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Quand Marisol s’en-va-t-en guerre

Le programme du voyage de Marisol Touraine en Israël, du 31 mars au 3 avril, se voulait « équilibré ». Et circonscrit au champ d’attributions d’un ministre de la santé : deux journées de visites et de rencontres avec son homologue israélien, avec les responsables de l’institut Weizmann (dont les programmes de recherche sont menés depuis des décennies en partenariat avec l’Institut Pasteur) avec l’hôpital Ichilov de Tel-Aviv, avec des dirigeants de start-ups « sur le thème de l’innovation en matière de santé », etc. Et deux journées dans les territoires palestiniens : rencontres avec les ministres de l’Autorité palestinienne et visite de l’hôpital de la Sainte-Famille de Bethléem.

Seul un esprit chagrin ou maladivement suspicieux aurait pu nourrir quelque inquiétude à l’annonce officielle que la ministre évoquerait également, « la préparation et les réponses sanitaire à la menace d’attentats », lors de sa visite de l’hôpital Ichilov, « spécialisé dans la prise en charge d’urgence et la gestion des situations de crises »

C'est pourtant à cette seule question que fut consacrée l’unique interview de Marisol Touraine, diffusée le 31 Mars par la chaîne israélienne francophone i24 et relayée par le site du CRIF[1]. Dans un sens particulièrement orienté…

Dès la première question, le journaliste Paul Amar « cadre » l’angle du débat : « votre visite prend sens dans le climat actuel et dans la nécessaire adaptation des démocraties à la violence terroriste… ». La ministre abonde : «Je suis venue précisément en Israël pour renforcer les coopérations entre nos deux pays. Parce que dans le contexte que vous évoquez, la France a plus que jamais des choses à apprendre d’Israël ». Et de préciser sa pensée : « Je suis allée à l’hôpital Ichilov, notamment pour réfléchir à ce que pourrait être une meilleure adaptation, encore, de notre système en cas d’attentat terroriste ou en cas de grave accident. Parce que vous le savez, nous sommes confrontés à ce risque, maintenant ». Et pour ceux qui n’auraient pas saisi, Paul Amar en rajoute une couche : « c'est toute la différence, d’ailleurs entre Israël et l’Europe, aujourd'hui : Israël est en guerre depuis si longtemps et s’est préparé à ce type de situation (…) alors qu’en France et en Belgique on l’a vu, il y a eu un vrai choc, un traumatisme, de l’opinion publique, qui est en paix, depuis tant d’années, depuis la guerre d’Algérie, qui ne comprend pas ce qui lui arrive ». Réponse lénifiante et consensuelle de la ministre qui rend hommage au « magnifique élan de solidarité et de rassemblement » qui a uni les Français lors des attentats et qui conclut : « nous ne nous laisserons pas faire. Nous allons réagir, et agir. ». On s’est comme éloigné de la coopération entre instituts de recherche et des problématiques sanitaires. L’interview, qui a duré moins de quatre minutes, est terminée.

On a du mal à comprendre. Les hôpitaux parisiens auraient-ils révélé de graves défaillances qui les auraient empêchés de prendre correctement en charge les blessés des attentats de janvier et novembre 2016 ? Pas que l’on sache. Les blessés du Bataclan dont le pronostic vital était engagé au soir de l’attentat ont presque tous survécu après avoir été opérés et soignés. Au demeurant, la France, comme tous les pays développés, dispose d’un système hospitalier régulièrement entrainé à gérer les situations de crise et qui « depuis la guerre d’Algérie » (Paul Amar, natif de Constantine, voudrait-il suggérer que les attentats terroristes d’aujourd'hui seraient la poursuite de ce conflit, pas vraiment terminé, pour lui…) a toujours bien fonctionné, notamment lors des vagues d’attentats de 1986 et de 1995 qui causèrent chacune de nombreux morts et plus d’une centaines de blessés, toujours présentes dans la mémoire des Parisiens; ou lors de catastrophes routières ou ferroviaires qui ne sont pas causées par des actes terroristes, mais n’en demeurent pas moins également très difficiles à traiter sur le plan sanitaire. En Israël, les grandes vagues d’attentats-suicides remontent à près de quinze ans. Mais peut-être la ministre française a-t-elle voulu dire que les médecins français auraient à apprendre de leurs confrères israéliens sur les soins à apporter aux victimes d’agressions à l’arme blanche ou à la voiture bélier…

Ou, à moins que Marisol Touraine ne soit tout simplement sortie de son rôle de ministre de la santé en glissant malencontreusement sur le terrain ou Paul Amar voulait l’entrainer : non pas celui d’une réflexion sur la coopération hospitalière entre deux pays, mais plus trivialement de la dénonciation d’un ennemi commun. Comme si les causes de la violence armée qui sévit en Israël n’étaient pas, en définitive, fondamentalement différentes du terrorisme qui a frappé, cette année la France et la Belgique.

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Une idée qu’Alain Finkielkraut avait exprimée de la façon la plus explicite qui soit, quelques jours auparavant, le 27 mars, sur l’antenne de RCJ, lors de son émission L’esprit de l’escalier. La paix vécue depuis 1945, n’aurait été qu’un leurre chimérique : la menace terroriste pesant désormais sur l’Europe « témoigne en effet du devenir israélien des sociétés européennes. Nous voici " israélisés ", c'est-à-dire expulsés du paradis de la paix.[2] » Oubliant au passage que la France et la Belgique, à la différence d'Israël, n’occupent pas un territoire depuis cinquante années en privant une population de deux millions et demi de personnes de tout accès à la liberté, à la souveraineté, à la citoyenneté, aux droits civils les plus élémentaires, et au développement économique.

Par ce parallèle biaisé, le philosophe-académicien et la ministre se rejoignent sur ce qui fait la nouveauté de la politique étrangère de la France depuis 2012, et encore plus depuis l’accession de Manuel Valls à Matignon : l’abandon quasi-total de tout soutien public au combat légitime des Palestiniens pour la reconnaissance de leurs droits.

[1] http://w
ww.crif.org/fr/actualites/marisol-touraine-je-suis-en-isra%C3%ABl-pour-renforcer-les-coop%C3%A9rations/60221

[2] http://radiorcj.info/diffusions/35144/ (à la minute 03.45) 

Blog Guillaume Weill-Raynal

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