans l’état actuel du rapport des forces, il serait miraculeux que Mélenchon soit élu. Comme le pense Bruno Guigue, il faut néanmoins voter pour lui : le résultat d’une élection, ce n’est pas seulement le nom d’un candidat, c’est aussi le nombre des suffrages obtenus, qui, s’il est significatif, contribuera à créer les conditions d’un authentique changement. Les deux favoris et leur concurrent sont sur une même ligne atlantiste ; le vainqueur n’aura d’autre liberté que celle que lui laisseront ses employeurs, de distribuer des postes à ses amis et d’acheter des vêtements de luxe. C’est pourquoi, étant entendu une fois pour toutes que le PS n’est qu’une droite masquée, et que le FN est un épouvantail agencé pour effrayer les petits bourgeois, il vaut mieux éviter de diviser les électeurs de la gauche : M. Asselineau est certes sympathique, mais sans organisations de masse, cette sympathie n’est qu’un agréable accessoire.

    • l’UPR a en quelques mois atteint 22 000 membres, surtout des jeunes des quartiers populaires, ce qui en fait le quatrième parti de France par le nombre d’adhérents, dépassant la France insoumise et le PG. Il pose les bonnes questions et forcera Melanchon soit à démontrer qu’il reste lié aux vieux dogmes européistes trotskysto-PS relookés soit à rejoindre le terrain déjà bêché par Asselineau. En finale, ce qui compte, ce n’est ni le résultat des deux tours des élections présidentielles, ni même les deux tours des législatives, c’est le 5e tour social qu’il faut préparer et, pour cela, il faut gagner la bataille des idées. Et là, l’argumentaire de l’UPR est implacable. Il faut passer par cet argumentaire pour pouvoir progresser plus loin et aller au peuple.

    • Mélenchon a toute les chances d’être élu, si tous le monde se mobilise , et entre autre que Monsieur Asselinau ne capte pas les voix de pour son vote futile . Je ne comprend pas cette fascination irrationnelle pour cet homme..sans doute ai-je trop de culture politique pour me laisser séduire par ses paroles …

  4. oui, mais à Rome, Melanchon a déclaré que son plan B n’existait pas puisqu’il excluait de quitter l’UE. Il pensait sans doute qu’on ne l’entendrait pas jusqu’en France. Il n’y a donc que Asselineau pour prôner à la fois la souveraineté du peuple et l’égalité de tous les citoyens indépendamment de leurs origines ou appartenances.

  5. Ainsi Sharon aurait”mâté” la rébellion algérienne si..si seulement ma tante l’avait voulu. Il a même pas été capable de régler le”problème “palestinien au Liban, fomentant lâchement avec les phalangistes pour faire le sale boulo, en ce qui deviendra le massacre de Sabra et Chatila.
    Les algériens sont habitués aux frasques médiatiques des dirigeants israéliens qui font bcp de bruit pour effrayer la galerie.

  6. Sharon aurait maté la rébellion algérienne si .si ma tante l’avait voulu. Il a meme pas été capable de régler le “problème “palestinien , fomentant lâchement avec les phalangistes pour faire le sale boulo dans ce qui deviendra le massacre de Sabra et Chatila. Il est vrai pour “otan” que les dirigeants ou encore généraux israéliens sont réputé pour le “grand “courage” face à la guerre mais ceci est une autre histoire.

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