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Samarra (Irak), exemple d’imposture médiatique

L’incapacité de l’administration Bush à parler sans détours de sa politique irakienne a ancré chez les gens un sentiment profond de suspicion. La vérité, nous ne l’avons pas eu il y a un an, quand l’administration américaine a proclamé de façon peu plausible que Saddam Hussein était une menace pour la sécurité des Etats-Unis. La vérité, nous ne l’avons toujours pas aujourd’hui, lorsque le président Bush et quelques autres transforment le combat en Irak en une sorte de défense du territoire national. « Nous frappons durement les terroristes en Irak et leur infligeons des défaites chez eux… », a déclaré le vice-président Dick Cheney il y a une dizaine de jours, « …pour ne pas avoir à les affronter dans nos rues ». Le président Bush, lors de sa visite éclair, mais pas très brillante, à Bagdad, a tenté de regonfler le moral de ses troupes dans des termes à peu près similaires : « vos victoires sur les terroristes nous éviterons d’avoir à les affronter dans notre pays ».

Voilà un exemple de manipulation de l’opinion publique visant à justifier une guerre planifiée résultant d’un choix délibéré.

Les soldats américains ne risquent pas leurs vies en combattant le terrorisme international en Irak. Pas plus qu’ils ne luttent contre les responsables du 11.09 ou leurs alliés. La guérilla qui pilonne les bases américaines au mortier, qui tend des embuscades aux patrouilles, qui fait exploser des mines sur les autoroutes, au passage des convois américains, est composée pour majeure partie d’Irakiens de souche qui s’efforcent de chasser l’envahisseur de leur pays. Les bureaucrates ont beau ne pas démordre du fait que des terroristes liés à Al-Qaïda s’infiltrent en Irak depuis la Syrie, l’Iran et l’Arabie Saoudite, pour participer au combat, les militaires présents sur le terrain et en charge de la surveillance des frontières, ont reconnu à plusieurs reprises qu’ils avaient peu d’éléments allant dans le sens d’une internationalisation du conflit.

Le but commun de la résistance est de mettre un terme à ce qui est vécu maintenant comme une occupation, mais cet engagement est renforcé par un sentiment général d’anti-américanisme, alimenté par la politique étrangère globale de Washington dans la région, et en particulier, par son soutien inconditionnel à Israël.

L’invasion anglo-américaine a apporté la liberté de parole, la disparition d’un réseau de dénonciateurs à l’échelle du pays, de meilleurs salaires (pour ceux qui ont un emploi) et des perspectives d’avenir, pour une infime minorité seulement.

Le chômage généralisé, l’insécurité, les « coups de doigt » des soldats américains, quand ils ne se livrent pas purement et simplement à du pillage en règle vis-à-vis des civils, les coupures de courant prolongées et les files d’attente interminables qui n’épargnent aucune station service (jusqu’à trois files sur un kilomètre), les embouteillages provoqués sur les axes principaux, par les murs de béton dont les forces américaines s’entourent, sont autant de raisons qui alimentent la colère des Irakiens.

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L’idée qui se dégage en discutant avec l’Irakien de la rue suggère que la résistance est loin d’être pro-Saddam, la page ayant été tournée par l’immense majorité de la population. Il s’agit plutôt d’une réaction à des agressions multiples et à une répression menée sans discernement ni respect des traditions locales.

A cet égard, les événements du dimanche 30 novembre 2003, à Samarra, illustrent cette tendance de l’armée américaine à transformer le combat en Irak en une guerre médiatique, quitte à falsifier la vérité. Ils illustrent aussi le fait que bien souvent, l’armée américaine est le meilleur sergent recruteur de ses propres opposants.

Samarra, c’est l’histoire d’un détachement américain escortant un convoi venu approvisionner en devises les deux banques de la ville, à une heure d’affluence, en dépit des recommandations des chefs des principales familles. C’est l’histoire, d’un soldat américain trébuchant sur un obstacle alors que retentissaient dans le lointain des coups de feu. C’est l’histoire d’un détachement déclenchant un tir nourri à l’arme lourde, dans la rue principale et sur les bâtiments environnants. C’est l’histoire d’hommes excédés par des semaines de harcèlement, se précipitant dans leurs échoppes, dans leurs maisons, dans leurs voitures, pour récupérer des armes et défendre leur ville et leurs familles. L’armée américaine a annoncé avoir tué cinquante-quatre fedayins de Saddam, au cours de violents combats. Pour la ville, qui s’exprime à l’unisson, il y a eu en tout et pour tout huit tués, dont un enfant de douze ans, une femme, un vieux pèlerin de Téhéran tué dans la cour même du sanctuaire sacré d’Al-Askariya par une balle perdue, et quelques combattants pris parmi les gens du quartier, ainsi que cinquante-cinq blessés, dont cinq se trouvent encore à l’unique hôpital de la ville. Deux frères de huit et six ans, Mohamed et Ali Abdallah Amin, ont été touchés aux jambes et au torse alors qu’ils se trouvaient dans la petite mosquée Al-Chaféi, en face de l’hôpital. Leur père est quant à lui décédé des suites de ses blessures, après qu’un blindé américain ait ouvert le feu sur la mosquée, blessant également Jassem Daoud et Jamel Mountassar, eux aussi toujours hospitalisés. Il faut enfin ajouter que depuis les événements le centre ville est privé d’électricité et d’eau courante et qu’aucun responsable américain n’a cherché à rencontrer les autorités de la ville ou à s’enquérir de l’état des blessés irakiens.

Le cheikh Abbas Al-Naqshabandi, descendant du Prophète et chef d’une des grandes familles de Samarra, ne peut qu’exprimer sa consternation : « Tuer des êtres humains et faire couler le sang est prohibé dans notre religion…avec ces événements, les gens en viennent à regretter l’époque de Saddam… je vous demande où sont la liberté, la démocratie et les droits de l’homme ? Si les forces d’occupation continuent à blesser et humilier les gens, chaque homme se transformera en bombe humaine ».

Eric Rendek, depuis Samarra (Irak)

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