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Que savons-nous de l’authenticité des hadiths ?

Les enseignements spirituels du Prophète Mohammad (SAWS)

Tayeb Chouiref répond aux questions d’Oumma à l’occasion de la parution de son livre « Les enseignements spirituels du Prophète » éd. Tasnîm, 2008. (Recueil de hadiths authentifiés commentés par les grands maîtres de la spiritualité musulmane).

Qu’est-ce que les hadiths et quelle est leur place en Islam ?

Le terme ‘‘hadith’’ désigne une tradition remontant au Prophète (ص) et rapportant un de ses actes, une des ses paroles, son approbation explicite ou non, ou encore des caractéristiques le concernant. Le Hadith – c’est-à-dire le corpus des hadiths – contient un grand nombre d’enseignements qui éclairent le Coran et qui nous permettent de saisir le contexte dans lequel fut révélé tel ou tel verset.

La place du Hadith est donc fondamentale dans les sciences religieuses de l’Islam : c’est, après le Coran, la deuxième source de la théologie musulmane. Dans la vie du croyant le Hadith occupe un rôle très important aussi puisque c’est par ce biais qu’il peut prendre connaissance des comportements, des attitudes et des vertus du Prophète afin de le prendre pour modèle et de répondre ainsi à l’injonction coranique : « Il y a, en vérité, dans l’Envoyé de Dieu un excellent modèle pour celui qui désire Dieu ainsi que l’Au-delà, et qui invoque Dieu abondamment. » (Coran : 33, 21)

Que savons-nous de l’authenticité des hadiths ? Peut-on être sûr que nous avons affaire à des paroles prononcées par le Prophète ?

La question de l’authenticité des hadiths est cruciale mais elle n’est pas simple. Dans mon livre, je consacre la majeure partie de la longue introduction à traiter cette question de la manière la plus objective possible, en m’en tenant strictement à une étude critique des documents que nous possédons à notre époque. La critique occidentale a sévèrement jugé la collecte du Hadith et, s’il est vrai qu’il existe des hadiths inventés de toutes pièces – que l’érudition musulmane appelle ahâdîth mawdû‘a –, il n’en reste pas moins qu’une certaine école orientaliste en arrive à des conclusions tout à fait excessives.

Très tôt, et probablement dès le 1er siècle, de fausses traditions apparurent et furent forgées pour des motifs divers. S’il y eut parfois de pieuses exagérations dans le but d’édifier les fidèles, il y eut aussi des mensonges intéressés lors de querelles dogmatiques ou politiques. Tout cela participa à faire naître le besoin d’un contrôle et d’une vérification des récits et témoignages se rapportant au Prophète.

C’est ainsi que naquirent plusieurs disciplines qui furent regroupées sous l’appellation ‘ulûm al-hadîth, les sciences du Hadith. Les travaux de Muhammad Hamidullah (m. 2002) et notamment son édition du manuscrit du recueil de Hammâm ibn Munabbih[1], montrent que l’on peut tenir pour sûrs les hadiths dits sahîh et hasan par les savants médiévaux de l’Islam.

Faisant le bilan des connaissances actuelles sur l’histoire de la collecte des hadiths, Jacques Berque affirme : « De quelque façon que soit née et qu’ait mûri la science musulmane du hadith, elle faisait pendant chez les Arabes, à la mémoire généalogique des groupes, laquelle est critique à sa façon. De fait, cette critique s’est exercée et s’exerce encore, à l’intérieur de l’Islam, fut-ce en matière de biographie du Prophète, au point qu’un auteur récent ait pu remettre en cause la Sira d’Ibn Hicham… Ce réductionnisme est, il est vrai, compensé par les recherches de M. Hamidullah par exemple, qui retrouvent, à très haute époque, des consignations écrites de documents ayant trait à la mission prophétique et confirmant en gros les traditions déjà tenues pour sûres… »[2]

Pourquoi un recueil sur les enseignements spirituels du Prophète ?

Les enseignements du Prophète concernant la vie spirituelle sont souvent mal connus, y compris à l’intérieur de l’Islam. Quand on évoque le Prophète, certains clichés viennent à l’esprit : l’actualité nous le rappelle régulièrement. Mais que sait-on réellement de lui ? Qu’a-t-il enseigné à ses Compagnons, quelle éducation spirituelle leur a-t-il donnée, quelles vertus incarnait-il, comment vivait-il, au quotidien, son lien à Dieu ? Mon recueil tente de répondre à toutes ces questions. Ce livre est une anthologie constituée à partir de l’analyse scrupuleuse de plusieurs milliers de hadiths dispersés dans les recueils faisant autorité (Bukhârî, Muslim, Tirmidhî…).

Toutefois, j’ai tenu à mettre en lumière chaque hadith par quelques explications circonstanciées de ma part, mais surtout par les commentaires des grands maîtres de la spiritualité musulmane comme Junayd (m. 911), Ghazâlî (m. 1111), Ibn ‘Arabî (m. 1240) ou plus près de nous l’Emir Abd el-Kader.

Quelle est la fonction des commentaires que vous citez pour chaque hadith ?

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Lorsque l’on consulte les recueils classiques de hadiths en arabe, on s’aperçoit qu’un hadith se présente souvent comme des paroles ou des actes détachés de leur contexte. On ne sait pas, par exemple, s’il date du début ou de la fin de la mission prophétique. Le lecteur reste parfois perplexe face à un hadith dont il peine à évaluer la portée.

Les hadiths sont justes pourvus d’une chaîne de transmetteurs (isnâd) laquelle est peut être intéressante en soi mais n’éclaire que le spécialiste. Les commentaires que je cite ont donc une double fonction : éclairer le lecteur en l’aidant à pénétrer la signification profonde du hadith, et permettre de découvrir les enseignements de certains maîtres soufis et leur relation aux hadiths que je trouve très inspirante.

Le mot ‘‘spirituel’’ est employé dans des types de discours très divers, non nécessairement religieux d’ailleurs. Que faut-il entendre par ‘‘enseignements spirituels’’ ?

Cette question est très vaste… Je m’en tiendrai pour ma part à souligner une confusion que l’on retrouve souvent dans les écrits concernant l’Islam : celle de l’éthique et de la spiritualité. Il n’est pas rare que l’un soit employé pour l’autre comme s’ils étaient tout simplement interchangeables.

Il existe de fait une distinction entre les enseignements moraux constituant un ensemble d’injonctions visant à réaliser le bon comportement dans diverses situations, et les enseignements spirituels visant à l’élévation intérieure par la Connaissance et le cheminement initiatique. Bien sûr, cela ne veut pas dire que l’éthique et la spiritualité n’ont aucun lien entre elles. L’éthique est une base nécessaire et une préparation à la vie spirituelle. J’utilise donc le terme spirituel pour désigner ce qui se rapporte à la vie de l’esprit, conformément à l’étymologie. La spiritualité est l’approche et la réalisation progressive des mystères de la foi : elle est le fruit d’un cheminement initiatique.

C’est bien parce qu’il tente d’exposer les mystères de la foi que Ghazâlî utilise souvent le terme asrâr (secrets) dans les titres des chapitres de son œuvre monumentale Ihyâ’ ‘ulûm al-Dîn. Finalement, une des évocations les plus directes du caractère transcendant de la spiritualité est ce verset du Coran : « Ils t’interrogent sur l’Esprit. Dis : l’Esprit relève de l’Ordre de mon Seigneur, et vous n’avez reçu en ce domaine que peu de connaissance. » (Coran : 17, 85)

Un ouvrage comme celui-là ne remet-il pas en cause l’image simpliste que l’on peut se faire du Prophète lorsque l’on s’en tient aux biographies traditionnelles (sîra) du Prophète ?

Les biographies traditionnelles comme celle d’Ibn Hichâm (m. 828) ne sont pas centrées sur la personne du Prophète, contrairement à ce que l’on pourrait croire, mais sur l’avènement de l’islam : il s’agit de rendre compte de la naissance de cette religion et du contexte de l’époque. On y apprend donc beaucoup de choses sur ce que le Prophète a accompli mais assez peu sur ce qu’il a enseigné et sur sa spiritualité au quotidien.

D’ailleurs ces biographies sont assez proches des ‘‘récits d’expéditions’’ (kutub al-maghâzî) dans le type de narration. Sans remettre en cause l’importance historique de ces deux genres d’ouvrages, il faut souligner qu’ils transmettent une vision ‘‘extérieure’’ de l’œuvre du Prophète – ils insistent ainsi beaucoup sur les batailles, les prises de butin, les traité de paix, etc. Ce faisant, ils passent sous silence ce qui finalement constitue le cœur de son enseignement, à savoir la vie spirituelle. Pour approcher le Prophète de l’intérieur il faut, me semble-t-il, avoir recours aux hadiths. Dans cette perspective, j’espère que mon livre sera une contribution, aussi modeste soit-elle, à une meilleure appréciation du corpus des hadiths et à une approche plus sereine et plus authentique de la réalité du Prophète.

Propos recueillis par A. Znati


[1] Ce recueil fut retrouvé et publié par Muhammad Hamidullah sous le titre « Aqdam ta’lîf fî-l-Hadîth al-nabawî, Sahîfat Hammâm ibn Munabbih wa makânatuhâ fî ta’rîkh ‘ilm al-Hadîth », Majallat al-Majma‘ al-‘ilmî al-‘arabî (R. A. A. D.), 28, (1953).

[2] La Chronique, Histoire des prophètes et des rois, de Tabarî, éd. Actes Sud, 2001, p. 19-20.

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4 commentaires

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  1. j’ai une question : le hadith “parfois le remède est dans le mal” est-il fiable authentique ? et aussi les hadiths tiennent en 108 tomes comme les dires bouda ?!!

  2. Comment un homme né 200 ans après la mort du prophète peut avoir recueillis et authentifié les Hadiths Sahih, si toutes personnes de cette époque là avaient déjà quitté ce monde et ne peuvent confirmer? Comment ont-ils étaient transmis pendant plus de 200 ans sans qu’il n’y est un risque de ”téléphone arabe” ou d’altération aux documents? Si les hadiths sont bels et biens véridiques pourquoi le coran n’en fait pas mention et Allah dit que le livre sacré est d’une parfaite droiture et sans ambiguïté ou de tortuosité?

    Avec tous mes respects,
    A.F

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