in ,

Relire nos sources !

coran

Le Coran a toujours demandé la même chose aux hommes, à savoir la nécessité de s’ouvrir à lui. Ce texte immense, qui quand on le fréquente régulièrement force le respect, articule ou plutôt désarticule des principes qui ne demandent qu’à être incarnés. Ibn Hazm avait dit que tout dans le Coran était principe (asl) et cette fulgurante vision, d’un penseur vraiment spécial tel que l’a été Ibn Hazm, pose ni plus ni moins l’idée que le Coran sera, pour toutes les époques, une solution.

Un principe (asl) vit dans la durée alors que le cas spécifique (far’) est fait pour mourir. Le Coran est paradigmatique (asl) et certainement pas programmatique (far’). Mais pour s’ouvrir au Coran l’homme doit entamer une phase de purification de sa conscience personnelle (nafs) d’abord puis de son tréfonds humain ensuite (qalb).

Le Coran est un livre qui fait jaillir l’éternel de « la gangue de la phrase comme l’étincelle du silex ». Sa venue ou plutôt sa descente, fut reçue comme un véritable coup de tonnerre dans le cœur des premiers hommes qui l’ont entendu, qu’ils l’aient compris ou non d’ailleurs. Massignon écrivit que le Coran « n’est pas seulement un code ; il appartient à ce genre de livres très rares, qui ouvre une perspective sur les fins dernières du langage, qui n’est pas un simple outil commercial, un jouet esthétique ou un moulin à idées, mais peut avoir une prise sur le réel, et, en gauchissant sur la syntaxe, comme un avion sur l’aile, fait décoller de terre » (Opera Minora, I, p.15-18).

Ce sont les propos d’un homme à l’intuition profonde mais surtout ayant une érudition immense et peu commune. C’est un intime des plus grandes œuvres de la pensée musulmane. Beaucoup parmi nos jeunes « musulmans », nés en France, ne savent pas qui il a été et quel rôle il a joué en déterrant notre patrimoine spirituel […]

Par le passé, lorsque les générations musulmanes n’étaient pas envahies par le ressentiment, nous avions une tout autre lecture du Coran. Nos aïeux avaient à l’esprit et dans le cœur cette parole prophétique qui nous enjoignait de « lire le Coran comme s’il nous était révélé à nous-même». Cela avait un sens dans l’histoire. Le Coran doit amener l’âme dispersée par les appels multiples de la vie et de ses attraits, parfois irrésistibles, à l’unité ; la paix de l’âme ne pourra être une réalité qu’à cette condition. Le Coran au-delà des sciences historico-critiques dont on dira quelques mots, a des résonances quasi magiques.

Schuon, un penseur suisse, écrivait dans « comprendre l’Islam », que « l’on pourrait se lasser du contenu si on ne savait pas qu’il nous concerne d’une façon tout à fait concrète et directe, c’est-à-dire que « les mécréants » (kafirun), les « associateurs » de fausses divinités à Dieu (mushrikun) et les « hypocrites » (munafiqun) sont en nous-mêmes ; que les Prophètes représentent notre intellect et notre conscience ; que les histoires coraniques se déroulent presque journalièrement dans notre âme ; que la Mecque est notre cœur ; que la dîme, le jeûne, le pèlerinage, la guerre sainte sont autant d’attitudes contemplatives » (p.37).

Voici comment nous lisions le Coran il y a des siècles ; nous le lisions en remettant en cause nos propres jugements et comportements et non les autres. Nous sommes, depuis, passés de l’Islam édificateur à l’Islam de la bonne conscience où il s’agit de voir « la paille qui se trouve dans l’œil de son frère et non la poutre qui se trouve dans notre œil ». Bref ! On lit le Coran pour dire que l’on appartient à telle tribu et non à telle autre mais certainement plus pour le comprendre et encore moins pour incarner les valeurs morales qu’il révèle […].

Posons-nous la question maintenant de savoir quelle est la place du Coran au sein des communautés de l’Islam ? Quel usage en font-elles au juste ? Les musulmans francophones le comprennent-ils vraiment ou lui font-ils dire ce que lui-même ne dit pas réellement ? Répondons d’emblée que la place du Coran est… dans un coin poussiéreux de nos demeures. Très peu le lisent en réalité ; le brandir est une chose mais le lire, le comprendre et le suivre surtout, est une tout autre affaire.

Mais dans l’imaginaire et l’inconscient collectif des communautés musulmanes sa place est considérable. Il faut bien comprendre, pour ceux qui ne le sauraient pas, que le Coran est pour le musulman le verbe de Dieu (kalamou llah), il est au musulman ce que le corps du christ est pour les chrétiens. Pour les philosophes, il est le Logos, la Parole intelligible, éternelle et créatrice du Dieu Unique, Celui d’Abraham et de Muhammad. On comprend dès lors, pourquoi beaucoup (trop) de personnes s’en revendiquent tout en le trahissant (selon nous) si, comme nous le constatons, il agit dans l’imaginaire seulement tout en étant très peu lu et appliqué.

C’est pourquoi, nous restons stupéfait de voir tous ceux qui promptement le défendent en le brandissant lorsqu’il y a de l’irrespect à son égard, alors que le meilleur respect que l’on puisse donner au Coran, ce n’est pas d’aller manifester sa colère lorsque des provocateurs le brûlent, mais d’offrir de la dignité. Nous devrions, nous autres musulmans modernes, qui sommes devenus un « chouïa » irascibles, tenter d’être des « Corans qui marchent » c’est-à-dire des êtres spirituels. Ces spirituels qui étaient au début de l’Islam comme un « arbre fruitier », lorsqu’on leur jetait des pierres, en réponse « ils faisaient tomber un de ses fruits ». Facile à dire ! Et très difficile à faire.

Mais c’est l’enseignement réel du Coran et cette image de l’arbre fruitier est connue en terre d’Islam comme appartenant au Prophète. La vocifération voire l’assassinat au nom d’une réparation ou d’une justice que l’on se fait soi-même pour soi-même, restera pour toujours en Islam, l’aveu d’une âme obscure, lâche et faible. Alors pourquoi tant de ressentiment au sein des communautés de l’Islam ?

Je pense sincèrement que l’islam de la bonne conscience qui caractérise beaucoup de musulmans français, est tellement superficiel qu’il ne peut générer que des réflexes tribaux. Je m’explique : si mon adhésion à ce que je pense être l’Islam n’est que l’effet de mon appartenance à la tribu et non celui de l’approfondissement de ma nature spirituelle, je ne peux que suivre le groupe par habitus et réflexe tribal ; je trahis mes idéaux au profit de ma tribu. Dès lors, le danger est grand de voir mon appartenance religieuse m’enfermer, m’étriquer et me dé-fraterniser avec le reste de l’humanité.

L’Islam traditionnel qui incarne le Coran, amène au dépassement de la communauté religieuse pour faire entrer le musulman dans la fraternité humaine […]. Il n’est plus si facile de pénétrer le texte fondateur de l’Islam. De nos jours, le temps compressé et accéléré et les habitudes instantanées, n’aident pas le lecteur à prendre le temps de comprendre l’esprit qui anime le Coran.

Publicité
Publicité
Publicité

Beaucoup, malheureusement, n’ont pas la légitimité pour parler ou écrire sur le Coran car ils n’ont pas accès à son message qui est, lui-même, principalement axé sur sa métaphysique (mais ils peuvent avoir un magistère surtout lorsque l’on pense à Michel Onfray qui écrit « Penser l’Islam » en quelques semaines comme ça spontanément, inspiré par sa « muse » ou son démon, et nous savons tous qu’il n’a aucune légitimité pour le faire mais il a un magistère celui de la « pensée philosophique »).

En France, il y a de plus en plus de préjugés qui enveloppent le Coran, source essentielle de l’Islam, et qui empêchent sa réelle compréhension. Pourtant d’excellents ouvrages existent, malgré leur rareté en langue française, ils sont à la fois très accessibles et très bien sourcés. Je n’en citerai qu’un seul à savoir celui de Michel Cuypers et Geneviève Gobillot sur le « Coran » aux éditions le « Cavalier bleu ». Les auteurs déconstruisent les innombrables idées reçues autour de ce texte majeur telles que « L’Islam interdit l’interprétation du Coran » ou « le Coran infériorise les femmes » ou encore « le Coran est intolérant ».

Néanmoins, malgré ces études sérieuses, le halo de pensées négatives ne cesse de s’accroître autour du Coran, ce qui démontre que les phénomènes médiatisés ont un impact considérable sur la psyché souvent apeurée des gens. D’ailleurs, dans ce petit ouvrage sur le « Coran » un rapide chapitre sur la structure des sourates qui composent le Coran nous est apparu très précieux car il rejoint l’idée d’une structure du Coran en « entrelacs » évoquée par Jacques Berque ; il apparaît ainsi, que le Coran semble être construit sous la forme d’un immense réseau comme une galerie souterraine avec de multiples couloirs liés les uns aux autres ce qui tend à limiter l’analyse purement linéaire verset par verset.

Or, tout le patrimoine relevant des commentaires du Coran (tafasire) repose sur le commentaire linéaire verset par verset, ce qui amène parfois à des analyses obscures qui ne semblent pas révéler le véritable message qui sous-tend la sourate.

Cette découverte récente, corrobore la vision d’un coran vivant ou plutôt organique. Le Coran comme un corps vivant dispose de cellules que sont les versets qui composent eux-mêmes l’organe qu’est la sourate et chaque cellule-verset travaille pour l’unité de la sourate-organe qui travaille à l’unité du corpus coranique.

Selon nous, c’est l’approche synchronique (terme technique qui signifie simplement que l’on cherche à trouver un sens unitaire aux versets qui habillent les sourates du Coran) qui apparaît plus efficace que l’approche historico-critique, qui est presque toujours diachronique (qui veut simplement dire que les chercheurs tiennent compte du fait que l’ordre de la composition du Coran – tartib al jam’- n’est pas celui de l’ordre de la révélation – tartib al wahi). 

Ce qui nous a toujours manqué lorsque nous apprenions le Coran, ce sont des clefs de compréhension nous aidant à ouvrir quelques-unes de ses portes ; nous le lisions envoutés par la beauté de la sonorité de sa langue, qui déclenche très vite chez le lecteur-auditeur, un élan de l’âme qui, malheureusement, retombe dès que sa musicalité disparaît ; d’ailleurs, un hadith (sentence du Prophète) prévient qu’il ne restera du Coran que sa musicalité et non plus ses valeurs morales et spirituelles, que le Livre appelle constamment à incarner.

Sa récitation agite en fait, plus nos sentiments qu’elle nous ouvre ce fameux univers intérieur qui, selon les soufis, est plus vaste que l’univers tout entier. Très tôt, la tradition spirituelle musulmane associe l’ascèse de l’âme, qui doit lutter contre ses mauvaises inclinations, à la compréhension du Coran. C’est un aspect que la modernité ne comprend plus vraiment. Très tôt, la tradition musulmane avertit que les voiles du Coran, sa pénétration (tadabboure) en fait, ne peuvent être levées que par une âme assainie.

La connaissance (al ma’rifa) et la moralité (al khoulouq) sont indissociables et plus l’homme fait son « travail d’homme » en étant moralement bon et plus il augmentera sa connaissance du Coran ; « soyez des êtres moraux et Dieu vous enseignera » (C. – 2, 282) rappelle le Coran, et cet enseignement a bien été assimilé par les soufis. Ces maîtres de l’exégèse ont développé une méthode expérimentale de l’analyse de la lettre du Coran et dont nous reviendrons plus loin, car elle est à la fois d’une actualité surprenante et d’une efficacité réelle sur le parcours personnel d’un « cheminant », cherchant à devenir meilleur.

Disons déjà simplement, qu’avec cette méthodologie soufie, la référence à l’événement historique à travers les « asbab al nouzoul » (les circonstances de la révélation) cède la place à l’expérience de la vie intérieure, Paul Nwyia parlait lui, « d’avènement d’une histoire intérieure ». Ainsi, le lien dès l’origine de l’Islam, entre « moralité » et connaissance, révèle une loi morale fondamentale à savoir que c’est uniquement par la pratique du bien que l’on reconnaît le bien ; la morale appartient au monde de l’expérience et non au monde des idées et comme le dit Aristote « l’amour du bien n’est pas la pratique du bien ».

Notre conscience aimant le bien ne fait pas de nous des êtres moraux, et c’est toute la distance qui sépare le philosophe professionnel du saint réalisé, qui peut être par ailleurs philosophe, à l’instar de Plotin. Mais moi, lecteur du Coran qui cherche à comprendre ce message que je sens comme vital, j’ai besoin d’une pensée lucide et critique, je dois avoir à ma disposition un outillage conceptuel me permettant de ne pas trahir ce message fondamental.

La naïveté ne suffit pas à comprendre le Coran. Si l’on frappe à la porte de la mosquée on nous promettra de la répétition (qira’a) mais certainement pas de la compréhension (fahm). Pathétique situation certes mais, selon la promesse coranique, elle n’est pas définitive et nous essaierons dans un prochain texte d’entrevoir une piste. Dieu nous prend au sérieux, tâchons à notre tour de répondre à Son appel consciencieusement.

Publicité
Publicité
Publicité

2 commentaires

Laissez un commentaire
  1. Cdl, , je vais t’expliquer puisque tu demande des précisions . D’ailleurs je te sent en quête identitaire puisque tu pose beaucoup de question , tu interroge beaucoup c’est bien . Tu a beaucoup d’interrogations , mais peu de réponses . Ce n’est pas un mal en soi, tu es justement en quête d’un récit , puisque tes convictions personnels ne s’apaisent pas.

    Un récit c’est ça , c’est ce définir un système de valeur , se construire une identité complexe et pragmatique , et non fantasmé. C’est avoir une vision du monde , sans oublier ces lointains et proches ancêtres , , et pas seulement un récit religieux .

    Quant à l’intemporalité du coran ? Il fait partie du patrimoine de l’humanité , quant à son interprétation , le bilan est plus que mitigé , je vois que chacun y va sa sauce , donc je n’y crois plus il n’empêche que nous pouvons l’eruduer , le méditer,

  2. @ Djeser, ouais, revloici tes propres termes,

    “il vaut mieux essayer de se construit un nouveau recit , et un paradigme qui soit conforme à notre realité ,…” fin de citation. Que signifie se construire un nouveau récit, s’inventer une nouvelle histoire parce que l’histoire de maintenant ne nous tient pas en haleine, ça veut dire quoi, je veux savoir. Quid de ce nouveau paradigme qui convient à notre réalité. Si donc le Coran était aux premiers croyants comme une news en live, donc le Voran n’est pas intemporel, c’est bien ça? Pour répondre, fais-toi aider par ton iman de Lyon, il te racontera une autre histoire et un paradigme très actuel et conforme à la vie changeante et passagère de la République Française. Et comme sa vie change et n’est pas immuable mais la République peut cesser d’être république sans nous prévenir, alors il faut changer tout le temps, des mises à jour pour se mettre à la page, quoi.

    Croissant de lune.

Laisser un commentaire

Chargement…

0

A Rafah, sous des abris de fortune, des fillettes palestiniennes se réfugient auprès d’Allah

Coupe d’Asie : qualification historique de la Palestine ! «Nous jouons au football pour Gaza, pour notre cause »