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Parution d’un livre sur le Docteur Philippe Grenier, premier député musulman de France élu en 1896

« Il a cherché une foi et il l’a trouvée »

          ” Dubois demanda une fois à Madame Nozière quel était le jour le plus funeste de l’histoire. Madame Nozière ne le savait pas. C’est, lui dit M. Dubois, le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l’art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque.”
Anatole France

Voilà un livre qui contribue à une autre vision de l’Islam en France, mettant en relief de nouveaux contextes. L’idée maîtresse qui a présidé à la réédition de cet ouvrage, par les Editions Alem el Afkar, est le devoir de cultiver la mémoire de ce grand humaniste musulman qu’a été le Docteur Philippe Grenier pour éclairer d’un jour nouveau la lutte idéologique actuelle qui se déroule avec des procédés sans cesse inédits.

Ce livre raconte l’histoire de la France révolutionnaire, qui n’a pas pu se libérer définitivement des préjugés contre l’Islam hérités de l’Eglise catholique. L’identité de cette nation, pourtant issue d’une révolution qui voulait, au nom de l’universalisme, s’affranchir du merveilleux, est restée volontairement confinée dans les limites gréco-romaines et judéo-chrétiennes. On voit bien la persistance de l’esprit des croisades, actualisé par la culture colonialiste où la dimension arabo-musulmane est toujours reléguée à l’extérieur du cadre référentiel.

Pour preuve, Georges de la Fouchardière s’interrogeait dans le journal L’Œuvre du 20 août 1934, soit 36 ans après la fin de la mandature du Docteur Grenier et 10 ans avant son décès : « Vous rappelez-vous Philippe Grenier, le député musulman ? »

Ce livre constitue une évocation biographique dédiée par un artiste-peintre, de confession catholique, à son ami médecin-député, de confession musulmane. On y pose en filigrane la problématique de l’Islam en France et, pour la première fois, dans une logique franco-française, loin de tout lien avec l’émigration.

Le docteur Philippe Grenier a eu le mérite d’élever, au plus haut niveau de l’édifice institutionnel, la question du statut de l’Islam en France. Son parcours est édifiant, selon qu’il ait été médecin, qu’il fut conseiller municipal ou qu’il soit devenu député, il a donné la preuve éclatante que le musulman qui observe scrupuleusement les prescriptions religieuses, continue d’être un bon citoyen laïc, sociable, convivial et utile, parfaitement intégré dans le paysage social et culturel de la France. Mais on est loin de ce prodigieux parcours, le débat sur l’Islam en France est devenu une foire d’empoigne où s’entrechoquent toutes les ignorances.

Alexandre Hepp, journaliste et critique littéraire français, disciple d’Émile Zola, a sans doute trouvé la formule qui reflète au mieux le destin du Docteur Philippe Grenier. Il écrit dans le journal Le Soir, pour présenter le nouvel élu : « Il a cherché une foi – et il l’a trouvée ».

Mais Grenier a fait plus que cela, promouvant l’œcuménisme pour qu’aucune religion ne soit isolée des autres ni de la société. Abolir les cloisonnements interconfessionnels et vaincre les disparités sociales, tel était son crédo. Pari gagné et le vicaire de Pontarlier en apporte un éclatant témoignage de reconnaissance : « Si j’étais curé de cette ville et que je doive remplacer un des vitraux de mon église, j’exigerais que l’effigie du docteur Grenier y figurât ».

Le parcours de Philippe Grenier est loin d’être une aventure improvisée d’un songeur égaré, en mal de théosophie de montagnard. Son expérience est exemplaire en ce qu’elle pose, dans toute sa complexité, la problématique du rapport de la France à l’Islam. Il se présente en esprit de réformateur de ce rapport qui lui a paru maladif. Il nous rappelle la pensée de l’érudit musulman de l’Inde du XVIIIe siècle, Shāh Walī Allāh de Delhi, un des premiers penseurs modernes qui s’est penché sur la question de l’essor et du déclin des empires.

Evoquant ses travaux, Jacques Berque note : « Je sais maintenant, grâce à ce penseur sunnite, qu’avant la bifurcation que la technologie déchaînée allait imprimer au devenir mondial, des cultures diverses, mais non pas adverses, auraient pu concourir. Elles auraient pu fonder à elles toutes un avenir commun. Utopie rétrospective ? Assurément, mais ce n’est qu’un cas entre bien d’autres de ces retrouvailles où les richesses du multiple se recomposent en unité de l’humain. »

Expliquant son propre rapport à l’Islam, Philippe Grenier considère que sa conversion est naturelle à une doctrine familière : « Vous désirez savoir pourquoi je me suis fait musulman ? Par goût, par penchant, par croyance, et nullement par fantaisie, comme quelques-uns l’ont insinué. Dès mon jeune âge l’Islamisme et sa doctrine ont exercé sur moi une attraction presque irréversible. A la suite de différents voyages que j’ai faits en Algérie, ce qui n’était que penchant est devenu ferveur, mais ferveur raisonnée, car ce n’est qu’après une lecture attentive du Coran, suivie d’études approfondies et de longues méditations que j’ai embrassé la religion musulmane. J’ai adopté cette foi, ce dogme, parce qu’ils m’ont semblé tout aussi rationnels et en tout cas plus conformes à la science que ne le sont la foi et le dogme catholiques. J’ajoute que les prescriptions de la loi musulmane sont excellentes puisqu’au point de vue social, la société arabe est basée toute entière sur l’organisation de la famille et que les principes d’équité, de justice, de charité envers les malheureux y sont seuls en honneur, et qu’au point de vue de l’hygiène – ce qui a bien quelque importance pour un médecin – elle proscrit l’usage des boissons alcooliques et ordonne les ablutions fréquentes du corps et des vêtements. »

Pour tout le monde, le Docteur Philippe Grenier était un honorable musulman, un exemple de vertu et de courage moral, tout en faisant preuve d’une fidélité et d’une discipline infaillibles à sa famille politique du parti radical-socialiste. A l’Assemblée, il a su faire preuve d’une hauteur de pensée, rendant très peu de députés capables de se hisser à son niveau. Certains n’hésitent pas d’ailleurs à comparer sa popularité à celles de Victor Hugo et de Louis Pasteur, tous deux, comme par hasard, natifs du même pays franc-comtois.

Il s’est toute sa vie efforcé à être exemplaire dans tous ses dires et actions et, en même temps, toujours prompt à dépasser le mal en bien. Il fournit une belle illustration des préceptes de l’Islam, tels qu’ils sont énoncés par les versets 33 et 34 de la sourate Foussilat.

      « Quel plus beau propos que d’appeler à Dieu, en effectuant l’œuvre salutaire et de proclamer : “Je me range parmi les Musulmans »;

      « Belle ou mauvaise action ne s’équivalent : repousse (la mauvaise) par une plus belle, et voilà que celui qu’opposait à toi, l’inimitié mutuelle prend les traits d’un allié chaleureux ».

En cette fin du XIXe siècle, le colonialisme français est à son apogée, et l’on voit l’Islam susciter deux mouvements qui ne se rencontreront jamais : une fascination chez les élites intellectuelles et, en même temps, une culture de résistance des peuples colonisés.

Philippe Grenier est l’un des rares à se prévaloir de ces deux mouvements. Il se démarque de Louis Bertrand et sa doctrine funeste qui préconisait, face à l’Islam, de rejeter l’idée de « fraternité universelle » et appelle à « se rebarbariser ». Il se démarque aussi des indigènes du consentement et leur fetwa scélérate de 1891 qui établit que « les musulmans peuvent obéir aux chrétiens lorsque ceux-ci respectent leur religion et rétribuent des cadis », fetwa publiée dans le journal Signal, du 1er octobre 1895 sous le titre « Chrétiens et Musulmans ».

C’est au cours de ses deux voyages à Blida, la ville des roses au pied du massif montagneux de l’Atlas Blidéen, que Philippe Grenier s’initia et se convertit à l’Islam. Tout porte à croire qu’il a vraisemblablement croisé Cheïkh Miloud Chou΄aïbi, l’un des plus grands érudits de son temps, qui avait fondé sur les monts du Dahra une école d’enseignement supérieur. Cheïkh Chou΄aïbi était convié chaque année par les notables de Blida à y passer le mois sacré du Ramadhan, en vue de les gratifier de ses leçons d’exégèse coranique. Il prodiguait un enseignement vivifiant pour pousser les musulmans à réaliser une reconquête de soi. « L’homme qui consentit à m’initier me soumit aux formalités du rite malékite », confia plus tard Grenier à un journaliste.

Qui donc mieux que l’artiste-peintre Robert Fernier, qui a eu comme vocation la promotion du patrimoine de son pays franc-comtois, en en magnifiant les paysages et les visages, qui s’est aussi passionné pour l’Orient, pour rendre hommage au Docteur Philippe Grenier ?

Robert Fernier s’est identifié au courant de Gustave Courbet, il travailla passionnément à réhabiliter son œuvre, devenu président des Amis de Gustave Courbet, il acheta sa maison natale d’Ornans pour en faire un musée et réalisa un monumental Catalogue Raisonné.

Mais pour Robert Fernier, il ne s’agit pas d’un simple voisinage géographique avec Philippe Grenier, il y a surtout une proximité spirituelle, qui se rattache à cette dimension mystique dans la conception de l’art chez Gustave Courbet, qui en donne un aperçu dans une lettre datée de 1861 : « Je tiens aussi que la peinture est un art essentiellement concret et ne peut consister que dans la représentation des choses réelles et existantes. C’est une langue toute physique, qui se compose, pour mots, de tous les objets visibles. Un objet abstrait, non visible, non existant, n‘est pas du domaine de la peinture. L’imagination dans l’art consiste à savoir trouver l’expression la plus complète d’une chose existante mais jamais à supposer ou à créer cette chose même. »

Ces paroles résonnent comme « La Profession de foi du vicaire savoyard » de Jean-Jacques Rousseau, où il propose un dépassement des dogmes religieux et de la raison pure et que l’homme aille trouver dans la nature le chemin de la bonne conduite. Ce qui se rapproche du verset 30 de la sourate Rome, qui met en scène les trois notions fondamentales de hanif, de fitra et de khalq. Autrement dit, la droiture et l’innéité rejettent toute forme de substitution, de modification de la création.

Très lié à Philippe Grenier, Robert Fernier publie aux éditions Faivre-Vernay en 1955, soit 9 ans après son décès, « Docteur Philippe Grenier, ancien député de Pontarlier ». Avec des subtilités propres à l’artiste-peintre empreint de toute une philosophie de l’art, Fernier s’applique à présenter, tel qu’il a vécu, cet homme qui « a cherché une foi et [qui] l’a trouvée ».

Il n’insiste pas trop sur le parcours initiatique qui a mené le Docteur Grenier jusqu’à sa conversion à l’Islam. En revanche, il porte toute son attention sur la pensée et l’action de l’humaniste, du médecin, du député, du citoyen et du musulman exemplaire qu’a été tout à la fois Philippe Grenier. Fernier nous gratifie d’une belle illustration, sous la forme de ce que les Anglo-Saxons appellent « proof of concept », preuve de concept ou démonstration de faisabilité, de la notion de Malek Bennabi des « fonctions sociales de la foi ». C’est toute la signification de l’ihsan, ou la foi indissociable des bonnes œuvres, du bien et du bel agir.

Après le décès du député de Pontarlier, Dionys Ordinaire, survenu le 15 octobre 1896, on organise une élection partielle, qui a lieu les 6 et 20 décembre. Philippe Grenier se porte candidat et finit par gagner les élections.

On se demande comment une population d’une région rurale, et très marquée par le catholicisme, a-t-elle pu élire un député musulman, le premier député musulman de France. Au lendemain de l’annonce des résultats des élections, un pontissalien n’hésite pas à lancer à l’un des nombreux journalistes venus à Pontarlier couvrir l’évènement : « Vous allez nous l’enlever, vous autres à Paris ! ».

Pour les habitants de Pontarlier, l’élection du Docteur Grenier n’est pas une surprise. Devenu médecin, il découvre en même temps l’Algérie et l’Islam, il est séduit mais en même temps choqué. Comme l’explique brillamment Malek Bennabi, dans son évocation d’Etienne Dinet : « Le peuple algérien dépouillé, dénudé, dépossédé, analphabète, humilié inspirait à ces âmes de choix des vocations sublimes et parfois téméraires ».

Avant les élections, la réputation du Docteur Grenier était bien établie : connu et reconnu en médecin compétent et dévoué, il n’avait nul besoin de faire compagne pour se faire élire. Il parle beaucoup des préceptes de l’Islam en matière de justice sociale, de lutte contre les disparités, de solidarité, d’entraide, de bienveillance, de tolérance. Le journal local, Le Petit Comtois, entretient l’image du Docteur Grenier en ce qu’il « fut et est encore la providence des pauvres et des malheureux ».

La presse parisienne se déchaine avec une grande violence et à sa tête Le Figaro, dont Emile Zola démissionne en 1881, en raison de ses divergences avec la presse du pouvoir devenue, entre les mains des élites secrètes, un moyen de manipuler l’opinion publique.

S’adressant à ses électeurs pour les remercier, le Docteur Grenier fait le serment qu’il restera « un homme du devoir ». A la fin de son mandat, il redeviendra « le médecin des pauvres ».

Illustration de l’arrivée de Philippe Grenier, le premier député musulman de France, à l’Assemblée Nationale, le 12 janvier 1897

Le premier député musulman de France fait sa rentrée parlementaire le 12 janvier 1897. Vêtu du costume traditionnel algérien, gandoura, burnous et turban, il suscite étonnement et moqueries. Il rejoint ainsi la VIème législature de la IIIème République française, dont les élections générales ont eu lieu les 20 août et 3 septembre 1893. Ces élections interviennent dans un contexte qui reste toujours marqué par les grands scandales et la grande dépression 1873-1896. C’était aussi l’époque de la défense de l’expansion coloniale de la France, de l’anticléricalisme, prélude à la loi de 1905, de l’échec du projet de la mosquée de Paris et de l’affaire Dreyfus que Theodor Herzl a utilisé comme tremplin pour l’élaboration du sionisme en tant qu’idéologie fondatrice de l’État d’Israël.

Philippe Grenier entame donc son mandat de député après le vote par l’Assemblée des fameuses lois d’exception souvent qualifiées de « lois scélérates », les trois lois de 1893 et 1894 qui visaient à réprimer le mouvement anarchiste. Dans son ouvrage « Ennemis d’État : Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes », l’avocat Raphaël Kempf définit le caractère scélérat de ces lois « adoptées dans l’urgence et l’émotion », leur dispositif en conséquence « est fait d’oxymores : on argumente au nom de la défense des libertés fondamentales, alors que la loi nouvelle leur porte directement atteinte. »

Le député Grenier aurait enrichi le débat au sujet de ces lois et fait entendre la conception de l’Islam en matière de législation, à savoir le maintien impérieux du lien entre la loi et l’éthique pour éviter justement que la loi, par son caractère abstrait, ne soit factice et arbitraire. Pierre Rossi relève le trait caractéristique de cette conception « où la garantie morale plus que la peur du gendarme maintenait la cohésion sociale à un haut niveau de responsabilité individuelle et collective. » De ce point de vue, le Docteur Grenier est arrivé trop tard.

D’un autre point de vue, on peut également considérer que la mandature de Philippe Grenier est venue trop tôt. Il aurait été hautement souhaitable qu’il soit député de la VIIIè législature de 1902, celle qui a voté la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Elle a été adoptée le 9 décembre 1905, après deux ans d’examen en commission et neuf mois de débats à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Préoccupé « d’adapter l’Islam aux contingences de son époque », il aurait été sans doute le quatrième collaborateur d’Aristide Briand dans la rédaction du rapport de la commission relative au projet, aux côtés du catholique Léon Parsons, du protestant Louis Méjan et de l’israélite Paul Grunebaum-Ballin. En ayant prouvé d’une part que l’Islam était compatible avec la laïcité, et que d’autre part, une société démocratique permettait la libre pratique religieuse de l’Islam, Grenier aurait porté la voix qui manquait pour que l’Islam prenne sa place aux côtés des autres religions sous l’empire de la loi de 1905. C’est ainsi que la France dénie toujours à l’Islam le droit, tel qu’il est rappelé dans la conclusion du rapport, de ce que la loi accorde à toute religion « à savoir la pleine liberté de s’organiser, de vivre, de se développer selon ses règles et par ses propres moyens, sans autre restriction que le respect des lois et de l’ordre public ».

Cette loi a constitué pour la France une grande avancée et ouvert la voie aux grandes réformes sociales. L’Islam n’en a pas été exclu par omission, mais délibérément et en toute conscience. Les propos tenus à ce sujet lors des débats du Sénat sont particulièrement choquants au regard de la persistance de ne pas considérer l’Islam comme les autres religions, de crainte que les difficultés d’application risqueraient de compromettre la présence française en Algérie. Le statut de « français musulman », un régime d’apartheid qui interdit aux Algériens l’exercice des droits accordés aux citoyens français, constituait le fondement de base de la politique coloniale de domestication et d’aliénation du peuple algérien.

Face aux intérêts de la colonisation, personne parmi les grands esprits qui ont élaboré et voté cette loi n’a trouvé à redire, notamment cette volonté de garder le contrôle de l’Etat sur l’Islam, en totale contradiction avec l’article 1er de la constitution française : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

L’article 2 de la loi est sans équivoque : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Mais pour la construction de la grande mosquée de Paris, on n’a pas hésité à déroger à ce principe à travers la loi du 19 août 1920. Autant d’entorses à la loi de 1905 sans jamais susciter débats ni critiques. 

En 2005, l’année du centenaire de la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat, l’administration française, sous la houlette du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy en était encore à atteindre des seuils inimaginables dans la violation de la loi, en tripotant une myriade de structures hétéroclites, inconstantes, inconsistantes, concurrentielles et conflictuelles en guise d’organisation et de gestion du culte musulman.

Alors que le problème est simple : comment structurer une organisation permanente et officielle dans la gestion du culte musulman et des relations entre les organisations cultuelles, conformément à la loi de 1905. La gestion du culte musulman par l’administration française ne fait qu’aggraver la crise de la représentativité de l’Islam, par le maintien d‘un Islam spécifique, où se profile un jeu dangereux de soumettre le semblant d’institutions représentatives de l’Islam en France aux calculs de la politique néocoloniale au lendemain de l’indépendance des pays maghrébins : trois pays, trois politiques.

On fait souvent le reproche aux musulmans de de ne pas se conformer aux règles de la laïcité. Mais il faut raison garder, la France tient absolument à garder l’Islam hors du champ de la laïcité. L’Islam doit rester délibérément et indéfiniment régi par des dispositifs dérogatoires sans cesse changeant et placé sous la tutelle de l’administration, comme au bon vieux temps des colonies. 

Ainsi y-a-t-il eu plus tard au sein du mouvement national, une distribution de rôles entre l’Association des Oulémas et le PPA-MTLD, dans la revendication de l’indépendance de l’Islam à l’égard de l’administration coloniale et notamment :

  • l’abolition du régime kleptocratique de la gestion du culte musulman institué par la circulaire du gouverneur général du 17 mai 1851 et remanié par le décret organique du 27 septembre 1907 ;
  • le remplacement des agents du « culte officiel », selon la formule de Cheikh Bachir Ibrahimi, par des personnels chargés des affaires religieuses choisis par les Musulmans ;
  • la restitution totale des habous ;
  • la liberté complète du droit de prêche dans les mosquées.

Le ministère de l’Intérieur, dans sa note du 9 octobre 1953 met en garde contre les tentatives de séparation : « Les oulémas réformistes prendront en mains le culte et en feront un instrument de lutte particulièrement puissant contre la présence française. »

Durant sa mandature, Philippe Grenier a été souvent moqué pour sa tenue. Son attitude a du inspirer à Aristide Briand une réponse judicieuse au sujet du costume ecclésiastique : « La soutane devient, dès le lendemain de la séparation, un vêtement comme un autre, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non ». 

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L’étude du Coran est pour le docteur Grenier fondamentale, c’est pour lui « le livre révélé qui apporte aux hommes les derniers ordres de Dieu » et qui constitue à la fois un code moral et un code civil. Il ne s’est pas contenté de traductions, il n’était pas mu par des considérations intellectuelles. L’étude du Coran dans sa langue de révélation lui a permis de renforcer sa foi et de s’imprégner des préceptes coraniques pour donner sens concret à ce qui lui semblait revêtir le plus d’importance au médecin et à l’homme politique : la lutte contre les inégalités et le renforcement de la justice sociale. Il fit le serment devant ses électeurs : « Je porterai, s’il plaît à Dieu, devant la tribune nationale, vos justes revendications, et ne servirai jamais d’autre drapeau que celui de la Justice et de l’Humanité ». En son temps, les inégalités étaient criardes au point où l’étude de la pauvreté a donné naissance à un courant littéraire où se sont illustrés les grands noms de la littérature française du 19è siècle : Victor Hugo, Honoré de Balzac, Eugène Sue, Emile Zola, etc. 

Un exemple que rapporte Stendhal dans son roman Lucien Leuwen, qui n’avait pas pour thème la pauvreté, écrit en 1834, il ne sera publié qu’en 1894, soit deux ans avant l’élection de Philippe Grenier :

« Enfin le régiment déboucha dans la grande rue marchande de la ville ; tous les magasins étaient fermés, pas une tête aux fenêtres, un silence de mort. On arriva sur une place irrégulière et fort longue, garnie de cinq ou six mûriers rabougris et traversée dans toute sa longueur par un ruisseau infect chargé de toutes les immondices de la ville ; l’eau était bleue, parce que le ruisseau servait aussi d’égout à plusieurs ateliers de teinture. Le linge étendu aux fenêtres pour sécher faisait horreur par sa pauvreté, son état de délabrement et sa saleté. Les vitres des fenêtres étaient sales et petites, et beaucoup de fenêtres avaient, au lieu de vitre, du vieux papier écrit et huilé. Partout une vive image de pauvreté qui saisissait le cœur, mais non pas les cœurs qui espéraient gagner la croix en distribuant des coups de sabre dans cette pauvre petite ville.»

Mais en Algérie, la tragédie est dans l’air, la conquête coloniale travaille à réduire toute la population algérienne à l’état d’infra humanité.

Dans les réserves du musée Cirta à Constantine a été découverte en 2018 une toile détériorée et sans châssis. Il s’agit du tableau La Famine du peintre français Gustave Achille Guillaumet (1840-1887) qui décrit l’âpre destin du peuple colonisé. D’un grand format (3,20 m x 2,34 cm), des figures à échelle humaine représentent des corps d’une extrême maigreur et aux visages en détresse, conséquences de la disette et des épidémies qui ont ravagé le pays entre 1866 et 1868. L’extrême paupérisation de la population algérienne n’a pas manqué de révolter l’artiste qui a tenu à se servir de ses pinceaux pour peindre les affres de la conquête coloniale. Cette œuvre a été volontairement ignorée et négligée, comme si elle illustrait les propos de Georges Clemenceau rapportés par Jean Jaurès : « On a tué, massacré, violé, pillé tout à l’aise dans un pays sans défense, l’histoire de cette frénésie de meurtres et de rapines ne sera jamais connue, les Européens ayant trop de motifs pour faire le silence.».

Peintre talentueux mais complètement oublié car exerçant son art à contre-courant de la propagande coloniale, Gustave Guillaumet a consacré son art à décrire l’âpreté existentielle du peuple colonisé. Il aura été le prédécesseur de Dinet, dont Malek Bennabi explique le sens pictural : « Mais la vie humaine qu’il décrit a un côté pathétique que nul pinceau ne peut rendre. Il y a dans cette vie des aspects intimes, douloureux qui traduisent la tragédie d’une époque ». A son tour, Dinet fut condamné à l’oubli, Malek Bennabi se souvient : « Vers 1931, j’ai visité le musée du Louvre. Je m’attendais à y trouver quelques toiles du grand maître qui venait de mourir. Je fus désappointé de n’en pas trouver. Et ayant exprimé mon désappointement à un étudiant des Beaux-Arts qui avait l’amabilité de me guider, j’eus cette surprenante réponse : “Heureusement qu’on n’a pas de ces horreurs ici”, me dit-il. »

Toujours aux côtés des pauvres et nécessiteux, Philippe Grenier a tout fait pour voir les musulmans d’Algérie, devenus ses frères, s’émanciper en citoyens à part entière. Il a donné la preuve qu’un bon musulman se reconnait parfaitement dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et notamment dans ses articles 1er qui affirme que « les distinctions sociales sont fondées sur l’utilité commune » et 4 qui énonce que « la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».

Pour le docteur Grenier, la justice sociale n’est pas un sujet pour inspirer les envolées lyriques, c’est une exigence éthique de la cohésion sociale et il a voué sa mandature à faire passer la lumière directrice des enseignements coraniques. En tant que législateur, il n’a ménagé aucun effort à fonder un ordre social prospère et juste. Sans relâche, il n’a cessé de lutter « pour faire l’humanité meilleure, moins égoïste, plus indulgente.».

Philippe Grenier semble marcher sur les traces du président américain Thomas Jefferson, et notamment dans son rapport au Coran, source de la législation. Cet épisode a failli être complètement oublié, il a fallu que l’élection dans le Minnesota en 2007 du premier musulman élu membre de la Chambre des représentants, l’afro-américain Keith Ellison soit l’occasion d’un juste rappel. Pour sa prise de fonction lors de l’investiture privée, Ellison a exigé de prêter serment sur le Coran conservé dans la Bibliothèque du Congrès et ayant appartenu à Thomas Jefferson, auteur de la Déclaration d’indépendance, signataire de la Constitution et troisième président des États-Unis. C’est alors que se trouve exhumé tout un pan de l’histoire de l’acte fondateur des Etats-Unis d’Amérique, que révèle par ailleurs l’ouvrage de Denise A. Spellberg, professeur agrégé d’histoire américaine et islamique à l’Université d’Austin, au Texas : « Le Coran de Thomas Jefferson. L’islam et les Fondateurs ».

Durant ses études en droit au College of William & Mary en Virginie, Thomas Jefferson avait acheté un exemplaire du Coran qu’il considérait comme un livre de lois et qui lui a permis de comprendre les principes sur lesquels est fondé le système juridique de l’Islam. Ce qui l’a aidé par la suite à rédiger le Statut de Virginie pour la liberté de religion, une déclaration sur la liberté de conscience et le principe de séparation de l’Eglise et de l’État. A cette époque, près d’un quart des esclaves noirs étaient musulmans et qu’on avait contraints par la force à changer de nom et de religion. Ce qui éclaire toute la symbolique du geste du sénateur Keith Ellison.

Ce fameux Coran de Jefferson est la seconde édition de 1764, en deux tomes, de la traduction de l’Anglais George Sale, publiée la première fois en 1734. A l’image du juriste et philosophe allemand Samuel von Pufendorf du 17è siècle, Sale explique dans la préface de sa traduction les motivations de son travail en soulignant le rôle de législateur du Prophète Mohammed et le caractère exemplaire du Coran en tant que tradition juridique distincte. Ce qui contraste avec les motivations des anciennes traductions qui cherchaient avant tout à diaboliser l’Islam et affirmer la supériorité du Christianisme. En plus, cette traduction se distingue par sa grande qualité, en ce sens que Sale était un excellent arabisant, il avait auparavant collaboré à la traduction en arabe du Nouveau Testament à l’attention des chrétiens de Syrie.

Dans sa Lettre au sujet de Mahomet (1760), Voltaire évoque positivement cette traduction, il note : « Je pourrais citer M. Sale, moitié Anglais, moitié Arabe, qui nous a donné la seule bonne traduction que nous ayons du divin Koran ou Alcoran… »

Le Capitole des États-Unis à Washington, DC, abrite le Jefferson Building, le bâtiment principal de la Library of Congress, la plus grande bibliothèque du monde, avec plus de 140 millions de livres et d’autres documents. Pendant la guerre anglo-américaine de 1814, les troupes britanniques ont incendié la Maison Blanche, le Capitol et la librairie du Congrès, brulant jusqu’au dernier livre sa collection de 3.000 ouvrages. De sa retraite à Monticello, après avoir été le 3ème président des Etats-Unis de 1801 à 1809, Jefferson en était très affecté. Il s’engagea à mobiliser les moyens de la reconstruction de la bibliothèque du Congrès et offrit sa propre bibliothèque composée alors de 6.500 livres, parmi lesquels figurait la traduction du Coran. Jefferson avait organisé sa bibliothèque par thème et il rangea la traduction du Coran avec d’autres ouvrages sous la rubrique « Jurisprudence », dans la catégorie de « Moral Philosophy ».

En 1935, lors de la construction du nouveau bâtiment de la Cour Suprême des Etats-Unis, le sculpteur Adolph Weinman a réalisé une frise qui honore les 18 grands législateurs du monde et parmi lesquels une figure représente le Prophète Mohammed. Voici ce que dit le site Web de la Cour suprême à propos de cette représentation :

« Muhammad (c. 570 – 632) Le Prophète de l’islam. Il est représenté tenant le Coran. Le Coran est la principale source du droit islamique. Les enseignements du Prophète Mahomet expliquent et mettent en œuvre les principes coraniques. La figure ci-dessus est une tentative bien intentionnée du sculpteur, Adolph Weinman, d’honorer Mahomet, et elle ne ressemble en rien à Mahomet. Les musulmans ont généralement une forte aversion pour les représentations sculptées ou imagées de leur prophète. »

En plus d’avoir été un ardent défenseur des droits de l’Homme, Jefferson fut aussi, un protecteur de la liberté religieuse des musulmans d’Amérique. Cette réalité méconnue doit être rappelée dans cette évocation du Docteur Philippe Grenier, pour justement réduire l’impact de l’islamophobie ambiante et dire que tous ces personnages ont œuvré, par leur exemplarité, à se réconcilier avec l’Islam. A force d’enlisement dans ce que Bennabi qualifiait d’« Islam tribal », c’est-à-dire un corpus doctrinal centré sur la tradition et l’identité, les Musulmans ont fini par oublier leur origine et leur vocation. Ils se sont donc laissés ballotter par l’enténèbrement et l’islamophobie. 

Aussi, Philippe Grenier n’a pas fait que suivre les traces de Thomas Jefferson, il a incarné ce que Christian Jambet appelle « l’indépendance de l’islam spirituel » et qui est le vrai gage de la réconciliation avec l’Islam. Il nous suggère un chemin exploratoire qui mène à l’essentiel, à savoir amener les musulmans à revoir leur conception de l’Islam pour changer le rapport du monde à l’Islam. Cet esprit d’indépendance ne veut nullement signifier repli et retraite, mais bien au contraire liberté d’abolir les frontières entre les hommes et de lutter contre les systèmes hégémoniques et despotiques.

C’est la plus belle leçon que nous a légué Philippe Grenier, sa conversion à l’Islam s’est accompagnée par une transformation de soi. Il rappelle que « la résignation à la volonté de Dieu (…) n’empêche pas le combat et la lutte pour les choses à venir ». Pour les musulmans d’aujourd’hui, il est essentiel qu’ils se mettent sur ce chemin de comprendre en quoi ils croient, qu’ils se détournent de tout ce que la religion n’a jamais signifié, pour arrêter ce processus de dépossession de soi. Comprendre c’est à la fois croire et exister, voilà ce qui devrait être le credo des musulmans d’aujourd’hui.

Dans la sourate 53 L’Etoile (En-nedjm), le Coran utilise l’image de la phase déclinante de l’étoile Sirius, dont le culte était fort répandu depuis la haute antiquité. Il est donc écrit que le paganisme ne peut être que dégénérant et les subtilités de la langue arabe sont abondantes pour marquer l’impérieuse nécessité de rupture avec le paganisme et par extension avec toutes les déformations de la religion. On peut citer l’exemple du verset 5 qui va jusqu’à la dépersonnalisation de l’ange Gabriel en le désignant par une expression allusive pour éviter justement toute forme de mythologisation.

Cette compréhension doit se matérialiser par des actes d’exister et la vie de Philippe Grenier n’en aura été qu’une longue succession, actes auxquels tout musulman est d’ailleurs fortement tenu. L’Emir Abdelkader nous en fournit un bel exemple aussitôt après son installation à Damas. Il remarqua qu’une prestigieuse institution d’enseignement religieux, appelée Dar el Hâdith, avait été transformée en taverne par un chrétien orthodoxe. L’Emir racheta l’établissement pour le rendre à sa vocation originelle. Il utilisa son prestige à réhabiliter l’enseignement d’Ibn Arabi pour contrer l’essor du wahabisme.

En faisant entrer sans heurts la pratique religieuse de l’Islam dans le champ social français, Philippe Grenier serait sans doute catalogué aujourd’hui de « radicalisé ». Ce terme a été prononcé pour la première fois par le président Obama dans un discours à l’université de défense nationale à Washington le 23 mai 2013, pour frapper l’imaginaire des Américains sur la proximité avec l’ennemi intérieur que personnalise le musulman.

Il met en garde l’opinion publique américaine : « Nous faisons face à une réelle menace, de la part d’individus radicalisés, ici aux États-Unis - des individus radicalisés qui étaient des individus dérangés ou exclus- souvent des citoyens des États-Unis ou des résidents légaux ». Ainsi le prétexte est trouvé pour utiliser la peur du musulman à l’effet de renforcer les dispositifs de surveillance et de contrôle, inaugurant l’ère de la « gouvernementalité par la peur ». Ce qui rappelle les idées du penseur nazi Carl Schmitt, qui préconisait le droit de l’Etat d’éliminer tous les ennemis de l’intérieur, c’est-à-dire tout ceux qui ne se fondent pas dans une unité homogène.

Philippe Grenier a vécu en homme paisible, conformément aux recommandations du prophète qui privilégiait le compromis au conflit et la paix à la guerre. C’est ainsi qu’il considère qu’une guerre gagnée est une paix perdue.

Enfin, ce livre prend l’allure d’un exercice ontologique dans la recherche de l’être : l’être du monde, l’être de l’âme, l’être de Dieu, et qu’on a fini par retrouver dans le personnage de Philippe Grenier. Malek Bennabi parlait de « l’homme intégral » et qu’il définit comme celui qui a su donner à sa foi, en tant que mouvement intérieur, une utilité sociale. 

Djalâl-ud-Dîn Rûmî a su exprimer le sens de l’être recherché :

« Tant que la recherche existe, le cherché n’est pas connu ; Quand l’objet de la recherche est atteint, cette recherche devient vaine. Donc, tant que la recherche existe, cette quête est imparfaite.»

Mais qu’on ne voit pas dans sa tenue vestimentaire ni dans ses prières dans les lieux publics un désir de paraitre et de se singulariser. Il s’agissait pour lui de se conformer aux prescriptions du verset 148 de la sourate II La Vache :

        « A chacun une direction vers où se tourner (dans la prière). Mais faites assaut de bonnes œuvres, où que vous soyez, car Dieu vous rejoindra tous. Dieu est omniprésent ».

Il a également tenu à démontrer toutes les possibilités de concrétiser la perspective formulée bien après lui par Jacques Berque de voir un jour émerger en France « un Islam qui soit au fait des préoccupations d’une société moderne ». Il serait alors aisé d’imaginer « le retentissement qu’aurait cet Islam de progrès sur le reste de la zone islamique. »

Grenier sera battu aux élections législatives de 1898 à cause de sa dénonciation du fléau de l’alcool. A cette époque, Pontarlier comptait 22 distilleries et le lobby des producteurs d’absinthe l’ont diabolisé en véhiculant l’image d’un fanatique. 

Rentré chez lui et redevenu médecin des pauvres, il recevait beaucoup de remarquables visiteurs, dont celle de Mahmoud Bey Salem, un ancien juge des tribunaux internationaux d’Egypte ; il avait fondé à Paris en 1907 une association « Fraternité musulmane » et dirigeait un journal « Arafate ».

Mahmoud Salem évoque la visite qu’il a rendue à Philippe Grenier dans un article publié dans la prestigieuse revue « Al Manar » de Rachid Ridha du 26 juillet 1911 sous le titre « Le tourisme utile ». Il recommande aux jeunes de compléter leur formation académique et livresque par les voyages de découvertes. L’article commence, en guise d’incipit, par le verset 122 de la sourate IX : qui insiste sur le caractère pédagogique de la propagation de la foi musulmane, qui doit obligatoirement passer par l’initiation, la transmission du savoir.

Il raconte : « Je me suis rendu dans la ville de Pontarlier pour rencontrer le Docteur Grenier, le célèbre musulman français et ancien député. Je voulais l’interroger sur la raison de sa conversion à l’islam. Il m’a dit : “J’ai suivi tous les versets coraniques qui sont liés à la médecine, à la santé et aux sciences naturelles, que j’ai étudiés depuis mon enfance et que je maitrise parfaitement. J’ai trouvé ces versets conformes à nos connaissances actuelles. Je suis devenu musulman car j’étais convaincu que Le Prophète Mohammed -paix et bénédictions sur lui- a révélé la vérité il y a mille ans, sans qu’il soit un maître ou un enseignant parmi les humains. Si chaque spécialiste des différentes sciences avait comparé les versets coraniques qui ont un lien avec sa discipline, comme je me suis moi-même exercé, il se serait sans aucun doute converti à l’Islam, à condition qu’il soit sain d’esprit et exempt de maladie”. »

Mahmoud Salem poursuit son analyse : « J’ai cité cet exemple pour ceux qui veulent comprendre. Si le Dr Grenier limitait sa compréhension du Coran à ce qui revenait dans la plupart des anciennes exégèses truffées de drôleries à cause des déviations intrusives des scribes, il ne se serait pas converti à l’islam. Mais il s’est appuyé sur ses informations déduites des dernières découvertes de Pasteur, de Koch et de leurs pairs qui ont atteint, grâce au microscope et à d’autres instruments, des niveaux de haute précision que l’humanité n’osait même pas en rêver il y a encore quelques décennies ».

Philippe Grenier décède à Pontarlier le 25 mars 1944 à l’âge de 79 ans.  A sa mort, une foule nombreuse est venue rendre hommage à celui qui a été le médecin des pauvres.

Philippe Grenier restera un modèle de conscience solidaire, notamment en ces temps de trouble où le monde musulman traverse la période la plus tragique et la plus incertaine de son histoire. Les stigmates du colonialisme sont plus que jamais frappants, ils continuent à défigurer le paysage sociologique, démographique et culturel du monde arabo-musulman. Là où il y n’avait que quelques imprécises frontières géographiques, le colonialisme en a fait de douloureuses lignes de partage ethniques, confessionnelles et linguistiques, transformant ces réalités considérées hier comme signe de richesse et de diversité, en entités se faisant face et qui n’hésitent pas à entrer en conflit. Partout éclatent des guerres, partout les ruines extérieures et intérieures.

Cette conscience solidaire manque cruellement aux élites politiques et intellectuelles dans les pays occidentaux, et d’abord en France, où l’Islam, qui était la deuxième religion lors de l’adoption de la loi de 1905, continue à être une religion dominante ; on ne cesse d’aggraver la distance culturelle et historique avec le monde musulman. Il y a une persistance à toujours et encore considérer l’autre comme étranger, surtout quand il est musulman. 

Avec Philippe Grenier, on saisit le sens des actions humaines en ce qu’elles alimentent le cours de l’histoire, avec cette loi qui fait succéder aux oppresseurs des faibles les amis des pauvres. Ayant trouvé dans l’Islam une source de vitalité spirituelle et un souffle apaisant, il a exercé un humanisme bien ancré dans la réalité, il a apporté des solutions hautement humaines à un monde en lutte. Ce qui exige de grands efforts, comme l’explique Christian Jambet : « Le travail de soi sur soi est centré sur cet autre que soi qui est pourtant au centre de soi-même, sur Dieu. » Il s’agit pour Grenier de tout l’intérêt que Dieu porte aux humbles (mustaz’afouna fi’l-ard) notamment dans le verset 5 de la sourate 20 La Narration : « Nous voulons répandre Nos grâces sur les opprimés de la terre, faire d’eux des préposés, faire d’eux les héritiers ».

Il a tiré l’essentiel des préceptes coraniques : seuls comptent les liens fraternels que rien ne saurait rompre. Une belle leçon à l’attention de tous ceux nombreux qui doivent réapprendre à vivre dans la tranquillité et la paix.

Que cette âme à toute épreuve rejoigne celles des heureux héritiers, auprès desquelles elle trouvera la paix éternelle.

Zeddour Mohammed Brahim

Robert Fernier, Docteur Philippe Grenier  (éditions Alem el Afkar)

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