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Quand un colonialisme en cache un autre

A man pulls a wheelbarrow past destroyed buildings after clashes between military forces loyal to Libya's eastern government and Islamist fighters, in Benghazi, Libya, February 28, 2016. REUTERS/Esam Omran Al-Fetori TPX IMAGES OF THE DAY

Que les enfants yéménites meurent de faim par milliers, que les Palestiniens tombent sous les balles de l’occupant, que la Syrie soit un champ de ruines et la Libye plongée dans le chaos, tout cela ne nous émeut guère. On manifeste, on fait grève, on proteste ? Pas vraiment. Ni manifestations significatives, ni débats dignes de ce nom. Le crime néocolonial passe comme une lettre à la poste.

Et pourtant, si nous subissions ce que nos gouvernements infligent à des peuples qui ne nous ont rien fait, que dirions-nous ? Si une alliance criminelle nous condamnait à mourir de faim ou du choléra, comme au Yémen ? Si une armée d’occupation abattait notre jeunesse parce qu’elle ose protester, comme en Palestine ? Si des puissances étrangères armaient des milices pour détruire notre république, comme en Syrie ? Si une coalition étrangère avait bombardé nos villes et assassiné nos dirigeants, comme en Libye ?

La tendance des pays dits civilisés à jeter un voile pudique sur leurs propres turpitudes n’est pas nouvelle. Propre sur lui, le démocrate occidental voit plus facilement la paille dans l’œil du voisin que la poutre qui loge dans le sien. De droite, de gauche ou du centre, il vit dans un monde idéal, un univers heureux où il a toujours la conscience de son côté. Sarkozy a détruit la Libye, Hollande la Syrie, Macron le Yémen, mais il n’y aura jamais de tribunal international pour les juger. Mesurés à l’aune de notre belle démocratie, ces massacres ne sont que des broutilles. Un égarement passager, à la rigueur, mais l’intention était bonne. Comment des démocraties pourraient-elles vouloir autre chose que le bonheur de tous ? Surtout destiné à l’électeur moyen, le discours officiel des Occidentaux traduit toujours l’assurance inébranlable d’appartenir au camp du bien. “Vous souffrez de l’oppression, de la dictature, de l’obscurantisme ? Ne vous inquiétez pas, on vous envoie les bombardiers !”.

Il arrive toutefois qu’au détour d’une phrase, dans le secret des négociations internationales, un coin de voile soit levé, subrepticement. On assiste alors à une forme d’aveu, et voilà qu’un margoulin confesse le crime en esquissant un sourire narquois. En 2013, au moment où la France intervient au Sahel, Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères, appelle son homologue russe pour obtenir l’appui de la Russie à l’ONU. Lavrov s’étonne alors de cette initiative française contre des djihadistes que Paris avait soutenus lors de l’intervention en Libye, en 2011 : “C’est la vie !”, lui rétorque le ministre français. Semer la terreur pour abattre un Etat souverain ? C’est “la vie” selon Fabius. Mais que ce criminel se rassure : aucun juge ne lui demandera des comptes. La Cour pénale internationale (CPI) est une Cour pour les indigènes : c’est réservé aux Africains. Les gens comme Fabius ont l’art de passer entre les gouttes.

Abreuvés d’un discours qui leur dit que leur pays est toujours du bon côté, les Français semblent à des années-lumière du chaos que contribuent à bâtir leurs propres dirigeants. Les problèmes du monde ne les affectent que lorsque des hordes de miséreux se pressent aux portes, et ils sont nombreux à accorder leurs suffrages – comme beaucoup d’Européens – à ceux qui prétendent leur épargner cette invasion. Bien entendu, cette défense d’un “chez soi” devrait logiquement s’accompagner du refus de l’ingérence chez les autres : que vaudrait un patriotisme qui autoriserait le fort à s’ingérer dans les affaires du faible ? Or l’expérience montre que ces “patriotes” sont rarement à la pointe du combat pour l’indépendance nationale en dehors du monde prétendument civilisé. Quels partis de droite européens, par exemple, soutiennent le droit des Palestiniens à l’autodétermination nationale ? Manifestement, ils ne se précipitent pas pour honorer leurs propres principes.

Mais ce n’est pas tout. On peut même se demander si ces prétendus patriotes le sont vraiment pour eux-mêmes : combien d’entre eux, en effet, sont-ils favorables à la sortie de leur propre pays de l’OTAN, cette machine à embrigader les nations européennes ? Comme pour la question précédente, la réponse est claire : aucun. Ces “nationalistes” font le procès de l’Union européenne pour sa politique migratoire, mais c’est le seul morceau de leur répertoire patriotique, véritable disque rayé aux accents monocordes. Ils gonflent les muscles face aux migrants, mais ils sont beaucoup moins virils face aux USA, aux banques et aux multinationales. S’ils prenaient leur souveraineté au sérieux, ils s’interrogeraient sur leur appartenance au “camp occidental” et au “monde libre”. Mais c’est sans doute beaucoup leur demander.

Dans cette incohérence généralisée, la France est un véritable cas d’école. Une certaine droite – ou extrême-droite, comme on voudra – y critique volontiers les interventions à l’étranger, mais de manière sélective. Le Rassemblement national, par exemple, dénonce l’ingérence française en Syrie, mais il approuve la répression israélienne contre les Palestiniens. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes serait-il à géométrie variable ?

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En fait, ce parti fait exactement l’inverse de ce que fait une prétendue gauche, qui soutient les Palestiniens – en paroles – et approuve l’intervention occidentale contre Damas, trouvant même qu’on n’en fait pas assez et qu’il faudrait bombarder ce pays plus sévèrement. Le drame, c’est que ces deux incohérences jumelles – et en miroir – aveuglent le peuple français. On mesure cet aveuglement au résultat, lorsqu’on voit des gauchistes souhaiter le renversement d’un Etat laïc par des mercenaires de la CIA (au nom de la démocratie et des droits de l’homme), et des nationalistes soutenir l’occupation et la répression sionistes en Palestine (au nom de la lutte contre le terrorisme et l’islamisme radical).

Il est vrai que ce chassé-croisé entre pseudo-patriotes et pseudo-progressistes a aussi une dimension historique. Il charrie à sa façon l’héritage empoisonné des temps coloniaux. Ainsi la droite nationaliste critique le néocolonialisme occidental en Syrie, mais elle trouve insupportable qu’on évoque les crimes coloniaux commis par la France dans le passé en Indochine, en Algérie ou à Madagascar. On suppose que ce n’est pas volontaire, mais la gauche universaliste contemporaine – au nom des droits de l’homme – fait exactement l’inverse : elle fait le procès du vieux colonialisme façon “Algérie française” mais elle approuve l’intervention néocoloniale en Syrie contre un Etat souverain qui a arraché son indépendance à l’occupant français en 1946. Bref, la droite aime follement le colonialisme au passé, la gauche l’aime passionnément au présent. La boucle est bouclée, et en définitive tout le monde est d’accord. Principale victime : la lucidité collective.

La France est l’un des rares pays où un colonialisme en cache un autre, le vieux, celui qui plonge ses racines dans l’idéologie pseudo-civilisatrice de l’homme blanc, se trouvant comme régénéré par le sang neuf du bellicisme droit-de-l’hommiste.

Ce néocolonialisme, à son tour, est un peu comme l’ancien colonialisme “mis à la portée des caniches”, pour paraphraser Céline. Il veut nous faire pleurer avant de lancer les missiles. En tout cas, la connivence implicite entre les colonialistes de tous poils – les vieux et les jeunes, les archéo et les néo – est l’une des raisons de l’errance française sur la scène internationale depuis qu’elle a rompu avec une double tradition, gaulliste et communiste, qui lui a souvent permis – non sans errements – de balayer devant sa porte : la première par conviction anticolonialiste, la seconde par intelligence politique.

Un jour viendra sans doute où on dira, pour faire la synthèse, que si la France a semé le chaos en Libye, en Syrie et au Yémen, au fond, c’était pour “partager sa culture “, comme l’a affirmé François Fillon à propos de la colonisation française des siècles passés. Au pays des droits de l’homme, tout est possible, et même prendre des vessies pour des lanternes.

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10 commentaires

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  1. Lavrov s’étonne alors de cette initiative française contre des djihadistes que Paris avait soutenus lors de l’intervention en Libye, en 2011 : “C’est la vie !”,

    Vous avez l’enregistrement audio de cette conversation ???

    Si c’est non tout le reste c’est du vent !!!

  2. C’est qu’il en faut du courage pour dire la vérité et l’affronter. Bruno Guigue l’a fait. Quand je vois cette pitoyable affaire « Petain »tournée en eau de boudin parce que la sionisterie a décrété que le vieux maréchal était antisemite et devait être honni par nos dirigeants à commencer, et par le peuple ensuite, je n’ai plus de doute désormais, les français ont été hypnotisés et végètent dans un état second. Ce vieux monsieur est un héros de la grande guerre qui a vu mourir beaucoup mais alors beaucoup trop de jeunes gars partis au casse-pipe. En 1942, 24 ans après, la jeunesse française était à peine recomposée, fallait-il en finir en sacrifiant les derniers jeunes français et qui auraient sonné le glas de la France? J’y connais rien mais alors rien aux affaires de la guerre, mais je m’y connais un peu en celles de la famille : tuer une jeunesse c’est tuer la famille et ici en l’occurrence, un peuple. Petain en refusant de livrer sa jeunesse aux appétits de la guerre, a fait le bon choix. Pour le reste et pour ce qu’il a ou pas fait, l’Histoire à travers Nuremberg a jugé. Je reprendrais à mon compte les mots de kalim et pour l’avoir toujours dis ici , l’heure des comptes viendra. «  Je vous invite à prendre connaissance de la différence entre Salahdin et Richard Coeur de Lion. Cela vous expliquera la différence de poids entre l’Orient et l’Occident. Les arabes ont du jarter les croisés et maintenant ils vont devoir jarter les usuriers. Ce n’est qu’une question de temps avant que Damas ne fournisse un deuxième Salahdin. »

  3. Avant de dire quoi que ce soit, j’ai 57 ans et mes convictions politiques se sont évanouies depuis de nombreuses années, et pourtant Dieu seul sait si j’ai été investi dans les luttes que je pensais justes , et bien selon l’expression ” je suis tombé du grenier à la cave ”
    Tous ces partis politiques français ne sont qu’un rideau occultant les magouilles internationales fomentées par les sionnistes de par le monde ! En France ,Etats unis, Angleterre, Allemagne etc…
    On multiplie les partis politiques présent lors des élections en faisant croire aux français que la France est un pays très très démocratique et les élections prennent une tournure anormale les français votent pour des causes dont on leur à bourré le crane pendant les campagnes et ces petits partis financés par l’état principalement sont plutôt très actifs ! bien évidement au deuxième tour on demande à ces électeurs de reporter leur voix sur un des leader de la politique française même si il affiche une autre idéologie que la sienne ” voter c’est un devoir civique ” entend t’on ! tout cela n’est que mascarade ! je vous invite à aller sur le site internet du : C R I F , conseil représentatif des institutions juives de france ! c’est édifiant , tous les hommes de la classe politique française s’y rend chaque années pour un diner particulier apparemment . Moi qui croyais que la france était ” Laïque ”
    je suis surpris de vous tous nos ministres et présidents mettre la kippa et faire un discourt lors de cette rencontre très politisée entourés de la diaspora juives de france ! chanteurs , comédiens , industriels , politiques , banquiers (rothschild) et j’en passe , tout ça aux yeux de tout le monde ! rien n’est caché ( c’est ça qui est terrible)…
    Non je ne m’étonne plus de rien concernant la politique étrangère de la France , je devrais dire d’Israêl et je ne vote plus ! c’est une perte de temps et d’argent pour cette magouille qui s’appelle ” Démocratie”

    Ibrahim

  4. Pourquoi ne pas refaire une recette qui marche !!!?? Cela a enrichi les pays dits” civilisés”” Quand on voit que même les “arabes ou musulmans” véhiculent et reprennent a leur compte les memes inepties sur le bien contre le mal, tout est dis… Cela m’amuse toujours les références a De gaulle, JAures, ROusseau.. Ils doivent se retourner dans leurs tombes! La dictature d’un cote, la démocratie de l autre, les jeux sont faits. L Histoire nous a montrée que les règles du jeu peuvent changer et parfois de manière inattendue. Vous n avez pas parler des colonisations économiques, culturelles qui sevissent, a mon sens, beaucoup plus durablement et sont plus dangereuses pour le patrimoine humain. J entends chaque jour une réflexion sur les migrants qui viennent chez nous, alors qu il n’ y a rien a partager !!!! Je réponds tous les jours que si nous n avions pas amenés le chaos chez eux, ils y seraient restes chez eux.

  5. Un colonialisme en cache un autre. Effectivement. Pourquoi ne parle-t-on jamais de la colonisation de l’Afrique du Nord par les Arabes ? Que faisaient ces derniers en Espagne au Moyen-Age, sinon de la colonisation ? C’est ancien, d’accord . Mais la prise de Constantinople par les Turcs ne précède que de quelques décennies le début de la colonisation de l’Amérique par les Européens . Si on veut parler de colonisation, n’écartons aucun colonisateur de notre champ d’investigation.

    • Mais parce que colonisation a une définition mon cher monsieur.
      Quand on domine un pays, on se ségrégue pas sa population en la traitant de race inférieure.
      Les arabes ont nourri la culture des africains du nord qui sont des arabes car est arabe celui qui parle arabe. Quand vous vous attardez sur une vision du monde raciale, les autres ont une autre vision. Ensuite, d’accord avec vous que les turcs sont très européens d’où leur manière de faire mais cela reste un jeu de domination européen tel que le fut entre l’Angleterre, l’Allemagne et la France par exemple. Ceux qui ont fait le plus de mal à la France ne sont ni les turcs ni les arabes qui s’y sont alliés à plusieurs reprises mais bel et bien l’Angleterre et l’Allemagne. Quant à la ‘colonisation de l’Amérique, on parle carrément de génocide. Il faudrait commencer à reconnaître votre barbarisme international historique et encore tout à fait d’actualité. Votre philosophie racialiste ne laisse le choix qu’entre un massacre intérieur ou un massacre extérieur ad vitam eternam. Le monde en a ras le bol !! Il faudrait évoluer un peu et s’améliorer.

      Je vous invite à prendre connaissance de la différence entre Salahdin et Richard Coeur de Lion. Cela vous expliquera la différence de poids entre l’Orient et l’Occident. Les arabes ont du jarter les croisés et maintenant ils vont devoir jarter les usuriers. Ce n’est qu’une question de temps avant que Damas ne fournisse un deuxième Salahdin. Le monde a été surpris par le changement de paradigme guerrier mais désormais c’est terminé.

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