in

Pour une autocritique radicale

La décapitation atroce qui a enlevé la vie de Samuel Paty est une terrible tragédie. Notre pays tout entier en a frémi d’horreur et d’indignation, franchissant un nouveau cap dans la terreur et l’effroi. Ce crime à jamais odieux ébranle à la racine les fondements de notre démocratie et le socle même de nos institutions républicaines.

Dans ce contexte nationale meurtri, le grain à moudre est trop engageant pour les prêcheurs de haine qui participent à l’émiettement du tissu social, à la destruction de la société civile, et à terme au chaos et à la guerre. Certains jouent avec le feu, et ils le savent. Que cherchent-ils ? Un embrasement d’émeutes islamistes ? Un carnage façon Christchurch ? On ne peut que déplorer combien les haineux de tous bords sont séduits par la même rhétorique d’agression et d’opposition entre assauts de l’islamisme conquérant et velléités antimusulmanes.

C’est oublier les merveilles dont recèle un cœur musulman. On ne peut que respecter sa foi et tenir en grand honneur sa religiosité, sa piété profonde et son sens de Dieu. Comme on ne peut que tenir en estime son sentiment d’être porté par la main du Créateur. Nul ne peut rejeter sa quête de justice et contester son indignation devant l’état consternant du monde. Nul ne peut être insensible à la sagesse coranique qui oriente sa lecture de la destinée. La dénonciation coranique du découpage racial des humains telle qu’interprétée dans le verset « des peuples et des tribus »1 est à cet égard admirable. A l’image de l’universalité prônée dans le sermon de l’adieu2 ainsi que dans les fameux versets universaux3. Fidèles à ces principes, les musulmans sont des forces vives de la concorde, de véritables ambassadeurs des droits humains, affirmés avec évidence dans le Coran comme des droits fondamentaux à vivre et être nourris4. Combien faudra-t-il de remparts musulmans au terrorisme pour s’en convaincre ? Combien de Mohamed Merabet, policier lâchement assassiné par les frères Kouachi et de Lassana Bathily, héros de l’Hyper-Casher?

A rebours de cet islam authentique « d’Amour et de Paix », on doit à l’honnêteté de reconnaître qu’un autre pan de la doctrine islamique interroge. A rebours des appels à la fraternité lancés par les chantres du « vivre-ensemble » et des condamnations de « l’islamalgame » claironnant sur tous les toits que les terroristes se réclamant de l’islam n’ont « rien à voir » avec l’islam, réduits qu’ils seraient à de funestes desseins. Or, raisonner ainsi, à travers le seul prisme de l’apologétique, conduit les bonnes volontés dans une impasse. Car c’est le réel qu’il faut considérer si l’on veut vraiment comprendre cette violence. L’argument de la « mauvaise interprétation » n’est qu’un artifice apologétique empêchant nos contemporains d’en dénoncer les fondements réels, les racines les plus profondes. Aussi, l’impératif d’honnêteté nous oblige à voir le réel avec rigueur et sans complaisance. Et ce n’est pas avec l’emploi anachronique de « versets-slogans », sans le moindre égard pour leur contexte historique, qu’on y parviendra.

C’est pourquoi un sursaut autocritique s’impose. Un sursaut qui questionne le sentiment « islamophobe ». Un sursaut qui pousse à regarder certaines interprétations en face, à prendre ces lectures de la religion à bras le corps et à en finir avec l’hérésophobie doctrinale dont d’authentiques musulmans se réclament pour criminaliser certaines opinions. Sans cela, tout le soubassement idéologique du terrorisme islamiste restera incompris, empêchant nos contemporains de comprendre pourquoi, par exemple, les dizaines d’oulémas qui ont adressé une missive à al-Baghdadî en 20165 n’ont, à aucun moment, contesté l’islamité des djihadistes ni discuté des thawâbit6. Les musulmans seraient infiniment plus écoutés ainsi, et plus efficaces dans leur lutte contre ces amalgames, plutôt que de passer sous silence ce versant fondamental de la religion, et qui motive une certaine détestation de l’islam7.

Répétons sans relâche qu’un écart notable existe entre le prescrit islamique et le vécu musulman. Qu’il faut bien distinguer le corps de doctrine de ce qu’en font les fidèles dans leur diversité. Que prédomine en France une lecture quiétiste du Coran et de la Tradition. Qu’une écrasante majorité de fidèles ne s’estiment pas du tout engagés dans les appels au djihad, les incitations à la haine et à la violence. Qu’il faut condamner avec la dernière des énergies l’amalgame qui confond les lectures et les personnes elles-mêmes. Qu’on ne peut en effet tout mettre dans le même sac. Ni tout condamner dans un même ensemble. Qu’en dépit d’une violence qui travaille les consciences, partout et en permanence, la quasi-totalité des Français de confession musulmane continue de vivre paisiblement leur foi et contribue à façonner le destin national8.

Il ne tient qu’à nous, parents, personnels de l’éducation entre autres acteurs de la société civile, de ne pas rompre avec le contrat moral qui nous lie les uns les autres et nous protège. Il incombe d’autant plus de donner aux responsables musulmans des moyens efficaces d’engager leur introspection tout en luttant contre les velléités de division, de peur et de rejet. Sans quoi nous irons de facto vers un avenir d’autant plus sombre que certains de leurs coreligionnaires refusent de voir le réel et de prendre leurs responsabilités. Puissions-nous, citoyens de bonne volonté, les aider à ouvrir les yeux…

Notes:

1 « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous vous avons répartis en peuples et en tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous. En vérité, le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. Dieu est Omniscient et bien Informé » (Coran : XLIX – 13).

Publicité
Publicité
Publicité

2 « Nulle vertu n’élève un Arabe au-dessus d’un non–Arabe (‘ajamī) ni un blanc au-dessus d’un noir en dehors de la vertu. Vous venez tous d’Adam et Adam venait de la terre ».

3 Ayāt kawniyya

4 « Mangez-en et nourrissez les pauvres et les indigents ». (Coran : XXII-27).

« Libérez les prisonniers de guerre, nourrissez les pauvres et rendez visite aux malades »  (Rapporté par al-Bukhari)

5https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/Monde/La-Conference-Grozny-competition-pour-lorthodoxie-islamique-2016-11-04-1200800818

6 Fondamentaux de l’islam « non négociables », valables en tous lieux et tous temps.

7 Ce dont rendent compte des figures particulièrement suivies des réseaux sociaux (Majid Oukacha, Aldo Sterone, Ibn Aordure, David Wood, etc.)

8 A l’image d’un Anasse Kazib qui, ces dernières années, a tant sacrifié dans sa lutte solidaire pour la sauvegarde d’acquis sociaux.

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Université : “Blanquer s’est laissé emporter” en parlant d’“islamo-gauchisme”, selon Jack Lang

Le président turc remet une nouvelle fois en question la santé mentale d’Emmanuel Macron