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Nul n’a le droit d’abandonner les irakiens à leur sort

Pour la majorité, la partie est finie. Les partisans de l’intervention anglo-américaine célèbrent déjà la chute du régime Baathiste. On perçoit, ça et là, une pointe d’ironie voire de l’arrogance vis à vis des « Autres », ceux qui n’ont pas eu le courage politique de penser que parfois il faut en passer par « là » pour qu’un peuple recouvre sa liberté et ses droits inaliénables.

Ce dualisme simpliste, outre le fait qu’il soit une insulte à la mémoire des victimes de cette guerre, a pour conséquence d’accentuer les clivages qui existaient avant le début de l’intervention entre les pour et les contres.

Les premiers, au regard de l’actualité immédiate, se trouvant confortés dans leurs positions, jubilent ! Les seconds, toujours face à cette immédiateté des événements, se terrent dans un mutisme coupable.

Ici, en Europe, grâce aux chaînes d’information continue, on a pu suivre en direct, heure par heure, l’avancée rapide des troupes de la coalition. Certains ont cru, et pour d’autres espéré, un enlisement des troupes US mais finalement on a assisté à la chute de Bagdad.

Au sein des opinions, les partisans de cette intervention ainsi que ceux qui y étaient opposés, donnent le sentiment que s’est tenu parallèlement entre eux, une sorte de pari d’amis qui prend fin, à l’issue duquel on se quitte sans rancune et à charge de revanche.

Certes, le caractère versatile de l’opinion publique ainsi que la difficulté de focaliser à moyen terme son attention sur une question internationale, est un élément connu. Pour l’illustrer, il suffit de regarder le nombre décroissant de manifestants à travers le monde, et la disparition toute aussi progressive de l’Irak des « Une » des médias.

Cette donnée est d’ailleurs parfaitement intégrée par l’administration américaine pour qui, la suite, notamment la répartition des contrats, ne se fera pas sous la lumière des projecteurs, en direct sur CNN.

De l’autre coté, dans le(s) monde(s) arabe(s), la fracture est plus grande. Les conséquences dépassent de loin les prises de position des salons feutrés occidentaux : au delà du sentiment d’humiliation (un de plus, mais force de constater sans conséquence décisive) on retrouve de la résignation qui aboutira, à terme, comme en occident, à un désintérêt croissant pour la suite des événements.

Pour beaucoup, la partie est finie. Chez certains, plus grave encore, on trouve une désolidarisation envers le peuple irakien, à travers la dénonciation des scènes de liesses irakiennes : « ils nous ont trahis ».

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Ainsi se met en place une incompréhension de plus en plus vive entre, d’un coté le monde arabe, qui résiste par irakiens interposés aux visées impérialistes US, et de l’autre, ces mêmes irakiens qui ne collent pas à leur rôle imposé de résistants. Leur crime ? Refuser de subir plus longtemps la dictature d’un mégalomane, qui régnait déjà depuis trente ans, alors que les 21 autres pays arabes continuent sagement à vivre avec les leurs.

Certains ont vu en Saddam Hussein un champion de la cause arabe, et de toutes les oppressions du monde. Encore un rôle qui ne colle pas à la réalité.

Finalement, en regardant en arrière, on s’aperçoit que depuis le début de cette crise, on s’est trouvé face à des rôles de compositions attendues, qui n’ont finalement pas été tenus. Tout ceci ne serait qu’une erreur de casting car en définitif :

Saddam Hussein n’est pas Nasser. Il a commis assez de crimes pour ne pas lui imputer ceux du Raïs égyptien. Georges Bush n’est pas le libérateur de l’Irak. Son altruisme est proportionnellement égal aux richesses du sous-sol irakien.

Les Irakiens ne sont pas des palestiniens de plus (ce qui serait une banalisation supplémentaire de la cause palestinienne). Le peuple irakien a sa propre bravoure à laquelle il faut rendre hommage. Il ne faut pas oublier que quand un peuple est affamé, peu lui importe, qui le nourrit : il mange. La réflexion et la raison viendront après que les bruits des bombes se soient tus.

Le monde arabe doit mieux choisir ses héros. Le désespoir qui l’habite et le manque de perspectives d’avenir, ne doivent pas l’aveugler au point de décrédibiliser la justesse de sa cause et la réalité de son oppression.

Non. La guerre en Irak n’est pas finie. Au contraire, cela vient tout juste de commencer. Les vrais prises de positions doivent se faire maintenant. Cela exige une certaine rigueur et une grande vigilance. C’est aujourd’hui que cette maturité et ce courage politique doivent faire jour. Quelque soit sa position préalable sur le conflit armé, nul n’a le droit d’abandonner les irakiens à leur sort et de donner un chèque en blanc aux Etats-Unis. Il est indispensable que soit ravivé le débat sur les enjeux de l’après Saddam Hussein, et plus important, sur l’attitude de l’hyperpuissance américaine dans cette éponge à pétrole qu’est l’Irak.

Les protagonistes de ce conflit ne peuvent être que ce qu’ils sont. Regardons les comme tels, et non tels que l’on voudrait qu’ils soient. Essayons de comprendre leur propre rationalité afin d’éviter d’en faire les acteurs de nos propres subjectivités ou pire, de nos frustrations respectives, que ce soit en occident ou en orient.

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