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Réflexions sur le traité établissant une constitution pour l’Europe

Le traité constitutionnel européen suscite en France un débat intense, contradictoire et malheureusement souvent simpliste, voire emprunt de démagogie.

L’Union Européenne : « Un objet institutionnel non identifié (1) »

l’Union Européenne est effectivement une institution unique dans son genre. Elle est plus qu’une confédération d’Etats, sans pour autant être une fédération comme le sont l’Allemagne ou encore les Etats-Unis. Du point de vue juridique, l’Union européenne dispose d’un certain nombre de prérogatives transférées par les Etats membres. Il existe d’ailleurs un Droit Communautaire, et la Cour de Justice des Communautés Européennes est chargée de faire respecter les normes juridiques européennes.

Néanmoins, l’Union Européenne n’est pas un Etat, car elle n’a pas la plénitude de souveraineté que détiennent encore les Etats membres. Le texte « constitutionnel » qui nous est proposé, n’est donc pas une constitution. Il s’agit d’un traité international (un peu particulier), puisqu’il comporte des éléments que l’on retrouve dans la Loi fondamentale des Etats. Mais rien d’étonnant à cela : à Institution singulière traité particulier.

Construction européenne, souveraineté et démocratie.

On entend très souvent les tenants du « Non » critiquer la carence démocratique de la construction européenne. C’est une réalité que l’on ne peut nier. Il ne faut pas néanmoins oublier les avancées démocratiques réalisées depuis 1979 avec notamment l’instauration de l’élection au suffrage universel des députés européens. Progressivement le parlement européen s’est vu renforcé dans son rôle de co-décisionnaire.

La démocratisation progressive n’est en réalité pas très étonnante, quand on analyse l’histoire et l’originalité de la construction européenne. Au début cette construction se bornait à une coopération étatique, où chaque Etat membre concédait une partie limitée de sa souveraineté à une institution supranationale. Dans ce cadre, il est évident qu’accorder plus de légitimité démocratique à une institution, c’est lui octroyer plus de pouvoir. Or jusqu’au milieu des années 80, il n’est pas encore question d’Etat fédéral. Les prérogatives du parlement européen sont limitées. Les commissaires européens défendant davantage les intérêts de leur pays respectifs que l’Europe.

On tend aujourd’hui vers le fédéralisme, et le parlement se voit renforcé dans son rôle de co-décisionnaire. Ainsi, il approuvera la commission, élira son président, et aura pratiquement le même pouvoir législatif que le Conseil des ministres. Il s’agit d’une avancée démocratique non négligeable que l’on trouve dans le traité constitutionnel.

Intégration économique et harmonisation sociale

Les partisans du « Non » se situant à gauche de l’échiquier politique, refusent ce traité parce qu’il manque dans ce texte une volonté d’harmonisation sociale, un SMIC européen par exemple. C’est en réalité un argument totalement absurde. Il est aberrant de faire croire aux citoyens qu’il suffit de décréter une harmonisation pour que celle-ci s’établisse.

L’harmonisation sociale se constituera progressivement, au fur et à mesure que les nouveaux pays entrant rattraperont leur retard économique. Le développement économique engendrera inéluctablement dans ces pays une plus grande protection sociale. En réalité, la protection sociale est un privilège que seuls les pays développés peuvent s’offrir. C’est en aidant les nouveaux pays membres que les niveaux de vie se nivèleront. Ce fut le cas par le passé avec l’Espagne, le Portugal ou encore l’Irlande.

Certains reprochent à l’Union de faire la part belle aux questions économiques. Rappelons que jusqu’à ce dernier traité, la construction économique ne fut qu’une succession de traités améliorant l’intégration économique : union douanière, zone de libre échange, marché unique et enfin union monétaire. Nous entrons désormais dans une nouvelle phase de construction politique. L’objectif premier de la construction européenne fut de créer un espace de prospérité économique et de paix. Il est erroné de pointer du doigt la construction européenne pour des finalités qui n’étaient pas les siennes au départ. Il faut comprendre enfin, que dans une intégration économique et politique, il est plus logique et sage de commencer par la politique économique plutôt que sur des aspects politiques et sociaux. Il est important de garder à l’esprit l’échec de la Communauté Européenne de Défense (CED).

Le traité constitutionnel propose une économie sociale de marché, un embryon de gouvernement politique, une diplomatie commune…des avancés que nous rejetterons si on vote « Non ».

Des avancées insuffisantes

Nombreux sont les commentateurs politiques et autres, qui ont souligné les lacunes de ce traité. Je souhaiterais m’arrêter sur quelques uns d’entre eux.

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Le budget européen représente la ressource financière de l’Union Européenne qui sert essentiellement à financer la politique agricole commune, alors que les fonds structurels servent à aider les régions en difficulté. Aujourd’hui, il ne représente pas plus de 1.27 % du revenu européen et certains pays comme la France voudrait le ramener à 1%.

Une attitude aussi égoïste de certains Etats ne facilitera pas le développement économique des ex-pays de l’est. Ceci qui est essentiel pour une harmonisation sociale à moyen terme.

Le statut de la Banque Centrale Européenne et la politique qu’elle mène est un autre problème. Son indépendance, octroyée suite aux revendications allemande, ne permet pas aux politiques d’assouplir la politique monétaire conduite jusqu’à maintenant, et qui consacre l’Euro fort tout en plombant l’économie européenne. Ne serait-il pas plus judicieux de lui fixer des objectifs, certes de faible taux d’inflation, mais aussi de croissance économique et de taux de chômage comme c’est le cas pour la Banque centrale américaine ?

Les services publics sont certes reconnus, néanmoins les articles qui y sont consacrés ne sont pas claires, car contradictoires. Les uns soutiennent que les services publics ne sauraient remettre en cause la libre concurrence non faussée, d’autres prévoyant la primauté de ces derniers. Selon la jurisprudence de la Cour européenne, la dernière interprétation serait la plus juste.

Du point de vue de la démocratie européenne, on pourra regretter que le champ de décision du parlement européen ne soit pas plus important, et que le droit de pétition au niveau européen ne soit pas plus ambitieux. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’avancées incontestables.

Les musulmans et la construction européenne

Je trouve paradoxale l’attitude consistant à afficher son identité tout en critiquant certaines positions qui auraient pour objectifs de défendre des intérêts particuliers. D’ailleurs je ne vois rien d’étonnant à ce que des intérêts particuliers coïncident avec l’intérêt général.

En tant que citoyen européen, je souhaite une Europe où les libertés fondamentales soient respectées. En tant que musulman, la liberté de culte est essentielle. La communauté musulmane est concernée au premier chef , du fait qu’elle est confrontée aujourd’hui à une réelle intolérance. Mais défendre cette liberté, c’est aussi défendre la liberté religieuse de nos concitoyens. Il ne sert à rien de prôner l’universalisme, si nous restons figés dans des slogans. Il est regrettable de constater que certains acteurs musulmans adoptent la politique du tout ou rien. C’est une attitude irresponsable et arrogante. Etre réformiste, c’est aussi accepter des compromis en espérant davantage demain.

Le Non de renégociation

Certains utopistes pensent que le « Non » sera salutaire, puisqu’il permettra de proposer un nouveau texte, élaboré avec les peuples et donc plus démocratique. Ces derniers oublient cependant que le traité constitutionnel est le fruit de nombreux compromis, et qu’il est impossible d’aligner les 24 autres pays membres sur les positions françaises. Chaque Etat a une histoire particulière, un régime politique spécifique, un système économique qui lui est propre. Le traité constitutionnel est le résultat de toutes ces différences. Si le « Non » l’emporte, avec qui les français négocieront-ils ?  Sachant d’une part que certains estiment le texte trop protecteur, d’autre pas assez. D’autre part le « Non » en France et ailleurs, est pour le moins hétérogène. Qui peut croire que nous pourrons obtenir un texte plus social avec des libéraux anglais, qu’il s’agisse du peuple ou du gouvernement ? Qui peut croire également que l’on pourra obtenir une Europe plus ouverte avec les gouvernements autrichiens et italiens ? Croire en une telle renégociation relève de la naïveté et de la démagogie.

Parce que le traité constitutionnel ne propose que des avancées, tant du point de vue économique, politique que social ; parce qu’il est un cadre juridique permettant par la suite d’obtenir davantage de droits sociaux ; parce qu’en tant que citoyen européen de confession musulmane, il me garantie plus de liberté religieuse que ne me le permet la législation française (même si rien n’est gagné), je voterai OUI.

1) L’expression est de Jacques Delors, ancien président de la commission européenne.

Djilali Elabed
Professeur de sciences économiques et sociales

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