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Ramadan du confinement, ramadan de l’esseulement?

Ce ramadan sans mosquée, sans tarawih ni prières du vendredi, sans grands iftars collectifs ou réunions de famille ne sera pas mon premier.
Pourtant, à l’époque, nous n’étions pas au coeur d’une pandémie. Chacun pouvait circuler comme bon lui semblait. Parcs, magasins et écoles étaient ouverts comme à l’accoutumée. Rien n’avait changé. Rien, sauf ma situation personnelle : ce ramadan-là était le premier après la naissance de mon aînée. Je n’aurais jamais pensé qu’une mère, pendant ce mois sacré, puisse se sentir si seule.

En tant qu’émigrée, je vivais loin des miens et je savais déjà que les réunions familiales où les générations se mêlent dans un heureux chahut, avec leur dhooh-pathi, ce thé pakistanais délicieusement parfumé, les blagues de rigueur de nos aînés et les du’as générales ne seraient pas de mise.

Contrairement à ce que j’avais espéré de tout coeur, cette année-là, nous n’avons reçu aucune invitation à partager le ftour avec nos amis. On pensait sans doute que nous étions trop occupés par le bébé. C’est sans parler des mosquées… dans certaines, on fait preuve de patience et on accueille l’énergie des enfants et la baraka des bébés à bras ouverts; la vue d’un nourrisson têtant entre deux rakats ou le bruit des enfants qui discutent entre eux derrières les rangs des croyants ne dérangent pas.

Mais, la plupart du temps, nos mosquées ne reçoivent pas ces enfants qui accompagnent leurs mères avec autant de chaleur ou de bienveillance. Où que je me tourne pour y trouver du lien, je m’y sentais rejetée. Les rituels collectifs dans lesquels je trouve d’ordinaire une source de joie spirituelle et de lien profond, ce sentiment de faire partie d’un tout, étaient maintenant quasiment hors d’atteinte.

Alhamdulillah, à la différence de bien d’autres mères, j’avais la chance d’avoir un mari qui m’aidait et me soutenait et, même si j’étais forcée de rester chez moi, au moins je m’y sentais aimée et en sécurité. Il n’en reste pas moins que ce ramadan était bien différent de ceux que j’avais connus jusque-là. Bien différent et bien plus difficile.

Mais je m’en suis sortie et j’ai pu tirer des leçons importantes de cette expérience. Ce sont ces leçons, ou du moins certaines d’entre elles, que je voudrais partager avec vous dans l’espoir qu’elles pourront vous aider si, pour vous, ce ramadan est le premier passé en confinement, si vous vous demandez comment faire face à un ramadan sans mosquée, sans prières du tarawih ni prêches du vendredi, sans ftours collectifs ou réunions familiales spontanées. Vous risquez de passer par plusieurs émotions.

Tristesse

Il est tout à fait normal et compréhensible que vos ramadans passés, ceux où la vie suivait son cours et où vous n’étiez pas confiné, vous manquent. Autorisez-vous à ressentir cette tristesse pleinement et ne repoussez pas la nostalgie des repas collectifs et du bel esprit de fraternité et de solidarité qui caractérisent ce mois sacré. Autorisez-vous à en ressentir le manque, ne cherchez pas à fuir ce sentiment car il est là pour vous en enseigner un autre, très profond: l’empathie.

Cette tristesse d’être séparé des autres croyants, souvenez-vous-en lors des prochains ramadans. Dans votre communauté, dans votre quartier, de nombreuses personnes la ressentiront, même si le confinement est terminé – ceux qui viennent d’emménager dans le quartier, les parents d’enfants en bas âge, les personnes vulnérables et celles qui viennent d’embrasser l’islam ou qui y reviennent. Jurez-vous de ne plus jamais laisser un ramadan se passer sans leur tendre la main et élargir votre cercle d’amis.

Frustration

Un des aspects du ramadan qui nous apporte le plus de joie, c’est de mettre notre vie “normale” entre parenthèse pendant ces quelques semaines pour pouvoir nous consacrer pleinement au jeûne, à la récitation du Coran et à la prière. Dans de nombreux cas, cela implique notamment d’être moins souvent chez soi et de passer moins de temps à cuisiner, ranger et autres tâches ménagères ou du moins, de partager ces responsabilités ou de les déléguer. Pour beaucoup d’entre nous, cette quête de concentration et de recentrement est d’une importance primordiale. Ceux qui ont des enfants attendent le moment précieux où leurs bambins seront enfin tranquilles pour pouvoir se tourner vers des formes d’adoration plus importantes  – mais bien souvent, ils attendent en vain.

Cette année, la question de cette séparation entre la vie de tous les jours et la vie spirituelle ne se pose même pas. Impossible de séparer nos actes d’adoration de notre vie de famille. Impossible d’échapper aux activités courantes telles que préparer les repas ou s’occuper des enfants – responsabilités qui viennent souvent s’ajouter à celles du travail. Pour les femmes, rien de nouveau à cela.

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Elles ont toujours dû s’adapter à ce genre de situation et jusqu’à maintenant, nous ne nous étions peut-être pas assez rendu compte des sacrifices de nos mères et des femmes de leur génération qui ont toujours réussi à remplir leurs responsabilités sur tous les fronts et ce, avec le sourire et un enthousiasme tel qu’il ne nous est jamais venu à l’esprit qu’elles aimeraient peut-être vivre leur ramadan différemment. Cette situation est l’occasion d’apprécier à leur juste valeur toutes les femmes qui ainsi su faire face par le passé et de les en remercier si vous en avez la possibilité.

Mais pour en revenir aux tâches du quotidien, il est important de ne pas laisser les frustrations s’accumuler. Revoyez vos attentes à la baisse et abandonnez tout espoir de sereine solitude. Au contraire, tournez-vous tout entier vers ceux qui partagent votre confinement. Plutôt que d’essayer à tout prix de vous replier dans la solitude – ce serait d’ailleurs inutile – mettez l’accent sur le partage: partagez les tâches ménagères, priez ensemble, lisez le Coran ensemble et prenez le temps de savourer ensemble la baraka du ramadan.

Culpabilité

Le ramadan est un mois intense. Chaque minute y est précieuse. On a toujours à l’esprit que chaque instant est sacré et on veut mettre à profit chaque seconde. Tant et si bien que ce qui ne relève pas des actes d’adoration formels ne nous semble pas digne de notre temps. Ainsi, jouer avec ses enfants, s’occuper d’un nourrisson, préparer un énième goûter, répondre à des courriels et mille autres tâches de la vie quotidienne nous apparaissent comme une perte de temps. C’est alors que le sentiment de culpabilité nous gagne.

On se sent coupable de ne pas pouvoir lire le Coran ou prier autant que lors des ramadans précédents. Sans les renforts habituels, on a l’impression de s’éparpiller pour faire tourner la maison tant bien que mal et on craint de passer à côté de tout ce que le mois sacré a à nous apporter. La cause en est que, pour une raison profonde et sur laquelle il faudrait se pencher, nous ne savons plus apprécier à leur juste valeur les tâches du quotidien qui, lorsqu’elles sont accomplies dans le but conscient de remplir nos responsabilités, prennent une réelle dimension spirituelle.

Or, chaque instant du ramadan, comme d’ailleurs chaque moment de notre vie, peut être l’occasion d’un acte d’adoration, lorsque nous formons l’intention adéquate. Chaque instant peut être radicalement transformé lorsqu’on s’y donne un but sacré. Avant de vous attaquer à cet énième goûter dont je parlais, prenez quelques secondes pour former l’intention de nourrir votre enfant avec de la nourriture saine et halal.

Lorsque vous répondez à des courriels pour votre travail, formez l’intention de remplir vos responsabilités avec excellence pour être sûr de gagner honnêtement votre pain. Lorsque vous portez votre bébé, renouveler votre intention d’élever cet enfant dans la douceur et la gentillesse pour en faire une personne qui soit une source de lumière pour les autres. Une intention sincère peut transformer chaque moment. Ainsi, aucun instant n’est “perdu”. Voilà la question de la culpabilité réglée !

Le sentiment que ce n’est pas vraiment le ramadan…

… ce qui est tout à fait normal puisque tout ce que vous associez le plus au ramadan est à présent impossible.
Et pourtant, je vous l’assure, c’est bien le ramadan. Ce mois sacré est bel et bien là et tout ce qu’il a à nous apporter est bel et bien là, même si nous n’en avons pas toujours le sentiment. Comme pendant tous les autres ramadans, les portes du paradis sont ouvertes, les bénédictions abondantes et la Nuit du Destin nous attend.

Comme chaque année, le Coran est à nos côtés et la récompense de notre jeûne est avec Dieu seul. J’éviterai les platitudes sur les bienfaits de la solitude car elles ne changeraient rien au fait que la solitude peut aussi apporter son lot de tristesse et un sentiment de vide. Mais ce que mes ramadans esseulée m’ont appris, c’est qu’avec quelques petits changements dans notre manière de voir les choses et une bonne dose de grâce divine, notre maison peut devenir la plus intime des mosquées, notre famille, la plus lumineuse des congrégations et notre état intérieur être illuminé par un contentement qui est le plus merveilleux de tous les dons.

Je vous souhaite à tous et à vos familles un merveilleux ramadan, béni et plein de santé. Quel que soit notre état intérieur, le ramadan vient toujours à nous comme le meilleur des amis, l’air radieux et le sourire aux lèvres !(1)
Traduit de l’anglais par Nora Outaleb. Le texte original d’Aiysha Malik se trouve sur son blog, Mamanushkha, qui est consacré à la maternité et à la foi.
(1)  Référence à un article précédent du blog, qui fait lui-même référence à “Ramadan Tajalla”, ode qui décrit le ramadan comme un invité radieux et souriant.

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