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Ne leur dites pas que je suis français, ils me croient arabe

Le droit à l’indifférence

Je suis engagé en politique depuis plus de dix ans. À droite, naturellement. Contrairement à ce que fait croire la culture dominante de gauche, les valeurs que véhiculent et professent à leurs enfants les parents originaires du Maghreb ne sont pas de gauche : elles sont plus proches du corpus idéologique de ce qu’il convient d’appeler la droite que de la permissivité censément être de gauche. Je suis donc fidèle à mon éducation.

Je suis membre du bureau exécutif du parti radical (UMP), parti de Jean-Louis Borloo, et membre de la majorité parlementaire. Après avoir combattu sur les tatamis du monde entier au sein de l’équipe de France de judo, j’ai voulu rendre ce que la République méritocratique m’avait donné : une citoyenneté, un statut et une ambition.

Alors que dans les stades des cinq continents, adversaires, supporteurs et coéquipiers m’ont toujours considéré comme un Français, en politique j’ai dû montrer patte « beur ». Au RPR, puis à l’UMP, on m’assignait une tâche ethnique : je devais faire l’Arabe de service pour racoler mes semblables afin qu’ils adhèrent au mouvement gaulliste.

Ce livre raconte mon combat contre le communautarisme que tant d’hommes politiques, de droite comme de gauche, affirment, la main sur le cœur, combattre. Cependant, contrairement aux habituels débats sur le sujet, il sera ici uniquement question du communautarisme d’« en haut », celui que les élites politiques pratiquent dès lors que les caméras s’éteignent et que les stylos sont rangés.

Certes, il est difficile de définir le communautarisme. Ses partisans, en général favorables au modèle d’organisation sociale anglo-saxon, le décrivent comme l’aboutissement de la société idéale qui respecterait toutes les différences, ethniques, culturelles, religieuses, sexuelles, etc., et où les libertés individuelles primeraient sur les intérêts de l’État-nation qui n’aurait alors plus sa raison d’être.

Ses détracteurs invoquent l’Ancien Régime, cette France constituée d’un agrégat d’individus désunis où chaque ordre, le clergé et la noblesse surtout, vivait selon ses propres intérêts sans tenir compte de l’État. Après la Révolution, lorsque la France se constitue en État-nation, l’État n’est plus le roi, mais le peuple, tous les Français liés par un intérêt commun ; la seule distinction provenant du mérite des uns et des autres.

C’est un débat important que nombre d’intellectuels ont entrepris d’éclairer. Mais il sera absent de cet ouvrage. Jusqu’à présent, c’est l’intellectuel ou le politique qui décrit le phénomène commu- nautariste, pointant du doigt, voire mettant en accusation le peuple, dont une partie se rendrait coupable de dérives communautaristes : les musulmans ou les homosexuels, par exemple. Certes !

Mais de mon point de vue, ainsi posé, le débat est biaisé. Parce que, en réalité, ce sont bien les élites qui instaurent ce système et non les citoyens. Ce sont les politiques qui suscitent les demandes. Un exemple : le débat sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Quand on observe de près les politiques qui s’y opposent, on remarque qu’il existe dans leurs communes une forte communauté arménienne. C’est notamment le cas à Marseille. Jean-Claude Gaudin, le sénateur-maire, se comporte comme si tous les Arméniens étaient hostiles à l’adhésion de la Turquie.

Voilà où commence le communautarisme d’en haut. Les élites supposent ou prêtent un comportement ethnique et émotionnel à une partie des Français. L’individu, ici l’Arménien, est réduit à n’être qu’un représentant plus ou moins typique de ce que le sénateur-maire imagine être le groupe dans sa nature abstraite ou son essence. Dans le cas de la Turquie, les citoyens français de descendance arménienne sont aussi divisés que n’importe quel citoyen dont l’histoire ne comporte pas d’épisodes tragiques avec la Sublime Porte. On peut multiplier les exemples et les situations à l’infini.

Quand le maire socialiste de Montpellier mit le drapeau français en berne au fronton de son hôtel de ville en 1984 pour protester contre la visite en Algérie de Claude Cheysson, alors ministre socialiste des Relations extérieures, pour commémorer le trentième anniversaire du début de l’insurrection, ce n’était pas par conviction politique, mais bien parce que sa ville compte un important contingent d’électeurs rapatriés d’Algérie.

Ou encore lorsque les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale investissent un candidat à Sarcelles, dans le Val-d’Oise, ils le choisissent de confession juive, simplement parce que cette commune compte un nombre important de citoyens de cette religion.

Il est temps d’éclairer nos concitoyens sur le double discours des politiques, qui font croire aux électeurs qu’ils combattent le communautarisme alors qu’ils le fabriquent de manière tout à fait consciente. Et pourtant, avec l’aide d’une grande partie des médias, ils réussissent à faire croire que ce sont les minorités qui appelleraient le communautarisme de leurs vœux.

À droite comme à gauche, on essaie d’organiser le communautarisme. Certains s’en cachent encore ; d’autres, tels que Nicolas Sarkozy, l’affirment déjà. C’est le parti socialiste qui a ouvert la voie. Une partie de la droite a suivi, pensant que cette façon d’ordonnancer la société pourrait l’amener au pouvoir, et surtout le conserver.

Longtemps, les politiciens ont méprisé les gens dits « issus de l’immigration », qu’ils soient de première, de deuxième, voire de troisième génération. Nos parents baissaient la tête lorsqu’ils sortaient de la maison : ils ne se sentaient pas chez eux, car à aucun moment on ne leur avait dit ou même fait remarquer qu’ils étaient des citoyens comme les autres.

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Pis encore, le discours se voulait ouvert, mais dans les mots seulement : « Oui, vous pouvez payer les taxes et les impôts », « Oui, vous pouvez enrichir la France en faisant des enfants lorsque la France souffre de sa démographie ! », surtout lorsque le renouvellement des générations n’est pas assuré alors que la France repose sur un système mutualiste. « Oui, vous pouvez vivre sur le territoire français ! », mais surtout pas en centreville. « Oui, vous pouvez et devez vivre tous ensemble ! », car la mixité sociale, ethnique ou religieuse on en veut, certes, mais pas devant chez nous. « Oui, vous pouvez aller à l’école ! », mais surtout restez entre vous et ne venez pas vous mélanger au reste de la population vivant dans les résidences ou dans les secteurs pavillonnaires.

D’ailleurs ne critique-t-on pas telle ou telle école, non parce que les professeurs sont plus mauvais qu’ailleurs, mais tout simplement parce que ses effectifs sont trop colorés ? « Oui, vous pouvez avoir des activités sportives ! », mais, pardonnez-nous, si possible dans vos quartiers avec des installations et de l’encadrement… pas forcément les meilleurs, mais surtout n’allez pas en centre-ville pratiquer votre sport, le prix déjà est dissuasif et, pour le transport, débrouillez-vous ! « Oui, vous avez accès à la culture », mais pardonnez-nous encore, pas en centre-ville, le prix est prohibitif. Alors, que dire à son enfant ? « Ce n’est pas bien grave, tu joueras de la darbouka, cela coûte moins cher ! »

Voilà, en résumé, la réalité qui favorise le communautarisme. Et ce sont bien les élites politiques qui ont tenu ce discours et mis en place cette pratique en regroupant les écoles, les collèges, les supermarchés, les équipements sportifs dans un même quartier, empêchant ainsi toute mixité sociale et culturelle. Ce ne sont pas les minorités ethniques qui déposent le permis de construire de l’école ou qui donnent leur accord pour ouvrir un supermarché en bas de leur immeuble.

Parlons aussi des faux amis de la gauche. On peut dire qu’ils aiment les minorités visibles tant qu’il s’agit de tenir un stand de merguez ou pour prêter une salle lors de la célébration de l’Aïd El- Kébir. Mais quand il s’agit de permettre l’accès à des postes d’employés communaux, cela devient tout de suite plus compliqué. Je ne demande pas qu’ils viennent faire la danse du ventre ou manger des makroudes, ou encore s’avaler un couscous, mais tout simplement qu’ils acceptent cette population au même titre que les autres, sans favoritisme ni discrimination positive, sans charité ni pitié.

Je réclame simplement le droit à l’indifférence, qu’on ne fasse pas attention à vous malgré vous, car, aujourd’hui, nous assumons tous nos devoirs en respectant les lois de la République, en étant aussi des acteurs économiques. Le droit à être différent ne veut pas dire être soumis à un traitement différent de celui des autres. Oui, on peut être jaune, noir, métis ou marron et être français ; je n’y vois aucune incompatibilité.

La couleur blanche n’est pas obligatoire pour être français. C’est même une chance que d’avoir un look hors du commun. Beaucoup ont oublié que nous sommes sous le régime du droit du sol et non du droit du sang, ce qui signifie que tout individu né sur le territoire peut demander la nationalité française. N’oublions pas que la France a un passé colonial et dans les DOM et les TOM il n’y a pas que des Blancs.

Oui, on peut s’appelerRachid, Bakari, Enzo, Rocco, Manuel ou Kim et être français. Je ne connais aucune loi qui interdise en France d’avoir un prénom hors du calendrier catholique. On me demande souvent comment je peux être français et m’appeler Mourad. Je ne veux pas changer mon identité comme certains l’ont fait pour être acceptés en tant que Français. C’est un patrimoine culturel et je ne vois aucune importance de changer de prénom ou de nom pour être considéré à égalité.

Oui, on peut être athée, agnostique, musulman, juif, bouddhiste ou protestant et être français. Nous avons la chance extraordinaire que nos responsables politiques, au début du siècle dernier, aient créé la laïcité qui offre à tout un chacun le droit de choisir ou de ne pas choisir une religion. La religion, oui, mais dans un cadre privé et non public et politique. En conséquence, on peut être juif, bouddhiste ou musulman et être français. On se trompe quand on critique ceux qui se revendiquent français et musulmans : la France n’est plus un pays uniquement catholique.

Le communautarisme, à quel prix ? Celui d’une division de la République en intérêts particuliers et parfois contradictoires. On voudrait transfor- mer notre vieux pays en États-Unis de France. Ce n’est pourtant ni notre histoire ni notre culture. Et cette façon de vouloir faire plaisir aux uns et aux autres a de très lourdes conséquences : d’une part, la violation des valeurs de la République, qui parle d’« þégalitéþ » entre les citoyens, c’est-à-dire les mêmes droits et devoirs pour tous, tandis que, d’autre part, certains hommes politiques habiles profitent de ce mode de gestion pour favoriser l’enfermement d’une catégorie de Français en pratiquant la surenchère.

Mes propos sont illustrés de faits vécus et non de résumés de rapports officiels ou d’études sociologiques au rabais. J’ai choisi le chemin le plus difficile pour faire de la politique en essayant de me préoccuper de l’ensemble des problèmes ou des réponses à apporter à tous les Français sans distinction particulière.

Dénoncer la réalité ne m’apportera pas que des amis dans le monde politique qui fait ses emplettes sur un marché où tout est à vendre : les gens, les valeurs, jusqu’à son âme. Au grand bénéfice des extrêmes. Et si aujourd’hui un de Villiers peut reprendre sans faire de vagues les propos de Le Pen ou de Mégret sur la soi-disant islamisation de la France, c’est que d’autres lui ont ouvert la voie. Des gens très respectables. Merci Malek Boutih, merci Julien Dray, merci Alain Finkielkraut, merci Nicolas Sarkozy…

Les élites politiques organisent le communautarisme pour séduire et faire passer un minimum de réponses à un maximum de personnes. Alors on particularise les citoyens : il y a les Français issus de l’immigration, les Français musulmans, les Français homosexuels… et quand la méthode échoue, on crée des satellites, à l’image de SOS Racisme ou Ni Putes Ni Soumises au PS, ou Gay Lib à l’UMP…

Extrait du livre de Mourad Ghazli, “Ne leur dites pas que je suis français, ils me croient arabe” aux éditions Presses de la Renaissance, 2006.

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