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S’interroger sur tout, pourquoi pas ?

Dans son éditorial du jeudi 17 novembre 2005, dans le Paris Normandie, titré « la polygamie en question », Jean-Marie Gautier écrivait « N’en déplaise à certains, il n’y a rien d’offensant, après les terribles émeutes des banlieues que nous venons de vivre, à s’interroger sur la polygamie. Parce qu’il faut s’interroger sur tout. (…) Au nom de quoi, après ce qui vient de se passer, ne pourrions-nous pas, calmement, nous interroger sur la polygamie en France ? ».

J-M Gautier se demande ainsi, légitimement, pourquoi la société française n’aurait pas le droit de se questionner sur des maux qui la gangrènent quelles que soient leurs origines. Les écrits de l’éditorialiste sous-entendent qu’il y aurait des réticences à ce que le débat sur le sujet de la polygamie se pose, ce qui semble le surprendre et qui peut surprendre tout citoyen d’un pays de droit, de liberté d’expression, où le débat, l’échange en sont un des maîtres mots. Mais les craintes que certains ressentent dans la tenue de ce genre de débats peuvent également se justifier à plusieurs niveaux.

Pourquoi pas des réticences ?

Celles sont liées souvent au moment, à l’instant où le débat se pose, la polygamie en est un exemple : à un moment où la France est traversée par une vague de violences dans les banlieues, à un moment où les nerfs sont tendus, à un moment où l’idéal républicain d’égalité des citoyens est remis en question, où certains se sentent moins citoyens que d’autres, peut-être à cause de leur différence. Lancer un tel débat qui toucherait certains citoyens qui se confortent, à tort ou à raison, de plus en plus dans l’idée que leur pays ne les considère pas comme « ses vrais enfants », pourrait être vu comme une volonté de leur enfoncer encore le couteau au lieu de leur faciliter les conditions qui les mettraient sur la même ligne de départ que les autres. Le fait aussi de lier ce thème aux difficultés dans ces quartiers et de vouloir en faire une des causes, ou un des boucs émissaires, de ce qui s’est passé ces derniers jours peut susciter aussi inquiétude et étonnement.

Les périodes de tension, où les esprits sont tendus, ne favorisent pas la tenue de débats sociétaux où l’avis de chacun n’est plus jugé par sa pertinence mais par ses intentions : « Pour qui roule t-il ? De quel camp se situe t-il ? Est-il avec moi ou contre moi ? ». Et finalement la passion prend le dessus sur la raison, l’émotion sur la réflexion, et le débat s’empoisonne.

L’origine de l’interrogation peut être aussi source d’inquiétude surtout si elle vient du politique dont la vertu démagogique a fini par s’imposer aux yeux d’une partie de l’opinion comme la seule valeur et les échéances électorales comme le seul dessein à atteindre dans toutes leurs démarches. Ou bien encore si elle vient des médias qui ont fait, aux yeux de beaucoup d’observateurs, la course au sensationnel leur priorité sur le travail d’investigation, de vérification qui doit être le leur ; privilégiant souvent des pseudo-spécialistes qui ne parlent qu’au nom d’une idéologie, très loin de l’objectivité qui doit être l’outil de toute analyse quelle que soit la simplicité du sujet traité. Tous ces éléments, et tant d’autres font que, finalement s’interroger sur tout peut être suspecté et l’objet en question refoulé ou classé dans les dossiers « indébattables ». Mais la question peut se poser autrement : pourquoi pas débattre ? Malgré tous ces éléments venimeux, qui parasitent un débat serein, doit-on s’empêcher de se poser des questions sur n’importe quel sujet ?

Le débat, pourquoi pas ?

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Il est tout à fait normal que la société française s’interroge sur toutes les questions, surtout celles liées à ses maux quotidiens ou à son devenir, tenter de comprendre leurs origines et essayer d’y apporter des remèdes. Et sur ça, aucun mouvement, aucune religion, aucun parti ne doit se sentir à l’écart et peut être donc l’objet de questionnement. Personne ne doit se sentir « intouchable », si le devenir, le destin des individus qui composent ce pays est commun.

On doit admettre qu’aucun tabou n’est admissible, que toute conception et tout groupement peut être étudié, et cela éventuellement de façon critique. La qualité de victime, réelle ou supposée, des individus qui incarnent ces idées ou qui adhèrent à ces groupements ne doit pas les mettre à l’abri de l’étude et de la critique. « Comment les autres ne s’indigneraient-ils pas aussi de voir les taboués protégés de critique pour des actes strictement analogues à ceux qu’on condamne chez eux ? » s’interrogeait Maxime Rodinson.

L’inexactitude de telle ou telle étude sur un quelconque objet d’étude ne dispense pas l’objet d’un examen critique. Certaines réactions peuvent être perçues comme une démarche pour décourager toute critique ou constituer un tabou envers une collectivité ou une doctrine. Et l’argumentation est motivée, non par le sujet traité, mais par l’auteur de la proposition.

En dressant l’autre comme adversaire permanent, on risque de tomber dans l’absolutisation ou l’essentialisation des siens, décrits toujours comme des bons, en face des autres absolument et perpétuellement mauvais. Toute société, toute collectivité a ses failles, on retrouve partout des individus malfaisants. A force de vouloir défendre les siens, on peut aboutir aisément, lorsque surgissent d’autres contradicteurs, à voir derrière eux un mécanisme maléfique acharné à vous nuire. Il peut se trouver des noyaux réels qui tentent d’organiser une lutte contre un individu, un groupement ou un ensemble social. Mais ce n’est pas toujours le cas, dans tous les horizons, et surtout le thème du complot permet trop aisément d’oublier les raisons réelles et justifiées qu’on a pu donner à une critique, et ce genre d’attitude a pour effet d’effacer toute trace de responsabilité.

Ainsi, il faut admettre que le débat peut se poser sur n’importe quel sujet de société, quelle que soit son importance et que nul n’est dispensé de l’étude et de la critique. Car tout approfondissement dans une recherche apporte son lot de lumières nouvelles. Il faudra admettre et s’accorder avec Jean-Marie Gautier que l’on ne peut pas céder au chantage qui vise à décourager l’étude et éventuellement la critique de quelque catégorie, de quelque groupement humain que ce soit, quels que soient leurs mérites, leurs malheurs, ou les attaques injustifiées qu’ils subissent. Mais il faut écarter toute généralisation, toute extrapolation à l’ensemble des individus ou des idées ; éviter toute forme de stigmatisation. Et à chacun de combiner une large ouverture d’esprit et un esprit critique en éveil.

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