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Pour un calendrier musulman basé sur le calcul astronomique : le hadith oublié ou mal compris (suite et fin)

De plus, ce qui aurait été difficile et contraire à l’esprit de la Charia c’est que le prophète (saws) ordonnât aux musulmans de son époque d’aller voir les rares individus experts en calcul astronomique qui résidaient dans des localités éloignées de la péninsule arabique, maitriser leurs langues et leurs langages mathématiques, confronter et vérifier les résultats des uns et des autres, et ce, pour chaque mois, etc. Donc, c’est demander aux musulmans de cette époque de s’adresser aux rares savants du calcul astronomique qui poserait problème et cela contredirait, le cas échéant, la sagesse qui consiste à faciliter l’accès à l’information sur le début et la fin du mois de Ramadan et par extrapolation, du mois musulman en tant que tel.
C’est dans ce cadre qu’on peut comprendre la mention par le prophète (saws) de l’estimation à 30 jours maximum en cas de gêne comme de la sagesse vu le contexte dont nous avons parlé à suffisance. Donc, le comptage de 30 jours le mois en cours, en cas de gêne, est une estimation (taqdîr) et non une certitude. On rencontre ailleurs cette pratique de l’estimation, lorsqu’un compagnon du prophète (saws) a dit qu’entre la prière de fajr et celle de Subh, ce dernier observait une pause équivalente à la récitation de 50 versets du Coran.
Nous avons fait l’exercice avec des versets de longueur moyenne et trouvé une estimation de 10 minutes. Ibn ‘Abâs considérait que la distance légale pour raccourcir les prières obligatoires de 4 à 2 unités était celle entre la Mecque et la localité de Taïf, ce qui peut être estimé sur une carte à 100 km environ. La zakat en grain aussi est estimée entre 2, 5 à 3 kg puisque les gens n’ont pas les mêmes volumes de main, etc.
On voit bien que l’estimation (taqdîr) est bien connue dans le culte musulman et heureusement d’ailleurs, contrairement à ce que pensent les obsédés de l’exactitude. Même les heures de prières sont estimées pour le pilier le plus important du culte car qui ose dire que le prophète (saws) priait à Xh Ymin Zsec… ! Dans la même veine, la Oumma peut se contenter de nos jours de l’estimation que les compétents en calcul astronomique fournissent sur l’instant de la conjonction à la seconde près. Et cela est un indicateur fiable et suffisamment précis du début d’un nouveau cycle lunaire.  Par expérience d’observation, le prophète (saws) a tenu à dire aux musulmans de son époque que le mois ne fait pas plus de 30 jours, donc il est logique de l’estimer à ce nombre en cas de ciel nuageux au 29e jour du mois en cours.
A ce sujet, Khalid Chraibi, qui a beaucoup écrit sur ce sujet, qu’Allah rétribue ses efforts sans compter, dit : « Or, les premiers astronomes convertis à l’islam (et dans leur sillage les juristes musulmans) savaient bien que la durée du mois lunaire se situait entre 29 j et 30 j, entre deux conjonctions, comme l’enseignaient déjà les astronomes babyloniens, deux millénaires auparavant ; ou entre deux observations de la nouvelle lune, comme le Prophète l’avait souligné dans différents hadiths. Le début du mois et sa durée étaient indépendants de la présence ou de l’absence d’observateurs et des conditions de visibilité » (https://oumma.com/le-mois-islamique-est-il-universel-ou-national/)
Assimilation, manque de confiance et anachronisme.
Les défenseurs de l’obligation d’observer le croissant de Lune mentionnent dans leurs arguments leur conviction selon laquelle il n’y a pas de démarcation entre l’astrologie et l’astronomie. La peur de verser dans l’astrologie a conduit certains oulémas notamment les anciens au temps où l’astronomie était peu connue, à se méfier de celle-ci. Précisons à ce sujet que tout le monde est d’accord, sur l’interdiction catégorique selon le Coran et les hadiths, de l’astrologie qui consiste à prétendre établir une correspondance entre les astres et la destinée humaine. On peut comprendre cette attitude méfiance et de précaution eu égard au caractère de péché d’associolâtrie auquel conduit l’astrologie à une époque où seuls quelques rares individus pouvaient faire la part entre elle et les prédictions par le calcul astronomique. Car, les praticiens de ces deux approches utilisaient des tableaux et signes qui ne présentaient pas de différences pour les non-initiés.
Toutefois, l’astronomie moderne a acquis ses lettres de noblesse dans le champ scientifique : son objet, sa démarche, ses méthodes et outils obéissent aux mêmes exigences que les autres disciplines qui ont acquis une légitimité scientifique.  Dans ce cadre l’attitude islamiquement correcte est non pas de faire prévaloir ses préjugés sur l’astronomie mais de se renseigner auprès des « ‘ulamâ-ul falak » (les savants de l’astronomie et des sciences connexes) voire de l’apprendre si on en a les aptitudes. C’est la seule façon pertinente de pouvoir apprécier de façon juste le degré de fiabilité et de précision des données astronomiques (modèle de base, hypothèses, modèle de collecte de données, traitement et analyse, interprétation, marge d’erreurs, etc.). Aussi, le calcul astronomique offre l’avantage d’être une activité scientifique en principe pas assujettie aux tensions politiques, nationalistes, et sectaires (suivisme des écoles de pensée ou leaders d’opinion).
Dans ce cadre, il est instructif de noter que des oulémas anciens comme Taqyudin Subki (856H/1451) et Ar Ramli à la même époque ont été favorables au calcul astronomique. Subki plaidait pour que les gouvernants valident le témoignage visuel par les données astronomiques fiables alors que de son côté, Ar-ramli affirmait que le mois astronomique est le mois de Charia. Pour ce qui est de la question de la précision du calcul astronomique, nous avons déjà dit qu’il relève du même registre de l’estimation « Taqdîr » pour laquelle nous avons donné des exemples à suffisance.
On peut comprendre que par ignorance des avancées de l’astronomie, d’anciens oulémas comme An-nawawi et Ibn Taymiya qui ont vécu respectivement au 13e et 14e siècle aient eu à émettre de fortes réserves sur la fiabilité et la précision du calcul astronomique. Même si avant ou aux mêmes époques des scientifiques musulmans faisaient progresser l’astronomie en essayant de prédire la visibilité du croissant de Lune par le calcul astronomique (al khawârizmi, m.232H/847, Nasirudin at tusi, m.673H/1274) et beaucoup d’autres. Le problème majeur, c’est quand des oulémas des générations suivantes et contemporaines reproduisent sans une évaluation critique, les arguments de leurs prédécesseurs en déphasage avec le contexte scientifique de leur propre époque (celle des contemporains). Cette attitude d’imitation (taqlîd) ne saurait être légitime pour un ouléma authentique sauf accident. Fort heureusement, des oulémas contemporains susmentionnés ont plaidé en faveur du calcul astronomique.
De leur côté, des scientifiques musulmans contemporains reconnus pour leurs compétences en astronomie et sciences connexes comme Muhammad Ilyâs, Muhammad Odeh, Nidhal Guessoum, Karim Meziane et Syed Khalid Shaukat se sont distingués dans les efforts de conciliation entre visibilité, observabilité, et prédiction de l’instant de la conjonction. Toutefois, ils ont reconnu les difficultés de l’exercice et reconnaissent comme le fait Nidhal Guessoum qui y a beaucoup travaillé, qu’une solution satisfaisante n’a pas été trouvée dans cette perspective de conciliation entre la prédiction de l’instant de conjonction et la visibilité ou la première visibilité du nouveau croissant de Lune par un observateur sur terre.
Les efforts faits pour aboutir à une représentation des zones de première visibilité sur la carte du globe sont très louables et permettent d’avoir une représentation géographique plus précise que les notions d’horizon/levant unique ou différent (wahdatul matâli ‘/ikhtilâful matâli ‘) qu’on trouve dans la littérature sur la détermination du mois musulman. Cette ancienne notion d’horizon/levant est scientifiquement juste en ce qu’elle dit que certaines parties du monde partagent le même levant, c’est-à-dire, sont ensemble concernées par l’apparition du nouveau croissant de Lune (si le ciel et la géographie s’y prêtent), mais s’est longtemps heurtée à la difficulté de sa projection géographique. Pour s’en rendre compte, il suffit de recenser les différents points de vue des oulémas sur ce que représentent ces zones de même horizon/levant. Cela se comprend vu l’incompétence des oulémas de la Charia surtout des anciennes générations en matière d’astronomie et de géographie.
De son côté, la Ligue islamique mondiale se limite dans ses recommandations à dire que le calcul de l’instant de la conjonction doit servir de base à valider la possibilité de la visibilité (imkâniyatur ru-e-ya) à confirmer ou infirmer par le témoignage visuel. En tout cas, cette position de l’Académie de Fiqh de la Ligue islamique mondiale introduit une avancée significative même si encore timide de notre point de vue, vu qu’elle est passée outre l’avis des oulémas « traditionalistes » (au sens de qui pensent être fidèle à la « tradition ») qui ne veulent pas entendre parler de calcul astronomique en matière de détermination du mois musulman.
Des institutions pionnières comme le Comité Européen de Recherche et de Fatwa (CERF), le Conseil Théologique Musulman de France (CTMF) et le Conseil de Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN) déterminent depuis quelques années le mois musulman sur la base de la prédiction par le calcul astronomique de l’instant de la conjonction vraie et des zones de première visibilité.
Au Sénégal, le travail pédagogique que nous sommes en train de faire en collaboration avec l’Association sénégalaise pour la promotion de l’astronomie (ASPA) et avec l’appui scientifique de Patrick Rocher, qui a travaillé jusqu’à sa retraite sur le calendrier musulman, alors qu’il était à l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides (IMCCE), est suivi attentivement par l’opinion publique musulmane, les scientifiques et les oulémas. Patrick Rocher a, pendant des années, été sollicité par la Mosquée de Paris pour fournir à cette importante institution musulmane des données astronomiques afin d’aider à la détermination du mois musulman.
Je profite de ces lignes pour lui témoigner encore mille fois toute ma gratitude. En lisant les réponses qu’il donnait à mes questions, ma compréhension des versets ou, plus fidèlement à la terminologie coranique, des signes (âyât) « cosmiques », devenait de plus en plus exigeante et humble.

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2 commentaires

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  1. La lune n’est pas seulement un calendrier.
    Dans le coran , Allah a fait de la lune une lumière, et le soleil une énergie.
    La lumière guide nos calculs, l’énergie fait vivre.
    Calcul ou pas calcul, il y a une chose dont personne au monde ne saurais dire le contraire :
    ” l’astronomie est une science observationnelle, ce n’est pas une science empirique”

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