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Peut-on prouver l’existence de Dieu ? (1/2)

L’ idée, pouvant apparaître iconoclaste, de réaliser un compte-rendu critique de l’ouvrage de Richard Swinburne est née de discussions stimulantes et soutenues avec Stéphane Dunand, enseignant agrégé de philosophie et Mathieu Mulcey, philosophe et éditeur. Rappelons que les anglo-saxons ont une avance certaine sur nous comme par ailleurs, dans le domaine des sciences sociales du monde arabe et musulman. Puisse justement cette modeste contribution faire progresser la réflexion rationnelle et le débat critique aussi bien sur la religion que la métaphysique afin de bousculer les dogmatismes d’où qu’ils viennent.

En découvrant le titre de l’ouvrage que nous proposons ici de présenter et de discuter, le lecteur non averti, pourrait être tenté – et nous ne l’étions pas à moins avant que de prendre connaissance plus en détails du contenu -, de penser qu’il ne s’agirait là, au fond, que d’un apostolat, rédigé par on ne sait quel fidéiste, cherchant à prouver, avec les mêmes arguments ressassés depuis des siècles, l’existence d’un Dieu vérace.

Pourtant, rien ne serait moins injuste que de juger le livre en question à cette seule aune, en présupposant, de but en blanc, qu’il serait forcément oiseux. Ce, eu égard à la réflexion rationnelle et stimulante que s’efforce de déployer Richard Swinburne, membre de la British Academy et figure majeure de la philosophie anglo-saxonne contemporaine de la religion. Ce dernier, en bon probabiliste, tente de répondre à la question centrale de savoir, d’une part, s’il est possible d’argumenter en faveur de l’existence de Dieu en avançant des arguments rationnels, qui répondent aux critères de scientificité communément admis, et d’autre part, si Dieu peut être considéré comme cause ultime de toute chose.

Pour y parvenir, il importe de quêter au-delà de l’introduction et du chapitre I. Le lecteur doit, autant que faire se peut, adopter trois attitudes : la patience (ne pas s’arrêter à la première difficulté de compréhension), la présence d’esprit (être attentif aux exemples que donne l’auteur pour échafauder ses hypothèses, construire son raisonnement et illustrer sa thèse) et le décentrement (ne pas s’estimer être les seuls titulaires ou ayant droits du bon sens et de la vérité, révélée ou non).

A y regarder de plus près, le titre dénote, en filigrane, une forme de modestie, fort louable, de la part de l’auteur puisqu’il use, non seulement de l’article indéfini « un » mais également du point d’interrogation ; ce qui annonce manifestement qu’il se refuse à la fois, non seulement de répondre de manière définitive à la question mais également à définir le Dieu d’une religion en particulier.

Richard Swinburne s’attache à démontrer, au contraire, qu’il est tout à fait possible de répondre de façon rationnelle et sérieuse, à une interrogation au premier abord, triviale et, apparemment complètement impertinente et anachronique pour les esprits épris d’un positivisme pourtant, lui, bel et bien suranné. Cette interrogation ira jusqu’à indisposer ou surprendre, non pas seulement le non-croyant ou l’athée, qu’il soit militant ou pas, comme nous pourrions, en effet, spontanément le croire, mais également, le fidéiste et certains théologiens pour lesquels la réponse devrait aller de soi et ne souffrir d’aucun doute possible de la part du fidèle ; Dieu serait, pour ces derniers, ou bien une fois pour toutes « impénétrable » ou bien au-dessus de nos spéculations bien trop humaines.

Swinburne rompt en quelque sorte le consensus mou qui règne au sujet de ce problème métaphysique nodal. A contrario, le philosophe britannique ne part pas du point de vue chrétien, musulman ou juif, du moins dans la majeure partie du livre, mais du point de vue théiste, dans lequel sont résolument mariées raison et foi ; deux termes ou dispositions solidaires d’une dialectique critique non exclusive l’une de l’autre. Il s’écarte à la fois de la théologie négative (ce que n’est pas Dieu) et de la théologie positive ou « dogmatique » stricto sensu (Dieu revêtirait une série d’attributs définis par un credo officiel auquel il faudrait se tenir rigoureusement).

En tant que telle, la thèse de l’existence de Dieu n’est pas originale certes, mais l’auteur en renouvelle l’approche à partir d’hypothèses philosophiques et scientifiques remarquables de précision. Il propose un travail original en rupture avec les approches apologétiques ou philosophiques classiques (la longue tradition des preuves rationnelles de l’existence de Dieu). Swinburne fait bel et bien de la théologie rationnelle mais ne part pas du Dieu révélé. Il part du monde pour justifier l’existence de Dieu.

Pour lui, l’existence de Dieu aiderait à l’étaiement de la raison scientifique et lui offrirait, en cela, un supplément de rationalité. Il ne s’agit pas de chercher, à tout prix, dans la religion, une explication du réel, qui reléguerait la science au statut de subordonnée voire inutile, susceptible, qui plus est, de nous éloigner de Dieu. Attitude qui fut, effectivement pendant des siècles, celle de l’Eglise et de beaucoup de clercs effrayés par les bouleversements que pouvait entraîner la modernité sur le rapport à l’orthodoxie religieuse. Mais aussi, il est vrai, en raison de positions de pouvoir qu’ils tiraient de leur magistère moral institué.

Cet ouvrage présente, au fond, un double mérite : d’une part, celui de réactualiser la thèse de l’existence de Dieu à partir de nouveaux matériaux ou sentiers, jusqu’alors peu explorés voire inexplorés, de la pensée philosophique de la religion et d’autre part, de réconcilier théorie(s) de l’évolution et création (1) (supposée ou réelle) de l’Univers et de ses lois Cette préoccupation cruciale est énoncée, en autres, à la page 72 où, clairement, il ne s’agit certainement pas, pour Swinburne, de renvoyer dos à dos la science et Dieu (ou la religion) mais de les associer, moins dans un rapport de subordination comme déjà soutenu, de sujétion mutuelle ou de conflictualité, mais dans un rapport de complémentarité et de dialogue critique continué : « Je postule un Dieu pour expliquer ce que la science explique ; je ne nie pas que la science fournisse des explications, mais je postule Dieu pour expliquer pourquoi la science peut expliquer. »

Ce qui peut éveiller l’intérêt du philosophe ou plus largement, du lecteur, est la prééminence qu’accorde Richard Swinburne à une méthodologie ou démarche scientifique qui est la voie, d’ordinaire empruntée, pour tester la véracité de lois de la nature, mais, cette fois-ci, l’utilise-t-il justement pour donner force de conviction et de proposition à l’hypothèse d’un Dieu, envisagée comme origine probable, des lois de la nature.

La base de réflexion du philosophe contemporain se résume en deux types d’explication, explicités au chapitre II et réitérés par ailleurs en maints endroits de l’argumentaire (il existerait, pour les objets, deux façons de causer des événements, « la causalité inanimée et la causalité intentionnelle » (2)) ; ceux-ci convergeraient, tous deux, vers l’étaiement de la thèse principale de l’ouvrage, à savoir : Dieu, au titre d’hypothèse explicative simple (avec toutes sortes d’autres présupposés théoriques connexes), au milieu d’autres, dont il assurerait cependant la cohérence, l’unité ou la synthèse parfaite. Mais l’explication, par Dieu, ne compléterait pas celle de la science s’agissant des phénomènes et des relations causales ; elle la complète sur un plan métaphysique, dont ne traite pas la science, mais qu’elle présuppose : l’existence de Dieu explique l’ordre dans la nature, l’essence des propriétés, le fait qu’il ait un ordre etc.

Tel est, du reste, le postulat central du théisme. Richard Swinburne s’autorise à discuter et la science et la religion en prenant le parti audacieux, de les déstabiliser quant à leurs présupposés respectifs en en interrogeant et démystifiant les fondements.

Ce qui est une véritable invitation à penser… Ainsi, les chapitres III, IV et V, d’inégale importance selon les passages considérés, sont sans conteste les plus stimulants et les plus féconds au plan intellectuel et constituent le clou de la démonstration pour ne pas dire du spectacle. Swinburne nous propose des expériences de pensée fort originales qui rompent nettement avec les habituelles, et somme toute banales, preuves rationnelles de l’existence de Dieu auxquelles nous avaient habitués, des siècles durant, les philosophes chrétiens ou d’inspiration monothéiste.

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En effet, au chapitre IV intitulé Comment l’existence de Dieu explique le monde et son ordre ?, et après avoir rappelé, avec force, que « les sciences ne peuvent expliquer pourquoi chaque objet possède les mêmes propriétés et dispositions », Swinburne stipule, qu’aucune loi scientifique, aussi élaborée soit-elle, serait donc capable, seule, de rendre compte de la cause pour laquelle, tous les objets matériels ont des propriétés générales identiques, se comportent avec régularité, dans le temps, de telle sorte que nous observions, dans le monde, qu’une catégorie d’objets procède toujours de façon similaire et inchangée : « les objets de taille moyenne présente des régularités (…) Les objets massifs tombent, les êtres humains et les autres animaux ont besoin d’air pour vivre, les graines plantées et arrosées donnent des plantes, le pain nourrit l’homme, mais pas l’herbe (…) Les régularités à peu près courantes que les êtres humains peuvent aisément détecter ont d’importantes conséquences pour notre survie ou notre disparition (…)

Pour ce faire, et pour ne point en rester au stade de la pétition de principe, Swinburne emprunte aux scientifiques, en plus des deux types d’explication précités, quatre critères retenus et reconnus pour reconnaître qu’une loi est véritablement une explication. Le fait que Dieu cause ceci ou cela n’est pas une loi de la nature mais une explication. Ce dernier joue en quelque sorte sur le propre terrain de la rationalité scientifique et de ses ressorts principiels. Il écrit ainsi qu’« elle (la loi de nature) nous conduit à prévoir (avec précision) des observations nombreuses et variées (…) ce qu’elle propose est simple, elle s’accorde bien avec le contexte de nos connaissances ; sans elle, nous ne nous attendrions pas à découvrir ces événements (…).

Dans sa tentative de répondre, par l’affirmative, à la question Y a-t-il un Dieu ?, le philosophe anglais cherchera tout au long de sa démonstration à satisfaire ces quatre critères au premier rang desquels celui qui postule la simplicité. C’est sans doute l’analyse, en détails, des deux types de causalité, à savoir les causalités inanimée et intentionnelle, expliquant l’existence et le fonctionnement des choses ou des événements, qui permettent à l’auteur d’amener le lecteur à considérer avec sérieux l’hypothèse explicative par la personne et au-delà, par Dieu ; en l’espèce élevé au rang de causalité intentionnelle (Cf. chapitre III : 43-51).

En effet, l’homme ne peut réfréner sa quête de compréhension sur ce qu’il l’entoure, au niveau des objets matériels et des phénomènes observés ainsi que de leur explication ultime. Ce qui se traduit, concrètement, par toutes sortes d’interrogations relatives aux causes les plus antérieures ou causes originelles. A cet égard, Richard Swinburne prend ses distances avec le matérialisme, dans une version qu’il qualifie d’ « extrémiste » (qui est, pour l’auteur, un pied de nez à celles et ceux qui dénigrent couramment les religions) selon laquelle « les personnes, leurs pensées, leurs connaissances, leurs projets, etc., seraient seulement des objets matériels et leurs états physiques. »

Pour le philosophe, au contraire, il est peu probable que seuls des éléments purement matériels ou physiques soient la cause « d’événements cérébraux et mentaux » qui ne sauraient, de cette façon, se résumer, pour ainsi dire, à de l’inanimé. Il est nécessaire de faire appel à la catégorie « personne ». Les intentions et projets humains, par exemple, seraient tout à fait autre chose que de simples décharges électriques provoquées par des neurones dans des zones localisées du cerveau, et induiraient, a contrario, forcément une volonté immatérielle cause constituante des actions, projets, pensées etc.

En effet, une explication exclusivement par l’inanimé serait largement insuffisante sinon dépourvue d’intérêt, sacrifiant, de cette façon, à l’un des critères les plus élémentaires permettant de déterminer une explication, à savoir la simplicité. Avancer, comme le font généralement les matérialistes, que l’état de l’Univers, tel qu’il est aujourd’hui, procèderait d’un état antérieur et ainsi de suite à l’infini, n’expliquerait aucunement d’une part, pourquoi les instants les plus antérieurs renfermaient telles propriétés et dispositions et pas telles autres, et d’autre part et surtout, en vertu de quoi, les membres d’une même espèce d’objets possèderaient exactement les mêmes dispositions et propriétés les unes et les autres (par exemple les agrégats matière-énergie obéiraient tous à la loi de gravitation). L’explication par la causalité de type intentionnelle (ou consciente) satisferait davantage au critère fondamental de simplicité que ne remplirait pas tout à fait le matérialisme, voire pas du tout.

A suivre…

Notes :

(1) Richard Swinburne, bien qu’il soit de confession chrétienne, n’hésite pas à reconnaître à Darwin et aux théories de l’évolution le fait d’avoir donné « une explication correcte de l’existence des animaux et des êtres humains ». Néanmoins, le philosophe cherchera-t-il à les concilier avec l’idée de création au sens où les théories de l’évolution seraient, selon ce dernier, incapables de fournir une explication ultime, si ce n’est en postulant l’hypothèse d’un Dieu, permettant d’expliquer pourquoi au juste, telle « soupe primitive constituée d’ingrédients chimiques particuliers » a donné naissance à des êtres vivants à tel moment et non pas à tel autre, dans des conditions particulières et pas dans d’autres. Dire, comme c’est possible de le faire, que l’Univers a toujours existé ne répondrait en rien à la question de savoir ce qui a fait qu’à un moment précis, des êtres vivants conscients, avec des caractéristiques très particulières, soient apparus. « Le théiste, lui, dispose d’une explication ultime simple de cet état de choses : par l’action qu’il exerce à chaque instant d’une durée éternelle, Dieu conserve tels quels l’univers et ses lois. Et il a une raison de le faire : entre autres le fait qu’à un moment l’homme pourra y apparaître. P. 65

(2) Le chapitre II (p. 27-41) de l’ouvrage est capital pour qui veut saisir l’essentiel de la base argumentative et la méthodologie déployée par le philosophe. Il est préférable ici, de reproduire, in extenso, ce qu’écrit Swinburne lui-même : « Nous nous trouvons devant deux genres différents d’explication des événements, car il existe, pour les objets, deux manières différentes de causer des événements : la causalité inanimée et la causalité intentionnelle. Quand la dynamite provoque une explosion, elle le fait en vertu de la propriété qu’elle a de le faire et de sa disposition à exercer cette propriété sous certaines conditions : sa mise à feu avec une température et une pression données. Elle est forcée de causer l’explosion sous ces conditions : elle n’a pas le choix, et aucun projet n’entre dans ce processus. En revanche, si la dynamite a été mise à feu, c’est parce que, mettons, un terroriste a déclenché la mise à feu. Le terroriste a déclenché la mise à feu parce qu’il avait la capacité de le faire, parce qu’il croyait qu’en le faisant, il provoquerait l’explosion, et qu’il avait pour but de provoquer une explosion. Il a choisi de déclencher la mise à feu, il aurait pu agir autrement. Nous avons ici affaire à deux genres d’explication. La première, en termes de propriétés et de dispositions, est l’explication par l’inanimé. La seconde, en termes de capacités d’action, de pensée et de connaissance, et de projets, est intentionnelle ou – comme je l’appellerai dorénavant- c’est une explication par la personne. Les phénomènes diffèrent, les explications aussi : parmi les événements, les uns sont produits intentionnellement par des personnes (ou par des animaux, certains agissant aussi intentionnellement), les autres sont produits par des objets inanimés

Richard Swinburne – Y a-t-il un Dieu ? Titre original : Is There a God ?, 2009 (1ère édition en langue anglaise 1996) Ithaque Editions, Paris.

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