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Sous la burqa, y a-t-il un être humain ?

Telle est la question que se posent Elizabeth Badinter et sans doute un certain nombre de féministes convaincues que le vêtement que portent les femmes indique le degré des libertés acquises. Une question que les medias posent aussi aux personnalités masculines comme féminines qui, de près ou de loin, auraient quelque chose à voir ou à faire avec l’Islam. Peu importe ce que vous faites dans la vie, secrétaire d’Etat à la politique de la Ville ou professeur d’anthropologie dans une faculté française : dans ce type de débats, c’est en tant que musulman que l’on vous demandera d’y répondre.

C’est ainsi que chacun y va de son opinion sur la légitimité islamique ou non de ce voile intégral qu’est la burqa. Il est bien connu que dans les débats passionnés sur l’Islam, ce « tout un chacun de confession musulmane » a le droit et même le devoir de jouer les experts religieux, de proclamer d’incessants « l’Islam dit que » ou « interdit que » et de répéter inlassablement qu’en « tant que musulmans, nous n’acceptons pas cela ».

Lorsque l’on aura enfin réussi à faire accepter l’idée que sur ce type de questions, « faut-il interdire la burqa ? », chaque personnalité a un rôle à tenir, qui en tant que législateur, qui en tant qu’anthropologue ou sociologue, qui en tant que féministe etc, sans doute aura-t-on apporté un zeste de rigueur et de qualité au débat. En l’occurrence ici, je ne serai moi-même ni juriste religieux, ni politique, ni féministe pas plus que je ne serai musulmane ou islamophile, je resterai simplement dans mon domaine de compétences qui m’invite non pas tant à répondre aux questions qu’à en poser de nouvelles.

Pour peu que l’on ravive le feu sur les problématiques relatives au voile des musulmanes françaises, c’est toujours le même sentiment qui domine dans l’opinion publique : le choc. Puis vient la fameuse question : « Mais pourquoi le portent-elles ? » Une question sur laquelle se penchent les sociologues autant que les journalistes et dont la réponse produite est en soi assez nouvelle dans l’histoire du voile islamique : c’est un choix assumé par les femmes qui le portent, pas une contrainte imposée par les hommes ou par des courants religieux sectaires. Oui mais alors, pourquoi les musulmanes, immigrées de deuxième ou troisième génération ou converties à l’Islam, le portent-elles de cette façon-là, se couvrant intégralement jusqu’au visage ?

Si cette question est sociologiquement, politiquement, voire moralement légitime, il peut être tout aussi intéressant de se demander pourquoi l’on se pose une telle question et qu’est-ce qui, à l’origine, provoque ce choc visuel. Est-il si « normal » que cela d’être particulièrement frappé par la vue d’une burqa au point de se demander s’il ne constitue pas un trouble à l’ordre public ? Les féministes répondront, à raison d’ailleurs, que le port de ce voile intégral constitue une sorte d’insulte envers toutes celles qui dans les pays musulmans se battent contre la contrainte de le porter.

La liberté des femmes dans ce cas devient toute relative car dans de telles conditions, que faire de l’avis de celles qui le portent en France et qui l’assument comme un choix délibéré ? Les féministes peuvent-elles accepter de croire que des femmes déplacent l’objet de soumission qu’est le voile sur un autre terrain, en l’occurrence celui des libertés individuelles et religieuses ?

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Au-delà de ce débat difficile à mener et qui nécessite de refouler les passions des unes et des autres, cette question qui consiste à se demander pourquoi la burqa choque tellement peut se placer à un autre niveau d’analyse, celui du rapport que l’on nourrit avec l‘identité. Se demander s’il y a un humain sous la burqa, c’est, dans un certain sens, limiter l’identité au faciès des individus. « Si je ne vois pas ton visage, je ne pourrais pas savoir qui tu es ». Ce rapport à l’identité-faciès dépasse le simple débat sur la burqa ou le voile en général, il infère dans toutes les strates de la société civile : la carte d’identité, le passeport, la carte d’étudiant, parfois les badges d’entreprise et depuis peu la carte de sécurité sociale. Reconnaître l’autre passe nécessairement par la reconnaissance de ces traits physiques.

Ce rapport à l’identité à travers le visage pose problème dès lors qu’il s’accompagne d’une politique qui l’entretient plus qu’il ne le combat. Dans le cadre des mesures prises à l’encontre des clandestins par exemple, cela donne de la légitimité à la multiplication des contrôles d’identité menés à partir du jugement porté sur les traits physiques de l’individu suspecté : noirs, jaunes, basanés, le faciès est un des premiers critères à l’origine de cette suspicion (quand ce n’est pas le nom de famille).

Sans doute pensera-t-on que le débat sur la burqa n’a rien à voir avec cette autre problématique mais force est de constater que le mécanisme identitaire reste profondément le même : la reconnaissance de l’autre et plus précisément de ce qu’il fait sur la place publique, passe par la reconnaissance d’un visage. Aussi, si les arguments défendus par les féministes sur le plan de l’héritage des luttes féminines sont, à bien des égards, tout à fait justifiés et méritent des actions concrètes sur le terrain de l’éducation et du dialogue social, l’on peut se demander si l’adoption d’une nouvelle loi nationale sur le voile islamique n’est pas une façon d’entériner ce rapport à l’identité passant nécessairement par le faciès des individus.

Entendons bien ici qu’il ne s’agit ni de défendre ni de condamner la burqa mais de comprendre les mécanismes à travers lesquels s’implante progressivement une restriction politique des questions sécuritaires au champ du visuel, comme si le fait de « voir » le visage, la bouche ou les cheveux de l’autre permettait de « protéger » la société, comme si le fait d’être en société comme les autres garantissait le bien-être social. La question reste ouverte et mérite des réponses nuancées, fondées sur la réflexion plus que sur la passion du « je pense que… »

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