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Panorama des conversions à l’Islam en France

Il n’y a rien d’exceptionnel en soi à se « convertir » à une religion autre et à quitter celle dans laquelle, culturellement ou spirituellement, nous sommes nés. Se « convertir » à l’Islam n’en est pas moins surprenant, mise à l’index médiatique du monde arabo-musulman récente, exceptée. Depuis toujours les monothéismes observent des mouvements individuels de « passage » dont les circonstances sociales et historiques estampillent les parcours. C’est « croire » qui ne semble pas « banal » avant tout, aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales. C’est la croyance en une religion historique qui étonne et paraît as been, si elle ne dérange pas. Le « New Age », le boudhisme, les « philosophies » du développement personnel, les occultismes renaissants apparaissent plus « post-modernes » relayés qu’ils sont par la presse audiovisuelle, l’édition et la multitude de stages.

Etre chrétien, juif ou musulman est le plus souvent motivé par des appartenances traditionnelles et par des « revendications politiques » de tout ordre. On en sourit, bien que et heureusement, la république française, laïque englobante, ait offert à chacun la liberté individuelle et privée de « croire ».

Se « convertir » à l’Islam en république laïque du début du XXI ème siècle relève de l’Histoire, de la sociologie, de la philosophie et de la « théologie ».

Les premiers « nouveaux venus » en Islam s’identifient, dès les premiers temps de l’Islam, au cours des expansions omeyyade et abasside (VII éme au XI ème siècles) la diffusion de la religion musulmane progresse, mais, c’est à la victoire des Turcs et à la création des empires mongol puis ottoman que l’on assiste à des conversions de masse. Au sein même de l’Islam, l’adhésion au soufisme était considérée comme une « conversion » pour exemple : Abu al-Hassan al-Asari (m. 935), Ibrahim ibn Adham (m. 777), Bishr (m. 840), Shaqiq de Balq (m. 809), Abu Hamid Ghazali (1058-1111), Jalal al-Din Rumi (m. 1273), Abd al-Aziz al-Dabbagh dont nous avons les témoignages écrits. Un « retour » (tawba, en arabe) à l’orthodoxie s’inscrit également dans les mouvements internes à l’Islam, soit comme un repentir après une vie reconnue comme n’étant pas en adéquation avec celle d’un « bon musulman » ou comme la reconnaissance d’un égarement vers une obédience musulmane « sectaire ».

Aucun recensement de « convertis » plus ou moins célèbres ne nous est parvenu. Mais, Jacques Neirynck, lui-même, spécialiste des questions concernant la foi et la culture chrétienne, assure que les oppositions virulentes qui déchiraient la communauté chrétienne, dans les premiers siècles de son existence, ont « poussé » nombre de judéo-chrétiens à devenir musulmans, déconvenus par ces débats et l’affirmation d’un Dieu unique leur étant apparu suffisamment forte ! Bayle en 1697, dans son Dictionnaire historique et critique affirmait que « Sans doute il y a plus de chrétiens qui se font mahométans que de mahométans qui embrassent l’Evangile […] qu’ils conviennent l’un et l’autre que la religion mahométanne est plus commode pour vivre, et que la chrétienne est plus sûre pour mourir. » Léopold Weiss devient, au début du XX ème siècle, il le raconte dans son autobiographie « Le chemin pour la Mecque » (éditée chez Fayard en 1979 en français), Muhammad Asad. Isabelle Eberhard, journaliste et écrivain, a passé de 1897 à 1904, sa vie entre la Tunisie et l’Algérie, mariée à Ehnni Slimène, s’était-elle convertie à l’Islam ? Si cela paraît assez évident, elle n’en a pourtant rien écrit. Parmi les contemporains connus, comptent comme captivés par l’Islam, Pierre Loti, Sir Richard Burton, René Guenon rattaché à la Tariqah soufie du Sheikh Abd Al-Rahman Elish al-Kabir al-Alim al-Malik al-Maghribi. Les convertis sont Sheikh Adb al-Wahid Yahia (un Suédois), Maurice Béjart, Vincent Mansour Monteil, Roger Garaudy et Mme Eva Vitray-Meyerovitch.

Depuis les années 50, la France compte, avec les communautés catholiques, protestantes, orthodoxes, juives, de plus en plus de communautés d’origines étrangères appartenant à d’autres religions comme le boudhisme, l’hindouisme et l’Islam. Tolérées socialement, leur nombre, leur capacité associative et leur visibilité augmentent. Il n’est donc pas complètement nouveau, en Occident, d’y voir « briller le soleil d’Allah ».

Le statut religieux actuel des Français et des étrangers résidant en France est régi par les articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, la Loi du 9 décembre 1905, et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (4 décembre 1950), ratifiée par la France le 31 décembre 1973. Diversité et liberté religieuse sont donc reconnues officiellement, sans que les conversions individuelles ne soient pour autant déclarées, enregistrées quelles sont, si elles concernent une entrée en Christianisme ou en Judaisme, le plus souvent. En France, l’Institut de la Mosquée de Paris délivre un certificat de conversion à l’Islam sur entretien-évaluation. Rien, mis à part les déplacements prévus en Arabie Saoudite pour les pèlerinages, n’oblige un nouveau musulman à être inscrit comme tel dans un registre. La foi étant une affaire strictement personnelle et aucun clerc n’étant investi de la capacité à « évaluer » la foi des uns ou des autres, aucun « baptême » n’étant prévu. La majorité de ceux qui se « convertissent », le font à l’Islam sunnite, majoritaire sur le territoire français, légaliste ou traditionnaliste, au soufisme (branche mystique de l’Islam) quand elles sont faites en France. D’autres peuvent avoir embrassé l’Islam shi’ite, majoritaire en Iran, rencontré au Liban, en Syrie, en Irak, au Pakistan et en Inde ou l’Islam confrérique mouride sénégalais ou celui de la Qadariyya marocain. A l’heure actuelle, en France, le nombre relatif de « convertis »est de 100 000 hommes et femmes qui sont plus nombreuses, bien que les témoignages recueillis soient plus souvent masculins (en l’état actuel de nos recherches).

Un point de définition mérite d’être fait, plus pour cadrer le propos que pour le marginaliser. Tous les Français musulmans rencontrés « n’aiment pas », en effet, ce terme de « converti ». Sans le formuler très explicitement, ils ressentent le sens péjoratif de « renégat » ou de « traître », et n’en apprécient pas la dimension réductrice, excluante et dévalorisante. Etre musulman est vécu profondément dans sa dimension universelle. Pour parler d’eux, il faut bien choisir une terminologie, toute maladroite qu’elle soit : se « convertir », signifie « adhérer à une croyance en abandonnant une autre », en français. En arabe, sallama amrahu lillah, dans le cadre d’une entrée première, il s’agit de « soumettre sa volonté à Dieu » ou aslama qui signifie « se convertir (à l’Islam) ». Si, c’est adopter un autre système de croyance de son libre choix, du fait de l’attrait pour d’autres horizons spirituels et sociaux, la « conversion » religieuse n’en est pas pour autant une décision strictement individuelle. Elle remet en question le choix des autres, relativise le choix des croyants de la religion ou de la culture religieuse abandonnée, réaffirme, mais remet également en question (plus ou moins fortement) celui des croyants de la religion embrassée.

La démarche individuelle de « conversion » est le fruit d’une quête spirituelle, d’une déception vis-à-vis de la religion ou culture religieuse d’origine, d’une recherche de certitudes, d’absolu ou d’apaisement. Dans certains ouvrages, l’objectif de la quête a été identifié comme étant l’oecumenisme. Ceux que nous avons rencontrés, n’adhérent pas à cet aspect philosophique, sans pour autant le remettre en cause, mais invoquent une ferveur, le refus de l’indifférence à l’égard, dans la société actuelle, des aspirations spirituelles, condamnent le monde moderne, sans « âme ».

Psychologiquement, il n’est pas possible de tracer un portrait type du ou de la « converti(e) », et c’est heureux. En revanche, chez la majorité d’entre eux se dégage un besoin d’appartenance fort à une communauté qu’ils n’ont, semble-t-il, pas satisfait dans leur famille ou dans l’environnement social d’origine. Ils sont très soucieux d’une recherche de pureté et/ou d’une certaine forme de « sainteté », de valeurs références, de « contraintes » tant pour leur existence quotidienne que pour leur évolution intellectuelle personnelle et en tant que membre d’une société, au sein de laquelle, ils expriment l’importance de s’engager et d’être responsables. Il est possible de se joindre à Marcel Gauchet qui évoque comme une des raisons fondamentales d’un « retour du religieux » contemporain, le « désenchantement du monde », une recherche de sens à donner à l’existence et la nécessité de vivre avec la mort. Tous ont appris la langue arabe par leurs propres moyens, en suivant un cursus universitaire, en séjournant qui au Moyen-Orient, qui au Maghreb.

Le choix spirituel personnel se concrétise toujours à l’issue de rencontres avec un ou des musulman(e)s. De façon fortuite ou en allant dans une mosquée, ici ou à l’étranger, une initiation scande ce cheminement solitaire. Dans certains cas, ceux des confréries, ils reconnaissent leur « maître », se décident à en être l’un des disciples. La culture arabo-musulmane marquée du sens de l’accueil et de l’hospitalité, le groupe familial auquel il est, rapidement et généreusement, possible d’appartenir, hors liens maritaux (c’est une autre question, d’importance) sont des facteurs souvent évoqués, même s’ils ne sont évidemment pas décisifs.

Résumer la vie de chacun d’entre eux, serait les trahir. On retrouve diversement vécue et exprimée une sérénité spirituelle trouvée, accompagnée d’un apaisement psychologique moins explicitement traduit. Ils font preuve d’une grande connaissance du Coran, des ahadiths, des exégèses et penseurs et des pratiques et rituels de l’Islam, qu’ils étudient (même après 17 ans de « conversion ») en arabe classique et en français. Majoritairement, leur entrée en Islam, les a éloigné de leur famille (ascendants) quand celle-ci comprend qu’il ne s’agit pas d’une lubie passagère, bien qu’ils n’apparaissent pas comme des prosélytes acharnés et réaffirment leur tolérance à l’égard des autres religion. L’athéisme seul les choque particulièrement.

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Leur quête spirituelle a pris naissance au sein même de leur culture religieuse d’origine, le plus souvent chrétienne. Certains, protestants ou catholiques pratiquants, à l’heure du doute confrontée à l’adolescence, cherchent à connaître les autres spiritualités du siècle. Une rupture, parfois une vraie révolte les entraînent à remettre en cause les principes, les pratiques et les pratiquants qu’ils côtoient et à découvrir le pragmatisme, le renoncement, la compassion infinie envers les êtres et l’oubli de soi du boudhisme ou directement l’Islam.

Ceux qui passent par le boudhisme n’y trouvent pas la transcendance inconsciemment recherchée, et le délaissent insatisfaits. Ils poursuivent leur quête et font connaissance avec l’Islam, par hasard, en lisant ou par quelqu’un dont la force spirituelle ou tout simplement le comportement culturel, imprégné de sagesse et de générosité, les déclenchent, encore, à rompre et à s’investire dans une autre vie spirituelle « plus concrète et plus en adéquation avec l’existence quotidienne ».

Pour ceux qui se sont ouverts « directement » à l’Islam, le chemin vers leur état de musulman semble ferme. Tous en sont après 4, 8, ou 20 ans convaincus et définitivement musulmans, même, s’ils ne « l’avouent » pas, ayant eu affaire au questionnement et au doute qui peuvent s’immiscer dans leur certitude. Dans tous les cas, que la conviction ait été accomplie sur un mode rationnel ou par une adhésion émotionnelle, les mots de Saint Augustin, pour qui la « conversion » « achemine l’être humain vers son accomplissement » jusqu’à ce qu’il « acquiert son identité véritable… n’en reste pas à un mouvement d’intériorité, mais suppose également et indissociablement la rencontre et l’acceptation de l’altérité » (Marie-Anne Vannier, De la conversion, Cerf, 1998, p 281), sont à garder à l’esprit : « Qu’est-ce donc qui se passe dans une âme, lorsqu’elle se réjouit davantage d’avoir recouvré ce qu’elle aimait que si elle l’avait toujours possédé ? »

Professionnellement, être musulman et être ingénieur, enseignant, travailler dans une entreprise privée ou dans la fonction publique, n’est apparemment pas du tout en contradiction. Si, ces hommes et ces femmes reconnaissent qu’il n’est pas toujours facile d’être accepté comme français musulmans et qu’une certaine discrétion leur est nécessaire, ils ne mettent pas en exergue des difficultés à vivre leur pratique (interdits alimentaires, jeûne ou prière). Les jeunes femmes choisissant de se voiler, elles, sont sujettes aux critiques et à l’incompréhension, de la part des hommes comme des femmes, au point que certaines, privilégiant leur spiritualité, décident de travailler dans un milieu exclusivement musulman et d’avoir une activité professionnelle complètement « licite » (dépourvu de relation avec l’alcool, le porc ou à des pratiques financières « illicites »). Emerge, chez elles, un besoin de reconnaissance et de respect de la part de la société française, qui devient prioritaire, dans laquelle par ailleurs, elles vivent pleinement, et dont elles ne veulent pas faire l’économie. D’autres, hommes et femmes, vivent et travaillent sans « afficher » ni leur foi ni leur pratique, ne souhaitant pas être en conflit avec leurs collègues ou leur hiérarchie, appliquant les principes de la laïcité, qui réservent au privé la vie religieuse, et ne cherchant aucune forme de reconnaissance explicite de leur « différence ».

Familialement, ils sont nombreux à vivre avec des musulmans d’origine le plus souvent, se marient avec un(e) musulman(e) d’origine également. Ils reconnaissent, pour la plupart, être particulièrement bien accueillis dans la communauté musulmane, même si, indirectement, ils se sentent « obligés » d’en « faire plus » ou d’avoir à « prouver » plus que tout autre leur « islamité ». Ce qui semble leur convenir et les stimuler tant intellectuellement que spirituellement.

Hommes et femmes éduquent leurs enfants, quand ils en ont, dans les principes de l’Islam, admettant d’avance que ceux-ci pourraient, comme ils l’ont fait, rompre avec la culture religieuse de leurs parents. S’ils le redoutent, ils s’y préparent.

Aucun d’eux ne confond « être arabe » et « être musulman », d’autant qu’ils peuvent vivre auprès de communautés d’Afrique noire, iranienne ou même asiatique. Sans ostracisme volontaire, ils se sont « créé » une communauté d’adoption et vivent dans deux univers assez séparés, le français et le musulman.

La simplicité évidente et peut-être étonnante, pour certains, de la « conversion » à l’Islam, tient à l’absence de « baptême » et de clergé, mais est intrinsèque aux principes même de la religion. En effet, en référence aux écrits de T. Ramadan dans « Peut-on vivre avec l’Islam ? » (Favre, Lausanne, 1999), « l’explication » est la suivante : « Dans la tradition musulmane, à l’origine de la création, l’humanité entière, tirée des reins d’Adam, est présente et témoigne de la réalité d’un pacte originel entre Dieu et l’humanité.[…] Selon cette tradition, il existe dans le cœur de chaque être, une aspiration naturelle à la transcendance(fitra en arabe). […] La dimension spirituelle participe de la conscience humaine, elle est dans le cœur de chacun. La foi est donc préexistante […]. Découvrir la foi c’est donc la dé-voiler, la re-trouver. » Qu’est-ce qui « séduit » le « converti » ? Une des jeunes femmes rencontrées a confié que ce qui l’avait littéralement bouleversée –T. Ramadan le traduit encore parfaitement– est que « l’humanisme musulman est fondé sur la conception de l’innocence originelle de l’homme, par essence, qui devient responsable à l’âge de conscience.  » et que « cette religion fonde la responsabilité sur la confiance et celle-ci sur l’humilité, jamais sur la culpabilité ! ». Ceci a fondamentalement changé la vie de cette jeune femme et sa capacité tant philosophique que quotidienne à s’inscrire dans le monde.

Il est possible que l’inexistence d’une seule institution de référence en Islam, la multiplicité des conseils savants et des spécialistes, le principe de stricte égalité des hommes et des femmes face aux obligations religieuses, l’absence de la dimension de l’épreuve solitaire et tragique du croyant et l’affirmation que « raison et foi ne sont pas antinomiques, au contraire, plus de savoir équivaut à une foi mieux enracinée et plus profonde  » (T. Ramadan, idem) participent du choix de ces hommes et de ces femmes. Pour un homme de 35 ans, « converti » au Liban, c’est l’Unicité d’Allah l’a complètement convaincu parce que «  correspondant parfaitement à l’idée qu’il s’était toujours faite de Dieu  ». L’aspect « théologique » ne se réduit pas à ces exemples qui ne peuvent être considérés comme exhaustifs.

Cet état des lieux, très succinct, annonce une série d’enquêtes, de recherches et de rencontres, qui permettraient, de mieux connaître nos concitoyens musulmans, dont le souci est essentiellement de vivre sa foi comme tout un chacun.

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