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Retour aux racines : pourquoi certains enfants d’immigrés maghrébins font-ils le choix de quitter la France?

L’immigration maghrébine en France a toujours suscité des préoccupations et des rejets de la part d’une partie de la classe politique française, ce qui en fait un sujet complexe et sensible.

Les partis nostalgiques de l’Algérie française, la droite et, plus récemment, la gauche sous Manuel Valls, ainsi que l’arrivée d’Emmanuel Macron, ont tous utilisé cette question lors de leurs campagnes électorales. Cette classe politique remet en cause les valeurs traditionnelles d’accueil et d’ouverture de la France, qui ont été longtemps considérées comme des fondements du pays.

De nombreux débats concernant la question migratoire sont animés depuis plusieurs années par des élus, des intellectuels, ainsi que certains universitaires français qui cherchent à mettre en évidence les différentes opinions et tendances idéologiques. Les discussions portent à la fois sur les réactions face aux mouvements migratoires et sur l’analyse des flux migratoires, mais également sur la compatibilité de la religion de ces immigrés et de leurs enfants avec les lois de la République.

Néanmoins, cette question migratoire est étonnamment axée de manière exclusive et marquante sur l’immigration maghrébine. Ceci semble être dû à l’histoire coloniale de cette région. Certains même essaient de simplifier la complexité des problèmes de la France en faisant porter la responsabilité de tous les maux sociaux, économiques et culturels sur ces immigrés et leurs enfants.

Dans cet article, nous avons choisi de nous pencher sur l’immigration algérienne en France, qui a laissé une empreinte profonde dans l’histoire du pays sur plus d’un siècle. Nous avons brièvement présenté le parcours de quelques  descendants d’Algériens que nous avons rencontrés. Ils suscitent un rayon d’espoir en s’investissant activement dans la construction du pays, malgré les nombreux obstacles auxquels ils font face.

Aujourd’hui en France, il est fréquent de rencontrer des médecins, avocats, ingénieurs, enseignants ainsi que des chefs d’entreprise d’origine algérienne, marocaine, tunisienne. Certains médias français ont tendance à passer sous silence cette réalité significative. Il est essentiel de ne plus cantonner l’image de la réussite d’un immigré ou de ses enfants à celle d’un bon footballeur ou d’un rappeur, car cela ne reflète pas la réalité ni leur potentiel de réussite dans de nombreux secteurs différents.

Dans le cadre de notre enquête en région parisienne, nous avons rencontré Rahim, étudiant en ophtalmologie, Rabah, en médecine générale, et Amir, en sciences politiques. Ces jeunes tous d’origine algérienne nous ont partagé leur parcours jalonné d’obstacles et expliqué comment ils ont réussi à les surmonter pour mener à bien leurs études et concrétiser leurs ambitions professionnelles.

Certains ont même envisagé de quitter le pays en raison de l’atmosphère parfois malsaine créée par la classe politique française. À l’invitation d’une association du département de la Seine-Saint-Denis, ces trois jeunes ont pris le temps de présenter leur parcours socio-professionnel à d’autres jeunes lors d’une rencontre organisée spécifiquement pour cet échange. Leurs témoignages ont mis en évidence les défis auxquels ils font face, mais aussi les succès qu’ils ont remportés grâce à leur persévérance et leur détermination.

L’évolution du statut social des générations issues de l’immigration algérienne comparé à celui de leurs parents met en lumière une tendance actuelle au sein de la société française. Cette dernière éprouve des difficultés à admettre pleinement la manière dont ces descendants d’immigrés algériens s’insèrent dans la classe moyenne supérieure et déconstruisent ainsi les stéréotypes propagés par les médias français.

Par ailleurs, certains descendants algériens n’ont pas réussi à relever ce défi et ont emprunté des chemins inappropriés, créant ainsi des problèmes majeurs au sein de la société française. Ce sont ces individus qui sont souvent médiatisés et pointés du doigt par des politiciens, dans le but de créer volontairement un amalgame et de mettre l’ensemble de ces jeunes issus de l’immigration sur le banc des accusés. En effet, parler des trains qui arrivent en retard plutôt que de ceux qui arrivent à l’heure est une spécialité politico-médiatique purement française.

Ainsi, la médiatisation persistante et largement négative, orientée ou non, a causé de nombreuses difficultés. Le lycée privé musulman Averroès, situé à Lille, fréquenté par des enfants d’immigrés, en est un exemple parmi d’autres qui subit les conséquences de cet acharnement politico-médiatique. Cette structure, qui fête ses vingt ans cette année, est classée parmi les meilleurs lycées privés de France par l’Éducation nationale depuis plusieurs années consécutives.

Malgré ses succès, ce lycée fait l’objet depuis plusieurs années d’hostilité de la part de plusieurs élus locaux et du conseil régional. Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France, persiste à bloquer les subventions destinées à ce lycée, malgré les nombreux procès remportés par cette structure. Ce blocage financier met en grande difficulté ce lycée qui risque de fermer et appelle sur sa page Facebook aux dons. La présence de cette institution, reconnue par l’ensemble de la communauté éducative, semble déranger, car elle indique la voie positive aux enfants d’immigrés.

Il est important de souligner que cette nouvelle génération est souvent mal représentée dans la sphère politique et les médias. Ils ont peu d’opportunités pour s’exprimer sur des sujets d’actualité ou spécifiquement communautaires qui les touchent directement. Cependant, ils sont souvent présentés de manière condescendante ou humiliante dans les médias.

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L’exemple de l’Imam Chalghoumi ou de l’animatrice de radio Zora Betan, souvent sollicités par les médias pour dénigrer cette frange de la population, en est une preuve parmi bien d’autres. Ces médias grand public renforcent ainsi les stéréotypes à leur égard. Les jeunes se retrouvent, alors, sans défense face à des polémiques créées de toutes pièces tout au long de l’année, comme la récente controverse sur la rupture du jeûne de Ramadan des joueurs de football.

La mobilité des binationaux franco-algériens

Le constat est clair : une nouvelle phase de l’histoire des deux pays commence à prendre forme, marquée, nous semble-t-il par une dynamique de mobilité entre la France et l’Algérie. Cette migration inversée découle en partie des hostilités politico-médiatiques françaises que nous avons relevées, mais d’autres motivations s’ajoutent également. Ainsi, la nouvelle génération d’immigrés algériens souhaite découvrir leur pays d’origine ainsi que celui de leurs parents et progresser dans leur métier.

De nombreux enfants d’immigrés algériens, bénéficiant de la double nationalité, choisissent ainsi de s’expatrier vers l’Algérie et de s’y installer, créant ainsi une immigration inversée. Bien que des chiffres officiels ne soient pas disponibles, nos observations sur le terrain en 2022, lors d’une enquête que nous avons menée dans la banlieue d’Alger, confirment une tendance allant dans ce sens, en particulier depuis la stabilisation politique du pays.


Nous avons ainsi recueilli les propos d’un jeune immigré, Amine, âgé d’une trentaine d’années, qui a décidé de s’établir définitivement dans la commune de Tamentfoust,dans le département d’Alger, avec toute sa famille. Après avoir travaillé à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, Amine se spécialise dans le commerce dans le domaine textile à Alger et se sent heureux de pouvoir apporter une valeur ajoutée à son pays d’origine. Il témoigne également de son soulagement de ne pas être rejeté par les Algériens, une situation qui lui apporte un confort moral, loin du stress et de la pression quotidienne qu’il a rencontrés avec sa femme, qui portait le voile en France.

D’autres jeunes immigrés se sont installés et regroupés du côté de la ville de Boumerdes, en achetant des appartements dans une grande résidence privée. Nous avons rencontré un imam qui travaille actuellement dans une grande enseigne de certification de la viande halal en France et fait les allers-retours entre la France et l’Algérie.

Actuellement, il s’est installé avec ses enfants dans une promotion immobilière (Riad Premium) à côté de la location de Ouled Moussa, qui fournit un cadre de vie enchanteur, avec toutes les commodités nécessaires (clinique, école, crèche, magasins, etc.). L’imam nous fait partager ses sentiments et son souhait de partager son expérience avec plusieurs enfants d’immigrés qui souhaitent s’installer et s’investir durablement en Algérie. Il rappelle que cette promotion immobilière a réussi à attirer de nombreux enfants d’immigrés au confort et à la prestation proposés.

Notre recherche réalisée sur le terrain pratique, montre également des quartiers investis par cette génération qui vient pour la plupart de France. C’est ce qu’explique un commerçant de la ville de Bordj el Bahri : « Depuis ces dernières années, j’ai observé que de plus en plus de clients sont issus de familles immigrées. Ces derniers s’installent de manière croissante dans notre ville ». Cette tendance est confirmée par plusieurs Algériens que nous avons pu interviewer sur place.

Nous avons observé également que de nombreux jeunes parents d’origine algérienne nés en France expriment le désir de retourner dans leur pays d’origine pour s’y installer, à condition que les opportunités soient favorables. L’idée de s’expatrier est profondément ancrée dans leurs esprits, mais ils reconnaissent qu’un certain niveau de ressources est nécessaire pour assurer une installation réussie. Ils aspirent à réaliser ce rêve lorsque les circonstances le permettront.

Les défis des pays du Maghreb face à un monde en pleine mutation

L’Algérie a adopté une politique d’ouverture et d’accueil envers cette jeunesse, leur offrant la possibilité de s’installer sans contrainte administrative. L’équipe nationale de football algérienne en est un exemple flagrant, ayant intégré des joueurs issus de la diaspora, apportant ainsi une valeur ajoutée à l’équipe nationale algérienne.

Bien que ces joueurs ne connaissent peut-être pas bien la terre de leurs parents et, parfois même, leur langue, ils témoignent de leur attachement à leur pays d’origine sur les réseaux sociaux et sont fiers de porter le maillot de l’équipe nationale algérienne.

L’Algérie a effectivement remporté la première manche dans le domaine sportif. Cependant, la seconde manche, concernant le secteur économique, est cruciale : a-t-elle la capacité d’intégrer cette jeunesse talentueuse d’origine algérienne, marginalisée par la droitisation de la politique en France, dans son économie ?

Et si l’Algérie, le Maroc et la Tunisie revoient leur politique de développement, en adoptant une stratégie d’attraction de talents issus de familles immigrées, formés en France et dans d’autres pays du monde, comme le font actuellement le Canada, les États-Unis et bien d’autres pays qui ont mis en place une politique d’immigration choisie, cela pourrait avoir un impact significatif sur l’économie du Maghreb.

Finalement, si certains harragas prennent des risques pour traverser la mer Méditerranée afin de rejoindre la France ou d’autres pays européens, ils pourraient prendre conscience que leur rêve d’un avenir meilleur pourrait être illusoire. Cette prise de conscience est illustrée par l’expérience de certains enfants d’immigrés et de leurs parents qui choisissent de quitter la France pour s’installer et investir dans des projets au Maghreb, afin de préserver leur dignité, leur culture et leur identité.

Nabil MATI
École des Sciences Sociales des Hautes Études de Paris
(EHESS)

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3 commentaires

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  1. Il ne s’agit pas d”un retour, Comme disait poncho à roncho, il faut quiter le soleil avant que la ville ne se couche.

    – Il y a ceux, pour qui, le bled reste une alternative, ce n’est pas mon avis. Vivre en Algerie ou en France c’est pareil.
    Ces gens croient facilement aux mensonges.

    – Il y a ceux , pour qui la planete reste une alternative, Australie, nouvelle Zealande, royaume uni, Afrique du sud, Etats unis, Argentine, Malaisie, otawa… Ces gens ont compris que les papiers Français permet de bouger.
    C’est le plus grand avantage d’etre Français, pour servir son pays la France. Actuellement, que ce qu’un Français peut faire pour la France et non le contraire.

    La France officielle et L’Algerie Officielle sont d’accord pour dire, personne n’est riche chez soi.
    Ce n’est pas ce que dit la charia.

  2. Article intéressant . La trajectoire des uns et des autres est différente. Moi perso , j’ai passé un mois en Algérie en ete , et je me vois mal y habiter .
    Sans parler du manque de confort , mais l’insalubrité, le manque de végétation , est dure a supporter a long terme . De plus l’espace public est dominé par les hommes , omniprésent .

    Le retour au pays peut être bénéfique pour l’Algérie mais elle se concentre hélas dans les grandes villes comme Alger ou Oran.
    Il manque comme d’habitude , une stratégie politique d’immigration ou de ré(immigration ) pour définir les besoins , ou les limites , la France est dans le même cas .

    Quant à notre situation en france , se sont des sujets à la fois inquiétant et passionnant a la fois . Il y a des défis stimulants a relever . Comme dirait l’autre , nous n’avons pas dit notre dernier mot , sur les enjeux actuels …

    Il faut je pense , porter notre attention à la’fois sur notre pays d’origine , sur la France et sur ce qui se passe dans le monde .

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