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Prendre la décision de quitter Gaza est plus difficile que certains ne le pensent

De nombreux jeunes de Gaza décident de quitter la prison à ciel ouvert et beaucoup de ceux qui partent finissent aliénés ou réfugiés. Parfois, pour réaliser la valeur de votre terre natale, vous devez la quitter.

La survie est un mot qui s’est attaché à nous, Palestiniens, qui vivons dans la bande de Gaza assiégée. Rien qu’au cours des treize dernières années, nous avons survécu à cinq agressions israéliennes majeures et à d’autres attaques de moindre envergure.

Juste après la dernière attaque israélienne, qui s’est terminée le 7 août 2022 vers minuit, de nombreuses personnes ici ont posté sur leurs profils sur les réseaux sociaux : “Good morning world. We’re alive. A new lease on life to accomplish our dreams.” [trad: « Bonjour le monde. Nous sommes en vie. Un nouveau souffle de vie pour accomplir nos rêves »].

Bien que survivre physiquement soit une bénédiction, cela ne signifie pas que nous sommes OK de l’intérieur. La forte dose d’attaques militaires que nous avons dû endurer et la vie sous un strict blocus est en soi mentalement éprouvante. Les gens ont rarement le luxe de trouver des moyens de faire face à ces circonstances. Cela devient un fardeau, qui nous détruit de l’intérieur.

Le fardeau de survivre

C’est à nous que l’on demande de tenir le flambeau, de soutenir la lutte, de rester inébranlables face à tout, de porter l’héritage de chaque martyr et la responsabilité d’obtenir justice. Bien souvent, ce combat permanent et la lutte quotidienne pour vivre une vie ordinaire deviennent trop lourds. Parfois, le fait de continuer à survivre relève déjà de l’exploit.

Au milieu de toute cette anarchie, j’ai observé comment mon peuple réagit aux circonstances prodigieusement difficiles dans lesquelles il vit, me demandant comment il fait – comment se remet-il après chaque attaque ? Comment fait-il pour rester sain d’esprit malgré les coupures d’électricité quotidiennes, les restrictions sur les déplacements, le refus d’accès à des soins médicaux appropriés, le chômage, l’absence d’horizon ?

Pour certains, ils décident de retourner à la vie, car c’est la seule option viable. Après chaque agression, ils expriment leur obstination à rester ici, peu importe les efforts de l’oppresseur pour les déraciner. Ils ramassent les morceaux brisés de leur vie et reconstruisent.

« Rien ne peut nous faire reculer face à l’occupation », disent-ils, presque vaillants. « S’ils détruisent nos maisons, nous les reconstruirons. Nous resterons enracinés dans notre terre ». C’est le sentiment de nombreuses personnes dont la vie a été brisée d’une manière ou d’une autre lors des attentats. Ils ont déjà été déracinés et déplacés et ils ne peuvent pas s’imaginer revivre cela. Ils ne peuvent pas non plus se voir vivre dans « le pays libre d’un autre et être traités comme l’autre ».

Pour d’autres, il s’agit de trouver un moyen de sortir de cette prison à ciel ouvert.

Étant donné les attaques militaires récurrentes, la pauvreté abjecte, le chômage endémique chez les jeunes, il n’est pas surprenant que beaucoup choisissent de partir. Au lieu de mourir à petit feu, ils cherchent de nouvelles terres en espérant que ces pays leur donneront une chance de vivre.

Les jeunes trouvent que Gaza, sous le siège étouffant, est trop limitée pour leurs capacités et leurs rêves – ne leur offrant aucune chance réelle de développer et d’améliorer leurs compétences.

« Si Gaza était ouverte sur le monde extérieur… »

L’une de ces personnes est G.B.

G.B., 27 ans, a vécu à Gaza pendant quinze ans et une partie de son enfance dans le Golfe. Elle dit qu’ « à cause du siège, la diversité culturelle et les opportunités à Gaza sont limitées. J’ai fait du bénévolat, étudié et travaillé partout où je le pouvais. Mais j’ai senti que toutes mes chances s’étaient taries. J’ai décidé que j’avais besoin de voyager – de m’éloigner du siège ».

Elle souhaite que le siège soit levé et souligne que « si Gaza était ouverte au monde extérieur, j’y retournerais volontiers pour y vivre ». Elle explique qu’elle vit actuellement en Turquie avec son mari, mais que Gaza lui manque toujours. « Ma famille me manque, et j’ai envie d’y retourner, mais seulement pour une visite. Bien que j’ai laissé Gaza derrière moi, c’est toujours l’endroit qui a enrichi ma vie à bien des égards. Mais je ne pourrai jamais y retourner et y vivre, à moins de voir une Gaza ouverte au monde entier ».

Malgré cela, G.B. ne pense pas que vivre à l’extérieur lui ait donné tout ce dont elle rêve. « Il y a une part de racisme avec laquelle vous devez composer et qui vous prive de la stabilité dont vous avez besoin ». Le siège vous suit.

Chaque fois que je vois quelqu’un quitter Gaza, je suis partagée entre la tristesse et le bonheur. Il est bon de savoir que certaines personnes trouvent de belles opportunités à l’extérieur, mais il est pénible de voir Gaza perdre des personnes talentueuses. Pourtant, personne ne peut reprocher à une génération qui a grandi en état de siège de vouloir s’échapper de cette prison à ciel ouvert.

Tarneem Hammad, 28 ans, a exprimé le même sentiment : elle ne veut pas partir, mais si elle trouve une meilleure opportunité de travail à l’extérieur, elle n’aura pas d’autre choix. Après avoir étudié au Royaume-Uni pendant un an et demi, elle a décidé de retourner à Gaza.

« Cela fait sûrement mal de quitter sa famille, sa culture et sa maison, mais il n’y a pas d’autre option. Vous ne pouvez pas vous marier, vous ne pouvez pas trouver un emploi, vous ne pouvez pas louer une maison, vous ne pouvez pas commencer une nouvelle vie. Les jeunes quittent Gaza parce que leurs espoirs, leurs sentiments et leurs énergies sont orientés vers un départ ».

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« Même s’ils ne savent pas pourquoi ils partent, c’est un objectif que la plupart des jeunes ont », ajoute-t-elle. « Cela me brise le cœur de savoir que Gaza perd certains de ses jeunes talentueux. Mais en fin de compte, chacun a le droit de décider où construire sa vie. J’aimerais que les circonstances s’améliorent et que le blocus soit levé. Il est alors certain que de nombreux jeunes choisiront de rester et de construire leur vie aux côtés de leur famille ».

Jour après jour, seize années de siège ont érodé la tolérance des gens à bien des égards. Certains ont un emploi stable, mais ils sentent toujours le siège se refermer sur eux. Plusieurs de mes amis proches l’ont exprimé clairement.

« La première chose est la sécurité, puis vient la liberté de mouvement », dit l’un d’eux. « Nous voulons pouvoir voyager librement, comme les gens le font dans d’autres endroits. À Gaza, une personne doit s’enregistrer des mois avant de voyager et passer par des situations inhumaines lors de son voyage en Égypte ».

Et puis il y a ceux qui agissent sur un coup de tête, sans plan sûr et tangible, et jouent le pari de partir par tous les moyens, au risque de finir par se noyer dans un bateau de passeurs qui chavire. D’autres sont plus patients et pèsent leurs options.

« Tant que j’ai un emploi sûr ici, je ne partirai pas… mais si on me donnait l’occasion de profiter de Gaza tout en vivant à l’extérieur, je n’hésiterais pas à le faire. » – Issam Adwan

Issam Adwan, 29 ans, comprend très bien ce désespoir. « À la lumière des conditions économiques désastreuses, de la montée en flèche du chômage, des attaques israéliennes récurrentes – nous sommes de plus en plus convaincus que la seule solution pour ceux qui n’ont pas de moyens de subsistance est d’émigrer », dit-il. « C’est particulièrement vrai chez les jeunes. Je pense que l’émigration est un outil que les gens utilisent pour faire face à une réalité difficile ».

Pour Issam, la décision de partir ou de rester dépend des opportunités qui se présentent. « Pour moi, émigrer n’est pas un objectif en soi. Tant qu’il existe des alternatives dans mon pays où je peux être avec ma famille et mes amis, je préfère rester », dit-il. « Pour moi, l’émigration est étroitement liée à l’objectif que j’ai en tête. Tant que j’aurai un emploi sûr ici, je ne partirai pas. En tant que journaliste, je peux mieux remplir mes fonctions depuis Gaza. Mais si on me donnait l’occasion de profiter de Gaza tout en vivant à l’extérieur, je n’hésiterais pas à le faire ».

Pour apprécier sa terre natale, il faut parfois la quitter.

Parmi les différents points de vue, il y a une chose qui ressort et sur laquelle tout le monde est d’accord : les liens sociaux étroits auxquels ils se sont habitués ne peuvent être trouvés qu’à Gaza. Les familles se réunissent, les amis se retrouvent et le sens de la communauté est fort.

Samia Elswerki, 28 ans, dit qu’elle aimerait que ses filles puissent grandir à Gaza parmi leur famille. C’est quelque chose qui lui manque profondément.

« Je me suis rendue en Turquie il y a un an, j’ai postulé à plusieurs emplois et j’ai été ravie lorsque j’en ai trouvé un. J’ai déjà construit un réseau de personnes ici, ce qui m’a été bénéfique à plusieurs niveaux. Mais ma famille à Gaza me manque terriblement, et si jamais je trouve un bon emploi là-bas, je n’hésiterais pas à y retourner. J’aime à penser que j’y retournerai un jour. J’ai deux filles de 3 et 5 ans, et je ne cesse de leur dire que nous y retournerons un jour. Si vous voulez mon avis, j’ai vraiment un penchant pour ma terre natale ».

Le blocus artificiel imposé à Gaza depuis quinze ans maintenant a conduit les gens à ce point. Beaucoup ont emprunté des routes illégales et ont tenté de sortir clandestinement, ce qui a conduit dans de nombreux cas à un désastre en mer. Beaucoup se sont noyés, d’autres ont réussi. Parmi ceux qui ont survécu, beaucoup sont devenus des réfugiés dans les pays où ils ont demandé l’asile. Ils ont dû passer par des procédures longues et fastidieuses avant d’obtenir une vie décente.

Le siège affecte également tous les aspects de la vie. Il conduit de nombreuses personnes qualifiées à partir, et la fuite des « cerveaux » est réelle. Même les professeurs d’université ne sont pas épargnés par cette réalité : ils doivent obtenir des autorisations spéciales pour se rendre à des conférences ou à des ateliers. Nombre d’entre eux se voient refuser l’autorisation de voyager sans raison particulière. Parfois, des groupes de conférenciers s’inscrivent à un même séminaire, mais un seul d’entre eux obtient l’autorisation des autorités égyptiennes. Ainsi, si ce n’est pas la partie israélienne qui nous gêne, ce sont ses alliés.

Nos enfants ont grandi dans cet environnement assiégé, frappé par la pauvreté et ravagé par la guerre, et c’est tout ce qu’ils connaissent. Lorsqu’un enfant termine l’école et l’université, et qu’il se retrouve dans une impasse, il sombre dans le désespoir. Il est confronté à l’énigme de savoir s’il doit suivre la voie incertaine qui consiste à essayer de trouver un moyen de subsistance à l’extérieur, ou rester ici et survivre.

Mais parfois, pour réaliser la valeur de votre patrie, vous devez la quitter. Et pour ce faire, vous devez avoir la liberté de partir. Nos enfants doivent pouvoir voir le monde extérieur. Si la levée de ce blocus illégal signifie qu’ils peuvent se rendre dans d’autres villes palestiniennes, alors ils verront peut-être qu’un avenir prometteur les attend dans leur propre pays.

 Rana Shubair

Trad. AGP pour l’Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

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