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Où l’Europe pourrait perdre son âme

L’atmosphère a bien changé en Europe durant ces cinq années qui nous séparent des attentats du 11 septembre 2001. Qui donc aurait pu imager que les choses allaient évoluer de façon aussi rapides et aussi dramatiques ? On perçoit aisément les changements aux Etats-Unis mais on peine, en Europe, à prendre la mesure des bouleversements cruciaux qui traversent nos propres sociétés.

La menace terroriste (des attentats de Madrid ou de Londres) comme les actes de violence extrémiste (tel que l’assassinat de Theo Van Ghog) font désormais peser une atmosphère de peur et de suspicion sur l’ensemble du continent. Les gouvernements se consultent, élaborent de nouvelles stratégies alors que les colloques internationaux d’experts se multiplient autour de la question du « terrorisme » : les alertes sont sporadiques mais le danger permanent. Nous ne sommes plus en sécurité et les terroristes qui agissent au nom de l’islam peuvent sévir à n’importe quel moment. La plus stricte vigilance est exigée.

Alors même qu’il faut traiter d’urgence les questions de sécurité, d’autres problèmes fondamentaux surgissent à travers l’Europe. Des citoyennes et des citoyens européens de confession musulmane sembleraient avoir des vraies difficultés d’intégration, voire parfois exigeraient des traitements spécifiques. La question du foulard, les contenus des cours (biologie, histoire, etc.), les mariages forcés, la violence conjugale, les ghettos communautaires sans compter les manifestations de problèmes sociaux plus larges dans lesquels « les musulmans » sont encore impliqués (marginalisation, violence dans les banlieues, trafic de drogues, etc.) font l’objet de débats obsessionnels autant que passionnés : tout porte à croire que la présence des musulmans est un problème en soi et perturbe gravement l’équilibre des sociétés européennes. Les tensions qui ont suivi l’affaire des caricatures danoises le prouvent explicitement.

A cette description, il faut ajouter une autre réalité qui effraie l’Europe : les immigrés débarquent en Europe et des milliers de clandestins mettent en danger les politiques sociales des gouvernements. Tous les pays européens sont touchés de la même façon et sur ce dossier encore, la majorité des immigrés sont… « musulmans » d’Afrique de l’Ouest, du Nord, voire des Balkans. Non seulement il devient difficile de se protéger de ces « vagues d’immigrés » mais la religion et les cultures de ces derniers font craindre le pire pour la future cohésion sociale et culturelle des sociétés européennes. Des politiques de plus en plus draconiennes sont mises en place pour réguler, voire tenter de stopper l’immigration.

Le tableau est sombre et inquiétant. Les politiques sécuritaires qui ont suivi les attentats de New York, puis de Madrid et de Londres sont alarmantes par certains des excès qu’elles ont normalisés. S’il est bien sûr nécessaire d’assurer la sécurité des citoyens, on doit s’inquiéter de décisions légales qui permettent des arrestations de longues durées sans intervention d’avocat, des « extraditions extraordinaires » (et illégales), des traitements inhumains qui sont parfois allés jusqu’à la pratique de la torture.

Les gouvernements européens ne peuvent pas ne pas savoir ce que la CIA américaine se permet sur leurs territoires et à partir de leurs aéroports ! Le climat est malsain et le devient d’autant plus quand on observe les législations européennes qui criminalisent les immigrés qui tentent de chercher des moyens de survie en Europe. On les arrête, on les renvoie, on durcit nos législations sans aucune politique globale et équitable vis-à-vis des pays d’origine. D’Afrique de l’Ouest, du Maroc, du Kosovo ou de l’Albanie, des femmes et des hommes viennent à la rencontre d’une Europe égoïste qui se barricade et se donne la légitimité du droit sans grand souci de justice.

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C’est semble-t-il cette nouvelle mentalité « d’assiégés » qui motivent les nouveaux discours que l’on entend partout en Europe. En Grande-Bretagne où l’on cherche à définir l’identité « british » et où l’on veut enseigner les « valeurs british », à la Hollande ou à l’Allemagne où l’on veut faire passer des examens aux nouveaux venus sur « notre culture et nos valeurs », jusqu’à la France ou l’Italie où l’on promeut une histoire sélective de soi, de l’Europe et du passé exclusivement « gréco-romain et judéo-chrétien » : on se recroqueville sur une identité fantasmée, exclusiviste et craintive.

Le passé est revu et sélectionné et l’islam est présenté comme étranger à l’histoire européenne tant il paraît dangereux à son présent. En crise de confiance, l’Europe se ferme sur elle-même, sur « ses valeurs », « sa culture », « son identité » qui se réduit comme peau de chagrin et se déterminent par différenciation et opposition à l’autre, à « la menace de l’islam » qui impose une réaffirmation de soi. Ce que l’on perçoit, malheureusement, derrière cette détermination, c’est surtout la normalisation dangereuse d’un discours qui était hier celui des seuls partis d’extrême droite. Nous assistons par ailleurs, au-delà de ces discours, à des politiques qui mettent en cause la protection des droits de l’homme, de la dignité humaine et des droits des citoyens dans les sociétés démocratiques. L’Europe est traversée par un vent très dangereux qui se nourrit du malaise général et des peurs.

Il est juste de demander aux citoyens européens de confession musulmane de comprendre les sociétés dans lesquelles ils vivent, de maîtriser la langue nationale, de respecter les lois et de sortir de leurs ghettos sociaux et/ou cultuels, mais ils se trouvent de plus en plus devant des discours et des pratiques qui les renvoient à leurs différences et à leur altérité. L’Europe traverse une crise et elle nourrit les clivages et les enfermements culturels et religieux qu’elle dit vouloir combattre.

Loin des obsessions électoralistes, il est nécessaire que les élus fassent montre de plus d’audace et de créativité en matière politique. D’abord en distinguant les problèmes (présence de l’islam en Europe, problèmes sociaux, immigration, etc.), puis en refusant d’instrumentaliser les peurs de façon populiste et surtout en intégrant leurs concitoyens musulmans dans la gestion des problèmes en les considérant comme éléments de la solution et non seulement comme causes des problèmes.

C’est ensemble, au nom de nos mémoires plurielles et à travers la défense de nos valeurs communes, que nous devons combattre l’ignorance mutuelle, les peurs, l’exclusion sociale, les racismes. Les politiques sécuritaires et dures sont un leurre qui nous rassure dans le temps court des élections. Nous avons besoin de nouvelles politiques qui, dans le temps long, permettent aux futures générations de vivre le vrai pluralisme démocratique, culturel et religieux. Nous avons besoin d’investir dans l’éducation et d’encourager les initiatives locales qui promeuvent la connaissance mutuelle, les partenariats et la confiance. La sécurité sans la confiance créera une Europe en état de siège qui risque de perdre son âme et ses acquis démocratiques. C’est de cette révolution de confiance dont l’Europe a cruellement besoin aujourd’hui.

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