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Pourquoi le Hezbollah s’en sortira

Qui est le plus terroriste des deux ? Le Hezbollah libanais qui abat plus de militaires que de civils israéliens ou Israël qui massacre – tant s’en faut – infiniment plus de civils que de combattants libanais ? Techniquement parlant, la guerre contre le Liban parait aujourd’hui programmée pour être terrible pour la population libanaise mais tout aussi irrésistiblement, elle s’avère déjà un cuisant revers pour Israël qui n’a pu réaliser aucun de ses objectifs ni militaires ni politiques.

Israël aurait vraisemblablement parié sur un conflit interne entre le Hezbollah d’une part, et le reste du gouvernement libanais majoritairement anti-syrien (représentatif de la majorité des sunnites et des druzes et d’une partie des chrétiens), d’autre part. L’Etat hébreu aurait voulu ainsi « aider » le gouvernement libanais à accélérer l’application de la résolution 1559 du conseil de sécurité de l’ONU qui stipule, entre autres, le désarmement de la « milice » chiite, afin de conférer à l’Etat libanais le monopole de la violence légitime. Si au début de l’offensive, la plupart des dirigeants des forces anti-syriennes se sont prononcés contre l’aventurisme du Hezbollah et se sont évertués à distinguer entre politique américaine et politique israélienne, la riposte ô combien disproportionnée d’Israël, soutenue de manière flagrante par les Américains, les a fortement perturbés avant qu’ils ne se retranchent derrière le mot d’ordre d’Unité Nationale. L’affrontement interne, notamment entre sunnites et chiites libanais, souhaité probablement par Israël n’a donc pas été au rendez vous.

Ce souhait israélien pouvait, a priori, paraître plausible au regard de la division régionale entre l’ axe sunnite Jordanie-Arabie Saoudite-Egypte et l’axe Syrie-Iran. Or une telle vision ne prend pas en compte la non représentativité des régimes en question. Le soutien au Hezbollah affiché par les Frères musulmans (sunnites) en Egypte et Jordanie ou par plusieurs religieux saoudiens montre que l’enjeu nationaliste arabe est parfois plus important que les appartenances primaires confessionnelles. Dans ce cadre, le primat donné au clivage sunnite-chiite par de nombreux analystes se révèle réducteur en tant qu’il incite, au nom d’un chiisme partagé, à appréhender la stratégie du Hezbollah comme un simple élément de la stratégie iranienne.

Dans cette logique, en affichant le coût d’un affrontement indirect – via le Hezbollah – (la destruction de tout un pays) l’Iran voudrait faire entrevoir aux puissances occidentales le prix que leur couterait un affrontement direct sur le dossier du nucléaire. Cette lecture, sans devoir être totalement écartée, est incomplète ne serait ce que parce qu’elle réduit le Hezbollah à une fonction d’outil. Or le « Parti de Dieu » est d’abord un parti de Libanais doté d’une histoire propre et d’un solide ancrage local. Dans le régime consociatif libanais bâti sur un fragile équilibre entre minorités, le Hezbollah est aujourd’hui incontournable car il est le plus représentatif de l’une des plus grandes minorités du pays.

Traiter avec lui comme avec une bande de criminels relève ainsi d’une méconnaissance totale du degré de son insertion au sein du tissu social libanais et de son rôle modernisateur au service de l’« émancipation » d’une large partie de la communauté chiite vis-à-vis des chefs féodaux largement responsables de l’affaiblissement (éducatif, social, sanitaire) de cette communauté. Ainsi, au delà de son obédience culturelle, idéologique et politique vis-à-vis de l’Iran et de son alliance politique avec la Syrie, le Hezbollah, pour avoir obtenu le retrait israélien du Liban Sud, après 22 ans d’occupation, est l’auteur de la principale contribution de la communauté chiite à l’écriture de l’histoire du Liban contemporain.

Un autre fait, très rarement évoqué, doit être ensuite mis en relief : l’alliance du parti islamiste avec le leader incontournable de la grande majorité des chrétiens libanais, à savoir Michel Aoun. En février dernier, un document d’entente a été signé entre le Hezbollah et Courant Patriotique Libre (CPL) que dirige le Général, historiquement anti-syrien, rentré en 2005 au Liban après 14 ans d’exil en France. Signature solennelle et symbolique qui eut lieu dans une église de la banlieue sud de Beyrouth située sur l’ancienne ligne de démarcation de la guerre de 1975-1990.

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Nombreux étaient ceux qui prédirent une mort rapide de cette alliance jugée contre nature. Le soutien affiché par le Général de confession maronite au Hezbollah dès les premiers jours de l’offensive israélienne et l’accompagnement honorable fait sur le terrain par les militants du CPL (majoritairement chrétiens) à l’égard des centaines de milliers de déplacés du sud (majoritairement musulmans) barre la route à une analogie assez répandue entre Michel Aoun et Bachir Gemayel, ancien leader des Forces libanaises chrétiennes puis éphémère Président de la République, qui avait collaboré avec les envahisseurs israéliens en 1982.

Echec technique et moral de l’offensive, échec du pari sur l’affrontement entre le gouvernement libanais et le Hezbollah, échec du pari sur un affrontement chiite sunnite, échec du revivalisme d’une alliance chrétienne avec Israël, échec de la vision géopolitique du complexe cas libanais. Tout est là pour affirmer haut et fort que le « Parti de Dieu », qui est avant tout un parti de Libanais, s’en sortira … malgré tout ce qui s’est passé et le pire de ce qui peut encore se produire.

Samy Dorlian

Aix en Provence/ Beyrouth

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