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Que dit vraiment le Coran : Guerre & paix, violence, terrorisme (fin)

« Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent il n’y a de dieu que Dieu.  »

L’actualité, la réalité, est là qui sans cesse nous interpelle ; violence et injustice, assoiffées soeurs de sang, attisent les braises, encore comme toujours, d’un foyer jamais éteint en le coeur des hommes. Et plus, crime ajouté à l’horreur, pas un partisan qui ne mêle à la folie des hommes la Religion. Mais, pour que ces jours de colère légitime n’engendrent la haine, s’impose à nous que nous prenions un temps de réflexion au sein même de la tourmente ; nous ne serions à même de l’exiger de l’autre…

Nous avions donné en une première partie à travers des citations du Coran l’esprit véritable de l’Islam quant à « guerre & paix, violence  » et leur bâtard, le terrorisme. Nous avions dû alors montrer que les versets en apparence « bellicistes », tel le « verset du sabre », avaient tous fait l’objet de manipulations, non pas textuelles mais interprétatives. En la deuxième partie, « La colombe à l’épée », nous avons longuement analysé par quels mécanismes l’on pouvait inverser le sens d’un verset non conforme à la volonté martiale des pouvoirs ayant exercé leur autorité sur le monde de l’islam. Nous avions par là mis en évidence un principe essentiel : la cohérence pleine et entière du Coran. Il nous sera donc donné de sonder en ce dernier volet la cohérence entre le Hadîth authentifié et le Coran ou, vu de l’autre coté du miroir, l’incohérence que la volonté des hommes induit. A cette fin, nous l’avions annoncé, nous allons nous intéresser à un hadîth authentifié, sahîh, très célèbre, l’archétype par excellence de tout un pan idéologique :

D’après Abû Hurayra, le Messager de Dieu a dit : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent qu’il n’y a de dieu que Dieu. Qui dit cela, je respecterais sa vie et ses biens, sauf ce que de droit, en dehors de quoi il ne devra de compte qu’à Dieu. »

Quoiqu’on en dise, quoiqu’on en lise, le propos est clair ; une déclaration de guerre permanente devant amener toute l’humanité à l’Islam.

A priori le texte est limpide, véritable mur, forteresse imprenable aux murailles parfaitement lisses, les mots ici ne semblent laisser prise à aucune interprétation et je ne pratique de toute façon pas l’interprétation. Au sommet de cette citadelle des générations de guerriers brandissent l’étendard de l’islam conquérant. Mais l’inscription en ces bannières, celles qui flottèrent aux vents porteurs de conquêtes et de bénédictions divines, celles qui aux flamboyants matins promettaient abondances de butins, d’or, de femmes et de chevaux, est plus cinglante encore1 :

« Il m’a été ordonné de combattre les gens

jusqu’ à ce qu’ils disent qu’il n’y a de dieu que Dieu »

Mais alors comment concilier ces paroles, pourtant parfaitement authentifiées, et les principes généraux de l’Islam ? Comment gérer cette insupportable contradiction entre le Hadîth et le Coran, car nous le savons tous, ou devrions le savoir, le Coran enseigne que les hommes adhèrent librement à la Révélation ou refusent librement de suivre l’ultime rappel de Dieu. Parallèlement, le Coran, nous l’avons à présent démontré, interdit d’être l’agresseur.

Nous lisons :

“ Point de contrainte en religion…” S2.V256.

“ Leur guidée ne dépend pas de toi, car Dieu guide qui Il veut…” S2.V272.

“ Aucune âme ne connaîtra la foi sans que Dieu ne l’ait permis…” S10.V100.

“ Dis : « Je ne suis qu’un Avertisseur et un Annonciateur…” S7.V188.

“ Proclame : « La vérité provient de votre Seigneur. » Ainsi donc, qui veut croie et qui veut donc mécroie… ” S18.V29.

“Nous savons parfaitement ce qu’ils disent. Tu n’exerceras sur eux aucune contrainte, rappelle donc seulement par le Coran quiconque craint ma mise en garde.” S50.V45.

Nous pensons de même à un principe théologique essentiel, parfaitement caractéristique de l’Islam, seule religion à l’avoir inscrit en lettres d’or en son Livre. Parole de sagesses inépuisables  : “ Si ton Seigneur en avait décidé ainsi, tout ce que porte la Terre aurait cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants !” S10.V99.

Et contre toute hégémonie religieuse, comment ne pas nous rappeler : “…A chacun Nous avons indiqué une voie générale [shir‘atan] et un chemin spécifique [minhâjan]. Si Dieu l’avait voulu il aurait fait des hommes une seule communauté [religieuse], mais il en est ainsi afin de vous éprouver par ce qu’il vous a attribué. Rivalisez donc en bonnes œuvres, car c’est à Dieu que vous ferez tous retour. Il vous informera alors quant à vos divergences. ” S5.V48.

Nous avons vu les règles fondamentales présidant au Jihâd et nous savons qu’il ne peut être que défensif et non expansionniste ; ce que tout esprit sensé et tout cœur équilibré sait : “ Autorisation leur est donné de se défendre lorsqu’ils sont combattus…“ S22.V39.

“ Combattez sur la voie de Dieu ceux qui vous combattent et ne commettez aucune exactions…” S2.V190.

“ Et lorsqu’ils souhaitent la paix, fais de même, et place ta confiance en Dieu…”S8.V61.2

Ce hadîth abrogerait-il donc le Coran ? Le Prophète, contre l’avis du Coran, a-t-il prôné un Jihâd permanent contre toute l’humanité ? Que signifient alors ces versets ou que signifie ce hadîth ?

Mais aussi, plus concrètement, comment gérer à notre époque, voire en situation de minorité, une parole aussi revendicative, aussi agressive, et potentiellement porteuse de conflits aussi graves que sans fin ? Un tel propos ne programme-t-il pas à présent la perte de « l’autre » lorsqu’on on est subjectif, et la nôtre lorsqu’on est objectif… ?

Que signifie donc ce hadîth ?

Tout d’abord, rappelons qu’il est admis que ce hadîth authentifié soit transmis selon des voies multiples, sahîh mutawâtir. Cette classification de haut grade lui confère une haute valeur. Ceci étant, son caractère mutawâtir est discutable, cf. note3. Une chose sûre, il est abondamment rapporté, notamment par Al Bukhârî, Muslim, At-Tirmidhî, Ibn Hanbal. L’on en dénombre plus d’une quarantaine de mentions pour les six sunan et, sur l’ensemble des grands recueils, plus d’une centaine. Ces simples chiffres indiquent clairement l’intérêt majeur qu’eut pour les musulmans cette parole du Prophète. Nous pouvons donc inscrire en lettres de feu cette terrible affirmation : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’ à ce qu’ils disent qu’il n’y a de dieu que Dieu. »

Etude du texte et du contexte.

Fait essentiel, le hadîth tel que nous l’avons jusqu’à présent mentionné n’est en réalité qu’une version tronquée mais aussi celle que l’on cite le plus fréquemment si ce n’est uniquement. Fort heureusement, Al Bukhârî, et d’autres, en donnent aussi la version complète, version essentielle à la compréhension de ce propos prophétique.

حدثنا أبو اليمان الحكم بن نافع أخبرنا شعيب بن أبي حمزة عن الزهري حدثنا عبيد الله بن عبد الله بن عتبة بن مسعود أن أبا هريرة رضي الله عنه قال لما توفي رسول الله صلى الله عليه وسلم وكان أبو بكر رضي الله عنه وكفر من كفر من العرب فقال عمر رضي الله عنه كيف تقاتل الناس وقد قال رسول الله صلى الله عليه وسلم أمرت أن أقاتل الناس حتى يقولوا لا إله إلا الله فمن قالها فقد عصم مني ماله ونفسه إلا بحقه وحسابه على الله. فقال والله لأقاتلن من فرق بين الصلاة والزكاة فإن الزكاة حق المال والله لو منعوني عناقا كانوا يؤدونها إلى رسول الله صلى الله عليه وسلم لقاتلتهم على منعها . قال عمر رضي الله عنه فوالله ما هو إلا أن قد شرح الله صدر أبي بكر رضي الله عنه فعرفت أنه الحق.

D’après Abû Hurayra : Après que fut décédé le Messager de Dieu, et cela du temps de Abû Bakr, et que parmi les Bédouins certains renièrent, Umar lui tint ce propos : Comment combats-tu donc les gens alors que le Messager de Dieu a dit : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent qu’il n’y a de dieu que Dieu. Qui dit cela je respecterais sa vie et ses biens, sauf ce que de droit, en dehors de quoi il ne devra de compte qu’à Dieu. » ?

Abû Bakr répondit : Je combattrais certainement quiconque établira une différence entre la prière et la zakât. Car la zakât est un droit dû sur les biens. J’en jure par Dieu, s’ils voulaient me refuser ne serait-ce qu’une chevrette qu’ils donnaient au Messager de Dieu, je les combattrais à cause de ce refus.

Umar a dit : J’en jure par Dieu, je me suis dit qu’il n’ y avait là que ce que Dieu avait permis de comprendre à Abû Bakr, puis je sus que cela était juste.

A première lecture l’on note l’existence d’un contexte. Cette parole du Prophète n’est donc pas une abstraction, hors temps et hors l’Histoire, un slogan à soulever les foules, mais a bel et bien une histoire. Elle n’a pas été prononcée de manière absolue mais circonstanciée, et la clef de la compréhension de ce hadîth repose sur l’analyse du texte en fonction de cette spécificité. Qu’en est-il donc exactement ?

• « D’après Abû Hurayra : Lorsque eut décédé le Messager de Dieu, et cela du temps de Abû Bakr, et que parmi les Bédouins certains renièrent… »

Immédiatement après le décès du Prophète Abû Bakr eut à faire face à plusieurs situations délicates dès l’avènement de son califat. L’on pense bien sûr à sa célèbre campagne menée contre Musaylima le faux prophète. Mais, en réalité, dans la logique des faits, Abû Bakr eut d’abord à combattre ceux qui refusèrent de payer la Zakât, nous donnons quelques détails en note4. C’est à ceux-là que font allusion les mots : « parmi les Bédouins certains renièrent ». Littéralement il est écrit : « kafara man kafara ».5 Cette tournure ne signifie pas qu’ils s’agissaient nécessairement d’apostats comme on le lit fréquemment. En effet, si certains apostasièrent d’autres voulurent simplement ne pas verser la Zakât tout en restant musulmans et, en notre hadîth, c’est de ceux-là qu’il s’agit ; Abû Bakr dit bien : « Je combattrais certainement quiconque établira une différence entre la prière et la zakât ».6 A priori quiconque prie se considère musulman et Abû Bakr ne dit pas que leur refus de verser la Zakât fait d’eux des « apostats » ; il n’ y a aura d’ailleurs jamais de consensus théologique quant au statut de celui qui abandonne un des piliers de la pratique fondamentale. En réalité, les mots « « parmi les Bédouins certains renièrent » sont à mettre en la bouche du narrateur, Abû Hurayra,7 et font donc uniquement allusion à ces bédouins islamisés qui refusèrent de verser la Zakât à Abû Bakr.

Il n’est pas à s’étonner que les dissensions à la mort du Prophète se soient cristallisées autour du paiement de la Zakât. Pour le bédouin, Muhammad était avant tout un chef, et l’Etat une notion inconnue, payer à un tiers une part prélevée sur ses propres biens est pour lui tout aussi révolutionnaire que contraire à sa nature. La richesse, le butin, s’arrache de haute lutte, et n’a de part que le combattant ou le chef tribal. On comprend dès lors qu’en la culture bédouine l’institution de la Zakât fut le « pilier » qui les dérangea. Il ne s’agissait donc pas d’une critique religieuse mais bel et bien d’une attitude pragmatique. Ces « renégats de la Zakât » rentrèrent d’ailleurs bien vite dans les rangs sans opposer de vives résistances.

• « Umar lui tint ce propos : Comment combats-tu donc les gens »  

D’après le texte, Umar intervient donc après que Abû Bakr ait déjà ouvert les hostilités et il le lui dit ouvertement. Il n’est pas d’accord avec sa décision et lui reproche uniquement de combattre des musulmans :

• « Combats-tu donc les gens alors que le Messager de Dieu a dit : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent qu’il n’y a de dieu que Dieu. Qui dit cela je respecterais sa vie et ses biens, sauf ce que de droit, en dehors de quoi il ne devra de compte qu’à Dieu. » ?

Nous sommes à même à présent de comprendre le sens de la citation de Umar : S’il reproche à Abû Bakr de combattre ou de tuer des musulmans – Comment combats-tu donc les gens- et qu’il justifie sa position en citant cette parole du Prophète, c’est qu’il pense que ce propos indique clairement que le Prophète a interdit de tels actes. Ainsi, lorsque Umar dit dans la logique de la situation : « Le Messager de Dieu a dit : Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent qu’il n’y a de dieu que Dieu… » cette citation du Prophète signifie donc « qu’il est interdit de combattre toute personne qui a reconnu l’unicité de Dieu  », l’Islam fondamentalement. Sans aucun doute Umar l’emploie et la comprend comme indiquant que dès lors qu’une personne a proclamé « qu’il n’ y a de dieu que Dieu » le Prophète a dit : «  …je respecterais sa vie et ses biens. » Autrement dit, il n’est pas licite de les combattre y compris pour leur imposer de verser la Zakât sur leurs « biens ». L’affaire est simple : la vie du musulman est sacrée et c’est ce que Umar a voulu ainsi rappeler.8

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– La vie du musulman est sacrée, c’est une évidence, et il aurait été aisé à Umar de le démontrer à Abû Bakr en citant le Coran, voire d’autres paroles du Prophète. Ils ne pouvaient méconnaître cette célèbre parole rapportée par exemple par Muslim : « Pour un musulman tout est sacré chez le musulman : son sang, ses biens, son honneur. »

Nous pouvons donc logiquement nous interroger sur les raisons qui poussèrent Umar à invoquer cette parole du Prophète d’une manière qui nous semble à présent paradoxale ou antithétique.

Le texte, encore une fois, nous fournit une explication : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent qu’il n’y a de dieu que Dieu. » Tout d’abord le Prophète parle à la première personne « Il m’a été ordonné » et ce verbe à la voix passive « umirtu » indique que c’est Dieu qui donna cet ordre à Son Prophète. Il n’est pas dit « Il nous a été ordonné » ou « l’Islam ordonne », un tel ordre aurait été de toute façon contraire aux principes généraux. Il faut donc que admettre que l’ordre donné par Dieu à Son Prophète avait une signification particulière le rendant compatible avec ces mêmes principes.

On note, et là réside l’essentiel, qu’il est dit les « gens », « an-nâs ». En arabe, ce pluriel, « an-nâs », désigne principalement les membres mâles d’une même tribu, clan ou faction. C’est essentiellement le Coran qui donnera à ce terme la dimension universelle que nous lui connaissons, logiquement d’ailleurs puisque l’un des principes majeur du Message coranique est de dépasser le système clanique pour former une supra communauté égalitaire et ouverte, fonder l’humanisme en quelque sorte. L’on pourrait donc traduire : « Il m’a été ordonné de combattre les tribus jusqu’à qu’elles acceptent l’Islam ». De plus, en arabe comme en français, l’expression « les gens » indique aussi des « gens » en particulier. Rien ne contredit là l’Histoire, le Prophète procéda bien ainsi.

Le propos de Umar n’est alors plus « paradoxal » mais cohérent ; il rappelle à Abû Bakr que le Prophète a prononcé ces mots alors même qu’il combattait telle et telle tribu auxquelles il accorda sa sauvegarde du fait de leur acceptation « officielle » de l’Islam.

De même, dans la citation, nous notons à nouveau ces mots : « Qui dit cela je respecterais sa vie et ses biens ». Encore une fois c’est le Prophète qui parle en son nom propre et la traduction littérale serait : « alors je garantis sa vie et ses biens » termes du pacte que le Prophète passait avec les tribus adoptant l’Islam à la suite de la riposte prophétique à leur agression première.9 Situation particulière que certaines versions du hadîth chercheront à modifier pour lui donner une portée générale.10

La vrai nature de l’altercation et la signification juste de la citation prophétique apparaissent à présent clairement  : Umar rappelle à Abû Bakr qu’il a tort, et qu’il n’a pas le droit de combattre des tribus, des « Gens », dont il savait que le Prophète après les avoir combattues leur avait accordé sa protection du fait même de leur adhésion à l’islam, et il se trouve que ce sont ces mêmes tribus qui refusèrent de verser la Zakât à Abû Bakr. Les historiens en ont d’ailleurs conservé les noms.

Ainsi donc, Umar, citant le Prophète, ne valida pas pour l’éternité la fiction mortelle d’un « jihâd prosélyte » et, « accessoirement », ne légalisa pas la soif de pouvoir et de richesse.11 Signalons que Umar fut le seul des quatre Califes sous le gouvernement duquel il n’ y eut aucun combat fratricide entre musulmans.

– Nous pouvons à nouveau et a contrario démontrer la justesse de cette analyse : Si Umar s’adresse ainsi à Abû Bakr ce n’est point pour lui signifier que le Prophète a donné une autorisation pour le jihâd permanent jusqu’à ce que tous les « gens » se convertissent. On ne voit pas logiquement comment avec un tel argument il aurait pu prétendre s’opposer à la décision de combattre de Abû Bakr ! Si Umar avait cru s’opposer à Abû Bakr en lui fournissant un argument semblant légaliser le combat, il nous faudrait considérer que Umar soit un bien piètre débateur ! C’est donc bien que Umar par cette parole du Prophète signifiait, et uniquement, l’interdiction de combattre les musulmans.

Par ailleurs, Abû Bakr n’a pas été surpris du propos, sa réponse le prouve, et il ne le retournât pas à l’expéditeur en l’exploitant à son profit, c’est-à-dire en lui conférant le sens jihâdiste qu’on lui attribue encore de nos jours.

– La position de Abû Bakr est différente ; il décida de combattre des tribus réfractaires dont il connaissait bien l’islamisation pour leur faire verser sous la contrainte des armes la Zakât, et il dit : « Je combattrais certainement quiconque établira une différence entre la prière et la Zakât. Car la Zakât est un droit dû sur les biens. J’en jure par Dieu, s’ils voulaient me refuser ne serait-ce qu’une chevrette qu’ils donnaient au Messager de Dieu, je les combattrais à cause de ce refus. »

Cela Umar le savait parfaitement, et voilà pourquoi il rappela à Abû Bakr que le Prophète avait interdit de combattre des musulmans, quels que soient les motifs, et qu’en particulier « leurs biens » sont sacrés, il n’y a donc pas à exiger d’eux qu’ils versent la Zakât par la force des armes.12

Enfin, il y aurait aussi à débattre quant à la teneur de la réponse de Abû Bakr mais cela n’était présentement, pas indispensable à la saine compréhension de notre hadîth. Il y aurait malgré tout quant à cette décision historique beaucoup de choses à dire, mais ceci est un autre sujet.

Synthèse.

La parole prophétique rappelée à Abû Bakr par Umar : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent qu’il n’y a de dieu que Dieu. » est une citation tronquée et un propos coupé de son contexte. Cette parole du Prophète a été motivée par des circonstances particulières mais, une fois extraite de son contexte, il est possible d’en modifier totalement le sens. Elle signifiait en réalité : « Il m’a été ordonné de combattre des tribus arabes qui nous menaçaient et elles ont accepté l’islam et, dès lors, il est interdit de les combattre car, comme il en est pour tous les musulmans, leur vie et leurs biens sont sacrés. »

Conclusion

“Ô croyants, lorsque vous combattez pour la cause de Dieu, faites preuve de discernement. Ne dites pas à celui qui voudrait la paix : « Tu n’est pas croyant ! » recherchant par là un moyen d’obtenir des biens d’ici-bas. En vérité, le véritable butin est auprès de Dieu. C’est pourtant ainsi que vous agissiez auparavant, mais Dieu, depuis, vous a comblé de Ses bienfaits. Faites donc preuve de discernement, Dieu, certes, est parfaitement informé de vos actes.”S4.V94.

Le Prophète n’a jamais proclamé qu’il était de sa mission universelle d’imposer l’Islam par le sabre. Selon le même état d’esprit et la même logique, il déclara que la vie et les biens d’un musulman étaient sacrés. En cela il fut parfaitement en conformité avec le Coran, par la parole et par l’acte. Mais l’épée domina toujours la plume, et par un retournement spécieux rendu possible par la suppression du contexte d’un hadîth, on lui fit dire le contraire de ce qu’il avait voulu signifier. Il voulut dire : « Le fait que quelqu’un reconnaisse l’unicité de Dieu m’interdit de le combattre » mais on donna à cette parole le sens opposé : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils acceptent l’unicité de Dieu. »

En cette série de trois articles, nous avons eu comme objectif de montrer que l’Islam, Coran et Sunna, était un tout cohérent et que la mission universelle du Prophète Muhammad ne pouvait s’accompagner que d’une vision hautement éthique de l’altérité. La reconnaissance de l’autre en ses spécificités, sa foi ou son incroyance, ses différences, et le corollaire obligé du principe de tolérance religieuse postulé par la révélation coranique. Nous devons donc parfaitement discerner que l’Islam, religion révélée, devint aussi un fait religieux et, qu’en tant que tel, eut une histoire. L’Histoire est écrite par le sang des hommes sur le parchemin de leur existence, grandeurs et décadences, misères mais aussi sublimes dépassements.

Cependant, avoir démontré la signification réelle de ce propos prophétique ne pourra apaiser nos cœurs. Il restera toujours sur la face humiliée de notre terre des hommes avides de pouvoir, et d’autres ivres de bêtises, qui, sous l’emprise de leurs sens, quelles que soient leurs religions, sauront légitimer leurs volontés au nom de Dieu… ou comment « la Religion », conquête des cœurs, devint toujours « religions » de conquérants.

Enfin, faisons observer que ce hadîth demeura contre nous. En effet, il est aisé de le constater, bien des musulmans continuent et continueront à brandir ce slogan mensonger et assassin. Dérisoire déclaration de guerre, non plus symbole de leur puissance, désormais passée, mais complainte de leurs frustrations et faiblesses. Encore plus de raisons à l’irraison.


1 Ce propos emblématique s’est maintenu en partie sur le drapeau Saoudien, royaume dont le nom évoque sans pudeur l’annexion d’un pays par une famille de bédouins. Ce drapeau et son slogan sont explicites de la pensée wahhabite, autre visage de la famille, la shahada et le sabre le tout sur fond vert, qu’aurait été le rouge sang…Heureusement, la plupart des néo pseudo-wahhabites d’exportation n’ont plus le sabre entre les dents l’ayant troqué pour un siwâk…mais l’idéologie demeure.

2  A ce propos, il a été observé que lors de mon analyse de S47.V35 « Ne faiblissez pas, et appelle à la paix… » j’avais transcrit le mot paix par « silm » alors que nos corans, « lecture » Hafs, portent « salm ». L’observation est juste, mais je signalerais que les « lectures » de ‘Asim et de Hamza donnent « silm ». Le sens est strictement identique, qu’il s’agisse de prononcer « salm » ou « silm » la signification est « paix ».

3 En réalité, la plupart des versions sont rapportées par Abû Hurayra, et bien plus rares sont celles afférées à Anas ibn Mâlik ou Abdullah ibn Umar. Point remarquable, toutes les versions dues à d’autres rapporteurs que Abû Hurayra sont incomplètes. Aucunes ne donnent le contexte, la discussion entre Umar et Abû Bakr, et toutes ne visent qu’à mettre en exergue le segment clef : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent qu’il n’y a de dieu que Dieu… ». L’on observe alors que tous les isnâd, chaînes de transmission, par lesquels transite le récit de Abû Hurayra en version complète passent par Az-Zuhrî ibn Shihâb. L’on reconnaît d’ailleurs son style : récit structuré en quatre parties, construit sur le même plan que, par exemple, les deux célèbres hadîths émanant aussi de lui et relatifs aux recensions du Coran du temps de Abû Bakr puis de Uthmân. Ces indices indiquent que le hadîth en la forme narrative que nous lui connaissons est probablement de son cru. Ceci mis à part, il n’est donc tout de même pas possible d’affirmer que ce hadîth en sa version complète soit mutawâtir. En effet, systématiquement, lorsque le premier maillon de l’isnâd est Abû Hurayra, le troisième en est Az-Zuhrî. De plus, le deuxième maillon ne connaît que deux transmetteurs distincts, soit ‘Utba, soit Al Musîb. Au total, l’ensemble de ces éléments ne permet pas de classifier mutawâtir ce hadith sahîh en sa version intégrale.

4  Après la mort du Prophète il a été historiquement établi que les Arabes se répartirent en cinq catégories : 1 – Ceux qui restèrent fidèles à l’Islam. 2 – Ceux qui sortirent de l’Islam et retournèrent au culte des idoles. 3 – Ceux qui furent hésitants et attendirent de voir quelle tournure allaient prendre les événements. 4 – Ceux qui suivirent en rejetant l’Islam des faux prophètes tel Musaylima, Tulayha ou Al Aswad al ‘Ansî. (Plus précisément, Al Aswad fut tué quelques temps avant le décès du Prophète mais il garda de nombreux sectateurs qui s’opposèrent aux musulmans dès l’avènement du califat de Abû Bakr.) 5 – Ceux qui restèrent musulmans mais refusèrent de s’acquitter de la Zakât, se sont eux qui sont concernés en notre hadîth.

Selon les historiens (ex : Tabari), après le décès du Prophète de nombreuses tribus converties, a priori selon la logique bédouine -c’est-à-dire des jeux d’alliances aussi fluctuants que les revers de la fortune- voulurent profiter de l’occasion pour se dégager de leur engagement. Plusieurs rejoignirent de facto le dénommé Tulayha ibn Khuwaylid ibn Nawfal des Bani Aswad, noble descendant d’une famille guerrière. Ce dernier s’était converti en la dernière année de vie de Muhammad. A son décès, tout en se prétendant prophète, il avait plus sûrement comme projet de fédérer les tribus afin de conquérir le pouvoir qu’il estimait vacant après la mort de Muhammad. A cette fin, il promettait que sous son égide l’on n’aurait pas à verser la Zakât, argument fort apprécié des bédouins. Une chose est certaine, sa proposition suscita l’intérêt de nombreuses tribus Arabes qui se joignirent à lui. Mais, l’on ne pourrait affirmer que la totalité de ces bédouins crurent en sa prétendue prophétie, à l’évidence seule l’idée de ne pas payer la Zakât les motivait et la suite des événements le prouve.

5  Ce segment est constant et on le retrouve dans la plupart des recueils rapportant la version complète telle que nous l’étudions. Notons que l’expression, se justifiant malgré tout en langue arabe, n’est pas très précise, d’autres formulations auraient été plus heureuses. Cette ambiguïté explique peut être par elle-même que l’on eut intérêt à la transmettre fidèlement.

6<  Concernant notre sujet il y eut donc au moins deux catégories d’Arabes qui refusèrent de payer la Zakât. La première, majoritaire, se voulait musulmane, la seconde, minoritaire, aurait cru à la prophétie de Tulayha. Ceux qui conservèrent leur foi islamique envoyèrent d’ailleurs des délégations à Médine pour tenter d’obtenir une « exemption d’impôts » sans pour autant se désolidariser de leur islam et c’est,en serons-nous à présent étonné, Umar qui les reçut.

7  Plus exactement, ces mots sont fort probablement dus au narrateur clef, Az-Zuhrî. Cf. note 3.

8  Les historiens nous fournissent pour la même période une autre preuve de l’opinion de Umar. Nous ne pouvons qu’évoquer le sujet, le récit est bien connu. Lors d’une de ces campagnes ordonnées par Abû Bakr, Khâlid ibn Walîd tua Mâlik ibn Nuwayra puis épousa sa femme, connue pour sa grande beauté, et s’empara de ses biens sous prétexte que ce Mâlik aurait été un apostat. Or, Abû Qatâda, qui avait été chargé de le capturer, témoignait que ce dernier était bien musulman. Il accusa Khâlid d’avoir traîtreusement assassiné Mâlik, les mobiles étant on ne peut plus clairs. Umar, informé par Abû Qatâda, invectiva à cette occasion sèchement Abû Bakr en lui rappelant encore une fois que le Prophète par cette parole avait interdit de tuer tout musulman. Il ne pardonnera jamais à Khâlid ce genre d’exaction et, lorsqu’il deviendra Calife, il le limogera.

9  Nous le savons, le Prophète, conformément aux injonctions coraniques dont nous avons rappelé les principaux versets en introduction, n’a jamais combattu directement pour convertir. Mais il le fit toujours en réponse à des agressions directes, des complots, des ruptures de pacte, ou dans le cadre de stratégies tribales d’opposition. C’est donc en ces circonstances qu’il a pu prononcer une telle parole. C’est-à-dire que Dieu a pu, dans certains cas, lui donner l’ordre de combattre jusqu’à ce que ses ennemis acceptent l’Islam. Nous disons dans certains cas, car nous savons historiquement que bien des combats, des razzias, ou des expéditions menées par le Prophète, ne se sont pas nécessairement traduites par des conversions tribales mais par des pactes d’allégeance ou de non-agression. Ainsi ces paroles doivent-elles avoir un sens plus que circonstancié, limité, et non point un sens général ad vitam æternam, puisque en ce dernier cas le Prophète aurait désobéi aux ordres de Dieu, ce qui ne se peut.

10 Nous avons traduit : « je respecterais sa vie et ses biens » ce qui en arabe se dit : sa vie et ses biens seront garantis de moi, «  minnî ». Ce « minnî » signifiant « de moi » indique clairement que le Prophète parle en son nom et au présent. A supposer que son propos eut été à comprendre comme applicable par tous les musulmans, il aurait été plus correct d’utiliser la forme « minnâ », ou « minkum », ou « min al muslimîn », voire « min al umma ». Or, la plupart des versions portent précisément « minnî » alors même qu’elles orientent par d’autres modifications le sens spécifique vers un sens général. Il existe cependant des versions, notamment une chez Al Bukhârî, où il y a bien eu substitution par : « فقد حرمت علينا  » « et nous deviennent sacrés leur vie, etc. » exprimant ainsi la généralisation voulue officiellement.

11 Notons la triste ironie de l’Histoire ; ou comment une parole prophétique destinée à protéger la vie devint une des principales légitimations de l’avidité des pouvoirs et des guerres fratricides. Sur les liens entre le politique et le religieux nous pourrions rappeler que l’Imâm Mâlik affirme que c’est à partir de cette décision de Abû Bakr que l’on se base pour déclarer licite le combat ou le Jihâd contre ceux qui refusent un fard. L’on ne se fonde donc ni sur le Coran ni sur le Prophète. La décision de combattre ceux qui veulent faire la différence entre la Prière et la Zakat n’est pas du Prophète mais de Abû Bakr. Outre la gravité d’une telle décision et, plus encore, les innombrables conséquences sur l’histoire du monde islamique, nous noterons qu’un ijtihâd personnel servit de principe et de Loi. Chronologiquement nous sommes probablement en présence du premier cas de ce type en l’histoire de l’islam, suivirent bien d’autres. Cette décision du premier Calife, se traduisit dans l’Histoire sur deux plans : Le premier légitima l’action militaire, les conquêtes, comme principe de propagation de l’Islam. Le second permit le combat fratricide et sous cet aspect la décision de Abû Bakr revêt une importance historique et dogmatique capitale.

Conséquemment, nous nous serons pas étonné de constater que chaque grand recueil de hadîths, mais aussi tout manuel d’Ecole juridique, a créé ex cathedra un chapitre spécial intitulé : Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent il n’y de dieu que Dieu. Cette logique combative s’en trouva donc ainsi officialisée, légalisée, canonisée. Elle fait partie de notre Droit, elle est matière légale. Ainsi, l’Islam non seulement peut, mais doit conquérir les corps à la pointe de l’épée, l’esprit suivra. La religion qui sut conquérir les cœurs devint une religion de conquérants, l’épée dégainée pouvait suppléer à la « Parole » révélée. Deux butins possibles s’offraient alors aux musulmans, un pour l’Au-delà, l’autre, bien présent matériellement, autant ne pas refuser le second. Que nous ne disposions qu’un d’un seul et même terme, fath, pour désigner les ouvertures spirituelles et les conquêtes martiales est en soi révélateur…

Il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit ou d’une déformation malveillante de l’Histoire ; citons à titre d’exemple ce que Ibn S’ad rapporte au sujet de la fortune que laissa à sa mort Az-Zubayr ibn al ‘Awwâm, un des dix Compagnons auxquels le Prophète annonça le Paradis. Selon les sources et les calculs, l’on estime ses biens immeubles entre 35 et 52 millions de dirhams, sans compter les dizaines de maisons qu’il possédait dans les grands centres conquis, Basra, Kûfa, Alexandrie.

12  L’affaire est d’autant plus troublante que nous avons un précédent prophétique bien différent : L’Histoire nous enseigne que le Prophète accepta d’exempter la délégation des Thaqîfites de payer la Zakât afin de « gagner leurs cœurs » nouvellement convertis face à l’échec de leur insurrection massive. Abû Dâwud rapporte qu’il argumenta ainsi face à l’étonnement de certains Compagnons : « Il n’ y a pas abrogation, mais lorsqu’ils se seront convaincus en profondeur de l’Islam, ils en viendront par eux même à payer la Zakât. » Tabari, quant au contexte de notre hadîth, rapporte aussi le fait suivant : « Des envoyés de ces tribus vinrent dire à Umar : demande à Abû Bakr qu’il suspende la collecte de la Zakât une année ou deux. Quand les tribus seront revenues à de meilleurs sentiments et auront affermi leur Islam, il lui sera alors possible d’exiger d’eux la Zakât. » Même si l’on ne sait trop quel crédit technique accorder à ces informations, nous pouvons, malgré tout, les considérer comme témoin d’une certaine façon de voir qui dut prévaloir à une époque où l’Histoire n’était pas encore canonisée et, quoiqu’il en soit, elle sont conformes à l’esprit prophétique vrai.

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