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Qui a tué Malcolm X ? Le procureur de New York décide de rouvrir l’enquête

Qui a tué Malcolm X ? Qui a réduit à jamais au silence le charismatique leader musulman du mouvement noir aux Etats-Unis ? Qui a abattu froidement El-Hajj Malek El-Shabazz, le 21 février 1965, à Harlem, au beau milieu du discours qu’il prononçait devant un auditoire de 400 personnes venues l’écouter religieusement ? Qui se cache derrière les mains criminelles qui, en frappant mortellement l’homme, ont cru naïvement annihiler son influence et effacer son souvenir ?

Ces questions qui, 55 ans après les faits, n’ont cessé de hanter les esprits, se posent aujourd’hui avec une acuité renouvelée, si l’on en juge par le documentaire en six parties que Netflix a choisi de diffuser à l’occasion de la célébration du « Mois de l’histoire des Noirs », mais aussi et surtout par le coup de théâtre judiciaire qui s’en est suivi : le bureau du procureur de Manhattan a, en effet, décidé de rouvrir l’enquête sur ce meurtre qui relève bien d’un assassinat politique.

Un assassinat politique pour lequel trois hommes ont été condamnés à la prison à vie en 1966 : Mujahid Abdul Halim (connu sous les noms de Talmadge Hayer et Thomas Hagan), Muhammad Abdul Aziz (connu sous le nom de Norman 3X Butler) et le défunt Khalil Islam (connu sous le nom de Thomas 15X Johnson).

Pendant des années, Aziz et Islam ont clamé leur innocence, soutenus en cela par Halim, qui a reconnu être le seul des trois à avoir pris part à l’assassinat. Remis en liberté conditionnelle en 1985, Muhammad Abdul Aziz, aujourd’hui âgé de 81 ans, essaie toujours de laver son honneur. Le troisième homme, Khalil Islam, est décédé en 2009.

                            Ilyasah Shabazz

« Je n’ai pas de mots pour décrire ce que j’ai ressenti en apprenant que le procureur du district de Manhattan, Cyrus Vance, envisage de rouvrir les enquêtes sur l’assassinat de mon père, Malcolm X », a écrit Ilyasah Shabazz, la troisième fille de Malcolm X, sous une plume tremblante d’émotion.

« J’espère de tout cœur que ces enquêtes apporteront clarté et transparence concernant l’acte criminel qui ôta la vie de mon père bien-aimé et admiré de tous. Un meurtre qui fut dévastateur pour ma famille et tous les fidèles dévoués. Mon père a vécu sa vie en défendant et en recherchant la vérité. Il mérite le même dévouement pour que toute la lumière soit faite sur son assassinat et que la vérité éclate au grand jour », a poursuivi cette fille inconsolable qui, lors de l’interview exclusive qu’elle avait accordée à notre site Oumma, en février 2012, nous avait confié combien elle admirait son père (à lire ou relire l’intégralité de l’interview ci-dessous).

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La belle lettre de Malcolm X sur le grand voyage qui changea sa vie : le pèlerinage à La Mecque.

Publiée par Oumma.com sur Vendredi 2 mars 2018

En février 2012, Oumma a rencontré, à New York, Ilyasah Shabazz, la troisième fille de Malcolm X. Elle se bat sans relâche pour perpétuer la mémoire de son père.

On a commémoré, le 21 février 2005, les 40 ans de la disparition de Malcolm X, votre père. Comment entretenir la mémoire de cet homme hors du commun ?

Nous sommes à l’Audubon Ballroom, ici-même où mon père fut assassiné en 1965. Depuis cette date, ma mère (NDLR décédée en 1997), a toujours voulu transformer cette salle en un lieu du souvenir. Après des années de persévérance et de pression sur les autorités, nous sommes sur le point d’y arriver. L’ Audubon sera bientôt un centre éducatif (The Malcolm X and Dr. Betty Shabazz Memorial and Education Center) destiné aux jeunes d’Harlem avec une bibliothèque permanente et des expositions. La tenue de débats sur différents thèmes, comme la diaspora africaine ou la communauté noire américaine, et des projections de films sont prévues. Aujourd’hui, ce lieu assombri par la tragédie est devenu un symbole de lumière.

Quels sont les problèmes auxquels demeure confrontée la communauté noire
américaine ?

Je crois qu’il faut lier deux phénomènes interdépendants. Le manque de culture et de connaissance de notre histoire, la diaspora des Africains et la discrimination raciale. Mon père avait bien su discerner ces phénomènes.

En 1962, il déclarait : « Il y a une raison pour laquelle nous sommes traités ainsi : nous ne connaissons pas notre histoire ! L’Américain appelé le Nègre est un soldat qui ne connaît pas son histoire, c’est un serviteur qui ne connaît pas son histoire, c’est un diplômé de Yale ou de Columbia qui ne connaît pas son histoire, il est donc limité, confiné et est tenu sous contrôle ».

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Il ajoutait le 18 janvier 1965 : « le programme éducatif américain est totalement élaboré pour faire perdurer cette domination du blanc sur le noir. Si toute la population américaine recevait une éducation qui reflétait avec exactitude l’histoire et la contribution de l’homme noir pour les sciences ou la civilisation, je pense que beaucoup de blancs seraient moins racistes et n’auraient plus ce sentiment de supériorité. Dans le même temps, le sentiment d’infériorité que ressent l’homme noir serait en partie effacé. C’est à l’éducation de l’éliminer. Avoir des écoles et des universités ne signifie pas que vous avez une éducation ».

Et je compléterai en disant qu’avant Yale ou Harvard, il y avait l’université de Tombouctou où le peuple africain enseignait à des gens du monde entier. Qu’avant l’Empire Romain, il existait des pyramides le long du Nil. Et s’il y a encore des gens pour penser que Cléopâtre ressemblait à Elisabeth Taylor et Moïse à Charlton Heston, alors nous privons nos enfants d’une éducation juste et ne faisons que retarder notre pays sur la voie de la vérité et du progrès.

Quel souvenir gardez-vous de votre père ?

J’étais en adoration devant mon père. Notre foyer s’illuminait à chaque fois qu’il franchissait le pas de la porte. Même débordé, il prenait le temps de jouer avec mes soeurs et moi. J’avais tout de même une sorte de rituel avec lui. Je l’attendais le soir devant la porte d’entrée. A son retour, il me prenait dans ses bras, allait chercher une boîte de cookies et nous installait sur le canapé. Je m’endormais très souvent pendant que lui regardait longuement les informations. Aujourd’hui, quand je relis ses mémoires, ses discours, sa vision, et que je mesure son intégrité et sa sincère compassion pour l’humanité, je retombe en admiration une nouvelle fois.

Quel est votre sentiment sur les discriminations que subissent les Musulmans aux Etats-Unis depuis le 11 septembre ?

J’estime que montrer du doigt les Musulmans et dénigrer l’Islam à partir de la tragédie du 11 septembre est très injuste et préjudiciable. Il est absurde de condamner une religion tout entière à cause de la folie d’une minorité.

Qu’avez-vous pensé du film « Malcolm X » de Spike Lee (sorti en 1992) ?

Je pense que Spike Lee a très bien adapté l’Autobiographie (The Autobiography as told to Alex Haley) sur le grand écran. Malgré tout, même la meilleure adaptation de ce livre ne pouvait pas raconter la totalité et l’exactitude de sa vie. L’autobiographie perpétue le mythe selon lequel, avant son séjour en prison et sa rencontre avec Elijah Muhammad, mon père était un voyou illettré qui aurait pu à peine écrire son nom. Ce n’est pas exact. Sa mère était une femme éduquée qui parlait cinq langues et qui était secrétaire au sein de l’Association de Marcus Garvey pour l’Union et le Progrès des Noirs. Elle a élevé et éduqué ses enfants avec application. Ils récitaient l’alphabet en français, apprenaient l’histoire, lisaient les articles de Marcus Garvey et ils étaient réprimandés à chaque mot mal employé.

Selon vous si votre père était vivant, quels combats mènerait-il aujourd’hui ?

Mon père, sans doute, se battrait avec force contre la généralisation de l’immoralité, notamment sexuelle, présente dans la société actuelle, contre toutes les formes d’obscénités, particulièrement inhérentes à certains genres de musique. Je crois qu’il aurait encouragé les jeunes à se tourner vers l’émergence du hip-hop, phénomène qui a été un élément capital dans la libération de notre communauté, mais il les aurait dissuadés d’employer un vocabulaire vulgaire et dégradant. Il aurait certainement incité les artistes célèbres à mettre leur notoriété au service du peuple, plutôt que de s’acheter de grosses chaînes en or…

Pour finir, pensez-vous que l’on connaîtra un jour la vérité sur l’assassinat de votre père, derrière la version officielle ?

Cela me touche beaucoup de savoir que cette question continue à intriguer des milliers de personnes. Il y a évidemment encore de nombreux mystères à éclaircir, certains sont soigneusement cachés par le gouvernement. Malheureusement, je n’ai ni les moyens, ni le temps de relancer l’enquête sur les circonstances entourant la mort de mon père. Entretenir sa mémoire est un premier combat, la vérité éclatera d’elle-même un jour.

Propos recueillis par la rédaction Oumma

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14 commentaires

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  1. Excellent et regretté Malcom X …
    L’immense « Peuple Noir » déporté, asservi a pris conscience en se relevant de sa terrible servitude et notamment grâce et avec lui que « l’homme Noir sera ou ne sera pas » …
    En effet, il ne pouvait arracher sa citoyenneté qu’en étant ce qu’il est dans toutes ses composantes et non en empruntant des gesticulations de façade qui ne font pas écho à son moi profond et ne faisaient finalement que retarder la possibilité d’un moment, ou “l’autre” le renverrait à son exclusion éventuelle …
    Alors qu’étant lui-même, il était partout chez lui … Il tournait le dos à une condition fragile … Devenait fort et sûr de lui-même, livré à sa seule et entière volonté et plus esclave de la volonté de l’autre … Ou pire, préfabriqué par les suggestions du regard d’autrui …
    Malcom X n’est pas mort dans son lit …
    Là où il se trouve, Il témoigne avec tant d’autres que seule la vérité dérange … La vérité, poil à gratter … La vérité qu’on assassine … Alors, la vérité sur sa mort, bien sûr, on est 100% preneur … Qui d’autres que lui la mérite plus, lui qui l’a recherchée toute sa vie ? Même si on n’est pas des naïfs … Dans ce contexte, les menteurs semblent avoir de longs jours devant eux, mais pour eux, les beaux jours ça va être beaucoup plus difficile … Chacun ses choix …
    Allah y rahmou

  2. @Mohamed

    …..Et à la logique, on oppose les insultes, qui vous dispensent d’argumenter.
    Ce que je défends, c’est que les religions de gauche sont une imposture par construction. Vouloir créer une secte socialiste d’une religion monothéiste est juste un contresens, car les religions monothéistes ont vocation à soutenir le pouvoir. C’est la raison pour laquelle la Théologie de la Libération a fait un bide, ou la raison pour laquelle l’Abbé Pierre n’a même pas été béatifié. En se réfugiant dans la religion, les noirs américains n’ont pas compris qu’ils faisaient allégeance au système.
    Elvis Presley a sans doute plus fait pour eux que Luther King. Si nécessaire, je peux expliquer.
    En fait, la religion conduit naturellement au communautarisme, qui concourt à faire perdurer le racisme. Je fais référence à la religion musulmane, ou à la déclinaison noire du protestantisme. On ne se mélange pas entre blancs et noirs dans les temples.

  3. “Mon père, sans doute, se battrait avec force contre la généralisation de l’immoralité, notamment sexuelle, présente dans la société actuelle, contre toutes les formes d’obscénités, particulièrement inhérente à certains genres de musique.”

    A de demander sil n’était pas un peu réac, Malcolm Dix. Je note d’ailleurs le fait que les mouvement d’émancipation de noirs américains étaient phagocytés par les religieux, ce qui n’a pas vraiment contribué à l’élaboration de thèses cohérentes. Difficile de lutter pour les droits de l’homme en défendant une religion réactionnaire. Au racisme, on oppose en général la logique, pas la croyance.

  4. S’il avait survécu une théologie de la libération islamique aurait pu naître au sein de la plus grande puissance capitaliste du monde, ce qui était intolérable pour pour le système dominant et pour les sectes et tous ceux qui monopolisent la parole islamique en faveur des puissants et des promoteurs de l’économie usuraire mondialisée. C’est ce message que constitue son assassinat. Un signe pour ceux qui réfléchissent. Et être fidèle au testament de Malcolm X, c’est reprendre le flambeau de la lutte pour les droits civiques, contre l’impérialisme, contre la capitalisme usuraire et pour les classes déshéritées à l’échelle internationale.

  5. Rahmatou Allah ‘alayhi.
    Il est fort probable que son assassinat a été fomenté/exécuté à la fois par le gouvernement et par la secte satanique Nation of Evil qui n’a rien à voir avec l’Islam.
    Malcolm X était clairement gênant pour les 2 entités, un rapprochement avec Martin Luther King était prévu, une telle convergence aurait été une catastrophe pour le gouvernement et aurait également mis sur la touche la secte dont il s’est émancipé.
    Certains adeptes de la secte (y compris probablement leur leader) travaillaient pour le gouvernement (Ex : John Ali).

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