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Rapport Stora: On ne dépasse jamais une page d’histoire sans la lire jusqu’à la dernière ligne

En juillet 2020 le président Emmanuel Macron confie à l’historien Benjamin Stora la mission de produire  « un rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation, et la guerre d’Algérie » dans l’objectif d’affirmer « une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algériens » ancrée sur un « travail de mémoire, de vérité et de réconciliation[i] ». La veille de la remise du rapport les services de la présidence précisaient : « Des « actes symboliques » sont prévus mais il n’y aura « ni repentance ni excuses »[ii]. » Le président de la République reprend dans ces précisions le vocabulaire de l’extrême-droite qui dénonce depuis des décennies les exigences de vérités historiques comme constituant une demande de « repentance ». L’exigence légitime de « reconnaissance » de la colonisation comme « crime contre l’humanité » est ainsi transformée en exigence de « repentance ». La question bascule ainsi du champ du politique et de la caractérisation d’une des formes les plus ignobles de l’exploitation à celle de la morale et d’une posture de contrition. Le peuple algérien [ pas plus que les militants anticolonialistes de France] n’a jamais massivement été demandeurs d’excuses mais a toujours exigé que toute la vérité sur les horreurs de la colonisation [et non seulement sur celles de la guerre d’Algérie ] soit reconnue.

Le contenu et la logique du rapport Stora

Disons le d’emblée de nombreux développement du rapport sont pertinents et font plaisir à lire dans un rapport officiel. On ne peut ainsi que se satisfaire de la préconisation « de reconnaissance par la France de l’assassinat de Ali Boumendjel » (p. 96) ou de celle « d’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, grande figure féminine d’opposition à la guerre d’Algérie » (p. 100). Cependant comme le souligne la nièce d’Ali Boumendjel on peut s’interroger sur les raisons et surtout sur la conséquence de singulariser quelques personnes : « A la lecture du rapport, j’ai trouvé étonnant que l’historien français parle particulièrement d’Ali Boumendjel. Pourquoi le distinguer, alors que le Mouvement national algérien et la Bataille d’Alger particulièrement ont donné d’autres Ali Boumendjel ! Il existe tellement d’anonymes qui ont subi le sort affreux des assassinats et de la torture. Pourquoi le singulariser dans la communauté des martyrs algériens ?[iii] » La reconnaissance de quelques assassinats ignobles ne peut être un pas positif qu’à la condition qu’elle ne sert pas de prétexte à la négation des dimensions systémique et totale de la violence coloniale des débuts de la conquête à l’indépendance.

La logique consistant à reconnaître des « bavures », des scandales », des « dérives », etc., pour mieux occulter le caractère consubstantiellement violent de la colonisation, n’est pas nouvelle. C’est la même logique que nous retrouvons dans la dénonciation des violences de la guerre d’Algérie sur fond d’un silence assourdissant sur les violences de la conquête puis sur celles de 132 ans de colonisation. Benjamin Stora n’échappe pas à cette tendance à découpler la violence d’une séquence [la guerre d’Algérie] de celle de l’ensemble de la période coloniale. Certes il aborde les violences de la conquête et de la colonisation mais de manière allusive,  l’essentiel de son rapport restant centré sur la période de la guerre d’Algérie. Le rapport Stora minimise l’ampleur des violences de la conquête que l’historien Gilbert Meynier évalue comme suit sur le seul plan des décès : « au total il y eut disparition peut-être bien d’un quart à un tiers de la population algérienne de 1830 à 1870[iv]. » S’appuyant sur les données démographiques disponibles, le démographe de l’INED Kamel Kateb évalue les pertes algériennes liées la conquête coloniale comme étant encore plus importantes : « De 1830 à 1856 la population algérienne tomba d’environ 5 à 3 millions à environ 2.3 millions […] En se basant sur ces chiffres, nous pouvons établir que l’Algérie a perdu entre 30 et 58 % de sa population au cours des quarante – deux premières années (1830 – 1872) de la colonisation française[v]. »

C’est sciemment que le silence est fait sur ces chiffres [que Benjamin Stora connaît parfaitement puisqu’il a rédigé la préface du livre de Kamel Kateb]. Les enfumades, les exterminations de populations, l’horrible famine de 1866-1868, etc., sont tout simplement absentes d’un rapport censé faire progresser la « vérité et la réconciliation ». Ces occultations permettent en effet d’occulter ce que Youcef Girard appelle à juste titre : « le passé génocidaire de la France en Algérie[vi]». Prendre en compte cette dimension génocidaire de la conquête rend en effet impossible de réduire le débat à une « concurrence des mémoires » d’une part et à traiter de manière équivalente les mémoires des uns et des autres d’autre part.  Le rapport Stora « met sur le même plan victimes et bourreaux, colonisateurs et colonisés, spoliateurs et spoliés, tortionnaires et suppliciés[vii] » résume l’historien et sociologue Ahmed Rouadjia.

On ne peut rien comprendre aux formes prises par le combat indépendantiste en Algérie sans prendre la mesure de cette violence congénitale à la colonisation et à la colonisation de peuplement plus particulièrement. Voulant se situer au-dessus de la mêlée l’historien acceptant la fonction de « conseiller du prince » tente de « reconnaître » sans froisser les nostalgiques de l’Algérie française ce qui le conduit à une euphémisation permanente. Pour ce faire il doit mettre en place une logique d’équivalence entre tous les acteurs qui apparaissent dans leur ensemble comme coresponsables des violences de la guerre d’Algérie. Bref un « crime contre l’humanité » devient dans cette logique de l’équivalence une « guerre fratricide ». On comprend dès lors les nombreuses réactions négatives au « rapport Stora » en Algérie où aucune famille n’a été préservée, aucune structure sociale n’a été épargnée, aucune assise culturelle n’a échappé à l’œuvre de destruction totale qu’est la colonisation de peuplement.

C’est justement l’ampleur du traumatisme collectif qui donne tant d’importance à la question des archives qui est largement abordée dans le rapport Stora. Cette ampleur explique l’exigence algérienne de restitution de l’ensemble des archives algériennes rapatriées au moment de l’indépendance : celle de l’Algérie précoloniale démentant l’image d’une « Algérie sauvage » disponible pour l’œuvre civilisatrice, celles de la conquête mettant en exergue des violences exterminatrices de masses, celles de toutes la période coloniale soulignant, entre autre, l’ampleur de la violence que fut la dépossession foncière, celles de la guerre d’Algérie enfin. A l’inverse certains s’opposent logiquement en France à toute restitution des archives considérant celles-ci comme un symbole de souveraineté nationale. Comme pour les autres questions abordées dans le rapport, Benjamin Stora propose une « troisième voie » consistant à restituer les « archives de gestion » [ cadastre, transport, chambre de commerce, etc.] mais à garder en France les « archives de souveraineté » c’est-à-dire celles produites par l’appareil d’Etat [défense, justice, etc.]. . « Ménager la chèvre et le choux » résume le journaliste algérien Mohamed Kouini :

Les 22 préconisations ou recommandations de ce rapport foisonnent beaucoup plus de gestes symboliques, d’approches plus événementielles ou commémoratives que d’une réelle volonté de faire éclater la vérité ou les vérités ou de rétablir les droits. Le colonisé et le colonisateur pour Stora sont situés au même niveau. Le sentiment que dégagent les 22 recommandations de l’historien donnent à penser qu’il tente de ménager le chou et la chèvre voire sortir de cette mission, qui lui a été confiée par le chef de l’Etat, indemne et sans susciter du ressentiment dans l’Hexagone[viii].

La vérité historique à l’épreuve du rapport des forces

Le rapport Stora est de fait un recul en comparaison des déclarations d’Emmanuel Macron lors de sa visite à Alger en février 2017. Nous aborderons plus loin les raisons qui ont menés Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République à de telles déclarations faisant rupture avec le déni massif antérieur. A un journaliste de la télévision « Echorouk TV » il déclare en effet le 15 février 2017 :

 Je pense qu’il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation. Certains, il y a un peu plus de dix ans, ont voulu faire ça en France. Jamais vous ne m’entendrez tenir ce genre de propos. J’ai condamné toujours la colonisation comme un acte de barbarie. Je l’ai fait en France, je le fais ici […] La colonisation fait partie de l’histoire françaiseC’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes[ix]

Le propos est d’autant plus surprenant dans la bouche du candidat qu’il contraste avec une autre déclaration datant de quelques mois auparavant. Dans un entretien au Point de novembre 2016, le même Macron donne en effet une toute autre lecture de la colonisation , y décelant des « éléments de barbarie » et des « éléments de civilisation » c’est-à-dire certes une « œuvre négative » mais aussi une « œuvre positive » : « En Algérie, il y a eu la torture, mais aussi l’émergence d’un Etat, de richesses, de classes moyennes, c’est la réalité de la colonisationIl y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie[x]. »

Que signifient ces déclarations contradictoires ? La réponse à cette question est, selon nous, à rechercher dans la différence des contextes électoraux d’une part et dans les difficultés contemporaines de l’impérialisme français en Afrique d’autre part. La déclaration de février 2017 se réalise en pleine campagne électorale dans laquelle Macron joue sa participation « ni droite – ni gauche », adopte une posture de transgression et de briseur de tabous politiques et se met en scène comme symbole d’une génération n’ayant pas de responsabilité dans la guerre d’Algérie. Il s’agit dans ce contexte d’attirer les suffrages des héritiers de l’immigration postcoloniale. Le rapport Stora pour sa part s’inscrit dans un contexte de libération de la parole et des actes islamophobes, dans le projet de construction d’un scénario présidentiel binaire « Macron-Le Pen », dans la mise en avant des pseudos dangers « séparatistes » et/ou « communautaristes » comme cœur de la campagne présidentielle. Les électeurs à séduire ne sont plus dans cette logique les héritiers de l’immigration comme en 2017 mais les électeurs du Front National et plus largement tous ceux sensibles aux argumentaires essentialistes et culturalistes que nos médias ont encore plus intensément banalisés ces dernières années. Cette première raison explicative est cependant insuffisante. Seule elle aurait dû mener à une simple reprise du discours cocardier et au refus assumé de la moindre critique de la période coloniale. Le rapport Stora et sa prétention à constituer une « troisième voie » pragmatique reflète également le contexte international.

L’impérialisme français est confronté depuis plusieurs décennies à des pertes de positions sur le plan économique, à un enlisement sur le plan militaire et à un discrédit grandissant auprès des opinions publiques africaines sur le plan politique. La multiplication des ingérences militaires n’a été d’aucun effet sur le déclin économique français en Afrique : « Le constat est indéniable. Les interventions de l’armée française n’ont pas permis à l’ancienne puissance coloniale de compenser son déclin économique en Afrique, y compris en Libye depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011[xi] » résument les économistes Marc-Antoine Pérouse de Montclos et Thierry Hommel. Confrontée à la concurrence des pays émergents et en particulier de la Chine d’une part et des autres puissances impérialistes [en particulier de l’Allemagne] d’autre part, la présence économique française en Afrique ne cesse de reculer : « D’une manière générale, la part de l’Afrique dans les exportations françaises a diminué de moitié en vingt ans, passant de 11 % en 2000 à 5 % du total en 2017. Premier exportateur européen en Afrique jusqu’en 2016, la France a depuis lors perdu son leadership au profit de l’Allemagne[xii] » rappelle les deux économistes. Si l’interventionnisme militaire français vise à contrecarrer le déclin économique relatif de l’impérialisme français, il ne suffit donc pas à atteindre un tel objectif.  Le rapport Stora laisse apparaître cette préoccupation angoissée en indiquant comme une des motivations du travail « mémoriel » proposé … la place de la Chine en Algérie : « On pourrait aussi ajouter à ces questions essentielles […] le fait d’approfondir nos relations économiques au moment où la Chine occupe une place de premier ordre sur le marché algérien » (p. 46).

Sur le plan politique la situation en Afrique n’est guère meilleure pour l’impérialisme français. Les grands mouvements populaires qui ont secoués le continent depuis la décennie 2010 [Tunisie, Egypte, Burkina, Mali, Côte d’Ivoire, Algérie, etc.] ont mis en exergue le soutien de Paris aux pouvoirs en place au même moment où ceux-ci réprimaient férocement leurs peuples. De nouvelles organisations politiques sont apparues remettant en cause le Franc CFA, les Accords de Partenariat Economique, la présence militaire française au Sahel, etc. En fait une nouvelle génération anticoloniale émerge en Afrique rendant nécessaire un nouveau discours idéologique. C’est donc le rapport des forces qui contraint aujourd’hui la classe dominante à tenter de se relégitimer en prétendant rompre avec le déni antérieur de la colonisation et de ses crimes d’une part et avec les pratiques néocoloniales d’autre part. Il en découle l’affirmation par tous les chefs d’Etat depuis Mitterrand d’une volonté de rompre   avec la Françafrique, la proposition de Macron de réformer le Franc CFA pour le transformer en Eco [sans pour autant renoncer à la parité fixe néocoloniale entre l’Eco et l’Euro] et enfin l’affichage d’une volonté de sortir du déni de l’histoire coloniale et de ses horreurs.

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L’opération de chirurgie esthétique et idéologique de l’impérialisme français se heurte néanmoins aux contradictions internes de la classe dominante française. Certains segments de celle-ci ne sont pas prêts à sortir du déni de l’histoire coloniale. Le discours sur la « repentance » [que personne ne demande en Afrique ] exprime cette résistance. Les réactions indignées à la déclaration de Macron à Alger en 2017 de l’extrême-droite, d’une partie importante de la droite et de nombreux « chroniqueurs médiatiques » reflètent cette opposition.  Il en découle une valse politique en trois temps ayant pour objectif de produire un nouveau consensus idéologique : Un discours de transgression du consensus sur l’histoire coloniale [qu’affectionne particulièrement Macron] ; des réactions indignées appelant à refuser la « repentance » ; et enfin la proposition d’une troisième voie se présentant comme « scientifique », « objective », « au-dessus de la mêlée », « refusant la concurrence victimaire », « réconciliant toutes les mémoires »,  etc.

Une telle valse n’est pas nouvelle. Toutes la période de la décolonisation a été caractérisée par la recherche de telles « troisièmes voies ». Dans la décennie 50, au moment, où se radicalisaient les luttes de libération nationale, la « troisième voie » proposée était « l’Union française rénovée » instaurant une « autonomie interne » présentée comme étant une rupture avec la colonisation. Défendant cette « Union » Gaston Deferre expliquait de manière significative : « Ne laissons pas croire que la France n’entreprend des réformes que lorsque le sang commence à couler[xiii]. » On pourrait paraphraser ce propos en l’actualisant : « Ne laissons pas croire que la France ne reconnaît son histoire coloniale et ses « bavures » que lorsqu’elle est évincée économiquement de l’Afrique ». De Gaulle pour sa part appelait à rompre avec « l’Algérie de papa » pour pouvoir garder « l’Algérie française » : « L’Algérie de papa est morte, et si on ne le comprend pas, on mourra avec elle[xiv]. »

Javellisation de l’histoire ou Réparation ?

La lettre de mission faite par Macron à Benjamin Stora avance l’objectif de « réconciliation » entre les peuples français et algérien.  L’expression « refus de la repentance » a été diffusée médiatiquement et politiquement depuis le début du nouveau siècle comme borne de cette « réconciliation ». Elle est reprise par Macron aujourd’hui.  Après la loi sur « l’œuvre positive de la colonisation » de février 2005, le « refus de la repentance » ressurgit régulièrement dans le débat politique. Il devient même un point de large consensus allant de l’extrême-droite au parti socialiste avec en accompagnement le silence embarrassé d’autres forces politiques ou personnalités de gauche. Mitterrand, Hollande, Sarkozy, Chirac, Macron, etc., tous ont dénoncés cette « repentance » qui menacerait la France avec cependant une palme revenant à Sarkozy qui réussit l’exploit dénoncer ce spectre dans la quasi-totalité de ses interventions lors des présidentielles de 2007. « Je déteste cette mode de la repentance, déclare ce dernier en avril 2007, qui exprime la détestation de la France et de son histoire. Je déteste la repentance qui veut nous interdire d’être fiers de notre pays, qui est la porte ouverte à la concurrence des mémoires, qui dresse les Français les uns contre les autres en fonction de leurs origines[xv]».

En réalité seules ces éminentes personnalités et les intellectuels médiatiques qui les accompagnent faisaient et font références à une pseudo « repentance » et même à l’idée d’ « excuses ». Les discours sur le refus de la repentance et sur la « guerre des mémoire » est en fait une réponse à une autre revendication bien réelle celle-ci : celle des réparations pour les crimes contre l’humanité que furent la traite, l’esclavage et la colonisation. La conférence mondiale des Nations Unies « contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance » qui s’est tenue en août-septembre 2001 à Durban a en effet posé un triple principe. Le premier est celui de reconnaissance du caractère de « crime contre l’humanité » de la traite et de l’esclavage d’une part et du caractère condamnable de la colonisation « quels que soient le lieu et l’époque où elles sont advenues » d’autre part. Le second est celui de la reconnaissance des effets systémiques de long terme de l’esclavage et de la colonisation : « les effets et la persistance de ces structures et pratiques [ont été] été parmi les facteurs qui ont contribué à des inégalités sociales et économiques persistantes dans de nombreuses régions du monde aujourd’hui[xvi]. » Le troisième est le principe d’une « réparation » de la part des pays esclavagistes et colonisateurs.  C’est en réaction à ces analyses et ces revendications que se déploie le contre-feu du discours sur la repentance. La contre-offensive des pays impérialistes visait et vise encore aujourd’hui à masquer les deux réelles questions : celle de la caractérisation comme « crime contre l’humanité » et celle de la réparation. Le rapport Stora élude entièrement ces deux questions posées à Durban. L’euphémisation de la violence coloniale comme la limitation des préconisations à la sphère symbolique sont à l’antipode des travaux de Durban :

Nous soulignons l’importance et la nécessité […] d’enseigner les faits et la vérité de l’histoire, les causes, la nature et les conséquences du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée afin que les tragédies du passé soient connues de manière complète et objective […] Nous reconnaissons et regrettons profondément les immenses souffrances humaines et le sort tragique subis par des millions d’hommes, de femmes et d’enfants du fait de l’esclavage, de la traite des esclaves, de la traite transatlantique des esclaves, de l’apartheid, du colonialisme et du génocide; nous engageons les États concernés à honorer la mémoire des victimes des tragédies passées et affirmons que celles-ci doivent être condamnées quels que soient l’époque et le lieu où elles sont advenues, et qu’il faut empêcher qu’elles ne se reproduisent[xvii].

A l’inverse de cette exigence « d’enseigner les faits et la vérité de l’histoire », Benjamin Stora s’interroge dans l’introduction de son rapport : « faut-il tout raconter, tout dévoiler des secrets de la guerre?[xviii] ». Nous sommes bien en présence de la tentation de « javelliser » une partie de la vérité historique pour reprendre une expression de Kamel Badaoui dans « Bref propos sur ledit rapport Stora » publié le 31 janvier 2021.

La « banalisation-euphémisation du passé colonial du rapport Stora [nous reprenons ici la caractérisation de ce rapport faite par l’historien Algérien Hosni Kitouni[xix]] est à l’antipode du besoin de vérité historique dont ont besoin les peuples français et algérien. On ne dépasse jamais une page sanglante de l’histoire sans la lire jusqu’au bout. Il ne faut pas confondre la nécessité de dépassionner le travail historique et la désincarnation de l’histoire que produit la logique de l’équivalence en général et le rapport Stora en particulier.  La caractérisation de la période coloniale ne peut souffrir d’aucune ambiguïté : nous sommes en présence de crimes de guerre, de crimes d’Etat et de crimes contre l’humanité. L’enjeu de cette bataille pour la vérité historique dépasse l’Algérie. Les crimes coloniaux à Madagascar ou au Cameroun en particulier restent encore largement occultés aujourd’hui. Les peuples n’ont que faire de la pseudo « repentance ». Le besoin est ailleurs. Il est dans la reconnaissance publique de ce qu’a été réellement la période coloniale d’une part et dans les logiques de réparation qui en découle d’autre part.


[i] Benjamin Stora, Rapport : « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », Janvier 2021, p.2, consultable sur le site elysee.fr

[ii] Dépêche AFP du 20 janvier 2021 à 15 h 30.

[iii] Fadhila Chitour-Boumendjel, Nous avons gagné la guerre, nous ne sommes pas demandeurs d’excuses, consultable sur le site liberte-algerie.com

[iv] Gilbert Meynier, L’Algérie et les Algériens sous le système colonial. Approche historico- historiographique, Insaniyat, Revue Algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, n° 65 -66, 2014, p. 13.

[v] Kamel Kateb, Européens, « Indigènes » et Juifs en Algérie ( 1830 -1962), Travaux et Documents de l’INED, n° 145, PUF -INED, Paris, 2001.

[vi] Youssef Girard, Le passé génocidaire de la France en Algérie, 26 décembre 2011,  consultable sur le site ism-france.org.

Blog Saïd Bouamama

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