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Nicolas Sarkozy frôle le clash des civilisations

De l’huile sur le feu. Vendredi, lors de ses vœux adressés aux autorités religieuses, le chef de l’Etat a affirmé vouloir « combattre » la stigmatisation de l’islam avant de dénoncer « l’épuration religieuse » pratiquée, selon lui, contre les chrétiens du Moyen-Orient.

C’est officiel : Nicolas Sarkozy va s’attaquer au préjugé anti-musulman. A l’occasion de la cérémonie, exceptionnellement ouverte à la presse, des vœux formulés aux représentants religieux, le chef de l’Etat a réagi au dernier sondage révélant un malaise des Français au sujet de l’islam : « Si telle religion est irrationnellement perçue, chez nous, comme une menace, nous devons combattre cette réaction irrationnelle par la connaissance mutuelle et par la compréhension de l’autre ». A propos de l’attentat du Nouvel An à Alexandrie, qui a causé la mort de 23 coptes, Nicolas Sarkozy semble -a priori- réitérer sa volonté de ne pas faire d’amalgame : « La communauté musulmane de France est la première horrifiée par ces crimes que l’on commet au nom de l’islam. L’islam n’a évidemment rien à voir avec la face hideuse de ces fous de Dieu qui tuent aussi bien des chrétiens que des juifs, des sunnites que des chiites. Le terrorisme fondamentaliste tue aussi des musulmans ». « Surtout » des musulmans, serait-on tenté de rappeler au chef de l’Etat. Hormis cette approximation, un discours apparemment ferme, clair et approprié afin de désamorcer toute éventuelle tension intercommunautaire dans l’Hexagone. Des propos, en outre, au diapason de son hommage, rendu l’an dernier, aux anciens combattants musulmans.

Déjà, en 2008, c’est toujours le même homme qui, à l’occasion de la pose de la première pierre des nouvelles salles des arts islamiques au Louvre, déclarait que « le fanatisme au nom de l’islam est un dévoiement de l’islam ». Pourtant, par la suite, et de par sa propre initiative, le débat controversé autour de l’identité nationale ou la fixation obsessionnelle sur l’épiphénomène que constitue le voile intégral auront rapidement contribué à favoriser la montée de cette peur « irrationnelle » que le chef de l’Etat prétend toujours vouloir combattre.

Pompier pyromane

Une crainte à propos de l’islam qui risque de se raviver, sous le prétexte du dernier soubresaut dans l’actualité : les récents attentats anti-chrétiens, commis notamment en Irak et en Egypte, ont occasionné un dommage collatéral, en jetant l’opprobre sur toute la région du Moyen-Orient, tout à coup décrite, ici ou , comme une aire culturelle devenue globalement dangereuse pour le christianisme. La plus grossière exagération provient précisément du président de la République qui s’est exprimé en des termes édifiants : « Nous ne pouvons pas non plus admettre et donc faciliter ce qui ressemble de plus en plus à un plan particulièrement pervers d’épuration religieuse du Moyen-Orient ».

« Épuration » ? Un mot singulier, jugé « brutal » par le député socialiste Claude Bartolone mais approuvé dimanche, sur France 5, par Jean-Marie Le Pen. Un ancien membre du gouvernement Fillon, Christine Boutin, a également abondé, vendredi sur France 2, dans le sens de Nicolas Sarkozy, allant jusqu’à évoquer, pour sa part, le déploiement en cours d’une « extermination ». Le terme d’« épuration », appliqué selon des critères religieux, provient directement d’une expression utilisée par le régime nazi pour qualifier la déportation puis le génocide des populations juives dans les camps de concentration (judenrein, littéralement « purifié de juifs »). En ayant recours à une telle analogie, le chef de l’Etat pratique, de ce fait, la confusion entre une pratique historiquement étatique -celle prônée par Adolf Hitler ou Slobodan Milosevic– et le terrorisme anarchique d’une poignée d’extrémistes, quitte à faire maladroitement de ceux-ci l’illustration politique d’une tendance présentée comme dominante au Moyen-Orient. Une sorte de « nazification » nébuleuse, appliquée de manière vague et indistincte à la région et qui n’est pas sans rappeler le concept, cher à Bernard Henri-Lévy et au courant islamophobe américain, du « fascisme islamique ». Contacté par Oumma, Odon Vallet, historien des religions, préfère nuancer l’analyse de la situation : selon lui, le terme « inhabituel » d’« épuration », qui évoque surtout, « dans son sens politique », une « élimination de l’adversaire, comme ce fut le cas en France en 1791 ou en 1945 », pourrait davantage s’appliquer à l’Irak, pays dans lequel les « persécutions » sont bien plus préoccupantes que celles endurées par les coptes d’Egypte.

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Il ne s’agit pas ici de nier l’évidence  : à travers le monde musulman, il existe des cas, nombreux et croissants, d’acharnement à l’encontre des chrétiens dont certains choisissent, en conséquence, de s’exiler. Une véritable « christianophobie » comme la qualifie Odon Vallet, équivalente, d’après lui, à l’islamophobie qui sévit en Europe. Pour autant, la vaste majorité des pays musulmans ne s’est pas encore inspirée du régime nazi pour déplacer et exterminer en masse des minorités religieuses. La nuance n’enlève rien, cependant, à l’iniquité des lois d’exception qui ont toujours cours dans bon nombre de régimes islamiques. Pour avoir moi-même séjourné, régulièrement et avec bonheur, à Alexandrie-au point d’avoir songé à m’y installer, j’avais constaté dans mon entourage les vexations régulières et les tracasseries administratives dirigées spécifiquement contre les coptes. Néanmoins, de manière plus générale, les discriminations vécues par les chrétiens d’Orient ne datent pas de l’ère moderne du terrorisme islamiste : plus anciennes, et plus ou moins vivaces selon les époques, elles s’expriment différemment, à l’instar de toute minorité culturelle dans un pays, selon la maturité politique et le degré de liberté d’expression propre à la culture locale.

A cet égard, l’hypocrisie de la France est patente : avant de se plaindre, sur un ton d’ailleurs quelque peu complotiste, d’une prétendue « épuration » qui serait « planifiée »  dans l’ombre par d’obscurs et « pervers » personnages, le chef de l’Etat avait déjà eu maintes occasions, systématiquement manquées, de critiquer les pratiques législatives, en matière de liberté de culte, de ses principaux partenaires commerciaux dans la région, à commencer par l’Arabie saoudite. Mais au lieu de s’en prendre à ce précieux allié, Nicolas Sarkozy a préféré, à l’instar des partisans du choc des civilisations, dramatiser la force de frappe prêtée aux terroristes d’Al Qaida, leur donnant ainsi une envergure démesurée par rapport à leur influence réelle dans l’opinion publique. Quitte à omettre de souligner au passage l’avis des principaux intéressés dans l’affaire : qui se souvient encore de la dénonciation solennelle faite par une assemblée de prêtres d’Orient, réunis en synode au Vatican le 23 octobre dernier, à propos de la cause majeure, selon eux, de l’exil des chrétiens dans la région, à savoir l’occupation israélienne  ?

La croix et la bannière

En matière de sensationnalisme, le chef de l’Etat n’est pas seul : certains n’hésitent plus à recourir à une rhétorique digne de l’époque des croisades pour traiter du sujet. Tel Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes, qui ne craint pas de suggérer, sans nuance, que ces sanglantes persécutions sont consubstantielles à l’islam depuis les premiers siècles. Ou encore Yves Calvi, évoquant -dans l’intitulé de son débat sur le sujet- des « guerres religieuses à venir ». Et quand Le Point titre cette semaine sur la « chasse aux chrétiens » et la « croisade islamiste » -comme si des pogroms anti-chrétiens étaient en train d’embraser la région, l’hebdomadaire continue de faire ce à quoi il excelle : inquiéter son lectorat (plutôt « cadre supérieur de droite ») -et le badaud remarquant la couverture du magazine- à propos des méfaits imputés, confusément et globalement, aux musulmans, qu’ils soient d’ici ou de là-bas.

Faut-il dès lors s’étonner d’une telle surenchère médiatique, alors que l’attentat d’Alexandrie, commis par un seul homme, n’a toujours pas été revendiqué  ? Dans le cas particulier du Point, la dramatisation à outrance, au détriment des banlieues, des immigrés ou de l’islam, est une pratique régulière, en parfaite adéquation avec le discours politique des néoconservateurs visant à amplifier en permanence la menace islamiste. Ainsi, dans un récent débat consacré à la guerre en Afghanistan, son directeur de la rédaction, Etienne Gernelle, confronté à un député communiste qui dénonçait la cupidité comme motif d’intervention, avait osé rétorquer, soutenu en cela par une Rachida Dati présente à ses côtés, que le pays était « pauvre » et que la mission principale de l’OTAN consistait seulement à lutter contre le terrorisme et à sauver une population opprimée. Aucune mention de l’enjeu crucial, pour les compagnies occidentales, de l’édification de pipelines acheminant le gaz et le pétrole de l’Asie centrale. Incompétence d’un jeune responsable médiatique, âgé d’à peine 34 ans et féru de nouvelles technologies mais ignorant en matière de géostratégie -notamment en ce qui concerne l’exploitation des richesses minières de l’Afghanistan ? Pas exactement : auparavant affecté au service économie du Point, l’homme avait publié un ouvrage précisément consacré aux questions énergétiques, intitulé « Les nouveaux défis du pétrole ». Pourquoi alors une telle omission des faits, d’autant plus étonnante de la part d’un spécialiste du sujet ? Une amnésie passagère, probablement…

Et c’est ainsi que, plutôt que d’initier un débat contradictoire quant à l’intérêt d’une présence militaire française en Afghanistan, Le Point préfère utiliser les souffrances vécues par les chrétiens d’Orient pour mieux, à nouveau, jouer la carte du marketing anxiogène en diabolisant la communauté musulmane de France, comme vient de l’illustrer un terrible vœu, à demi-formulé, de son éditorialiste Pierre Beylau : « Un Orient vidé de ses chrétiens serait la victoire de l’obscurantisme le plus opaque. La preuve que la coexistence entre musulmans et chrétiens sur une base d’égalité n’est pas imaginable. Que des sociétés pluriculturelles ne sont pas viables. Que le repli, sur son pré carré confessionnel et culturel, est inexorable. Comment alors faire accepter sous nos cieux une coexistence qui serait devenue impossible de l’autre côté de la Méditerranée ? ». Poudre aux yeux et fariboles  : l’escalade continue.

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