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Pourquoi parle-t-on de “Mahomet“ et pas de “Mohammed“ ou “Muhammad“ ?

Pourquoi la langue française nomme-t-elle le prophète de l’islam Mahomet et non Mohammed ? Pour certains musulmans, cette dénomination traduirait une vision française dépréciative et insultante du prophète, et une méconnaissance de l’islam. Il serait ainsi, selon eux, plus pertinent et respectueux d’adopter sa dénomination arabe, « Muhammad », ou sa translittération, « Mohammed ».

Ce débat étymologique pourrait sembler anecdotique, mais il met en lumière les crispations actuelles de la société française autour du fondateur de l’islam.

Pourquoi la forme « Mahomet » est-elle contestée ?

Pour de nombreux musulmans de France, la forme francisée du nom du prophète est jugée blessante. « C’est une forme d’offense, car on a l’impression que l’on nous dicte de l’extérieur comment prononcer son nom », explique Fatima Bent, présidente de l’association féministe et antiraciste Lallab. Elle dénonce une forme de « paternalisme et d’irrespect » vis-à-vis d’une figure sacrée de l’islam.

Tristan Vigliano, maître de conférences en littérature française du XVIe siècle, s’est penché sur la question dans L’islam e(s)t ma culture (Presses universitaires de Lyon, 2017). Il convient que « les deux termes peuvent s’utiliser, mais il y a un problème qu’il faut regarder ». D’un côté, une longue tradition française qui emploie la forme « Mahomet », devenue l’entrée de référence dans les dictionnaires, et qui est comprise de tous ; de l’autre, une forme plus fidèle à la langue arabe, « Mohammed », attestée en français depuis le XVIe siècle, et à laquelle sont attachés un grand nombre de musulmans.

D’où vient l’importance du nom du prophète « Muhammad » ?

A la fois messager de Dieu, homme d’Etat et chef de guerre, Muhammad est le prophète le plus important de l’islam. Un orphelin caravanier qui, vers l’an 610, dans l’actuelle Arabie saoudite (selon la tradition), eut une vision de l’ange Gabriel (« Djibril », en arabe) lui annonçant qu’Allah l’avait choisi pour être son ultime prophète et parachever la religion originelle de l’humanité. Muhammad est donc un modèle à suivre pour les musulmans.

Le chroniqueur arabe du Xe siècle Al-Tabari indique que « les noms par lesquels le prophète avait l’habitude de se désigner lui-même étaient “Muhammad”, “Ahmad”, “Al-Aqib” [“l’ultime”], nom qui signifie qu’il était le dernier des prophètes », rapporte l’islamologue Olivier Hanne dans la préface de son livre Mahomet, le lecteur divin (Belin, 2013). En outre, il précise :

« Le substantif “muhammad” désigne l’homme “digne de louanges”, celui dont on loue les bienfaits de façon répétée ; quant à “ahmad”, qui est proche du précédent, il signifie “plus digne de louange”, nom par lequel le Coran appelle d’ailleurs le prophète dans la sourate 61 et au verset 6. De ces trois noms propres, seul le premier a traversé le temps pour désigner le fondateur de l’islam. »

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Présent dans les mosquées, les prières, les ornements des maisons, et transmis de père en fils, le prénom « Muhammad » est le plus sacré pour les musulmans.

Quelles sont les premières occurrences de « Mahomet » en Occident ?

Selon Miloud Gharrafi, professeur de langue arabe à l’université Lyon-III-Jean-Moulin, « la déformation de Mohammed remonte au Moyen Age, et plus précisément aux premières traductions latines du Coran, où le nom du prophète de l’islam était transcrit “Mahumet”. » Cette forme est attestée dès la première traduction du Coran en latin, celle de l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable, en 1142, et qui s’intitule Lex Mahumet pseudoprophete (« loi du faux prophète Mahomet »).

« Mahomet » a-t-il vraiment une signification péjorative ?

Certains musulmans de France jugent que « Mahomet » a été forgé à partir d’une racine dénigrante xénophobe, ou qu’il viendrait de « ma houmid », qui signifierait « l’indigne de louange ». Pour Najoie Assaad, cette confusion provient de la première syllabe de « Mahomet », ambivalente en arabe : « le  “ma” arabe peut avoir deux sens : la particule de négation (comme dans “non loué”), et le pronom relatif, qui confère un sens affirmatif (“celui qui est loué”) ». Mais la question ne peut se poser que du point de vue d’un arabophone, rappelle Pierre Jaillard :

« Les locuteurs français de l’époque auraient difficilement eu la compétence suffisante en arabe pour forger l’étymologie alternative “ma houmid”. Celle-ci paraît donc relever de ce que l’on appelle l’étymologie populaire, ou, plus savamment, la “remotivation”, c’est-à-dire l’attribution a posteriori d’un motif non historique. »

Miloud Gharrafi juge aussi cette thèse peu plausible : « Ce nom n’était pas le seul à être déformé lors du passage de l’arabe vers le latin. Des noms de grands savants musulmans ont connu le même sort sans que cela ait suscité la moindre contestation. » Comme le philosophe Ibn Sina, devenu Avicenne, ou le savant Ibn Bajja, rebaptisé Avempace.

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2 commentaires

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  1. Salam notre sœur Hassina Jamila, ce que tu écris est vrai si on est vraiment Arabophone, mais reconnais qu’il n’est pas certain que les premiers auteurs Européens à avoir utilisé cette dénomination l’aient fait en totale connaissance de cause. Possible que les mots transposés ainsi changent de prononciation au gré des erreurs, l’origine Turcophone est une bonne hypothèse je trouve, souviens-toi qu’un sultan égyptien du dix-neuvième se nommait Mehmet-Ali, bien que les Arabophones le nomment Mohammed-Ali mais dans la langue des gens de sa dynastie plutôt Turcophone, il était Mehmet-Ali, c’est un indice. Maintenant, nous autres Musulmans en sachant ces choses, nous écrirons et prononcerons Mohammed ou Mouhammed ou Muhammad et autres variantes possibles proches de la prononciation Arabe initiale et du sens du nom qui est aussi un titre, un attribut. D’ailleurs on le retrouve dans la langue Hébreux, dans l’Ancien Testament, où il apparaît au pluriel de politesse.

    Croissant de lune.

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