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Retour sur le reportage d’envoyé spécial consacré à Islam « radical »

 

Le reportage d’Envoyé Spécial diffusé sur France 2 le 12/02/04 se voulait objectif sur la montée d’un Islam « radical », « pur et dur », « fondamentaliste », à Trappes, objectivité appuyée sur 7 mois d’immersion. Le reportage est, en fait, symptomatique d’un débat miné sur un phénomène éminemment complexe et qui fait place aux amalgames les plus simplistes. Notre héros de France 2, a priori plein de bons sentiments, regarde avec une peur démesurée ces étrange(r)s barbus et leurs femmes voilées. De par ce reportage, France 2 amplifie lourdement le mépris que ressent une partie importante des musulmans de France en quête de respect et renforce les peurs du téléspectateur moyen qui découvre un phénomène qui se développe depuis déjà 20 ans.

 

La République Islamique de Trappes

 

La présentatrice présente le reportage et prévient le téléspectateur : « cela ne se passe pas à l’autre bout du monde mais à une trentaine de kilomètres de Paris (…) Dans cette commune ouvrière (…) l’ordre social et moral est aujourd’hui imposé par (…) l’Islam. (…) ». Comprenez : cela pourrait se passer dans un Etat régi par la Chariaa. Le reporter confirme : « Quand on part à l’étranger, on cherche quelqu’un qui connaît le pays. Ici aux portes de Paris, je ressens le même besoin ». On peut s’attendre d’ores et déjà à un regard inquisiteur sur l’Islam d’un reporter qui prétend s’être immergé pendant plus de quatre mois à Trappes (on ne sait plus si le tournage a duré 4 ou 7 mois). Cette soi-disante immersion, nous dit le journaliste, a un prix : au péril de son intégrité physique, il a eu le courage de venir dans un de ces ’territoires perdus’ de la République. Il est averti par un homme qui souhaite dissimuler son identité : « ça va péter ». Un autre menace : « Ne filmez pas les frères ici. (…) la prochaine fois qu’un journaliste revient (…) On va le s’questrer ». Au lendemain du reportage, je pars interroger quelques pratiquants hommes et femmes sur ces deux personnes anonymes, en fait, tout le monde les connaît et préfère rire de leur propos : « c’est des petites cailleras qui pratiquent l’Islam ’vite fait’, il n’y a rien d’islamique dans leur discours ». Diffuser leurs avertissements en cachant leur identité avait un effet garanti : les musulmans sont bel et bien dangereux. Cette dangerosité est étayée par l’image d’une poignée des membres d’une association locale (l’Union des Musulmans de Trappes) présentée comme un « service d’ordre musclé ». Le péril Islam est illustré encore une fois par des images bien choisies : le reporter montre un arabe qui porte un bonnet noir (l’analogie avec la cagoule terroriste était efficace) puis un barbu (que les trappistes appellent avec beaucoup de dérision « Ben Laden » pour sa ressemblance physique avec l’homme le plus recherché du monde). Mais que faisaient ces hommes portant un brassard sur le bras ? Tenter, tout simplement, le jour de l’Aïd El Fitr qui célèbre la fin du mois de Ramadhan, de réguler la circulation de milliers de musulmans qu’il faut accueillir dans un lieu de prière qui peine à les contenir et des centaines de voitures dans un parking qui n’en est pas un. Mais non : « ce ne sont pas des musulmans comme les autres ».

 

Le vocabulaire de l’invasion

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L’Islam, comme une mauvaise herbe, serait en train de contaminer sauvagement l’espace public : « Ici, d’habitude, ils prient dans des caves ou au pied des immeubles ». Comme si les musulmans avaient un nombre indéfini de lieux de prière à Trappes et proliféraient par la colonisation des immeubles ! Le questionnement du reporter est annoncé : « Quel est ce groupe qui cherche à entraîner les musulmans de Trappes vers un mouvement fondamentaliste ? Et pourquoi ? » L’Islam est présenté comme un bloc uniforme « pur et dur » rassemblant les arabes qui fréquentent la salle de mosquée de Trappes et qui cherche « à jouer sur les enjeux politiques locaux ». Le président de l’Union des Musulmans de Trappes serait un islamiste radical qui a pris le contrôle politique de la ville de Trappes et comme seule preuve de son fondamentalisme, une manifestation organisée par l’UMT pour l’obtention du permis de construire du Centre Islamique de Trappes (« Centre Islamiste de Trappes » me dit une femme résidant dans une commune voisine qui, elle, ne fait pas de bruit… lapsus révélateur des amalgames qui ont cours aujourd’hui sur l’Islam) : « un millier de musulmans marchent sur la mairie » commente le journaliste.

 

Un Islam ou des Islams ?

 

S’il existe bel et bien un Islam montant à Trappes, le journaliste n’a pas su voir les divergences idéologiques qui traversent les rapports entre les musulmans et qui sont pourtant évidentes lorsque l’on connaît un peu la réalité du terrain. Les différents points de vue théologiques des musulmans sont simplifiés à outrance. On a d’un côté, les gentils Africains qui pratiquent un Islam modéré, ouvert et qui ont fui la salle de prière et d’un autre côté, les méchants Arabes qui pratiquent un Islam intégriste. Or les noirs africains les plus représentés à Trappes sont la communauté malienne qui fréquente toujours, contrairement aux Sénégalais, la salle de prière du quartier de la Commune, lieu incriminé dans le reportage. Il faut un coupable et le président de l’UMT est donc présenté comme un manipulateur dans l’ombre. Mais quel est véritablement l’Islam de cet homme puisque son fondamentalisme n’a pas été prouvé ? Le président de l’UMT représente en fait un courant religieux qui tente de concilier la pratique orthodoxe de l’Islam et la citoyenneté, prônant ainsi un Islam réformiste alors que le seul petit groupe de musulmans qui propose une lecture littéraliste du Coran refuse toute participation politique dans un pays non musulman (refus de voter, de participer aux activités associatives, de manifester etc.). Le projet de ces derniers qui se réclament du wahhabisme est simple : tenter de pratiquer en France un Islam inspiré par les savants saoudiens puis immigrer dans un pays musulman dès qu’un certain nombre de conditions sont réunies. Au final, le temps total accordé à la prise de parole des hommes fréquentant la salle de prière ne dépasse pas le plafond des trois minutes. Certes, le journaliste a longuement interviewé les femmes voilées de la salle de prière de Trappes qui, pour démentir les présupposés qui courent sur elles, ont accepté de parler. Mais chez les hommes qui fréquentent la salle de prière de Trappes, il n’a interrogé que Brahim, un franco-américain converti à l’Islam, membre du Tabligh, mouvement qui n’a rien à voir avec l’U. M.T et qui fait recette chez les journalistes tant il est facile de contacter ses adeptes. Et pour cause : les tablighs se distinguent des autres tendances de l’Islam par leurs pratiques actives du prosélytisme (porte à porte, déplacements organisés de mosquée en mosquée etc.) et cherchent tous les moyens pour diffuser la bonne parole.

Au final, par des procédés déontologiquement inacceptables et une investigation qui n’en a que l’apparence, le journaliste a signé un document irresponsable dans un climat de psychose collective à quelques semaines des élections régionales.

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