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Résistance islamique et provocations terroristes

Le complot récemment déjoué par la police britannique grâce à la coopération des services de sécurité pakistanais, et visant à faire exploser des avions de ligne en direction des USA, a été une nouvelle fois l’occasion pour une certaine presse de verser dans l’amalgame douteux entre résistance islamique et terrorisme. Nul doute que la forte médiatisation de cet événement risque d’accroître le climat d’islamophobie qui règne depuis le 11 septembre et les attentats de Londres et Madrid.. C’est donc la communauté musulmane qui risque malheureusement d’être la première victime de cette situation. C’est une raison suffisante pour revenir sur une question aussi sensible.

Notons au passage que le complot en question a subitement été mis au jour au moment où les l’enlisement et les excès de l’armée israélienne au Liban commençaient à renforcer le mouvement d’opposition à la guerre au sein de l’opinion publique européenne et britannique en particulier. Bien entendu, il n’est pas nécessaire d’y voir là, la main d’on ne sait quel complot policier. Mais la coïncidence est troublante. Elle permet d’attirer l’attention sur la curieuse convergence objective entre les provocations terroristes attribuées à tort ou à raison à des groupuscules se réclamant de l’islam et la stratégie policière des Etats européens qui recherchent le premier prétexte venu pour renforcer la surveillance, la répression et l’intimidation de la communauté musulmane et pour justifier leur alignement diplomatique de fait sur la politique américaine.

Nous savions déjà combien les actes terroristes de New York, Londres et Madrid ont été exploités par les régimes de Bush et Blair pour justifier leur intervention en Afghanistan et en Irak et leur politique de restriction des libertés à l’intérieur de leurs frontières, politique qui a pour but essentiel l’intimidation de la communauté musulmane et de toutes les forces susceptibles de se solidariser avec les peuples en butte à l’agression américaine. En contribuant ainsi à créer un climat sécuritaire et xénophobe des plus défavorables à la mobilisation pacifiste en Europe contre l’impérialisme et contre la politique coloniale israélienne, sans porter des coups sérieux à la machine de guerre de l’adversaire, ces actes terroristes ne sont pas uniquement inefficaces mais carrément contraires à la cause que leurs exécutants prétendent défendre.

L’inflation médiatique qui accompagne ce genre d’évènements grossis à dessein pour faire oublier le reste – c’est-à-dire le terrorisme à l’échelle industrielle que font subir quotidiennement les armées américaine et israélienne aux populations qui ont le malheur de se trouver devant elles- se complaît à ignorer les débats sérieux qui traversent la mouvance islamique à ce sujet. Dans ces débats, les considérations morales côtoient les analyses politiques pour conclure au rejet des actes terroristes qui, tout en étant contraires à l’éthique islamique, ne servent pas en dernier ressort la cause des peuples musulmans opprimés.

Mais ce qui dérange certains médias occidentaux et les empêche de rendre compte fidèlement des débats qui traversent la mouvance islamique, c’est évidemment le fait que la plupart des mouvements islamistes dénoncent les actes terroristes visant la population civile en Europe tout en exprimant leur solidarité avec ce qu’ils estiment être une résistance armée légitime dans les territoires palestiniens occupés, au Liban, en Afghanistan, en Irak, etc. Bien entendu, les débats à ce sujet ne sont pas simples et parfois certains prolongements continuent à partager les sensibilités et les courants théologico-politiques. Un courant aussi important que celui des « Frères musulmans » est arrivé par exemple à bannir politiquement tout recours à la violence même dans les pays arabes les plus autoritaires tout en soutenant le recours légitime à la résistance armée contre l’occupant israélien.

Au sein de la mouvance islamique sunnite, nombreux sont les courants qui dénoncent fermement le recours à la violence confessionnelle aveugle de certains groupes pseudo-salafistes se réclamant d’al-Qaeda contre les populations chiîtes en Irak, violence qui fait directement le jeu de l’occupant américain et de ses supplétifs irakiens. Les attentats terroristes qui frappent épisodiquement certains pays musulmans (Indonésie, Pakistan, Arabie saoudite, Jordanie, Egypte, Maghreb) et qui seraient le fait de groupuscules plus ou moins affiliés à la nébuleuse suspecte d’al Qaeda apparaissent de plus en plus comme des provocations servant directement la stratégie autoritaire et répressive des pouvoirs en place et retardant d’autant les décantations politiques nécessaires au sein du mouvement social.

Bien entendu, la question du recours à la violence, aussi importante soit-elle, ne saurait être exclusive, d’autres questions importantes comme celles qui se rapportent au programme politique et qui gagneraient à être débattues démocratiquement pour réunir le plus grand consensus par delà les clivages politiques traditionnels. C’est le cas notamment des questions relatives au développement durable, à l’Etat de droit, au système de solidarité sociale, aux libertés fondamentales, à l’égalité citoyenne, en particulier l’égalité des sexes. Cependant, la question de la violence continue à être un excellent test de démarcation politique dans les pays musulmans. En effet, le respect de la vie et de l’intégrité physique et morale des personnes peut devenir un critère essentiel autour duquel émergera une véritable compétition politique digne et sereine autour de programmes sérieux loin des slogans idéologiques creux. Que serait en effet un développement ou une démocratie incapable de garantir le droit à la vie, à la dignité et à la liberté des personnes ?

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En Europe, les provocations terroristes qui viennent alimenter épisodiquement le climat islamophobe ne sauraient laisser indifférents les musulmans engagés dans le travail associatif et caritatif. Il faudra du courage pour ne pas se laisser intimider et affirmer haut et fort que l’amalgame entre la résistance armée légitime face à l’occupant et le terrorisme aveugle visant des civils innocents n’est pas possible. Le premier devoir de ces militants associatifs musulmans en Europe est de manifester leur solidarité avec les peuples opprimés dans le monde à commencer par les peuples palestinien, libanais et irakien. Enfin, ils auront à contribuer au débat en vue de l’émergence d’une pensée politique musulmane progressiste.

Cette pensée politique est appelée à intégrer aussi bien des questions programmatiques se rapportant au projet de société solidaire poursuivi que des questions diplomatiques comme celles ayant trait à l’alliance stratégique incontournable avec la Russie et la Chine, ce qui ne saurait se faire sans un débat préalable sur l’attitude politique à avoir à l’égard des enclaves musulmanes existant au sein de la Fédération de Russie et en Chine que l’impérialisme américain cherche à manipuler aujourd’hui sciemment. Si le financement saoudien de projets caritatifs, sociaux ou religieux dans ces enclaves est tout à fait légitime et « louable », la question reste ouverte sur la meilleure manière pour ces minorités musulmanes de défendre leur identité et leurs intérêts sans les opposer stratégiquement aux intérêts supérieurs de la Oumma, victime aujourd’hui de la dépendance, du mal-développement et du morcellement que le projet impérial américain cherche à pérenniser et à aggraver.

La question de la violence devient ainsi un élément clé dans l’appréciation des situations politiques et l’élaboration d’une stratégie appropriée. Dans les régions musulmanes occupées par l’impérialisme américain et son comparse israélien, la résistance ne peut que susciter la sympathie et la solidarité concrète des musulmans à travers le monde. Dans les pays musulmans, la violence apparaît comme une forme de fitna injustifiée, quelle que soit l’ampleur de l’injustice que font subir les régimes corrompus à leurs sociétés respectives, dans la mesure où elle porte un grave coup à la nécessaire cohésion sociale et fait directement le jeu des pouvoirs autoritaires en place. Dans les pays européens, le recours au terrorisme est non seulement moralement inadmissible parce qu’il vise des civils innocents mais aussi politiquement improductif, et contribue à freiner l’élan de solidarité qui se manifeste au sein de l’opinion publique européenne en faveur des peuples palestinien, libanais et irakien.

Face aux pressions des uns et aux provocations des autres, face aux excès d’un adversaire qui foule aux pieds chaque jour les principes humanitaires et démocratiques dont il se gargarise, les Musulmans doivent plus que jamais rester attachés solidement aux principes moraux qui font leur force : le devoir de respect de la vie et de la dignité humaines et le devoir, lié au premier, de résistance et de solidarité face à l’injustice et à l’oppression.

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