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Maroc: Laïcité ou l’éternelle ingérence

Le Maroc a, semble-t-il, atteint le summum de la démocratie et de la modernité telle que conçue en Occident. Depuis mars dernier en effet, le débat concernant la Marocaine, n'est plus limité à son éducation, sa couverture sociale ou aux lois qui devraient la prémunir et la protéger contre toute forme de violence. Le Maroc a atteint le statut de pays avancé car la société débat désormais de la licéité du voile dans la fonction publique…

La pratiquante au Maroc commence à subir les mêmes affres que sa coreligionnaire en France, devenant la victime de débats douteux et de discriminations laïcistes dangereuses. Avant le scandale du lycée Descartes qui a vu le refus d'accès aux concours de grandes écoles de deux jeunes filles à cause de leur port du foulard, Karim Boukhari titrait son édito de Tel Quel à la veille du 8 mars, « aïe, le voile » . Il s’agissait d’ouvrir le débat sur la pertinence du voile dans la fonction publique et surtout dans les emplois touristiques. Nous ne sommes, de toute évidence, plus à une schizophrénie près dans ledit plus beau pays du monde.

Il faut rappeler tout de même que nous sommes un pays constitutionnellement musulman. Traditionnellement, culturellement et politiquement. Pour le dernier aspect, que l’on ne s’y méprenne pas, ce n'est pas du fait de la prise du pouvoir par le PJD (parti islamiste modéré) mais bien parce que le roi occupe le rang de Commandeur des croyants. Tout débat sur la laïcité au Maroc devrait donc être d'abord examiné à partir de ce prisme, ce qui n'est jamais mentionné par les laïcards. Normal, ils ne voient généralement pas plus loin que le bout du foulard…

Avoir aujourd'hui un débat franco-français sur le voile et encore plus une loi discriminatoire dans nos lycées même s'ils dépendent de l'Education Nationale française, est absolument hors de propos. De plus, il faut souligner que le rejet même dont ont fait l'objet les deux lycéennes, n'a aucune validité y compris sur le sol français, car le voile est permis dans l'enseignement supérieur. Par conséquent, elles ont le droit de contester cette décision inique et de se présenter au concours des grandes écoles.

Illicéité de la laïcité au Maroc :

Talal Asad fait une analyse édifiante de la laïcité à la française : il souligne que le voile musulman, tel qu'envisagé par l'Etat français, représente une violation de l’identité laïque du pays. Par analogie, nous pouvons argumenter que l’interdiction du port du voile au Maroc, constitue une violation de l’identité islamique du pays. Mais il faut aussi souligner que la France ne se permettrait pas d'appliquer de telles lois s'il n'y avait pas une permissivité en amont, de la part des autorités marocaines. Car il s'agit avant tout de l'intégrité juridique du Maroc. Le PJD, au pouvoir depuis novembre, devrait rappeler certains éléments de base aux amis français et plutôt que de censurer des journaux étrangers comme le Nouvel Observateur, devrait interdire la présence de lois étrangères.

La France est de plus en plus présente dans le pays : économiquement, idéologiquement et, ces dernières années, physiquement par ses nombreux citoyens qui trouvent refuge dans ce havre exotique, à deux heures d'avion. Sarkozy, à son arrivée au pouvoir en 2007, dira lors de son premier discours de politique étrangère, que "le premier défi à relever est de prévenir la confrontation entre l'Islam et l'Occident.(…) Prévenir une confrontation entre l’Islam et l’Occident, c’est aussi encourager, aider, dans chaque pays musulman, les forces de modération et de modernité. "Nicolas Sarkozy citera le Maroc parmi ces pays. "C'est la première fois qu'un chef d'Etat français, utilise dans son discours le terme d'Occident." rappelle Alain Gresh. Et pour cause, l'américanisme de Sarkozy n'est plus à démontrer. Il va de soi qu'il sera promoteur du clash des civilisations, cher à Huntington.

Rappelons aussi que Sarkozy fait la promotion en France, d'un Islam de France l'opposant à un Islam en France. Tout est dans la nuance, on veut un Islam "gaulisé". Et en remontant l'Histoire à la colonisation française, nous comprendrons les fondements d'une telle idéologie. Il n'en demeure pas moins qu'à la simple évocation de ces éléments, le cocktail de présence française au Maroc mêlé à la présidence d’un tel bonhomme, ne pouvait que tôt ou tard faire surgir, l’air de rien, un débat sur la place du voile…

L'éternel retour du colonial :

Un petit retour sur l’Histoire de nos chers occupants d’un temps –révolu?–, peut nous faire y voir plus clair. Prenons l’exemple de l’Algérie sous l’occupation française et examinons le rapport du colon à l’Islam à l’époque, encore plus frontal qu’aujourd’hui.

Le 24 octobre 1870, la France, par le biais du Décret Crémieux, accordera la citoyenneté française aux Juifs d'Algérie mais maintiendra les Musulmans sous le Code de l'Indigénat, à moins qu'ils ne renoncent à leur statut personnel, donc à leur religion. Déjà, les Musulmans étaient perçus comme une menace et leur naturalisation de fait était donc exclue. La politique de deux poids deux mesures dans la France d'aujourd'hui prend racine dans ce passé colonial, selon le sociologue Tony Jugé. En effet, ce dernier dans son article, "The modern Colonial Politics of Citizenship and Whiteness in France" (2006) analyse que "la notion actuelle de l'intégration, ressemble beaucoup à la situation par laquelle sont passés les Algériens à la fin du 19° siècle dans leur propre pays."

Ensuite, Jules Ferry –dont découle la loi Ferry appliquée dans les années 1881-1882 en Algérie–, était un fervent défenseur de la laïcité et voyait en les Algériens une race inférieure, notamment à cause de leur attachement culturel à l'Islam et à sa pratique. La loi Ferry a participé à la détérioration de l'enseignement de l'arabe et de tout ce qui se rapporte à l'Histoire de l'Algérie ou des pays arabes. C'est cette loi qui gouverne le lycée Descartes de Rabat. C'est cette même loi à laquelle s'est référée Mme Kechoun, responsable de l'accueil au lycée, défendant ainsi le refus de l'admission au concours des deux jeunes filles voilées.

L'examen du Décret Crémieux à travers le prisme actuel, nous montre que par exemple, les organismes religieux en France bénéficient de traitements distincts selon la confession concernée. C'est le "régime d'exception" qui a toujours prévalu lorsqu'il s'agissait des musulmans. C'est ainsi qu'aujourd'hui le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) est la seule institution religieuse à avoir des liens directs avec l’Etat, pire, à en être la progéniture (sous l'égide de Sarkozy, à l'époque ministre de l’Intérieur) alors que les organismes Juifs et Chrétiens sont tout à fait autonomes. Il va sans dire que le lien entre l'Etat et le CFCM est en totale contradiction avec les principes de laïcité tels qu'édictés par la loi 1905.

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 Une autre ingérence de l'Etat dans les affaires religieuses est celle du rapport de la commission Stasi qui, comme le rappelle Talal Asad, désigne la nature des "signes religieux ostentatoires". Le rapport omet délibérément de voir en le port du foulard, le respect d'un précepte religieux qui rend donc le foulard non pas un simple "signe" religieux comme le serait une croix autour du cou, mais comme faisant partie de l’identité de la musulmane, pleine et entière. De ce fait, le voile n’est pas un "signe" que la femme peut retirer comme bon lui semble.

"Dans chaque bougnoul se trouve un français qui veut se libérer":

Pour ce qui est du "cas" marocain, c’est sur l’élite francophone, assimilée que s’appuie la France pour promouvoir ses idéaux soi-disant républicains sur un territoire proche d’elle et dont elle craint la religion majoritaire. Le Maréchal Lyautey avait déjà scindé en deux le Maroc: un qu'il appellera le "Maroc utile" incluant les grandes métropoles économiques puis le reste du territoire qu'il appellera "inutile" et qui regroupait, à l'époque coloniale, l'ensemble des activités précapitalistes. De plus, pour Lyautey et au même titre que Ferry, seule comptait l'éducation française des élites en opposition aux marocains arabisants.

C'est le système de toute colonie finalement, comme l'a analysé Frantz Fanon, d'éduquer l'élite dans le giron colonial pour voir perpétuer les idéaux de la "civilisation". Dans le cas du débat sur le voile en France, c'était probant car les médias se sont beaucoup tournés vers des musulmanes dites "libérées" pour imposer la laïcité à la française. On a transmis le message à travers des femmes qui ont fui la persécution religieuse, ou se sont détournées de leur tradition. Des femmes donc "intégrées" selon le schème français. Une Djemila Benhabib par exemple, rescapée du GIA algérien qui implore, depuis le Canada, le Sénat français de mettre une limite à l’"épidémie" du voile et qui se demande si la France ne serait pas devenue " malade". Une Chadhortt Djavann qui a fui le régime Khomeini, qualifiera les voilées de "prostituées" sur le plateau télé de France 2…

Ce sont des femmes généralement déconnectées de la réalité française, persécutées par des franges extrémistes et étrangères, qui dictent donc l'attitude que la république française doit avoir vis-à-vis de ses musulman(e)s . Plutôt curieux et certainement biaisé. Ces femmes rappellent l'image mentionnée par le film Full Metal Jacket dans lequel un soldat américain en pleine guerre du Vietnam déclare "en chaque viet se trouve un Américain qui veut se libérer". Ainsi, nous arabes, musulman(e)s, ne savions pas que nous étions prisonnièr(e)s jusqu'à ce que le Prince Occident, vêtu de son armure de colon, soit venu nous déclarer que notre culture, notre foi, notre identité ne valaient rien et que notre Salut se trouverait au bout de son glaive…ou épinglé par sa loi.

Pour la musulmane pratiquante, un féminisme plafonné

Le drame des femmes donc dites libérées, chouchou de l'Occident et adeptes d'une tolérance excluant automatiquement celles qui font un choix différent de celui qu’elles promeuvent, est qu’elles tombent souvent dans les mêmes pièges qu’elles condamnent: la confusion du politique et du religieux, puis le traitement des autres femmes comme des mineures, incapables de décider pour elles-mêmes.

En effet, les associations féministes marocaines, de tendance gauchiste, font souvent preuve d’intolérance à l’égard des porteuses de foulard. Comme si la modernité devait constituer un désaveu de la tradition. Il y a même comme un soulagement à l’idée de l’exclusion de cette autre qui dérange. Ce constat, bien que paradoxal et difficile à réconcilier tant avec les idéaux droits-de-l’hommistes qu’avec une islamité du pays, constitue un danger pour la démocratie et pour les discours de libération de la femme. Comme l’indique Mohamed Tozy dans son enquête avec Mohammed El Ayadi sur l'Islam au quotidien: "ce discours de dénonciation [de la femme voilée] renforce paradoxalement celui machiste sur la minorité des femmes". Les féministes reprennent effectivement un discours orientaliste qui voit la femme arabe et musulmane comme une éternelle opprimée. Pourtant, la vraie liberté pour la femme, est celle du choix personnel, fût-il celui de porter le foulard.

La nécessaire réconciliation des deux Maroc:

La laïcité a prouvé son échec. Ne soyons pas assez stupides pour tenter l'expérience au Maroc. Ne pourrions-nous pas, pour une fois, nous libérer l'esprit de la présence occidentale? Trouver notre propre voie? N’avons-nous pas les outils nécessaires à notre portée ? Avant de voir en la France le modèle à suivre, réfléchissons-y à deux fois: voulons-nous promouvoir une culture assimilationniste? Ne serait-il pas dangereux d'instaurer un ghetto religieux, en plus de celui, déjà existant, économique et social? Jusqu'à quand pourrons-nous vivre ainsi, avec deux Maroc qui semblent à priori inconciliables?

Il faut aussi avoir la même attitude face à l'influence grandissante des idéologies wahhabites qui n'ont rien à faire sur le sol marocain. L'Islam du pays n'a aucun complexe à avoir vis-à-vis d'une fabrication extrémiste, aveugle. Le voile intégral que l'on remarque de plus en plus dans certaines villes du royaume hérisse le même poil qui veut préserver le patrimoine culturel du pays et dont celui des pays du Golfe ne fait résolument pas partie. Ces derniers pervertissant tout autant notre population par leur présence et leur influence, que la France.

Ces luttes d'influence finalement n'existent qu'à cause d'un vide politique et social que l'on a laissé s'installer. Une prolongation de la scission recommandée par Lyautey et d'autres, donnant lieu à un malaise au sein de la population et un écart de plus en plus dangereux entre la prétendue élite et la base populaire. La priorité de la Marocaine et du Marocain n'est pas le port ou non du voile mais une meilleure éducation, et une meilleure justice sociale. Nous comptons toujours près de la moitié de la population analphabète dont la majorité sont des femmes. Des millions de Marocains vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Les extrêmes comblent dangereusement ce vide…Et si l'élite instruite continue obstinément à s'aveugler en ne regardant que vers l'Occident, des conséquences graves risquent de s'abattre sur l'unité déjà fragile du pays…

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