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Socrate ou le miroir contrasté de la République

Si Socrate était amené à se regarder dans un miroir, il verrait apparaître, à sa grande désolation, un paysage démocratique sombre noirci par les intérêts dionysiaques des fossoyeurs de la République. La toile française semble avoir perdu les couleurs d’Athènes. Un tableau, en somme, obscur.

Il serait, cela dit, intéressant d’entamer, à l’heure de toutes ces crises, spirituelles, morales, politiques et économiques, qui sévissent dans le monde, et en France en particuliers, un voyage intellectuel dans le passé en direction d’Athènes, pour aller à la rencontre d’un personnage hors du commun, qui a en partie contribué au façonnement l’identité occidentale : Socrate. Ainsi, l’on saisira plus clairement le contraste de la représentation apparaissant dans le miroir de celui qui a alimenté les dialogues de la République de Platon.

Socrate avait très mauvaise allure. Trapu, mal vêtu et marchant parfois pieds-nus même en temps glacial, sa médiocre apparence recélait néanmoins une véritable beauté intérieure. La laideur apparente de Socrate n’était en réalité qu’une mascarade cachant dans les abysses de son être, une richesse infinie, une sagesse de tous les instants. « Il a bien, témoigne le jeune Alcibiade, l’extérieur que les statutaires donnent à Silène. Mais ouvrez-le, mes chers convives ; quels trésors ne trouverez-vous pas en lui ! Sachez que la beauté d’un homme est pour lui l’objet le plus indifférent. » (1)

Le maître de Platon sillonnait les rues et les places publiques pour sensibiliser et éveiller les consciences. S’identifiant à sa mère qui était sage-femme, il avait dédié sa vie à la sagesse et à la justice et avait passé une grande majorité de son temps à la maïeutique ou l’art de faire accoucher les esprits. Socrate avait placé la justice et la vérité au-dessus de tout. Accusé, entre autre, de trouble à l’ordre publique et de corrompre la jeunesse athénienne, Socrate préféra boire la cigüe plutôt que de renoncer à ses nobles activités.

Fidèle à ses principes, et malgré les mensonges et calomnies proférés à son encontre durant le procès, il se plia stoïquement au verdict : « il faut obéir à la loi, et se défendre. » Face à ses juges, il a le courage de démonter une à une les pièces de l’accusation, de dévoiler, avec une extraordinaire dextérité, leur hypocrisie et de dénoncer leur mensonge. Il reste ferme dans ses positions et déclare avec tant de dignité : « tout homme qui a choisi une fonction, parce qu’il l’a jugeait la plus honorable, ou qui a été placé par son chef, doit à mon avis y demeurer ferme, et ne considérer ni la mort, ni le péril, ni rien d’autres que l’honneur. »

Dans cet élan de distinction intellectuelle, Socrate leur annonce que, quel que soit le verdict, « tant que je respirerai et que j’aurai un peu de force, je ne cesserai de m’appliquer à la philosophie, de vous donner des conseils, et de tenir à tous ceux que je rencontrerai mon langage ordinaire. » Et lorsque Criton tente de le convaincre de surseoir quelques heures à l’ingestion de la cigüe, il réplique aussitôt : « la seule chose que je gagnerais en buvant un peu plus tard, c’est de me rendre ridicule à moi-même à m’accrochant à la vie et en épargnant une chose que je n’ai déjà plus. »

Un comportement et une personnalité se distinguant largement de certains de nos politiciens et faussaires qui s’attèlent à servir leurs propres intérêts plutôt qu’à défendre des positions justes et courages. D’aucuns vont, au détriment des principes qu’ils prétendent protéger, jusqu’à s’allier à des états criminels ayant pour devise : argent, pouvoir et expansion. Le contraste patent distinguant la personnalité de Socrate des actuels faussaires et prétendus défenseurs de la justice se dessine clairement au niveau de la cohérence, de la crédibilité et de la probité intellectuelle.

Refusant le statut de maître et n’acceptant aucune rémunération, Socrate avait pour seul but, de pousser les gens à réfléchir, à s’interroger sur leur existence et le sens de la vie. Il usait, pour ce faire, d’une espèce d’ironie feignant l’ignorance afin de stimuler l’intelligence de son interlocuteur jusqu’à ce que ce dernier découvre par lui-même les réponses à ses propres interrogations. C’est ce que l’on appellera plus tard l’ironie socratique. Plaçant le dialogue au cœur de son action et intégrant sans cesse le rôle du questionneur, Socrate poussait les gens, à partir d’une interrogation bénigne, à abattre leurs préjugés et idées fausses, car il était convaincu que chacun porte en soi la nature humaine toute entière qui se révèle par l’injonction socratique gravée sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes : « connais-toi toi-même. »

Homme de terrain et au contact permanent du peuple, Socrate s’était principalement attaché à la question du bonheur et de la vertu, et plus particulièrement de la place de l’homme au cœur de la société. En effet, alors que les philosophes de la nature, à l’instar de Thalès, Anaximandre ou Parménide, questionnaient le monde et la nature pour répondre à la question « d’où viens-je ? », Socrate, quant à lui, révolutionne la philosophie, et vise plutôt à résoudre l’énigme « qui suis-je ? ». Une véritable philosophie de l’être qui a été malencontreusement détrônée par la question de l’avoir et de la possession.

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Tu ne vaux plus désormais en fonction de ce que tu es mais selon ce que tu as. Le capitalisme a finalement eu raison des leçons de Socrate. Un autre contraste. Ce monothéisme du marché a déraciné les principes démocratiques pour planter, à la place, celles du profit et de la rentabilité. C’est désormais la monnaie qui régule les relations humaines et sociales. Cette philosophie de l’avoir est, nous semble-t-il, la cause des principaux maux de la planète et des crises qui sévissent autour nous.

La République, sous l’emprise de cette idéologie désastreuse, est atteinte de profondes calamités rongeant les valeurs de la France et les principes démocratiques, et par conséquent, nuisant profondément aux citoyens qui n’existent désormais que par leur avoir. En d’autres termes, dis-moi ce que tu as dans la poche, je te dirais qui tu es dans cette société.

C’est particulièrement l’encre de Descartes qui noircit la toile d’Athènes avec son discours de la méthode, que Michel Serres, qualifie avec beaucoup de perspicacité, de traité de la guerre ou manuel de puissance technique ne se posant même plus le problème des fins. Les graines du capitalisme rongeant notre République sont plantées à l’endroit même de la Renaissance, d’où émergèrent d’ailleurs les principaux fauves. Depuis, la question de l’éthique, du sens et des finalités semble avoir été mise à la marge des préoccupations de la société au profit de la rentabilité et de l’opulence.

Or, Socrate, référence occidentale majeure, était un philosophe qui en effet s’appuyait sur la raison mais aussi – et l’on en fit souvent abstraction – un mystique connecté à une puissance spirituelle transcendant son être, une entité Divine : le daïmon. Une spiritualité qui donnait sens à son engagement pour la justice et qui, actuellement, fait énormément défaut à notre société. Le capitalisme a favorisé l’émergence de politiciens animés d’une soif insatiable de pouvoir, d’intellectuels faussaires égocentriques en quête de notoriété, d’écrivains commerciaux tendant à satisfaire l’opinion publique ou à obtenir un quelconque prix littéraire plutôt qu’à défendre des idées pertinentes, à développer des réflexions utiles à l’épanouissement de la société. Un théâtre où de perfides diablotins apparaissent dans un simulacre d’action en faveur de la démocratie et du vivre ensemble sous une blancheur angélique.

Nous vivons dans un monde superficiel en perte de valeurs morales et spirituelles nourri d’une profonde illusion de la liberté. Une république désormais prisonnière de la fameuse caverne platonicienne. Il va falloir, pour recouvrer la lumière véritable, entamer une nouvelle ascension autant spirituelle qu’intellectuelle. Cheminer en direction d’une philosophie de la vie donnant sens à nos actes et plus largement à notre existence et retrouver sous le souffle de ce voyage l’aspiration naturelle qui habite en chacun d’entre nous. Le chemin est long mais il en vaut le détour.

Note :

(1) Banquet, 216e

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