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« On doit procéder au Maroc au partage rationnel du pouvoir »

Suite aux attentats qui ont secoué le Maroc (Casablanca) le 11 mars notamment, nous avons sollicité l’expertise d’une personnalité de la société civile marocaine, en la personne de Maître Jaouad Iraqi, juriste de formation et Conseil juridique de métier. Ce dernier est particulièrement investi dans les débats politiques au Maroc en tant que responsable associatif. Il nous livre ici son analyse des événements en répondant à nos questions.

Haoues Seniguer

Les récents « attentats » du 11 mars 2007 qui ont ébranlé le Maroc sont-ils selon vous des actes « terroristes » isolés de jeunes en déshérence, ou faut-il plutôt les mettre en lien avec les réseaux mondialisés d’Al Qaïda ?

Désormais, au Maroc le 16 Mai ne sera plus la seule date à commémorer des attentats terroristes. Ce qui s’est passé à Casablanca le 11 Mars dernier aurait pu être aussi catastrophique, sinon plus, qu’en 2003. Heureusement, le destin d’abord, le bon travail des services de sécurité ensuite, ont évité le pire.

Les actes de 2003 et ceux de 2007 ont des points communs. Ils ont tous deux précédé de quelques mois seulement la tenue d’élections où l’on craignait et on craint – à tort ou à raison – un ras de marrée « islamiste ». Ils réconfortent la thèse de la guerre contre le terrorisme, que beaucoup qualifient d’imposture impérialiste. Les auteurs en sont un pur produit de l’exclusion sociale. A l’instar d’un certain nombre d’affaires louches, on ne sait pas combien faudra t-il attendre pour que l’histoire en révèle les véritables commanditaires.

Il ne fait pas de doute que les actes qui ont ébranlé le Maroc le 16 Mai 2003 et le 11 Mars 2007 expriment une ligne de conduite politique. C’est une politique soit machiavélique, fidèle à sa propre règle selon laquelle la fin justifie les moyens, soit la preuve même de l’absence d’une vision et d’un projet clairement défini.

Il se pourrait bien qu’il s’agisse enfin de la somme des deux. Le cas échéant, on y verrait clairement l’instrumentalisation pure et simple de jeunes en déshérence, en faveur de puissances avides de domination et d’intérêts. En tous les cas, c’est une politique aveuglément dangereuse et absolument criminelle.

De tels actes, qui, on le sait à travers l’histoire, ne sont pas de nature à opérer des changements, qui ne sont ni un jeu d’enfants, ni une partie de plaisir pour adultes, requièrent en même temps la vision stratégique de machiavel politique et le je-m’en-foutisme absolu d’aventuriers n’ayant pas de crédit à risquer.

S’il existe au Maroc, comme dans d’autres pays du sud, des jeunes et des moins jeunes prêts à risquer leur vie dans des embarcations d’émigration clandestine, il n’est pas surprenant qu’on y trouve aussi des individus potentiellement kamikazes. Lorsqu’ils explosent, c’est une aubaine pour enfoncer le clou. Ça amplifie la crainte. Ça légitime « la guerre contre le terrorisme ». Ça justifie l’ingérence dans les affaires internes des pays « menacés », leur dicter quoi et comment gérer, enseigner, communiquer, vivre en général. Même que ça stimule la collaboration des gouvernements, et à différentes échelles de la société en général. Ça balise le chemin de la concession pour de nouvelles bases militaires. Ça atténue le sacrilège des enlèvements, des séquestrations, des tortures, des prisons secrètes, des emprisonnements sans condamnation, etc.

Faut-il voir un lien entre ces événements et la tenue prochaine des élections législatives marocaines fixées à septembre 2007 ? Autrement dit, faut-il y voir-là une tentative de déstabilisation ou instrumentalisation des courants islamistes légalistes, notamment du Parti « islamiste » de la Justice et du Développement (PJD) ?

Si en 2003 l’instrumentalisation n’a pas attendu pour pointer presque immédiatement du doigt les courants « islamistes » marocains, notamment le Parti Justice et Développement (PJD), on constatera qu’il n’en fût rien en 2007, du moins jusqu’à présent. Bon nombre d’observateurs s’y attendaient pourtant dès le 12 Mars, lendemain des événements.

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On se souvient que cette gaffe avait momentanément causé en 2003 une véritable cassure au sein de la classe politique marocaine, et d’une partie de la société civile. Les craintes de ternir l’image d’un Maroc donnant l’exemple aujourd’hui du bon élève de la globalisation, est-elle pour quelque chose dans l’empêchement de la répétition du scénario d’il y a quatre ans ?

Les intérêts économiques de grands chantiers en cours, auraient-ils plaidé en faveur de cet empêchement ? Aurait-on voulu éviter le caractère flagrant de la similitude ? Aurait-on retenu la leçon de 2003, à savoir que le PJD s’en était sorti plus fort encore ? Aurait-on bien fait attention qu’en 2003 aucun responsable ni militant du PJD n’avait été finalement poursuivi ou condamné ? L’affaiblissement des « islamistes », au Maroc et ailleurs, ne serait-il pas déconseillé pour l’heure ?

Comme dans la quasi-totalité des affaires louches, l’histoire ne livrera sa réponse à ces questions que longtemps après. En tout cas, c’est ainsi que furent des affaires d’implication dans des putschs, des crimes politiques, des disparitions d’opposants, des accords de sale collaboration, etc. ?

Comme à l’accoutumé, le destin a bien fait les choses le 11 Mars dernier. Il a notamment provoqué avant terme le premier acte suicidaire. C’est ce qui ouvrit la piste qui allait permettre le démantèlement de toute la cellule criminelle en quelques jours seulement. Cet excellent travail est bien sûr au crédit et à l’honneur des services marocains de sécurité. Ces derniers ont d’ailleurs réussi à démanteler toutes les cellules qui se préparaient à perpétrer au Maroc et ailleurs des actes semblables depuis le 16 Mai 2003.

Le régime marocain maîtrise-t-il vraiment la sécurité intérieure du pays. Quelles seraient selon vous les mesures politiques à prendre en vue d’enrayer cette spirale de violence qui frappe le Maroc depuis les attentats de Casablanca du 16 mai 2003 ?

Si le Maroc maîtrise donc bel et bien sa sécurité en général, il doit redoubler de vigilance en faisant l’effort absolument nécessaire de changements politiques réels. Les mesures sécuritaires à elles seules ne suffisent en effet jamais à se préserver des dangers de l’exclusion sociale et de sa récupération politique.

C’est dire qu’en absence de politique instituant et garantissant une justice sociale véritable, c’est une situation combien conflictuelle que l’on crée, une situation qu’on doit gérer bien sûr. Il s’agit d’une gestion exponentielle en termes de contraintes. Ses difficultés augmentent davantage selon le nombre de pauvres que l’on fait, le seuil de pauvreté, le degré de marginalisation, et sa propre vulnérabilité par rapport à la récupération de tels critères à des fins d’intérêts stratégiques.

Pour maîtriser davantage sa sécurité, le Maroc n’a pas d’autre choix que de compter sur ses propres moyens, nombreux et sûrs. On doit notamment garantir les libertés fondamentales et les préserver. On doit procéder au partage rationnel des pouvoirs. On doit renforcer l’unité nationale. On doit établir l’équité des chances. On doit répartir les richesses de manière plus juste. On doit consacrer la dignité du citoyen.

Que favoriser de mieux pour atteindre ces objectifs que la révision de tout un système de gouvernance ? Que faire pour cela de plus efficace que de stimuler la compétence, récompenser le mérite, combattre l’opportunisme et le clientélisme ? Quelles alternatives suggérer à l’obligation collective et individuelle de rendre compte de ses actes et assumer entièrement la responsabilité de ses erreurs ? Quelles mesures miraculeuses pour faire aboutir tout cela sans une indépendance de la justice, totale et sincère ?

Tels sont les défis de la relance au Maroc. Il en est capable. L’impératif d’un toilettage culturel est cependant éminent chez l’élite en général, et la classe politique en particulier. Il faut dire que le Maroc n’a plus le droit de favoriser la politique politicienne et la politique sécuritaire aux dépens de la seule vraie politique, c’est-à-dire la politique du vrai, comme dirait Feu Mehdi Ben Barka.

Propos recueillis par Haoues Seniguer

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