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M’hamid (sud-est du Maroc), la frontière de tous les trafics

Pour avoir dénoncé des trafics de dromadaires, de cigarettes, de haschich, et à présent de cocaïne, dans la région de M’hamid, le docteur Labbas Sbaï, citoyen marocain et suisse, a été condamné à six mois de prison.

Dans les années soixante-dix, quand les nomades du désert marocain ont vu s’évaporer en quelques mois dans les sables un lac de trente kilomètres sur vingt, ils ont compris que rien ne serait plus comme avant. « Gamin, je n’osais pas m’aventurer seul dans l’oasis d’Oum Lâalag, tant la végétation était dense et le sol, les arbres, grouillaient d’animaux », raconte Labbas Sbaï.

Ce chirurgien de 54 ans a exercé une dizaine d’années en Suisse, avant de revenir dans la région de M’hamid, dans la province de Zagora, au sud-est du Maroc. « Les nomades ont été confrontés non seulement à la sécheresse, mais aussi à la fermeture de la frontière toute proche avec l’Algérie », raconte le docteur Labbas Sbaï, marié à une Suissesse, et père de deux enfants.

Haschich, cocaïne, et demain ?

Alors pour survivre, certains habitants de la région se sont livrés à de la contrebande. Rien de plus facile dans le désert où les postes-frontières sont très espacés. Puis, il y a eu le trafic de dromadaires, volés en Mauritanie et au Mali, destinés à distraire les hordes de touristes qui se bousculent au Maroc. Ensuite, ça a été au tour des cigarettes et du haschich.

À présent la cocaïne, venue d’Amérique du sud, emprunte cette nouvelle piste, fort mal gardée, pour rejoindre l’Europe. « Aux petits trafiquants locaux se sont substituées depuis quelques années de vraies mafias, venues d’ailleurs qui achètent des élus, des militaires, des magistrats », dénonce Labbas Sbaï.

Réintroduire des animaux

C’est pour avoir proféré ce genre d’accusations que l’ancien chirurgien des hôpitaux de Berne, Lausanne et Fribourg, est arrêté le 3 février 2006 et condamné à six mois de prison pour « outrage à magistrat » et « désordre dans un lieu public ». Incarcéré à Ouarzazate, Labbas Sbaï entame une grève de la faim. Confrontée à une campagne internationale et à des manifestations locales, la justice marocaine préfère le libérer le 10 mars 2006.

« Docteur Sbaï » n’est pas n’importe qui dans la région de M’hamid. Son père était un proche du roi Mohamed V, et depuis une décennie, il se bat pour proposer un tourisme écologique dans l’oasis sacrée d’Oum Lâalag, appartenant à sa famille. Peu à peu, il est parvenu à faire reverdir ce bout de désert, à une cinquantaine de kilomètres de M’hamid. Il a creusé des puits, cultivé des terres exclusivement avec des engrais naturels, et tente de réintroduire dans la nature des animaux disparus comme les gazelles, les chacals, les renards.

Ne pas effrayer les touristes

Seulement voilà, le médecin reconverti dans le tourisme bio continue d’ouvrir sa grande gueule. Il cite des noms de fonctionnaires corrompus, évoque des tours opérateurs qui, sous couvert de balader des touristes, transportent de la drogue dans leurs 4X4. « Il y a des règlements de comptes entre les trafiquants. Des gens de la région disparaissent. Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, je prédis que d’ici un an des terroristes d’Al-Qaïda s‘infiltreront dans cette zone de non-droit pour enlever des touristes », lâche Labbas Sbaï.

Des mots qu’il ne faut surtout pas prononcer au Maroc, qui s’est fixé comme objectif d’accueillir 10 millions de touristes par an. Résultat, tout ce qui pourrait effrayer les précieux visiteurs est passé sous silence. Durant notre séjour au Maroc, le démantèlement d’une cellule terroriste, forte de 18 membres, qui s’apprêtait à commettre des attentats, n’a eu droit qu’à un entrefilet dans la presse locale.

Nouvelle arrestation en 2010

Le 11 juin 2010, Labbas Sbaï est arrêté dans un hôtel de Casablanca et transféré à la prison de Ouarzazate. Motif ? Il n’aurait pas purgé la totalité de sa peine de 2006. Les mêmes méthodes provoquent les mêmes réactions. Emprisonné avec des droits communs, le docteur au tempérament de feu entame une grève de la faim. Amnesty International intervient. À Genève, le journal Le Temps s’empare de l’affaire. D’autant que l’ambassadeur de Suisse au Maroc se voit refuser la visite du prisonnier. Labbas Sbaï possède pourtant un passeport à croix blanche.

À M’hamid comme à Ouarzazate, des manifestants crient des slogans sans discontinuer. Finalement, l’homme qui a ressuscité l’Oasis sacrée d’Oum Lâalag est libéré le 3 août. « En plein désert, les oiseaux sont revenus, et dans notre source sautent des grenouilles », s’émerveille le médecin.

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