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Nouvelle traduction du Coran : sens et fidélité

C’est un Livre béni que Nous t’avons révélé
afin que les hommes de bon sens en méditent les versets
et s’y arrêtent pour réfléchir.
(38/29)

L’universalité est une caractéristique essentielle du Message divin. Le Coran est et doit être accessible à l’ensemble de l’humanité : « Et Nous ne t’avons envoyé que comme miséricorde pour l’Univers. »(21/107)

Révélation du dernier Message universel, le Coran est l’intermédiaire incontournable entre Dieu et l’homme. Par son biais, Dieu révèle Ses volontés, Ses promesses, Ses desseins.

C’est par la méditation du Texte sacré que le croyant peut se vouer à l’adoration de Dieu et apprendre à L’aimer. De plus, en s’approchant du Texte, le croyant apprend à suivre l’exemple du Prophète Muhammad (PSL) qui était, comme l’a décrit son épouse ‘Âïsha, « l’expression vivante du Coran ».

Cependant, la méditation du Coran et la compréhension de ses sens nécessitent inévitablement la connaissance de la langue arabe, celle que Dieu a choisi pour Se révéler à l’humanité : « C’est ainsi que nous avons révélé ce Coran en langue arabe, en y multipliant les menaces, afin de susciter chez les hommes la crainte de Dieu ou de les pousser à en méditer le sens. » (20/113)

Comprendre le Coran passe alors par la maîtrise parfaite de la langue arabe, ce qui est une entreprise difficile, car même les arabophones les plus avertis peuvent connaître des difficultés à l’appréhension du Texte coranique. Par ailleurs, bon nombre de musulmans ne sont pas arabes et n’ont pas accès à la langue originelle du Coran. Suivant le principe : « ce qui ne peut être saisi totalement ne peut être délaissé entièrement », les traductions sont donc indispensables à la compréhension du Texte sacré. Inimitable et unique, le verbe arabe ne peut être traduit dans toutes ses dimensions ; néanmoins, la traduction permet d’accéder à la compréhension – au moins partielle – de la Parole divine.

En ce sens, les savants musulmans l’ont non seulement autorisée, mais certains l’ont même rendue obligatoire, afin que les bienfaits et les fruits du Message s’étendent à l’ensemble des hommes, musulmans ou non.

La traduction en langue française n’est pas un fait nouveau puisqu’il remonte au Moyen-Âge. De nombreuses tentatives, depuis, continuent de paraître : certaines savent allier la fidélité au texte arabe et la préservation du sens ; d’autres s’éloignent du sens – sciemment ou non – mais préservent la lettre ; d’autres encore utilisent un style littéraire académique et technique. Dans ce dernier cas, le souci du traducteur réside uniquement dans la construction du texte sans tenir compte du sens original, ce qui donne peu d’attrait à l’étude du Coran. Enfin, certaines traductions ont une vocation tendancieuse et ne cherchent qu’à décrier le Texte sacré.

Une traduction originale

J’ai eu à lire bon nombre de traductions en langue française ; aucune ne m’a jamais vraiment satisfaite. Lorsque les éditions Tawhid m’ont présenté cette nouvelle traduction du Professeur Mohammed Chiadmi, j’ai rapidement observé la distinction et la profondeur du travail entrepris. À mon sens, cette traduction est un véritable trésor – avec tout ce que ce terme renferme de profondeur, de grandeur et de minutie. Il demeure indéniable que le traducteur a fourni un travail des plus sérieux et des plus difficiles aussi ; que Dieu l’en récompense et qu’Il place son travail sur la balance de ses bonnes œuvres.

Les recommandations que je porte à l’égard de ce présent travail reposent sur de nombreux éléments.

Avant tout, Mohammed Chiadmi n’a pas sacrifié la langue française au privilège de la syntaxe arabe. Le style est raffiné, la langue soutenue et le choix des mots se veut particulièrement en accord avec ceux de la langue arabe – du moins, il s’en approche au maximum.

De plus, le traducteur s’est efforcé de privilégier le sens du verset en sélectionnant parfois deux ou trois termes français afin d’exprimer un seul mot arabe, comprenant ainsi que la traduction littérale trahirait le sens du verbe.

Le travail a été approfondi par l’étude de plusieurs exégèses, notamment celles d’atTabarî et d’ibn Kathîr, réputés être des spécialistes en la matière. Plusieurs approches ont été étudiées et n’ont été retenues que les plus convaincantes et les plus fidèles à l’esprit du Texte coranique. Ainsi cette traduction est-elle celle qui se rapproche le plus de la compréhension juste du Coran, tant au niveau de son vocabulaire que de ses sens. Par ailleurs, le traducteur a passé en revue les traductions déjà existantes afin de tirer profit des réalisations précédentes.

Dans la majeure partie des cas, le traducteur s’est attaché à la tradition orthodoxe (ahl as-sunna wa al-jamâ‘a) pour la description de l’invisible, et notamment de Dieu à travers Ses attributs. Il se distingue en cela des traductions de certains orientalistes souvent moins scrupuleux sur l’appréhension du Sacré.

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Si ces quelques raisons – parmi tant d’autres – m’ont poussé à préférer cette traduction à toute autre, il faut cependant rester réaliste : la justesse de cette traduction ne fait pas oublier qu’il s’agit du travail d’un homme, aussi méritant et appliqué soit-il.

Il demeure parfois difficile, même dans cette traduction, de pouvoir traduire avec pertinence et précision certains termes. En cela, le travail présenté ici peut connaître des limites et mérite à être encore amélioré. Par exemple, le verset relatif aux menstrues est traduit ainsi : « Ils t’interrogent aussi sur les menstrues (al-mahîd). Réponds-leur  : “La menstruation est une souillure. Tenez-vous à l’écart de vos femmes durant cette période.” » (2/222) On pourrait alors faussement croire que la femme en période de menstrues doit être isolée. Or, seul le coït est interdit durant la période menstruelle. De plus, le terme arabe mahîd ne peut être traduit par « menstruation », il définit plutôt dans le Texte original à la fois le lieu, l’état et la durée des menstrues. Aucun terme français ne peut donc appréhender toutes caractéristiques du mot mahîd.

Si nous louons ce travail, nous n’oublions pas qu’il peut être sujet à l’erreur ou au manque, comme toute œuvre humaine. Il serait d’ailleurs impossible de trouver une traduction du Coran dénuée d’imperfection. En cela, l’œuvre du Créateur se distingue fondamentalement et définitivement de l’ébauche de la créature. Dieu le rappelle dans Ses versets : « Peut-on comparer Celui qui crée à celui qui ne peut rien créer ? Ne saisissez-vous donc pas la différence ? » (16/17)

Des outils indispensables

Si la traduction est une étape fondamentale dans la compréhension du Texte, le lecteur francophone doit pouvoir s’armer d’autres outils nécessaires à une étude sérieuse.

Avant tout, il convient de préciser que si le Texte coranique est éternel, il comporte toutefois des contingences historiques dont il faut tenir compte. Il est important de comprendre que le Coran est parfois directement lié aux données historiques, culturelles et sociales de l’époque. Le cadre de l’époque a directement conditionné la teneur, la pédagogie et la périodicité de la Révélation. Les Arabes de l’époque vivaient dans un environnement tribal et analphabète ; l’esprit clanique faisait régner la tyrannie et l’immoralité ; la justice et le droit étaient alors des privilèges qui s’achetaient ou s’héritaient. En une vingtaine d’années, cet environnement se transforma de manière surprenante. De la domination horizontale, les hommes passèrent à une soumission verticale : le regard de Dieu dépassait les emprises humaines. La soumission à un Dieu Unique permit alors de créer un contexte basé sur la justice, la préservation des droits, le respect des engagements. C’est ainsi que naquit l’une des plus grandes civilisations que le monde ait connu.

Plus ponctuellement, la Révélation s’est faite en fonction d’un rythme et d’étapes particulières. Sans hésiter mais sans brusquer, les versets ont été révélés en tenant compte de l’état d’esprit, de l’évolution et de la compréhension de la société de l’époque. Ainsi, voit-on plusieurs versets graduer l’interdiction de la consommation d’alcool. D’une interdiction ponctuelle avant la prière, la Révélation a abouti à une interdiction totale. Le verset : « Ô vous qui croyez ! Ne faites pas la salât lorsque vous êtes ivres ; attendez que vous ayez retrouvé votre lucidité » (4/43), a été révélé à un temps où la consommation d’alcool était répandue dans la société arabe de l’époque. Il s’agissait d’ôter cette habitude par étapes, en respectant le rythme des hommes. Au bout de neuf années, le Coran stipulait enfin l’interdiction définitive : « Ô vous qui croyez ! Les boissons alcoolisées, les jeux de hasard, les bétyles et les flèches divinatoires ne sont autre chose qu’une souillure diabolique. Fuyez-les ! Vous n’en serez plus qu’heureux. » (5/90)

Il s’agit de connaître la chronologie de la Révélation et ses circonstances pour comprendre que le dernier verset cité est celui dont il faut tenir compte puisqu’il est le dernier révélé à ce sujet.

En ce sens, la connaissance des circonstances de la Révélation (asbâb an-nuzûl) est fondamentale. La compréhension d’un verset doit donc être directement liée à sa circonstance, sans quoi l’étude en serait totalement erronée. Éluder cet aspect négligerait la prise en compte du mode éducatif et pédagogique du Texte coranique envers la société de l’époque.

Il faut savoir aussi que les préceptes du Coran liés aux affaires sociales (al-mu‘âmalât) – tels que les transactions commerciales, l’héritage, le mariage, les sanctions pénales, etc. – ne sauraient être compris et appliqués sans les objectifs généraux déterminés par l’islam (maqâsid ash-sharî‘a). Ces derniers sont entre autres : l’éducation de l’individu à l’Unicité divine, l’observance du modèle prophétique, l’enracinement des bonnes mœurs et la solidarité sociale, la garantie la dignité humaine, et les droits des citoyens et de la société. Si le lecteur se limite à l’application des règles sans chercher la contextualisation et la prise en compte de son environnement, il déviera indubitablement des objectifs (al-maqâsid) et trahira dans le même sens les préceptes divins fondamentaux.

Par ailleurs, l’étude du Coran ne peut se dissocier d’une connaissance de la vie du Prophète (PSL). Ce dernier représente l’expression vivante du Coran. Sa vie a évolué au gré des révélations successives ; elle est en ce sens l’application la plus concrète du Message. En outre, elle définit, éclaircit et complète les versets divins. Parfois même, le Verbe de Dieu nécessite une explication ou une légitimité qu’on retrouve dans la vie du Prophète (sîra). Par exemple, on pourrait mal comprendre le verset suivant : « À ceux qui engagent avec toi une polémique au sujet de Jésus, à présent que tu es bien informé, propose ce qui suit : “Appelons nos enfants et les vôtres, nos femmes et les vôtres, joignons-nous tous à eux et adjurons Dieu de maudire ceux d’entre nous qui sont les menteurs.” » (3/61). Si d’aucuns, dans la précipitation, pourraient s’accorder à croire que l’islam rejette toute autre croyance, il convient de rappeler les circonstances de la révélation de ce verset : le Prophète avait reçu une délégation chrétienne venue le questionner au sujet de l’islam. Durant ce séjour, ils furent reçus avec tous les honneurs et étaient hébergés à la mosquée dans laquelle une tente avait été élevée pour qu’ils puissent prier selon leurs propres traditions religieuses. Contre toute attente, ces chrétiens ne provoquèrent qu’une polémique stérile tout en abusant de l’hospitalité du Prophète. Ils refusèrent de prendre au sérieux le Message coranique et le dénigrèrent. Le verset fut alors révélé pour mettre fin à la polémique et réconforter le Prophète.

Pour conclure, il convient de rappeler que l’étude intellectuelle du Coran se conjugue à l’acte d’adoration. Lire le Coran, c’est à la fois l’étudier et invoquer Dieu. En ce sens, le lecteur doit se sentir totalement concerné par les injonctions et les enseignements coraniques. Il doit prendre conscience que le discours lui est proprement adressé, qu’à chaque fois qu’il lit un verset, il s’approche de son Seigneur. Au-delà d’un texte scientifique ou littéraire, le Coran est un appel à qui veut l’écouter et le suivre. Il interpelle les consciences, avertit et annonce, éduque et instruit. Certes, il contient des vérités scientifiques qui défient les intelligences, il établit des règles sociales et politiques qui interpellent notre humanisme, il conserve la mémoire historique à travers les histoires des peuples et des prophètes qu’aucune révélation n’avait jamais contenue. Cependant, tous ces aspects ne sont que des éléments secondaires de la vocation du Message : le Coran est le Livre de Dieu déployé pour appeler, éclairer et guider le cœur des hommes. Il est la Lumière avec laquelle les hommes s’éclairent pour suivre la Voie et le témoin de nos propres personnes.

Nouvelle traduction du Coran : sens et fidélité, éditions Tawhid, 2004

Préface du Shaykh Yusuf Ibram

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