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Sarkozy , Ramadan : les termes d’un débat

A la fin de l’émission « 100 minutes pour convaincre » de France 2 du 20 novembre 2003, Alain Duhamel demande à M. Sarkozy, quelles sont les idées qu’il trouve les plus dangereuses, celles de M. Tariq Ramadan où de M. Le Pen. Une façon de mettre ces idées où du moins ces personnages, pernicieusement, sur un même plan. Les idées de M. Ramadan sont donc si dangereuses ? Ah Bon ! Nous l’ignorions. Au fait quelles sont-elles ces idées ? Le dernier mot de Sarkozy à propos de Ramadan est éloquent. J’ai eu du mal à le débusquer dit-il. C’est vendu, acté, accepté par tous, le consensus est établi clair et définitif. M Ramadan a un double discours, défend des idées dangereuses et il fallait l’habileté polémique de M. Sarkozy pour le débusquer. Nous lisons Ramadan depuis plus de 10 ans, avec notre esprit critique (car nous en avons un), participons à ses conférences et échangeons avec lui. Nous, les masses silencieuses à qui il s’adresse, qui ne posons pas de bombes et qui vivons notre islam en paix au sein de la république, savons qu’il n’a pas de double discours. Il a toujours prôné un Islam tolérant, loin de tous les intégrismes (le vrai islam). Un islam républicain, constructif pour la collectivité, dont il n’a cessé de mettre en avant, au sein de la communauté musulmane, le contenu spirituel, s’attirant par là l’ire et la foudre d’une minorité fondamentaliste. Son article sur les nouveaux intellectuels communautaires a été le prétexte qu’attendait ses détracteurs pour s’abattrent sur lui. Son article comporte quelques maladresses qu’il a reconnu. Le procédé énumératif des intellectuels juifs ou supposés tels n’était certes pas bien indiqué. Une fois de plus, il l’a reconnu. Mais de là à en faire un antisémite. Antisémite. La pire insulte de notre époque, que les gardiens de la lutte contre l’antisémitisme ont tort de décerner à tors et à travers, sans discernement. Dites qu’une personne, qui par ailleurs appartient à la communauté juive, chante faux et vous voila taxés d’antisémite. Un village français refuse l’achat d’un terrain par un communauté juive qui voulait y installer un centre de vacance pour des raisons écologiques, et les voilà accusés d’antisémite. Bien souvent, ce procédé est destiné à museler, à empêcher tout débat, toute critique : celle de la politique coloniale de M. Sharon par exemple, ou de l’attitude de certains intellectuels. Nous ne serions même plus étonnés que ces propos que nous tenons soient taxés d’antisémites. Que les distributeurs d’anathèmes se reposent, ils ne nous empêcheront pas de nous exprimer.

Cela dit, au delà de ces maladresses, personne n’a réfuté sur le fond l’article de M. Ramadan. A savoir que ces intellectuels défendent systématiquement la politique de Sharon. Lorsqu’il s’agit du conflit Israélo-Palestinien, ils perdent systématiquement leur esprit critique et le souci de vérité qui doit les caractériser. Leurs propos et leurs vues deviennent partisanes, quelque soit par ailleurs le mérite de leurs engagements sur d’autres fronts. Ces intellectuels basés en France sont souvent plus royalistes que le roi. La politique de Sharon est de plus en plus en plus critiquée en Israël, par des intellectuels israéliens (les nouveaux historiens), des politiques (Avraham Burg) et des militaires hauts gradés (le chef d’état major de l’armée israélienne).

On peut critiquer les sociétés musulmanes, qui pour certaines d’entre elles connaissent des difficultés (déficit démocratique, sous développement économique…) qui ne sont pas toutes liées à L’islam. Pointer du doigt des carences en matière de statut des femmes, de droits de l’homme, d’éducation, ne pose pas de pas de problème. Nous acceptons la critique objective et le débat juste. Mais au fond, nous avons le sentiment que l’on ne veut pas que l’islam éclairé, majoritaire, s’exprime. Comme si ont déniait à cette religion la possibilité d’être lumineuse. On ne souhaite entendre qu’un discours qui légitimise les peurs, les atavismes et les représentations négatives de ce phénomène civilisationnel qu’est l’Islam. Nietzsche ne dit-il pas qu’il est difficile de combattre par des raisons ce que le peuple n’a pas eu besoin de raisons pour croire. Aussi dès qu’un musulman tient un discours clair, c’est forcément un intégriste déguisé, un loup sous un peau d’agneau. Les ressorts psychologiques de l’attitude qui sous tend la charge contre M. ramadan sont inquiétants.

M. Sarkozy, pour débusquer M. Ramadan s’est comporté comme un juge, distribuant ,sentences, menaces et bons points. Dites oui ou non si vous êtes pour ou contre le voile ! Si vous dites oui, vous êtes progressiste, sinon vous avez un double discours ! Là aussi, il est entendu que le voile est le signe de l’asservissement de la femme. Aucune autre alternative au sens que pourrait avoir ce signe religieux. Cheminement spirituel, éthique vestimentaire, pudeur, …

On voit bien des voiles de bonne sœurs . Qui cela gêne t-il ? Personne. On crédite à ses signes religieux un sens spirituel élevé. Quelle est la différence de ces voiles et de celui des musulmanes ? Aucun. Ce n’est pas le voile à l’école qui dérange, c’est la vision du voile islamique tout court. On commence par le traquer à l’école, puis à la fac, ensuite dans les services publiques. Où finira t-on ?

Là aussi, ignorance, raccourci, enfermement de l’autre dans des représentations, déni de sa liberté de conscience. L’école aurait alors la mission de protéger les consciences en formation contre ce fléau. Ici aussi, consensus sur une vérité que l’on ne se donne plus la peine de questionner.

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Etes-vous pour ou contre la lapidation des femmes ? Comme si ces questions au demeurant urgentes et complexes, pouvaient se résumer par des questions fermées ? C’est comme cela que l’on débat ? Que l’on respecte son interlocuteur ?

M. Ramadan n’a pas attendu M. Sarkozy, ni le 11 septembre pour condamner la lapidation des femmes, certains régimes dictatoriaux et obscurantistes du Golfe, pour proposer un moratoire sur toutes les châtiments corporels d’un autre age, pour susciter un débat qui vise à démontrer que ces pratiques ne sont pas islamiquement justifiables. Mais bien sur, en le coupant, en l’empêchant de finir ses propos…

Toujours la même stratégie du discrédit, en lui demandant de se justifier sur des propos que son frère a tenu. Les auditeurs sont censés établir une filiation idéologique. Comme celle qui est faite avec Hassan Al banna. Car là encore, il est admis, sans discussion, sans connaissance, que l’œuvre de ce fondateur des frères musulmans est obscure et fondamentaliste. Dans des conférences et dans des ouvrages, Ramadan a plusieurs fois le bilan de critique de l’œuvre de Hassan al banna en la contextualisant, soulignant aussi bien les points sur lesquelles il était en accord avec lui que ceux sur les quels il était en désaccord et surtout en précisant qu’il n’était en rien représentant des frères musulmans. Malgré plus d’une vingtaine d’ouvrages et de nombreux textes, on continue toujours à lui faire des procès d’intention. La moue de Mme Sarkozy (que l’on nous a abondamment montré) dès que Ramadan est apparut sur l’écran géant, en disait long sur l’opinion déjà faite du couple Sarkozy sur M. Ramadan. Manifestement on était là pour se faire du Ramadan. Que l’on nous permette ici un léger procès d’intention. Lorsque que la presse toute entière, les intellectuels la droite et de gauche confondus, tentent de discréditer Mr ramadan, plus que l’homme, c’est une certaine voix de l’islam qu’on essaye d’étouffer. On préfère donner la parole à des imams obscurs ne sachant pas aligner une phrase correcte, que l’on peut facilement confondre, à des pseudo intellectuels, récemment convertis à l’intégrisme laïque, ou à des beurs désirant s’assimiler en prônant un islam sans identité et sans substance. A notre époque où l’image tient lieu de vérité. En quelques semaine de déchaînement médiatique, on construit de toute pièce, par raccourcis, allusions douteuses, contrevérités, calomnies, manipulations d’images, un anti-sémite et un fondamentaliste. A telle enseigne qu’aucun journaliste ne prend la peine de vérifier, le soi disant double discours dont affabule M. Ramadan, tellement cette vision rencontre leurs vérités intimes, faites de peurs, de fantasmes remontant aux sarrasins et d’atavismes obscurs. Faisant ainsi fi de la réalité de l’œuvre et de l’engagement de l’intéressé. Quant il s’agit de l’islam, tout le monde perd la raison. Ramadan est certainement victime de son intelligence, de son éloquence, de sa prestance, de sa culture, et de son souci de probité intellectuelle. Qualités qu’on a du mal à reconnaître à un musulman de nos jours. Ces derniers sont toujours sommés de se justifier. De se justifier on nom des actes des terroristes. De se justifier au nom de ce qui se passe sous d’autres latitudes, gommant ainsi les déterminismes historiques, sociologiques, les particularités des différents groupes sociaux. Masses grouillantes, interchangeables, solidaires dans la médiocrité, dont les faits échappent aux catégories de l’analyse rationnelle : voilà comment ils sont sont perçus. Alors le discours islamophobe se banalise, se normalise. Ca commence toujours comme çà : la banalisation de l’insulte et du déni.

Au fond, ce que l’on ne veut pas admettre c’est que l’islam puisque être autre chose que une religion obscure et rétrograde. Et ne venez surtout pas parler d’âge d’or de l’islam, vous êtes passéiste ! On veut des exemples contemporains ! L’islam à ses certes ses propres défis à relever : construire sa modernité . Depuis longtemps les intellectuels musulmans s’engage face à ces défis, (Nasr abou zeid, Ramadan, Iqbal, Mohammed Abdou…) de manière courageuse, sont parfois victimes de tortures, de bannissements et d’exécutions de la part de régimes obscurs, dans le silence général. Les défenseurs de la liberté d’expression si prompts à défendre Oriana Fallaci (auteur d’un brûlot islamophobe) et tant d’autres, se taisent dans ces cas là. Ici aussi, comme la compassion, le soutien est sélectif. Puisque la démocratie et le développement économique sont les étalons-or de tout progrès (auquel nous souhaiterions ajouter le progrès spirituel). La Malaisie est un pays démocratique, l’Indonésie sort du sous développement économique et est pays stable, l’Afrique de l’ouest est démocratique et laïque, l’islam y côtoie la république et les autres communautés en paix. La Turquie voisine est démocratique et laïque. Est-il besoin d’énumérer, de comptabiliser là où ça se passe bien, là où l’islam est porteur de lumières ? Non.

Il y a assez d’érudits, de chercheurs, de spécialistes de l’islam en France et en occident qui connaissent cette religion. Pourquoi se taisent-ils et laissent-ils hurler la meute, de peur de l’autre, d’ignorance de l’autre (relayée par des leaders d’opinion) ? Est-ce le vieux conflit entre foi et athéisme qui resurgit ? Derrière la soi disant défense de la laïcité n’est ce pas un vieux sentiment anti-religieux et le refus profond, arc-bouté, de tout mode de vie qui ne soit pas originairement européen et chrétien qui s’exprime. L’Europe n’était-elle pas censée avoir des racines blanches, judée-chrétienne, romaine, grecque ! Oublie t-elle que l’islam est présent en Europe depuis le moyen âge : en Pologne, dans les Balkans, en Espagne. Se rend elle compte que son identité évolue, se recompose, que ses branches hument d’autre vents et que ses jardins sont arrosés par d’autres pluies ? Voilà peut être ce qui à du mal à passer chez ceux qui craignent le torrent imprévisible du devenir ; chez ceux qui regrettent une certaine France qui s’en va !

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