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Plaidoyer pour une « géostratégie humaniste »

Il y a quelques jours, Oumma a publié un texte de Tareq Oubrou intitulé « Dialogue interreligieux : de l’éthique à la géopolitique ». Le propos de l’auteur est on ne peut plus important, dans un contexte de crise des grandes utopies fédératrices et de montée en flèche des peurs et des incertitudes. Parmi les clefs de résolution de cette crise post-moderne, il nous propose une stratégie « géo-théologique » afin de contrer les attitudes extrêmes de rejet de l’autre, dont une bonne partie n’est malheureusement que l’excroissance pathogène d’un dogmatisme religieux prétendant imposer sa « vérité » au monde.

L’approche est originale, et pertinemment osée. Mais la façon dont T. Oubrou pose la rencontre interreligieuse comme vecteur principal de l’émergence d’une « éthique pragmatique universelle » me laisse personnellement un tant soit peu dubitatif. En effet, la complexification du monde contemporain a pour corollaire la complexification des identités individuelles et sociales. Aussi, à contrepied de l’hypothèse de la désécularisation – considérée comme plus ou moins sauvage – en vogue chez certains analystes, il faudrait à mon sens accepter le fait que la sécularisation des comportements religieux a profondément bousculé la place et le rôle de la religion dans la société.

Cela revient notamment à dire que, derrière la façade des discours convenus et des manifestations ostensibles des identités confessionnelles, la religion ne représente plus aujourd’hui l’épicentre autour duquel se structure l’identité des individus, y compris chez la plupart des croyants. Quelle qu’en soit l’interprétation qu’on en donnera – déclin ou recomposition du religieux, ou redéploiement en force d’un religieux non institutionnel – il n’en demeure pas moins que la modernité a complètement bouleversé le rapport entre la doxa et la praxis, au grand dam d’institutions religieuses qui n’y perçoivent que perte d’hégémonie.

Cette complexification des identités a pour conséquence première le fait que les individus se pensent – simultanément ou successivement – à travers plusieurs sphères de référence et d’appartenance. Dans un tel contexte, un croyant lambda peut ressentir beaucoup plus de points communs et d’affinités avec un non croyant qu’avec un fidèle de sa propre tradition religieuse, tout simplement parce qu’au delà de son appartenance confessionnelle, il fera le constat d’une convergence de valeurs beaucoup plus profonde avec le premier.

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Malheureusement trop de croyants, abreuvés de sermons apologétiques délivrés par les « diffuseurs de discours religieux », sont encore perturbés par le décalage qu’ils perçoivent entre la façon dont leur est présentée la séparation croyants-non croyants, ou bons et mauvais, et la multitude de points communs et d’affinités qu’ils vivent au quotidien avec des gens supposés être complètement différents. On pourra y voir d’ailleurs une seconde conséquence de la complexification du monde moderne, à savoir que les institutions religieuses entretiennent encore largement une vision du monde – au demeurant assez uniforme, sur le fond – décalée de la réalité dans laquelle elle s’inscrit.

Cette vision est fondée sur une approche dichotomique et très manichéenne d’un monde qui serait vidé de son substrat spirituel et où, au final, l’ensemble des problèmes trouveraient leur source dans l’absence d’écho ou de réceptivité à leur théorie du salut pour ici-bas et l’au-delà. Tareq Oubrou souligne d’ailleurs très bien que le dialogue interreligieux doit faire en sorte « que les religions ne transforment pas leur universalisme en un totalitarisme qui porterait préjudice aux valeurs spirituelles qu’elles sont censées porter. » C’est pour cela que ce type dialogue doit d’emblée être pensé et considéré comme le sous-ensemble d’un dialogue plus vaste, et Ô combien plus important, où l’Homme retrouvera une place centrale, laquelle n’est autre que sa juste place au sein de l’univers.

En effet, à force d’octroyer la prééminence à l’axe transcendant de l’existence les religions, et plus particulièrement celles composant la trilogie monothéiste, donnent l’impression d’avoir totalement perdu leurs repères ontologiques. Pour porter plus en avant les aspirations d’un dialogue serein il faut alors affirmer, sans aucune once de vergogne, la nécessité d’une « géostratégie humaniste », à laquelle pourront contribuer toutes les familles spirituelles, croyantes et non croyantes, au delà des simples confessions religieuses, en replaçant l’Homme au centre du débat.

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