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Soufiane Djilali : “Notre ambition est d’aider à faire passer le Hirak de la rue aux institutions“

Alors que le président Tebboune, de retour de son long exil médical en Allemagne, s’est illustré par un geste d’apaisement en graciant, vendredi dernier, une soixantaine de militants du Hirak, Soufiane Djilali, le chef de file du parti Jil Jadid (Nouvelle Génération), livre sur Oumma la teneur de son récent entretien avec le chef d’Etat algérien.

Cet opposant de la première heure sous l’ère autocratique de Bouteflika, qui compte parmi les acteurs majeurs du renouveau politique de l’autre côté de la Méditerranée, dresse également un tour d’horizon des sujets brûlants d’actualité, dont les épineuses questions de la survie du Hirak, de la diplomatie algérienne, des détenus politiques, sans omettre l’impérieuse transition démocratique qu’il appelle de ses vœux depuis si longtemps. Un voeu dont il espère qu’il ne restera pas pieux.

 

Vous avez récemment rencontré le président Tebboune, dont on rappelle que l’accession au pouvoir, le 12 décembre 2019, a été marquée du sceau de la contestation en Algérie, le Hirak, le vaste mouvement de protestation populaire, la considérant même comme illégitime. A l’heure où la célébration du 2ème anniversaire du Hirak donne lieu à d’imposantes manifestations, quel intérêt revêtait pour vous une telle rencontre ?

En effet, j’ai eu à rencontrer le président de la République, tout comme plusieurs autres leaders de partis politiques de l’opposition l’ont fait. Il faut signaler que, depuis son élection, le chef de l’Etat a reçu de nombreuses personnalités politiques et, parfois, à plusieurs reprises. Moi-même, je l’ai rencontré trois fois.

Sur la forme, il y a donc une nette volonté de dialogue et d’ouverture. Sous le régime précédent, personne n’avait accès au président de la République, sinon de manière occulte. Nous passons donc d’une pratique opaque du pouvoir, avec une forme de complicité avérée de toute une faune politique, à un exercice transparent. Les Algériens, qui ont toujours été tenus à l’écart du jeu politicien, n’ont pas encore saisi cette évolution qualitative. 

Quant au contenu de l’entretien, il était en rapport direct avec l’actualité du pays. Nous avons donc longuement parlé de la nécessité du changement politique et de la manière de le réaliser. La loi électorale, la dissolution de l’Assemblée, le remaniement technique du gouvernement actuel, la date probable des élections législatives étaient au menu. Comme à chaque rendez-vous avec le président de la République, j’ai eu à relancer avec lui la situation des détenus en rapport avec le Hirak. Par ailleurs, nous avons fait un tour d’horizon de la situation du pays, concernant notamment la capacité et les réserves financières nationales, les effets de la pandémie sur l’économie, les investissements productifs à l’horizon.

Enfin, le président de la République a accédé à ma demande d’en savoir plus sur l’état de nos relations extérieures avec nos différents partenaires.

Vous plaidez pour une solution politique de la crise actuelle qui passe, selon vous, par la tenue d’élections législatives. Pensez-vous qu’elles peuvent réellement redessiner les contours du paysage politique algérien et insuffler un souffle nouveau ?

Lorsque l’on est devant une crise aussi profonde que celle que traverse l’Algérie, il me semble que l’on doit réfléchir à des solutions qui prennent en compte les différents paramètres et qui soient faisables et viables. Il faut sortir des réflexes idéologiques et de l’idéalisme révolutionnaire béat, prendre en compte notre passé récent et la triste réalité dans laquelle nous évoluons.

Alors, soit il faut faire tabula rasa de toutes les institutions, faire partir tout le personnel politique et refonder une nouvelle République, soit accompagner une évolution inéluctable mais progressive du système de gouvernance en place. La première solution induit un affrontement, avec tout ce que cela pourrait causer comme dégâts. Si l’Etat venait à s’effondrer, dans la mesure où la rue, qui se dit pacifique, puisse menacer sérieusement les institutions, nous aboutirions alors au désordre et au chaos. On s’acheminerait, dès lors, vers une réaction vigoureuse de fermeture totale des champs des libertés et à une fin malheureuse d’une révolution qui avait commencé dans l’espoir et le sourire, et qui finirait dans la violence et le désespoir. Sincèrement, lorsque j’écoute certains discours enflammés des nouveaux Che, j’ai le triste sentiment que, parfois, le ridicule peut faire dévier dramatiquement l’histoire.

L’autre solution avancée me semble donc la seule raisonnable : dialoguer, faire libérer les prisonniers du Hirak, négocier de nouvelles règles politiques et, enfin, s’engager dans un cycle d’élections libres et transparentes pour aboutir à des institutions légitimes et représentatives. L’Etat de droit et la démocratie devenant le but et non pas un préalable de l’action politique.

L’Occident démocratique a compris très tôt qu’il fallait résoudre les contradictions politiques par les urnes, qui formalisent des majorités responsables des politiques à mettre en œuvre. Les radicaux du Hirak, eux, veulent une période de transition où les responsables sont désignés (on ne sait d’ailleurs pas par qui ?), avec pour mission la résolution des questions de la Constitution, du projet de société, des décisions stratégiques et, ensuite, une fois l’Etat de droit mis en place tel qu’ils l’imaginent, aller vers des élections. En un mot, ils se voient tuteurs du peuple, avec pour mission lui offrir la démocratie clef en main.

Seule ombre au tableau : comment accorder sa confiance à un régime dont chaque scrutin est entaché de fraudes massives ? Un régime qui a toujours su se succéder à lui-même, au travers d’élections sujettes à caution, pour ne pas dire pipées.

Donnez-moi le nom d’un seul parti politique qui, aujourd’hui, refuse le dialogue et qui n’ait pas participé à ces scrutins honteux ? En 2017, alors que la planète entière s’esclaffait devant les images d’un Cadre-Président à qui on offrait des cadeaux, les rebelles d’aujourd’hui n’avaient pas hésité à profiter des quotas aux législatives. Jil Jadid a été le seul parti politique à boycotter ces élections et de manière active. Les images et les écrits sont là pour montrer à ceux qui doutent quel a été notre engagement dans cette question.

Maintenant, le régime Bouteflika s’est effondré, une noria de ministres et d’anciens Premiers ministres, des politiques, des militaires, des fonctionnaires et surtout des hommes d’affaires véreux sont en prison. Il y a eu un bouleversement dans tous les centres de décisions du pays. Avec les prochaines législatives et, rapidement après, les élections locales, le personnel politique aura été largement renouvelé. Je vois très mal aujourd’hui, après un Hirak aussi puissant, une exigence citoyenne beaucoup plus déterminée et des conditions générales aussi dégradées, une manœuvre du pouvoir avec fraude et distribution de quotas. Ce serait une opération dangereuse et politiquement inutile.

Les partis de l’ancienne coalition présidentielle sont en très mauvais état, pour ne pas dire en déshérence, et les autres relais ont été laminés par le mouvement populaire. Une nouvelle configuration politique beaucoup plus représentative s’imposera, même si ce sera progressif. La classe politique est émiettée et la société a perdu confiance. Aucun gouvernement ne pourra mobiliser les citoyens pour affronter les vrais défis, s’il n’y a pas des changements significatifs à l’horizon.

A quelle échéance, d’après vous, devrait idéalement se dérouler ce scrutin national majeur ? De quelle manière pensez-vous pouvoir inciter l’électorat algérien à ne pas bouder les urnes et quel rôle, vous et le parti Jil Jadid (Nouvelle Génération) que vous présidez, escomptez-vous jouer ?

Maintenant que l’Assemblée nationale a été dissoute, les législatives devront se dérouler nécessairement, selon les dispositions constitutionnelles, au plus tard dans les 6 mois. Le mois de Juin prochain me paraît idéal pour ce rendez-vous. La participation citoyenne restera modeste. Pour la première fois, lors du référendum pour la Constitution du 1er Novembre, nous disposions de vrais chiffres sur le taux de participation. En réalité, ce taux n’était pas plus faible que ceux des précédents scrutins, gonflés à dessein. Donner les vrais chiffres, même mauvais, est une nouvelle pratique à saluer.

Pour les législatives, la participation sera bien meilleure, mais le retour massif de l’électorat sera pour plus tard. Ce n’est qu’après trois ou quatre scrutins que les Algériens reprendront confiance, dans la mesure où les anciennes pratiques de fraude seront bannies. A Jil Jadid, nous assumons notre rôle en faisant une offre politique que nous voulons de qualité. Ce n’est pas toujours facile, surtout dans un climat où le populisme a été semé depuis des lustres. Au final, Jil Jadid n’est pas là pour lustrer son image, mais pour contribuer à la reconstruction d’un champ politique actuellement en ruine.

Mardi 16 février, des milliers de manifestants ont de nouveau envahi les rues de Kherrata, le berceau du Hirak situé dans la wilaya de Bejaia, afin de réclamer à cor et à cris la fin du « système ». A vos yeux, le Hirak s’est-il consumé dans les flammes des désillusions et de la crise sanitaire meurtrière, ou peut-il encore renaître, et avec lui, l’espoir du renouveau politique en Algérie ?

A mon humble avis, pour prédire l’avenir du Hirak, il faut bien appréhender sa nature. Le 22 février 2019, il y a eu un déclic qui a permis aux Algériens de briser une chape de plomb, de retrouver leur dignité et en même temps de se découvrir. Il n’est donc plus possible de revenir en arrière, quelles que soient les futures évolutions politiques. C’est une donnée fondamentale à intégrer dans toute anticipation.

Cela ne signifie pas que le Hirak ne doive vivre en tant que tel que dans la rue et les vendredis. Tout au contraire, le Hirak est maintenant un état d’esprit, une flamme qui éclairera nos pas. Nous devons donc comprendre qu’une vague montante d’une jeunesse impétueuse et frondeuse animera la véritable dynamique politique. Elle insufflera des changements salutaires. Encore faut-il lui offrir des cadres organisationnels efficaces, répondant à ses ambitions et surtout lui permettre l’initiative, tant politique qu’économique d’ailleurs. Dans le cas contraire, ce sera l’implosion et le retour du boomerang. Personne ne pourrait se le permettre.

Notre ambition est d’aider à faire passer le Hirak de la rue aux institutions. Il faut passer de la parole contestatrice à la prise de responsabilité quotidienne dans la gestion de la cité.

Le Hirak réclame l’instauration de l’« Etat civil, pas militaire ». Comment qualifieriez-vous le régime actuel : un Etat autoritaire dirigé par des civils qui servent de paravent à l’armée, laquelle s’appuie sur les services de sécurité et une logique de clans ? Une armée, forte de sa toute-puissance, seule détentrice du pouvoir en Algérie ?

Vous savez, pour appréhender le réel, l’homme a besoin de catégoriser, d’étiqueter et parfois de caricaturer. De par son histoire, l’Etat algérien s’est construit, une fois l’indépendance acquise, avec les matériaux dont il disposait. Or, tout le monde sait qu’en 1962, l’analphabétisme était endémique, la classe politique éreintée par les guerres intestines, les institutions non fonctionnelles, et beaucoup trop peu de personnels et de fonctionnaires qualifiés pour gérer, au pied levé, un Etat recréé à partir de presque rien. L’ALN, transformée en ANP, était la colonne vertébrale autour de laquelle l’Etat a pris forme. Tant que les conditions historiques et politiques n’étaient pas encore réunies, la démocratie et même l’Etat de droit avaient peu de chance de s’épanouir.

Aujourd’hui, vous avez des millions d’Algériens qui sont allés à l’université, la femme s’est imposée comme actrice en quête de sa citoyenneté, et la conscience nationale s’est largement développée. Durant les 20 années de Bonapartisme Bouteflikien, l’armée n’avait plus aucun rôle politique. Dès 2004, l’ex-président avait récupéré l’ensemble des leviers du pouvoir et marginalisé les autres centres de décision, au point de pousser pratiquement à la désintégration les services de sécurité et, à leur tête, l’ex-DRS. C’était lui et ses acolytes qui avaient introduit cette notion de l’Etat civil pour démanteler toute possibilité de contrôle sur ses complices. Rappelez-vous les guerres médiatiques de 2013 à 2015, et le démantèlement de l’armature sécuritaire interne. En réalité, Bouteflika a cherché le pouvoir absolu et l’impunité totale pour lui et sa clientèle. Sa famille, ses ministres et ses amis ont opéré une prédation de grande envergure sans aucun contrôle. Tout le monde sait qu’aujourd’hui, il faut tout reconstruire, mais comment ? Tout est gangrené, l’administration gouvernementale et territoriale, la justice, les partis politiques, les circuits économiques et financiers etc…

Si, aujourd’hui, vous brisez l’armée ou si vous la castrez, alors le pays n’aura plus de balises. Plus personne n’aura suffisamment d’autorité pour arbitrer et prendre des décisions à l’encontre de puissants cercles aux comportements mafieux, comme cela a été le cas avec le régime précédent.

Si le slogan « L’Algérie civile et non militaire », introduit insidieusement dans le Hirak, devait aboutir, il signifierait tout simplement, dans les conditions actuelles, la livraison du pays à la prédation finale. Si, de nouveau, la décision stratégique relève aussi de l’armée, il faut tout de même préciser que le président de la République jouit de toutes ses prérogatives constitutionnelles, que le gouvernement est totalement civil et qu’il n’y a aucun mélange des genres avec les militaires.

Je le dis franchement : l’Algérie a plus que jamais besoin d’un Etat fort et celui-ci ne peut être protégé que par l’institution militaire. Par contre, il faut arriver à construire un Etat de droit qui protège les libertés individuelles et collectives des citoyens, et qui permette un exercice authentique d’une démocratie effective.

Les derniers procès retentissants, qui ont fait choir de leur piédestal aussi bien des politiques, des hommes d’affaires que des hauts gradés de l’armée, ont révélé au grand jour l’ampleur phénoménale de la corruption en Algérie. Une corruption qui gangrène la sphère institutionnelle et n’épargne aucun secteur de la société. Comment lutter efficacement contre ce fléau dans un pays où la justice est souvent instrumentalisée par le pouvoir ?

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Oui, malheureusement, et j’ai mal en le disant, la corruption est devenue une culture. La corruption est partout. Je vais vous le dire, même dans les milieux censés défendre la morale religieuse, la corruption est devenue endémique. Pour lutter contre ce fléau, il faut une justice réellement indépendante.

L’économie rentière nous a été fatale sur le plan moral. Bouteflika avait appliqué une politique de protection de ses proches et de sa clientèle avec carte blanche et impunité assurée. Il n’y a qu’à lire les rapports de justice sur les affaires en cours de jugement pour se faire une idée de l’ampleur des dégâts. Il faudrait reconstruire nos institutions avec une légitimité sans tache, les mettre en situation de contrôler au plus près l’action du gouvernement, lutter avec des lois draconiennes contre tous les actes délictueux. D’un autre côté, il faut libéraliser l’économie et surtout la soustraire à la mainmise de l’administration.

Sur ce point d’ailleurs, le président de la République m’a réaffirmé sa volonté de voir l’économie se développer en dehors de l’administration. Il sait que c’est la centralisation du pouvoir économique qui est à l’origine de la grande corruption. Avec des entreprises et des banques privées, avec la transparence des transactions sous l’autorité du gouvernement, avec un contrôle effectif de la part du Parlement, ce phénomène régressera avec le temps. Les médias, l’éducation, et même les hommes de foi devraient être impliqués dans la prise de conscience des effets de ce cancer qui ronge la société toute entière.

Une soixantaine de détenus politiques viennent de recouvrer la liberté, graciés par le président Tebboune. Comment avez-vous accueilli ce geste fort d’apaisement de la part du pouvoir en place ?

La libération des détenus du Hirak est une très bonne nouvelle. Jil Jadid a eu, à chaque rencontre avec M. Tebboune, à soulever cette question. Je rappelle qu’une première vague de près d’une centaine de détenus d’opinion avait été remise en liberté dès le mois de janvier, à la suite de l’élection présidentielle. Puis, des non-lieux avaient été prononcés en faveur de beaucoup d’activistes, en mars 2020. Enfin, un autre groupe d’activistes avait été libéré sur intervention du président de la République, à la faveur de l’anniversaire de l’indépendance, le 5 Juillet.

Par contre, la réaction des « ultras » du Hirak, chaque fois qu’il y a eu un geste d’apaisement, s’est traduite par un durcissement des positions revendicatives. Jil Jadid en a subi les conséquences lorsqu’il obtint, en tant que l’un des promoteurs du dialogue, la libération de certains hirakistes. Mon parti a alors été la cible d’une campagne féroce sur les médias sociaux ainsi que de certaines télévisions Offshore. En réalité, les détenus ont été un registre de commerce pour ceux qui voulaient l’affrontement. Généralement, ceux-là résident à l’étranger, bien au chaud, financés par des réseaux internationalistes qui poussent les jeunes à aller au choc.

Le dialogue, par principe, était donc refusé par ces agendas. Les mesures d’apaisement ne les intéressaient pas. Des avocats, très engagés dans la manœuvre, ont reconnu que, pour eux, il était plus intéressant d’avoir des jeunes en prison car ils étaient un levier de mobilisation pour aboutir à la révolution. Ils l’ont écrit sur les réseaux et répété sur des plateaux de TV et de radio. Ces politiques ne mèneront le pays que vers plus de crispation, plus de répression et plus de désordre. Le dialogue ramène plutôt l’apaisement, la coopération et, au final, de bien meilleurs résultats pour tout le monde.

L’Algérie est confrontée à une crise sanitaire et économique sans précédent. Avec la chute des prix des hydrocarbures, le manque à gagner des recettes fiscales en 2020, évalué à 31 % par rapport à 2019, se fait durement sentir. A cela s’ajoutent une baisse du revenu des ménages, une inflation des produits de première nécessité, l’ensemble amplifiant la colère sociale. Dans de telles circonstances, quelle serait la marge de manœuvre d’un nouveau gouvernement élu démocratiquement ?

Les Algériens savent que nous sommes dans une phase exceptionnelle. Les difficultés économiques se sont aggravées en corrélation directe avec la chute des prix du pétrole. La pandémie a  entraîné une spectaculaire remontée du taux de chômage, dû au confinement et au dérèglement général de la vie quotidienne.   

Le régime algérien a de tout temps assisté la population. Cela était compréhensible au sortir d’une période coloniale qui avait réduit à la misère le peuple. La paysannerie a payé un très lourd tribut durant la révolution. Il aurait été impossible, injuste et immoral de ne pas prendre en charge les besoins fondamentaux des populations. Malheureusement, rapidement, il y a eu confusion entre des politiques sociales et un assistanat qui s’est transformé en un justificatif à tous les abus.

Je suis pour une protection sociale, sanitaire et éducative pour tous les Algériens. Mais continuer à subventionner à tout va tous les produits de large consommation et, en même temps, créer des goulots d’étranglement à toutes les initiatives économiques par une bureaucratie qui dévore toutes les énergies est un non-sens. 

L’Algérie vit dans un système économique indéfinissable : d’origine socialiste et centralisateur, il a subi une libéralisation de bazar, où l’importation est devenue l’axe central de l’enrichissement des castes liées à la bureaucratie et donc au pouvoir. La corruption par ruissellement était censée offrir le partage de la rente et la paix sociale. Sauf que le pétrole n’est pas éternel et que la maîtrise de son prix ne relève pas de notre souveraineté. Nous sommes maintenant face à de très lourds défis : baisse de la production des hydrocarbures et de leur prix, augmentation notable de leur consommation interne, démographie non maîtrisée, commerce extraverti vivant de l’importation, éducation de faible qualité, universités déclassées etc. Des grands dossiers explosifs sont devant nous. L’Algérie est face à un défi homérique.

Si l’on se réfère à l’exemple tunisien et aux cruelles désillusions, notamment économiques, qui attendaient le pays au tournant (certains Tunisiens sont même nostalgiques de l’autocratie sous Ben Ali), et ce, malgré l’émergence d’une nouvelle classe politique et de nouvelles élites, l’espoir de réussir là où la Tunisie a échoué ne s’envole-t-il pas ?

Le potentiel de l’Algérie est autrement plus grand que celui de notre voisin de l’Est. Les richesses naturelles sont bien plus importantes et les infrastructures de base et surtout l’immensité de l’espace nous donnent des avantages évidents. Encore que de mon point de vue, la Tunisie aurait pu beaucoup mieux faire. Elle a une classe moyenne de grande qualité et une société civile éduquée et ouverte. En réalité, il y a eu un choix, après la révolution, qui n’a pas été très pertinent ni heureux. Les résultats de la Constituante ont été très nocifs. A force de vouloir éviter le pouvoir autocratique, l’autorité de l’Etat a été fractionnée. Le blocage institutionnel actuel est caricatural d’un régime qui porte en lui tous les mécanismes générateurs de blocage. Il y a eu une confusion qui s’est installée dans l’esprit de beaucoup de gens, y compris chez nous.

En effet, la démocratie n’est pas le démocratisme qui est une pathologie très répandue dans les jeunes nations. La France en sait quelque chose avec la première constituante de 1792 qui avait mené au régicide, puis au terrorisme d’Etat et, enfin, à l’effondrement de la République. Idem pour la deuxième République en 1848. Il a fallu attendre De Gaulle et sa Constitution de la Vème République pour sortir des luttes intestines incessantes des partis politiques.

L’Algérie vient d’agir sur ce modèle. Un régime semi-présidentiel qui donne un vrai pouvoir au président de la République, mais qui est tempéré par un Parlement duquel émerge un gouvernement. La limitation des mandats présidentiels à deux donne toutefois la garantie d’une alternative salutaire. La Tunisie devra sortir du piège dans lequel elle s’est enfermée, en revenant à un système semi-présidentiel. Autrement, le blocage se répétera sans fin jusqu’à l’effondrement ou le coup d’Etat !

Le Maroc a décidé de normaliser ses relations avec Israël, en troquant les Palestiniens contre le Sahara Occidental. L’Algérie paraît de plus en plus isolée dans le monde arabe ou ce qu’il en reste, mais aussi au Maghreb. Peut-on parler d’une faillite totale de la diplomatie algérienne, dont on ne perçoit pas très bien la visibilité de la politique étrangère ?

Les vingt dernières années ont été un désastre sur ce plan. L’Algérie s’est vu cantonnée à l’intérieur de ses frontières, sans aucune marge de manœuvre, sans compter que le président d’alors avait déserté, pour des raisons de santé, l’arène internationale. Reprendre en main la diplomatie demandera de la patience.

Pour le reste, il faut aussi comprendre qu’il y a actuellement des rapports de force mouvants. Entre des USA déstabilisés par Trump, une Europe à la recherche d’elle-même, une Russie mise sous pression et une Chine conquérante, les cartes géopolitiques sont constamment redistribuées.

L’Algérie n’a ni les moyens ni l’ambition d’un quelconque interventionnisme. Cependant, elle défendra tout naturellement sa propre souveraineté et donc ses espaces vitaux. Pour cela, elle doit se donner rapidement les moyens d’assumer sa viabilité, en renforçant sa cohésion interne et surtout en décidant, une fois pour toutes, d’une stratégie de développement tous azimuts.

En novembre dernier, le président français, Emmanuel Macron, a pour le moins semé le trouble en affichant son soutien inconditionnel au président Tebboune. Dans un entretien à Jeune Afrique, il assurait, alors, son homologue algérien de toute son aide, le jugeant « courageux », n’ayant cure manifestement du Hirak. Comment interprétez-vous cette main tendue de la France à l’Algérie ? Faut-il y voir une forme d’ingérence sournoise ?

Dans les relations internationales, il n’y a pas d’amitié mais des intérêts. Les deux pays ont des relations difficiles, tout en étant nécessaires. L’intérêt de la France est une Algérie stable et non en proie au chaos. La complexité de cette relation fera que la France restera toujours prudente dans son approche politique.

De notre côté, en tant qu’Algériens, nous devrons mener une politique pragmatique. De toutes les façons, il faut séparer les relations internationales des problèmes internes. Que le président Macron soigne sa relation avec le président Tebboune ne pose aucun problème, tant qu’il n’y a pas d’ingérence dans nos affaires intérieures. La politesse n’a jamais tué personne. Quant à l’opposition qui se trouve en France, je pense qu’elle est respectée et je dirais même qu’elle bénéficie d’un laxisme parfois troublant. Mais bon, disons que ce sont les règles de la liberté d’expression. Après, chacun se fait sa propre idée.

Quelle réflexion vous inspire le rapport de Benjamin Stora ? Attendez-vous de la France un geste en particulier, afin de dépasser le contentieux historique et d’ouvrir une nouvelle page entre les deux pays 

Les deux pays ont vécu une histoire commune dont la victime a été le peuple algérien. Tourner cette page n’est pas simple. De toutes les manières, les Algériens ont récupéré leur souveraineté par la force de leur volonté, en consentant d’immenses sacrifices. Ils n’attendent pas d’excuses, ni de repentance de la part de la France.

Par contre, il y a des gestes que cette dernière doit faire. Il y a eu déjà le retour des crânes de résistants. Il faut clore cet épisode. Il faut rendre à l’Algérie ce qui lui a été pris comme biens symboliques qui sont notoirement connus, ainsi que ses archives. Enfin, dans un registre plus dramatique, il faut que la France assume ses responsabilités concernant les conséquences des essais nucléaires qu’elle a menés dans le Sud algérien. Je pense qu’une attitude positive de sa part sur ces dossiers pourrait aider à créer un climat de confiance et à fructifier des intérêts communs et partagés.

Propos recueillis par la rédaction Oumma

 

A voir ou revoir : l’entretien avec Soufiane Djilali dans l’Esprit d’Actu :  « Algérie : choc de la modernité, crise des valeurs et des croyances» 

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Un commentaire

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  1. Cet homme fait fausse route, on est malhonnête quand on veut faire d’une révolution une manif.

    Une manif veut dire : réclamer ses droits, au sein d’un système qu’on reconnait.
    Une révolution veut dire : deux ensembles diamétralement opposés, à la fin c’est l’un ou l’autre.

    passer le hirak aux institutions, c’est le remplacer par des politiques, qu’on a acheté , sinon dans le meilleur des cas on peut les acheter.

    L’argent divise les musulmans. Cette règle est valable pour toute le monde , y compris moi.

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