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Réfugiés du Levant, ingénuité occidentale et égoïstes du Golfe

Le terrible drame des femmes et des hommes qui fuient le Proche-Orient pour gagner l'Europe au péril de leur vie ne va certainement pas cesser. Le chaos syrien, la décomposition irakienne, les bombardements occidentaux contre l'Organisation de l'Etat islamique (EI) et le retour des affrontements entre l'armée turque et le PKK kurde sont autant de bouleversements qui renforcent le flux de réfugiés. Pour ces derniers, il s'agit tout simplement de sauver leur vie. 
 
On peut gloser à l'infini sur d'éventuelles motivations économiques -ce que font d'ailleurs de nombreux politiciens européens- mais le fait est que c'est avant tout une question de survie. 
 
La photographie, terrible, du cadavre d'un petit enfant kurde sur une plage de Méditerranée orientale ; celle, poignante, d'un père qui éclate en sanglots alors qu'il vient de poser le pied sur le rivage grec ; les images de ces longues cohortes de réfugiés essayant de franchir la frontière hongroise ou marchant le long d'une autoroute allemande : tout cela fait naître un sentiment complexe, mélange de compassion, de pitié, de colère et de découragement accablé. Quiconque vit « normalement », avec les hauts et les bas de toute existence banale, ne peut qu'être indigné par cet exode humain. 
 
Cela explique les polémiques plus ou moins dilatoires auxquelles nous assistons ces derniers jours. L'une d'entre elles concerne les pays du Golfe accusés de ne rien faire pour secourir leurs « frères » arabes. Dans un petit texte posté sur les réseaux sociaux, j'ai abordé cette question en expliquant que « ce n'est pas un hasard si un réfugié syrien préfère risquer la mort pour rejoindre l'Europe plutôt que d'aller en Arabie saoudite. Là-bas, il sait qu'il n'a aucune chance d'être aidé, d'avoir droit à un traitement humain, de bénéficier de lois claires. 
 
Il est persuadé que l'Europe, c'est aussi (encore ?) le respect de l'individu et de la loi. On aura beau lui dire que les choses sont plus compliquées, que les temps y sont de plus en plus durs, que l'extrême-droite est partout, dans les discours et les mentalités. Rien n'y fera. » 
 
Mais cette question mérite d'être développée. Rappelons d'abord -notamment aux Européens qui s'émeuvent des conséquences de ce flux humain- que les pays qui accueillent le plus de réfugiés sont le Liban (1,2 millions de Syriens soit le quart de la population libanaise), la Jordanie (650.000 réfugiés) et la Turquie (1,8 millions). Autrement dit, il existe des zones « tampons » dont les dirigeants, cela vaut surtout pour le Liban et la Jordanie, l'un des pays parmi les plus pauvres de la planète, se débattent dans d'inextricables problèmes financiers et de logistique. Et c'est aussi parce que la situation de ces réfugiés se dégrade dans les centres d'accueil qu'ils décident de partir en Europe, certains étant désormais convaincus que la guerre chez eux, notamment celle qui concerne l'Etat islamique, est partie pour durer plusieurs décennies. 
 
Il faut aussi rappeler aux Européens que tout cela ne serait pas arrivé sans les multiples guerres -récentes, ne remontons pas à la période coloniale- qu'ils ont menées dans la région. On parle beaucoup de l'invasion de l'Irak en 2003, guerre pour laquelle George W. Bush et Anthony « Tony » Blair devraient être jugés, mais on oublie celle de 1991 et l'embargo qui l'a suivie. On oublie enfin les tergiversations (et les complicités) occidentales face aux crimes commis par le régime d'Assad père et fils. Si le Machrek est une poudrière, c'est certes la faute des régimes en place mais la responsabilité occidentale est pleine et entière notamment dans le processus qui a conduit à la naissance de Daech. Il est donc normal que l'Europe mais aussi les Etats-Unis et l'Australie paient leur écot au drame humanitaire en cours. Quand l'Allemagne accueille des réfugiés syriens et irakiens, ce n'est pas juste de la charité et de la générosité. Cela doit être vu comme une réparation, partielle, des dégâts occasionnés par les milliards de dollars d'armements qu'elle a déversés dans la région. Et cela vaut aussi pour la France dont l'ancien président Nicolas Sarkozy nous expliquait en 2008 -c'était lors de la création de feue l'Union pour la Méditerranée à Paris- que Bachar al-Assad était un dirigeant « fréquentable » (qu'il aille le répéter aux habitants d'Alep…). 
 
Revenons maintenant aux pays du Golfe lesquels ont, eux aussi, leur responsabilité dans la situation puisqu'ils ont financé à fonds perdus les mouvements djihadistes qui embrasent la Syrie et l'Irak. Le discours tenu pour répondre aux critiques en dit long sur les mentalités dans cette région. Ainsi, le « journaliste » koweïtien Fahad Alshelaimi, aghioulissime parmi les brels, a expliqué à la télévision que son pays ne pouvait accueillir des réfugiés en raison de leur …pauvreté, ces derniers étant de plus jugés inaptes à s'intégrer dans l'Emirat en raison de leurs problèmes psychologiques et nerveux.       
 
Plus retors, certains officiels et universitaires de la Péninsule arabique ont insisté sur le fait que les monarchies pétrolières financent les actions humanitaires en faveur des réfugiés. Un fait patent mais qui doit être relativisé. Si le Koweït a déboursé 304 millions de dollars pour cette crise, l'Arabie saoudite n'a dépensé « que » 18 millions de dollars, un montant dérisoire à comparer avec le 1,1 milliard de dollars déjà engagé par les Etats-Unis. 
 
Au lendemain du 2 août 1990, le monde arabe dans sa grande majorité s'était réjoui de l'invasion du Koweït par les troupes de Saddam Hussein. A l'époque, nombre de ressortissants du Golfe avaient été choqués par ce qu'ils estimaient être de l'ingratitude (notamment celle des Palestiniens mais aussi des Maghrébins). Dans le contexte régional actuel, les monarchies pétrolières seront tôt ou tard confrontées à de sérieuses difficultés ne serait-ce qu'en raison de la guerre asymétrique qu'elles mènent au Yémen (ceci est une autre affaire…). On leur rappellera alors le comportement égoïste dont elles ont fait preuve à l'égard des réfugiés du Levant. 
 
Mais l'on ne terminera pas cette chronique sans quelques lignes à propos des gouvern
ements maghrébins. La Tunisie porte déjà son fardeau avec un nombre important de ressortissants libyens installés sur son sol. On aimerait donc que l'Algérie et le Maroc fassent entendre leurs voix officielles sur cette question des réfugiés du Machrek et qu'il soit précisé ce que ces pays ont l'intention de faire ou pas. 
 
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