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Quand les médias attisent la haine

Le 15 avril dernier, Guilaine Chenu et Françoise Joly, les réalisatrices du magazine « Envoyé spécial » diffusé sur France 2 ont présenté une enquête d’Elie Chouraqui consacrée à l’antisémitisme.

Le cinéaste affirme ainsi être « retourné » à Montreuil « sur les lieux de son enfance », pour faire le constat de la haine « ordinaire » opposant les élèves de deux lycées voisins, l’un fréquenté majoritairement par des élèves Juifs, l’autre par de jeunes Musulmans.

En réalité, en dépit de cette apparente symétrie, seuls sont rapportés les faits de violence perpétrés à l’encontre des Juifs. Le reportage de Mr Chouraqui a suscité une véritable polémique, les responsables des deux établissements regrettant le ton volontairement catastrophiste et le refus manifesté par le réalisateur de mettre en exergue les nombreuses actions positives réalisées en vue d’un rapprochement des communautés.

“Nous doutons que ce documentaire contribue à l’apaisement des tensions », ont en effet déclaré dans un communiqué Esther Douieb, directrice de l’ORT, et Béatrice Leca, principale de Paul-Eluard, ajoutant « Il risque, par contre, de détruire un travail de fond entrepris depuis plusieurs années par les deux établissements pour dénoncer le repli communautaire.”

Mr Chouraqui a présenté en effet un document partial, taisant les violences racistes dont sont victimes les jeunes d’origine arabe ou africaine ; les jeunes « Musulmans » -ou identifiés comme tels- apparaissant uniquement comme les agresseurs.

Ainsi, on peut y voir des élèves d’origine arabe qui légitiment ces actes de violence au nom du conflit israélo-palestinien. « Ici, on se contente de leurs donner quelques coups. Là-bas, on tire sur les jeunes Palestiniens à coup de Kalachnikov ». En écho, répondent ces propos d’une jeune Juive stigmatisant « les Noirs et les Musulmans contre les Juifs ». On ne peut reprocher à Mr Chouraqui d’avoir menti sur les faits, les violences antisémites qu’il dénonce se sont bel et bien produites (hélas) et sont évidemment condamnables avec la plus grande énergie. La manipulation est plus subtile, elle tient dans la description d’une réalité volontairement tronquée et parcellaire qui nie singulièrement la qualité de victimes des élèves musulmans. La partialité de l’auteur apparaît dans son refus d’admettre les violences islamophobes (certes, il reconnaît hâtivement que des mosquées sont brûlées, mais l’entièreté du propos repose sur la dénonciation de l’antisémitisme vue comme la seule réalité digne d’être dénoncée).

Mr Chouraqui rapporte des faits qu’il prétend inscrits dans une certaine banalité : or, l’agression de Nathaniel sur laquelle il s’étend complaisamment s’est produite un an et demi plus tôt ! Depuis, comme le prouve l’enquête de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, les faits de violences antisémites ont considérablement diminué en nombre. La CNCDH rappelle aussi que les Français d’origine arabe demeurent les principales victimes du racisme en France. Le moins que l’on puisse dire est que cela n’apparaît pas dans le reportage d’Elie Chouraqui.

Propagande

 

Mais il y a plus grave. Selon certains enseignants, des parents d’élèves de l’ORT -peu suspects de complaisance à l’égard de l’antisémitisme- et jusqu’au maire de Montreuil, le reportage d’Elie Chouraqui serait un pur produit de propagande. A l’appui de leurs accusations, ils rapportent des témoignages accablants. Ainsi, Jean-Pol Lefebvre, qui est membre d’une association de parents d’élèves et qui a été témoin d’une interview dirigée par M. Azeroual, -co-auteur du reportage- ne mâche pas ses mots : « M. Azeroual n’a pas hésité, après une heure d’entretien à ses yeux infructueux avec des élèves de 13 et 14 ans, à les traiter de menteurs, avant de leur tirer de façon obtuse les réponses espérées et d’en tirer quelques secondes réputées utiles » dénonce t-il.

« Le film de M. Chouraqui fait croire que le quartier est en guerre civile permanente », a-t-il ajouté dans une interview accordée au journal Le Monde. Mr Lefebvre conclut par cette accusation sans appel : « C’est un film de propagande ».

Jean-Pierre Brard, le maire de Montreuil est encore plus véhément, il s’insurge de ce qu’il tient pour une dangereuse manipulation ; d’abord, contrairement à ce que prétend le réalisateur, « Elie Chouraqui n’est pas né et n’a pas grandi à Montreuil ». Et de dénoncer un reportage où « tout a été scénarisé et les enfants ont été les acteurs bénévoles d’un film dont ils ne connaissaient pas le scénario. Il leur a fait dire un texte qu’il avait déjà conçu lui-même. »

De France 3 (sur le plateau de Marc-Olivier Fogiel) à Europe 1, on a vu Mr Chouraqui défendre ses vues face à des journalistes complaisants et faire la promotion de son film sans contradicteurs ; lors d’une réunion à la mairie de Montreuil – où un débat fut organisé en présence des responsables des établissements scolaires impliqués dans le reportage- les critiques n’ont porté que sur la façon dont furent rapportés les faits de violences antisémites ; à aucun moment il ne fut question du racisme antiarabe, totalement absent du débat comme si de fait, cette réalité là était négligeable voire inexistante.

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Prendre les armes

 

Alors que les spécialistes du décompte des faits de violences antisémites s’accordent à constater que ces violences diminuent sensiblement, le constat de Mr Chouraqui volontairement catastrophiste voudrait prétendre à une aggravation : « Nous sommes au début d’un problème qui monte » dit-il, sans appuyer ce propos d’une quelconque étude chiffrée pour en justifier la pertinence.

Si le cinéaste se défend de tout amalgame en stigmatisant une « minorité » violente parmi la communauté musulmane, il se refuse à admettre que parmi la communauté juive une autre minorité se montre aussi coupable de violences antiarabes et islamophobes. « Il n’a pas constaté le même recours à la violence chez les jeunes de confession juive contre les jeunes musulmans » rapporte l’AFP dans une dépêche. On croit rêver ! Mr Chouraqui prétendrait-il ignorer l’activisme de groupes paramilitaires comme le Bétar-Tagar et surtout la Ligue de défense juive, dont les nervis ont été impliqués dans maintes agressions à caractère raciste ? Mr Chouraqui hausse ainsi le ton et menace « si les agressions se poursuivent, les étudiants juifs pourraient prendre les armes » !

Par sa virulence, une telle déclaration choque et consterne. Sont-ce là les mots d’un homme nourri d’une volonté de pacification ? Au contraire, ces propos inconsidérés sont une claire incitation à la violence.

La faute aux Arabes

On se souvient qu’en octobre 2000, la « première » des Dix Commandements – au Palais des congrès à Paris -œuvre d’Elie Chouraqui et de Pascal Obispo- était organisée par deux associations radicales de soutien à l’armée israélienne. Des organisations qui dispensent une propagande dangereuse et du fait de leur activisme sur notre territoire « importent » précisément le conflit en France, avec les conséquences désastreuses que l’on sait. Un tel paradoxe n’émeut guère le réalisateur : « Faîtes ce que je dis, pas ce que je fais », voilà qui résume l’attitude de Mr Chouraqui .

Se présentant comme un observateur impartial du conflit, Elie Chouraqui est en vérité un militant convaincu et actif de la cause israélienne. Sa conception du conflit et des responsabilités obéit à ce même manichéisme : de façon abrupte et condensée, on pourrait la résumer par ces mots : les Arabes ont tous les torts.

Dans une interview accordée à Olivia Cattan pour Actualité juive, Mr Chouraqui affirme avec force son soutien à l’Etat d’Israël sans un mot pour la situation dramatique vécue par les palestiniens. Pour désigner l’Etat hébreu, il ressuscite le mythe de la « seule démocratie du Proche Orient ». Curieuse conception de la démocratie s’il en est ! Car Elie Chouraqui qui se présente comme un militant acharné de l’antiracisme se montre peu disert pour dénoncer les dérives d’un pays qui fonde sa citoyenneté sur des critères ethnico religieux, érigeant ainsi le racisme en système, légalise la torture et l’assassinat d’opposants politiques et dont le gouvernement dirigé par un criminel de guerre affiche ouvertement la volonté de parachever le nettoyage ethnique de toute une population (désignée sous le terme euphémistique de « transfert ») . Toutes actions qui ne semblent guère définir une démocratie digne de ce nom. Pour expliquer la création de l’Etat d’Israël, Mr Chouraqui évoque la tragédie de la Shoah ; effectivement ces faits dramatiques expliquent en partie la naissance de l’Etat hébreu, mais le cinéaste se garde bien de rappeler que cela s’est fait au prix d’un sacrifice majeur, celui de la Palestine. Il ne fait en effet aucunement référence à la Naqba , le sort tragique de centaines de milliers de Palestiniens dépossédés ; condamnés à l’exil ou massacrés lorsqu’ils refusaient la confiscation de leurs terres et de leurs biens. Et de fustiger « l’erreur » des Palestiniens de refuser le partage de leurs terres. C’était -déjà !- le temps des « propositions généreuses » que les Arabes décidément ingrats ont refusé. Grands seigneurs « Les Juifs en 1948 ont tout de suite accepté leurs frontières et ont fait une déclaration d’intention de paix et de relations amicales avec leurs voisins, mais les Palestiniens n’ont jamais voulu accepter ce plan de partage » .

Voilà qui explique tout : s’ils n’ont pas consentis à la dépossession qui leur était imposée et l’ont payé par la mort ou l’exil à perpétuité, les palestiniens n’ont qu’à s’en prendre à eux mêmes : singulière relecture de l’histoire, explication on ne peut plus simpliste où l’arrogance le dispute au cynisme. Et qui tait singulièrement le caractère ultra violent de la création d’Israël et particulièrement l’activisme de mouvements terroristes juifs.

Ici apparaît clairement le déni de la souffrance d’autrui, patent dans le reportage diffusé sur France 2. C’est convaincu de l’urgence de reconnaître cette souffrance de l’Autre qu’un Palestinien, le père Emile Shoufani avait conduit des enfants arabes en pèlerinage à Auschwitz. Une démarche remarquable. Comprendre l’Autre, expliquait il en substance, c’est reconnaître sa part de souffrance. Un pas essentiel dans la compréhension et la réconciliation. Mr Elie Chouraqui, au lieu d’inciter les jeunes Juifs à « prendre les armes » devrait méditer ce propos de sagesse. Reconnaître à l’Autre aussi sa qualité de victime, c’est agir en homme de paix. C’est à cette condition et à elle seule que la paix, la réconciliation entre les communautés pourront être consacrées.

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Rassemblement le jeudi 29 avril à 18h30 devant le Conseil Régional d’Ile de France

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